LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que l'arrêt attaqué (Douai, 19 mai 2014) fixe le montant des indemnités revenant à la SCI Lambert Denain au titre de l'expropriation, au profit de la commune de Denain, des parcelles cadastrées AY n° 258 et 259 lui appartenant ;
Sur le premier moyen :
Vu l'article R. 13-7, alinéa 4, devenu R. 212-1, alinéa 4, du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
Attendu que le commissaire du gouvernement exerce ses missions dans le respect de la contradiction guidant le procès civil ;
Attendu que, pour dire que l'offre de l'expropriant était satisfactoire au regard des trois termes de référence cités par le commissaire du gouvernement, l'arrêt retient que la société expropriée, qui bénéficie de la faculté offerte par l'article L. 135-B, alinéa 1er, du livre des procédures fiscales, dispose des mêmes avantages que le commissaire du gouvernement dans l'accès aux informations pertinentes publiées au fichier immobilier, que, si ce dernier n'a pas produit les termes de comparaison qu'il allègue, il appartenait à la SCI Lambert Denain d'user de cette faculté pour obtenir la transmission de ces éléments, que les parties et notamment la SCI Lambert Denain ont pu bénéficier d'un délai suffisant pour prendre connaissance et discuter, avant l'audience, de toutes les pièces et conclusions déposées par le commissaire du gouvernement, en ce compris la pertinence des termes de comparaison invoqués qui étaient librement accessibles dès lors qu'il est fait application de la faculté offerte par l'article L. 135-B du livre des procédures fiscales et que c'est à bon droit que le premier juge a écarté le moyen tiré de la violation du principe de la contradiction ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 mai 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne la commune de Denain aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile ; rejette la demande de la commune de Denain ; la condamne à payer à la SCI Lambert Denain la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix décembre deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Lambert Denain.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir fixé l'indemnité de dépossession revenant à la SCI Lambert Denain pour les parcelles sises à Denain cadastrées AY n° 258 et 259 pour une contenance totale de 4665 m2 à la somme totale de 27.057 euros et d'avoir débouté la SCI Lambert Denain de ses prétentions plus amples ou contraires ;
AUX MOTIFS QU'il est établi et d'ailleurs non contesté que les indemnités allouées par la juridiction de l'expropriation doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation ; que la consistance du bien s'apprécie à la date de l'ordonnance d'expropriation portant transfert de propriété soit le 27 janvier 2012 ; que conformément à l'article L 13-15 I du Code de l'expropriation, l'estimation du bien s'effectue par ailleurs à la date de la décision de première instance, sauf à prendre en considération l'usage effectif du bien, les critères de qualification et les possibilités de construction à la date de référence, soit par application des articles L 13-15II 4° du Code de l'expropriation et L 213-4 du Code de l'urbanisme, le 25 février 2010 qui correspond à la date d'opposabilité aux tiers de la délibération du conseil municipal de Denain approuvant la modification du plan local d'urbanisme délimitant notamment la zone dans laquelle est situé l'emplacement réservé ; qu'à la date de référence, les parcelles AY n° 258 et 259 sont ainsi situées en emplacements réservés pour le contournement de l'entrée de ville Ouest et desserte de la zone des Pierres Blanches au sein de la zone 1AUebp au plan local d'urbanisme, c'est-à-dire dans une zone naturelle insuffisamment équipée, ouverte immédiatement à l'urbanisation, destinée à accueillir des activités économiques, artisanales, commerciales et de tertiaire administratif, l'emprise minimale des voiries ouvertes à la circulation automobile dans ce secteur étant de 12 mètres ; qu'il s'agit d'un tènement de propriété libre d'occupation, comprenant deux parcelles de terrain en nature de friche, sises 4B rue Louis Petit à Denain, situé en face d'un hypermarché sur un axe de circulation majeur qui relie les échangeurs de l'A2 et de l'A1 ; qu'il est desservi par une voirie d'une largeur de 7 mètres, la rue Louis Petit ; que s'il dispose d'une façade sur la route départementale 955, il ne bénéficie d'aucun accès à cette voie ; que les réseaux de viabilité sont à proximité ; que les parties s'accordent en cause d'appel à reconnaître que ces parcelles de terrain répondent à la qualification de terrain à bâtir à usage industriel, comme possédant à la date de référence toutes les caractéristiques