LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 5 septembre 2014), que M. X... a été engagé le 1er avril 2004 par la société Paprec Sud-Ouest en qualité de délégué commercial ; qu'il occupait en dernier lieu les fonctions de responsable commercial ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale, le 4 janvier 2011, d'une demande de résiliation de son contrat de travail ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts, de dire que cette résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul et de le condamner à payer au salarié diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul et de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral, alors, selon le moyen, que le salarié a saisi le 4 janvier 2011 le conseil de prud'hommes de Toulouse d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, soit après avoir été convoqué le 29 décembre 2010 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 12 janvier 2011, mais avant d'être licencié le 26 janvier 2011 ; que pour faire droit à la demande du salarié, la cour d'appel a considéré que le harcèlement moral était établi, en se fondant sur les messages électroniques que lui avait adressés son supérieur hiérarchique les 19 et 20 février 2009, 12, 19 et 25 mars 2009, 5 novembre 2009 et 11 février 2010 ; qu'en se fondant ainsi sur des faits trop anciens pour empêcher la poursuite du contrat de travail, la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté que le salarié, qui avait été destinataire, entre février 2009 et février 2010, de nombreux courriers électroniques rédigés de façon méprisante, agressive et grossière, dont certains avaient également été adressés, pour information, à d'autres salariés, produisait un certificat médical mentionnant un état anxio-dépressif réactionnel à un harcèlement dans le cadre du travail, la cour d'appel a pu en déduire que ces faits rendaient impossible la poursuite du contrat de travail et justifiaient la résiliation de celui-ci aux torts de l'employeur ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les première, deuxième, troisième et quatrième branches du premier moyen et sur le second moyen, annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Paprec Sud-Ouest aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à M. X... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois février deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP de Chaisemartin et Courjon, avocat aux Conseils, pour la société Paprec Sud-Ouest
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur à la date du 26 janvier 2011, dit que cette résiliation judiciaire produisait les effets d'un licenciement nul, et condamné la société Paprec Sud-Ouest à payer à M. Fabrice X... les sommes de 35.000 € de dommages-intérêts pour licenciement nul et 5.000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral ;
AUX MOTIFS QUE lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur. M. X... reproche à son employeur les faits suivants : - retrait de ses prérogatives ; - suppression de la prime de résultats ; - harcèlement moral. (...) Sur le harcèlement moral : (...) M. X... indique qu'il a été destinataire de nombreux courriers électroniques de la part de M. Y..., directeur de l'agence, où il est injustement critiqué, humilié et discrédité. Il a fait part à la direction de la société des agressions dont il était victime mais n'a obtenu aucune protection de son employeur. Il verse aux débats plusieurs messages électroniques qui lui ont été adressés par M. Y... et rédigés en ces termes : - 19 février 2009 : « c'est quand même pas terrible. Je ne vois rien venir. Ton rôle c'est d'anticiper et de proposer autres services clients. On se croirait dans une maison de retraite » ; - 20 février 2009 : « on déterminera les primes en fonction et sûrement pas avec ancien système à la con. Tout le reste est bla bla ; (...) » ; - 12 mars 2009 (17h30) : « Qu'est ce que vous fichez ?!!! (...) Ce n'est vraiment pas sérieux » ; - 12 mars 2009 (18h13) : « on arrête le bla bla et on écrit ! Vous en êtes là car, comme d'hab, vous ne vous en êtes pas occupés (... » ; - 19 mars 2009 : « on leur rentre dans la gueule et on les met minables » ; - 25 mars 2009 : « Tu remontes avec JP point barre » ; - 5 novembre 2009 : « Le CA ne veut rien dire. Ce qui compte, c'est le développement nouveau » ; - 11 février 2010 (15h19) : « C'est une réponse à la con !!! Tu n'as rien formalisé de cet accord verbal bien entendu. Ce n'est pas du boulot, c'est du semblant et cela me gave. (...) Et tu te mets sérieusement au boulot » ; - 11 février 2010 (15h31) : « Mon amabilité est fonction de ton professionnalisme qui, sur cette affaire, n'est pas au RV et je te demande de me faire un point précis (...) au lieu de te débarrasser du dossier en faisant une lettre