LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n° D 14-50.061 et P 14-23.942 ;
Sur la recevabilité du pourvoi n° P 14-23.942, contestée par la défense :
Attendu que le pourvoi fondé sur la contrariété de jugements doit être dirigé contre les deux décisions arguées de contrariété ; que le pourvoi de la société Naudet sapins de Noël (la société Naudet), qui n'est dirigé que contre un seul arrêt, n'est pas recevable ;
Sur la recevabilité du pourvoi n° D 14-50.061, contestée par la défense :
Attendu que la société Castorama France (la société Castorama) soutient que le pourvoi dirigé contre deux décisions, sur le fondement de l'article 618 du code de procédure civile, doit être formé avant l'expiration du délai pour se pourvoir, ouvert par la signification de la seconde des décisions attaquées ; qu'elle en déduit que le pourvoi formé le 29 septembre 2014 par la société Naudet est tardif, l'arrêt de la cour d'appel de Paris ayant été signifié le 4 juillet 2014 ;
Mais attendu qu'aux termes de l'article 618 du code de procédure civile, le pourvoi peut être formé même après l'expiration du délai prévu à l'article 612 du même code ; que le pourvoi formé le 29 septembre 2014 , dirigé contre les deux décisions, est recevable ;
Et sur le moyen unique de ce pourvoi :
Vu l'article 618 du code de procédure civile ;
Attendu que lorsque deux décisions, même non rendues en dernier ressort, et dont aucune n'est susceptible d'un recours ordinaire, sont inconciliables, elles peuvent être frappées d'un pourvoi unique, la Cour de cassation, si la contrariété est constatée, annulant une des décisions ou, s'il y a lieu, les deux ;
Attendu que la société Naudet, s'estimant victime d'une rupture brutale de la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec la société Castorama, l'a assignée, le 19 décembre 2008, devant le tribunal de commerce de Nevers qui, faisant application d'une clause attributive de juridiction, a renvoyé la cause devant le tribunal de commerce de Lille, lequel a rejeté sa demande ;
Attendu que, par arrêt du 27 septembre 2012, la cour d'appel de Douai a déclaré l'appel de la société Naudet irrecevable, au visa des articles L. 442-6 I 5° et D. 442-3 du code de commerce, en retenant qu'interjeté postérieurement à l'entrée en vigueur du décret du 11 novembre 2009, l'appel était soumis au pouvoir juridictionnel exclusif de la cour d'appel de Paris ; que, par arrêt du 20 mai 2014, la cour d'appel de Paris a déclaré l'appel formé devant elle irrecevable, au motif que la procédure, ayant été engagée avant l'entrée en vigueur du décret précité, les dispositions de l'article D. 442-3 du code de commerce issues de ce décret n'étaient pas applicables, de sorte que la cour d'appel de Douai était compétente pour statuer sur l'appel du jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille ;
Attendu que ces deux décisions sont inconciliables et aboutissent à un déni de justice ; qu'il y a lieu en conséquence d'annuler l'arrêt rendu par la cour d'appel de Douai, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris étant conforme à la doctrine de la Cour de cassation ;
PAR CES MOTIFS :
DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi n° P 14-23.942 ;
Et sur le pourvoi n° D 14-50.061 :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 septembre 2012 par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne la société Castorama France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la société Naudet sapins de Noël et rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre novembre deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen produit au pourvoi n° D 14-50.061 par Me Blondel, avocat aux Conseils, pour la société Naudet sapins de Noël.
Il est reproché à l'arrêt de la Cour d'appel de Douai du 27 septembre 2012 et à l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 20 mai 2014 d'avoir, chacune, déclaré irrecevable l'appel interjeté par la société Naudet Sapins de Noël contre le jugement du Tribunal de commerce de Lille du 3 mars 2011 ;
ALORS QUE lorsqu'il résulte du rapprochement de deux décisions que celles-ci sont inconciliables et aboutissement à un déni de justice, cette contrariété emporte l'annulation de l'une ou de chacune d'entre elles; qu'en l'espèce, pour justifier l'irrecevabilité de l'appel formé par la société Naudet, le premier arrêt retient qu' en vertu des dispositions transitoires prévues à l'article 8 du décret du 11 novembre 2009, les nouvelles règles de compétence - qui désignent la cour d'appel de Paris comme unique cour compétente pour statuer en appel sur l'application de l'article L.442-6-1 5° du code de commerce - s'appliquent immédiatement à un appel formé après l'entrée en vigueur du décret quand bien même l'instance devant le premier juge a été introduite avant cette date cependant que pour justifier également l'irrecevabilité de l'appel formé par la société Naudet, le second arrêt retient qu' en vertu des mêmes dispositions transitoires, ce sont les règles de compétences antérieures au décret du 11 novembre 2009 - y compris en appel - qui demeurent applicables lorsque la demande en justice a été introduite devant le premier juge avant l'entrée en vigueur de ce décret ; qu'ainsi, ces deux décisions radicalement inconciliables aboutissent à un déni de justice, en violation des articles 4 du Code civil, 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, puisque la société Naudet est ainsi privée de son droit à un recours juridictionnel effectif ; qu'il y a donc lieu d'annuler les deux décisions, et à défaut la première, en application de l'article 618 du Code de procédure civile.