d'un terrain à bâtir au sens des dispositions de l'article L 13-15 II 1° du Code de l'expropriation ; que sur l'évaluation, il sera d'abord observé que les conclusions du commissaire du gouvernement, en ce qu'elles comportent, conformément à l'article R 13-32 du Code de l'expropriation, les références de tous les termes de comparaison issus des actes de mutation sélectionnés sur lesquels il s'est fondé pour retenir l'évaluation qu'il propose, ainsi que toute indication sur les raisons pour lesquelles les éléments non pertinents ont été écartés, constituent en tant que telles des éléments suffisants à l'information des autres parties et de la juridiction permettant de fixer l'indemnité d'expropriation ; qu'il en est d'autant plus ainsi que la société expropriée qui bénéficie de la faculté offerte par l'article L 135B alinéa 1er du livre des procédures fiscales tel que modifié par la loi du 13 juillet 2006 de demander à l'administration fiscale de lui transmettre gratuitement les éléments d'information qu'elle détient au sujet des valeurs foncières déclarées à l'occasion des mutations intervenues dans les 5 dernières années, dispose des mêmes avantages que le commissaire du gouvernement dans l'accès aux informations pertinentes publiées au fichier immobilier ; que si ce dernier n'a pas produit les termes de comparaison qu'il allègue au soutien de l'évaluation qu'il propose, il appartenait ainsi à la SCI Lambert Denain d'user de cette faculté pour obtenir la transmission de ces éléments ; que dès lors en conséquence, que les parties et notamment la SCI Lambert Denain ont pu bénéficier d'un délai suffisant pour prendre connaissance et discuter avant l'audience, de toutes les pièces et conclusions déposées par le commissaire du gouvernement, en ce compris la pertinence des termes de comparaison invoqués qui étaient librement accessibles dès lors qu'il est fait application de la faculté offerte par l'article L 135B alinéa 1er du livre des procédures fiscales, c'est à bon droit que le premier juge a écarté le moyen tiré de la violation du principe du contradictoire imposé par l'article 16 du Code de procédure civile ; qu'ensuite c'est par des motifs pertinents que la Cour fait siens que le premier juge a évalué le bien appartenant à la SCI Lambert Denain par comparaison avec des mutations d'immeubles similaires récemment intervenues dans le même secteur géographique et estimé que l'offre effectuée à hauteur de 5 euros le mètre carré par l'autorité expropriante était satisfactoire au regard des trois termes de référence cités par le commissaire du gouvernement portant sur des terrains à bâtir à vocation industrielle situés dans la même zone urbanistique que les parcelles expropriées, dont elles étaient très proches géographiquement puisque contiguës à la parcelle AY 214 dont elles sont issues et des deux autres termes de comparaison cités par lui portant sur des parcelles situées en zone similaire à Escaudain et Thiant et faisant ressortir un prix compris entre 2 et 6 euros le mètre carré ; qu'il convient en effet de rappeler que la méthode d'évaluation par comparaison commande de s'attacher uniquement aux mutations réellement intervenues et d'écarter parmi celles-ci les mutations trop anciennes portant sur des biens non comparables ou reflétant un intérêt de convenance ; que tous autres éléments (promesse de vente, offre d'acquisition, estimation immobilière, notification de redressement fiscal, article de presse) doivent être écartés aux motif qu'il s'agit de références insuffisamment certaines ; qu'à la lumière de ces observations, c'est donc par de justes motifs que le premier juge a écarté la proposition de vente par la commune de Denain de terrains aux au parc d'activité de Pierres Blanches à 15 euros le mètre carré compte tenu de son manque de certitude ; qu'il apparaît en outre que ces terrains ont bénéficié d'un aménagement par la commune de Denain de sorte que leur valeur est nécessairement plus importante que celle des parcelles en cause ; que c'est également à bon droit qu'il a écarté les deux autres termes cités par la SCI Lambert Denain, à savoir les ventes intervenues le 20 décembre 2010 entre l'EPF Nord Pas de Calais et la SOPIC et le 28 mars 2012 entre la ville de Denain et la SNC Denain Services après avoir constaté qu'elles portaient sur des parcelles situées en zone Ua réservée au centre-ville à forte densité et dont la constructibilité inclut en principe des logements alors que les parcelles appartenant à la SCI Lambert Denain se situent en zone 1AUebp ; que ces mêmes observations ne peuvent qu'être formulées s'agissant de la vente du 22 décembre 2010 par la ville de Denain des parcelles de terrain cadastrées section BH n° 1343, 1689, 1691 et 782 ; qu'il ne saurait davantage lui être fait grief de n'avoir pas retenu l'évaluation qui avait été faite le 22 décembre 2006 par le service des Domaines des parcelles expropriées, alors évaluées à 10 euros le mètre carré, compte tenu de son ancienneté ; qu'en ces conditions et compte tenu par ailleurs de la façade sur la route départementale 955 des parcelles qui leur confère indéniablement une plus-value par rapport aux parcelles qui lui sont contigües citées par le commissaire du gouvernement, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé à la somme de 5 euros le prix du mètre carré ;
1°) ALORS QUE le commissaire du gouvernement exerce ses missions dans le respect du principe de la contradiction guidant le procès civil ; qu'il doit produire les termes de comparaison sur lesquels il se fonde pour évaluer l'indemnité d'expropriation aux débats, sans pouvoir se contenter de préciser les références de ces termes de comparaison, dans ses conclusions ; que la possibilité offerte à l'exproprié par l'article L 135B alinéa 1er du livre des procédures fiscales tel que modifié par la loi du 13 juillet 2006 de demander à l'administration fiscale de lui transmettre gratuitement les éléments d'information qu'elle détient, n'est pas de nature à dispenser le commissaire du gouvernement du respect de la contradiction ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé les articles R 13-7 alinéa 4 du Code de l'expropriation, 15 et 16 du Code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut retenir dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement ; qu'en fondant son évaluation de l'indemnité d'expropriation, sur des termes de comparaison invoqués par le commissaire du gouvernement après avoir constaté que ce dernier n'avait pas produit aux débats ces termes de comparaison allégués au soutien de son évaluation et que ces éléments n'avaient pas été soumis à un débat contradictoire, la Cour d'appel a violé les articles 16 du Code de procédure civile et 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir fixé l'indemnité de dépossession revenant à la SCI Lambert Denain pour les parcelles sises à Denain cadastrées AY n° 258 et 259 pour une contenance totale de 4665 m2 à la somme totale de 27.057 euros et d'avoir débouté la SCI Lambert Denain de ses prétentions plus amples ou contraires ;
AUX MOTIFS adoptés du jugement qu'il convient d'écarter les éléments de comparaison situés en zone Ua réservée au centre-ville à forte densité et dont la constructibilité inclut en principe des logements même si le prix de vente a pu être limité dans certains cas en raison de pollutions anciennes ne permettant pas la construction d'habitations ;
1°) ALORS qu'aucun élément de preuve ne peut être déclaré a priori irrecevable, s'agissant d'évaluer l'indemnité d'expropriation y compris par application de la méthode de comparaison ; qu'en énonçant que la méthode d'évaluation par comparaison commanderait de s'attacher uniquement aux mutations réellement intervenues et que tous autres éléments (promesse de vente, offre d'acquisition, estimation immobilière, notification de redressement fiscal, article de presse) devraient être écartés comme constituant des références insuffisamment certaines, quand il lui appartenait d'exercer son pouvoir d'appréciation sur l'ensemble des éléments de preuve versés aux débats, la Cour d'appel a violé les articles L 13-13, L 13-15 du Code de l'expropriation et 1353 du Code civil ;
2°) ALORS QUE le juge doit tenir compte, dans l'évaluation des indemnités allouées, de la valeur résultant des évaluations administratives rendues définitives en vertu des lois fiscales ; qu'en énonçant qu'il n'y aurait pas lieu de tenir compte des notifications de redressement fiscal, la Cour d'appel a violé l'article L 13-16 du Code de l'expropriation ;
3°) ALORS QU'en se fondant pour écarter les termes de référence tirées de ventes effectivement intervenues, invoquées par la société Lambert Denain, sur la circonstance que les parcelles expropriées sont des terrains à bâtir qui se situent en zone 1AUebp à vocation professionnelle, tandis que les termes de référence invoqués ont porté sur des terrains situés en zone Ua réservée au centre-ville à forte densité dont la constructibilité inclut en principe des logements, tout en constatant par ailleurs expressément que, comme le faisait valoir la société Lambert Denain, la construction de logements sur ces parcelles était exclue en raison de pollutions anciennes, ce dont il résulte que cette possibilité de construire des logements ne pouvait constituer une plus-value exclusive de la comparaison invoquée, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations au regard de l'article L 13-13 du Code de l'expropriation qu'elle a violé.