merdique. Et ceux qui sont juges de ton professionnalisme, ceux sont quand même tes chefs. Tout le monde a son fan club perso ». L'appelant produit un certificat médical de son médecin traitant faisant état d'un « état anxio-dépressif réactionnel à un harcèlement dans le cadre du travail » et une attestation de son épouse décrivant les actes de harcèlement dont son mari était victime et leurs effets sur sa santé. M. X... établit ainsi l'existence matérielle de faits précis et concordants qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre. L'employeur affirme, sans en justifier, qu'il a procédé à une enquête interne qui, selon lui, n'a pas permis d'établir le bien fondé des plaintes de M. X.... Il ne s'expliquer pas sur la teneur des messages adressés au salarié. Il ne démontre pas que les faits matériellement établis sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. En tout état de cause, même si son supérieur hiérarchique avait quelque chose à reprocher à M. X..., cette façon méprisante, agressive et grossière de s'adresser à des salariés n'est pas tolérable. De plus, certains de ces messages étaient également envoyés, pour information, à d'autres salariés. La répétition de ces messages qui le discréditaient, a eu pour effet d'entraîner une dégradation de ses conditions de travail et d'altérer sa santé. Le harcèlement moral est établi. En conséquence, la demande de résiliation judiciaire aux torts de l'employeur est fondée. Le jugement sera infirmé. La résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur pour harcèlement moral produit les effets d'un licenciement nul, conformément aux dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail. Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration, a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part aux indemnités de rupture, d'autre part à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et, au moins, égale à six mois de salaire. Au moment de la rupture, M. X... avait plus de six ans d'ancienneté. Son salaire mensuel brut, hors prime était de 3.150 €. Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de sa rémunération, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer une somme de 35.000 € à titre d'indemnité pour licenciement nul ;
1) ALORS QUE l'exercice normal du pouvoir de direction de l'employeur n'est pas constitutif d'un harcèlement moral ; qu'en l'espèce, pour retenir l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel s'est fondée sur des messages électroniques adressés au salarié par son supérieur hiérarchique, M. Y..., les 19 et 20 février 2009, 12, 19 et 25 mars 2009, 5 novembre 2009 et 11 février 2010 ; que pourtant, M. Y..., dans son courrier électronique du 5 novembre 2009, se bornait à souligner qu'il ne doit pas être tenu compte du chiffre d'affaires mais du « développement nouveau », dans celui du 25 mars 2009, donnait seulement un ordre au salarié en des termes familiers : « Tu remontes avec JP point barre » et dans celui du 19 février 2009, rappelait au salarié les tâches qui lui incombent et lui reprochait son inertie, en lui lançant une pique « On se croirait dans une maison de retraite » ; que ces propos, sans doute sur un ton familier, relevaient néanmoins de l'exercice normal du pouvoir de direction ; qu'il s'ensuit que la cour d'appel s'est déterminée par des motifs qui ne permettent pas de caractériser l'existence d'un harcèlement moral, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article L. 1152-1 du code du travail ;
2) ALORS QU'en tout état de cause, lorsque le juge estime que les éléments invoqués par le salarié laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral, il lui appartient d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral ; qu'en l'espèce, le conseil de prud'hommes avait retenu que les rappels à l'ordre adressés au salarié de mars 2009 à mars 2010 étaient justifiés et que le licenciement du salarié résultait de ses manquements professionnels continus vis-à-vis de la clientèle, comme en attestaient les récriminations de clients, montrant la négligence et l'amateurisme avec lesquels il avait exercé ses fonctions ; que dans ses conclusions d'appel reprises oralement à l'audience, la société Paprec Réseau sollicitait la confirmation du jugement entrepris, en faisant à nouveau valoir que les reproches adressés au salarié étaient parfaitement justifiés, et produisait divers éléments de preuve, dont un courrier du 3 mars 2010 de M. Y... et divers courriers électroniques de clients mécontents du travail de M. Fabrice X... ; qu'en se bornant à affirmer que l'employeur ne démontrait pas que les faits matériellement établis étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, sans rechercher si les reproches adressés au salarié par M. Y... étaient justifiés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;
3) ALORS QUE la lettre du médecin traitant en date du 23 décembre 2010, cité par le salarié dans ses conclusions d'appel, si elle indiquait que M. Fabrice X... présentait un état anxio-dépressif réactionnel à un harcèlement dans le cadre du travail, précisait également que « les symptômes ont débuté début septembre nécessitant un anxiolitique léger. Les soucis professionnels se précisant, son état de santé s'est aggravé fin novembre début décembre nécessitant un recours à des anxiolitiques plus forts » ; qu'en se fondant pourtant sur cette lettre, pour considérer que la répétition des messages électroniques avait altéré l'état de santé du salarié, quand le dernier message litigieux en date du 11 février 2010 était antérieur de plus de six mois à l'apparition des premiers symptômes selon le médecin traitant, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'un lien de causalité entre les messages litigieux et l'altération de l'état de santé du salarié, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article L. 1152-1 du code du travail ;
4) ALORS QU'en se bornant à affirmer que l'employeur soutenait, sans en justifier, avoir procédé à une enquête interne n'ayant pas permis d'établir le bien fondé des plaintes de M. Fabrice X..., sans répondre aux conclusions d'appel de la société Paprec Sud-Ouest faisant valoir que cette enquête s'était tout particulièrement manifestée par un entretien du salarié avec le directeur général adjoint du groupe Paprec, M. William Z..., qui avait pris soin de l'interroger, et qu'à l'issue de cette enquête, un courrier lui avait été adressé le 18 mai 2010 faisant référence à cet entretien, courrier versé aux débats et que le salarié n'avait jamais contesté, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5) ALORS, AU SURPLUS, QUE le salarié a saisi le 4 janvier 2011 le conseil de prud'hommes de Toulouse d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, soit après avoir été convoqué le 29 décembre 2010 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 12 janvier 2011, mais avant d'être licencié le 26 janvier 2011 ; que pour faire droit à la demande du salarié, la cour d'appel a considéré que le harcèlement moral était établi, en se fondant sur les messages électroniques que lui avait adressés son supérieur hiérarchique les 19 et 20 février 2009, 12, 19 et 25 mars 2009, 5 novembre 2009 et 11 février 2010 ; qu'en se fondant ainsi sur des faits trop anciens pour empêcher la poursuite du contrat de travail, la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société Paprec Sud-Ouest à payer à M. Fabrice X... la somme de 3.150 ¿ au titre de la prime de résultat de mai 2010 ;
AUX MOTIFS QUE l'appelant reproche à son employeur de ne pas lui avoir versé la prime de résultat en mai 2010, sans qu'il en connaisse les motifs. Malgré ses demandes, il n'a pu obtenir aucune explication sur la suppression de cette prime. L'employeur qui refuse de communiquer aux salariés les données comptables leur permettant de vérifier qu'il a bien rempli son obligation de verser la rémunération, élément essentiel du contrat de travail, commet un manquement à son obligation contractuelle justifiant la rupture du contrat de travail à ses torts. L'avenant au contrat de travail, daté du 3 juin 2009, indique que le salarié percevra : « une rémunération forfaitaire pour un temps plein de douze mensualités de 3.150 € bruts, soit une rémunération annuelle fixe de 37.800 € et une éventuelle prime de résultats pouvant être compris entre 0 et un mois de salaire brut, versée en mai après la clôture des comptes de l'exercice (...) » ; (...) Il n'est pas contesté que M. X... n'a pas perçu de prime de résultat en mai 2010. L'avenant au contrat de travail du 3 juin 2009 fixait cette prime entre 0 et un mois de salaire brut. En l'absence de tout élément produit par l'employeur concernant le calcul de cette prime, il sera alloué au salarié la somme de 3.150 € égale à un mois de salaire brut et celle de 315 € correspondant aux congés payés y afférents ;
ALORS QUE le contrat de travail peut prévoir en plus de la rémunération fixe l'attribution d'une prime laissée à la libre appréciation de l'employeur ; qu'en l'espèce, l'avenant au contrat de travail prévoyait une rémunération fixe ainsi qu'une « éventuelle prime de résultats pouvant être comprise entre 0 (zéro) et un mois de salaire brut, versée en mai après la clôture de l'exercice » ; qu'ainsi cette prime de résultat, qui était laissée à la discrétion de l'employeur, n'avait aucun caractère obligatoire ; qu'en considérant pourtant qu'en l'absence de tout élément produit par l'employeur concernant le calcul de cette prime, il serait alloué au salarié une somme égale à un mois de salaire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil.