LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Mme Saphia X..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 5 janvier 2015, qui, dans la procédure suivie contre M. Yannick Y... du chef d'abus de confiance, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 6 janvier 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Sadot, conseiller rapporteur, MM. Soulard, Steinmann, Mmes de la Lance, Chaubon, M. Germain, Mmes Planchon, Zerbib, conseillers de la chambre, Mmes Chauchis, Pichon, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Bonnet ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller SADOT, les observations de la société civile professionnelle GARREAU, BAUER-VIOLAS et FESCHOTTE-DESBOIS, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BONNET ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 314-1 du code pénal, 1382 du code civil, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a constaté qu'il n'était pas établi que M. Y... eût commis au préjudice de Mme X... une faute susceptible de constituer une infraction pénale et en conséquence a débouté celle-ci de ses demandes ;
"aux motifs que, la matérialité de l'utilisation de la carte bancaire de Mme X..., par M. Y..., pour des achats personnels, sans avoir obtenu l'accord de sa concubine, est établie par les déclarations précises de l'intéressé lors de l'enquête et par les écrits qu'il reconnaît avoir rédigés ; que, toutefois, il subsiste un doute raisonnable quant à l'existence d'une intention frauduleuse de la part de M. Y... à l'occasion de cette utilisation de la carte bancaire de Mme X... ; que les intéressés disposaient de comptes séparés, il résulte de leurs explications qu'ils partageaient de manière habituelle plusieurs types de dépenses et avaient acquis certains biens en commun ; que l'examen des relevés bancaires produits au dossier ne permet pas d'estimer, même de manière approximative, le montant des achats ou des retraits que M. Y... aurait effectués à des fins personnelles pendant la période de grossesse de Mme X... ; que la méthode ayant abouti à une estimation de ces opérations à la somme de 11 777,25 euros reste totalement inconnue, alors que la partie civile indique que cette carte était parfois confiée au prévenu pour des achats communs, et alors que la période des faits visée dans la citation débute plusieurs mois avant la conception de l'enfant né en novembre 2008, ce qui ne correspond pas aux circonstances d'utilisation frauduleuse de la carte bancaire telles qu'évoquées par la partie civile ; que le montant de chacun des achats ou retraits effectués avec la carte bancaire pendant la période de grossesse n'excède pas de manière significative le montant de chacune des opérations effectuées avec cette carte avant la période de prévention ; que le montant global de ces opérations a augmenté de manière sensible pendant la période visée, par rapport à la période précédente ; que, toutefois, cet élément doit être apprécié au regard du fait que la carte bancaire a pu être utilisée plus souvent, par M. Y..., pour des achats communs, dès lors que Mme X... ne pouvait plus elle-même utiliser son chéquier pendant cette période ; qu'ainsi, on ne peut pas affirmer que les achats ou retraits personnels, que M. Y... a reconnu avoir effectué avec la carte bancaire de Mme X..., aient excédé les menues dépenses qu'il a pu, de bonne foi, même par erreur, s'estimer en droit de faire dans le cadre de leur vie commune ; que les termes des déclarations de M. Y... devant les enquêteurs, de même que les termes de ses écrits produits par la partie civile, peuvent être interprétés comme la reconnaissance d'une utilisation non légitime de cette carte bancaire et d'une dette civile, sans signifier pour autant l'aveu de la commission consciente d'une infraction pénale ; qu'enfin, les circonstances de la "découverte", par la partie civile, de l'utilisation prétendument frauduleuse de sa carte bancaire, plus d'un an après la fin de la période de grossesse qui la fragilisait, doivent être appréciées au regard du contexte de rupture du couple ; que, dès lors, il n'est pas établi de manière certaine que M. Y... ait commis une faute susceptible de constituer une infraction pénale ; que le jugement déféré sera donc partiellement infirmé, en ce sens que la partie civile sera déboutée de ses demandes ;
"1°) alors que le dommage dont la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de la part de la personne relaxée résulte de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ; qu'en affirmant que si les déclarations précises de M. Y... lors de l'enquête et les écrits qu'il reconnaissait avoir rédigés établissaient la matérialité de l'abus de confiance il subsistait un doute sur l'intention frauduleuse de M. Y... dès lors que ces écrits et déclarations pouvaient être interprétés comme la reconnaissance d'une utilisation non légitime de la carte bancaire et d'une dette civile sans signifier pour autant l'aveu de la commission consciente d'une infraction pénale lorsqu'il ressortait des termes clairs et précis des écrits établis par M. Y..., qu'il reconnaissait des faits de « subtilisation » et de « vol » de sommes sur le compte courant de sa concubine, ainsi que de ses déclarations devant les enquêteurs lors de son audition et de sa confrontation avec la partie civile, le 8 janvier 2010, et lors de sa comparution, le 8 mars 2010, devant le délégué du procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Evreux en vue d'un classement sans suite sous condition de réparation du préjudice de la victime par lui acceptée, qu'il avait admis avoir sciemment utilisé à l'insu de cette dernière sa carte bancaire pour des achats personnels et s'être rendu coupable d'abus de confiance pris dans tous ses éléments matériel et moral, la cour d'appel qui n'a pas déduit de ses constatations les conséquences qui s'en évinçaient a violé les articles visés au moyen ;
"2°) alors que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que l'utilisation par un concubin de la carte bancaire de sa concubine pour des achats personnels sans avoir obtenu l'accord de celle-ci est constitutive d'un acte de détournement impliquant la volonté de l'auteur de se comporter même temporairement comme le propriétaire de cette carte, l'intention frauduleuse résultant dès lors nécessairement du constat du détournement ; qu'en retenant, pour exclure toute intention frauduleuse, que M. Y... avait pu de bonne foi, même par erreur, s'estimer en droit de faire des dépenses dont l'examen des relevés bancaires n'établissait pas qu'elles excédaient les menues dépenses effectuées dans le cadre de la vie commune des concubins, lorsque la cour d'appel a elle-même constaté que les dépenses litigieuses étaient des dépenses personnelles de sorte que le critère du caractère non excessif des dépenses, applicable aux seules dépenses concernant la vie commune des concubins, était totalement inopérant et lorsque le constat de la réalisation par M. Y... de dépenses personnelles en utilisant la carte bancaire de Mme X... sans avoir obtenu son accord, constitutive d'un détournement, excluait nécessairement toute intention libérale de la part de la partie civile comme tout prêt au profit de son concubin et établissait à elle seule, sans qu'il soit nécessaire de la caractériser davantage, l'intention frauduleuse de M. Y..., la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
"3°) alors que le dommage dont la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de la part de la personne relaxée résulte de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ; qu'en retenant, pour exclure toute intention frauduleuse du prévenu, que le montant des achats effectués par M. Y... à des fins personnelles lors de la période de la grossesse ne pouvait pas être estimé même de manière approximative, lorsqu'elle a elle-même constaté que M. Y... a reconnu devant les enquêteurs avoir utilisé la carte bancaire de l'exposante sans son accord à des fins personnelles pour acheter de l'essence, des cigarettes et des aliments et lorsqu'il ressortait des relevés de comptes bancaires produits par la partie civile correspondant à la période de la grossesse que les dépenses marquées d'un astérisque et fondant la demande d'indemnisation de la partie civile correspondaient essentiellement à des dépenses d'essence, de cigarettes, de téléphonie et d'aliments, la cour d'appel qui n'a pas déduit de ses constatations les conséquences qui s'en évinçaient, a violé les articles visés au moyen ;
"4°) alors que le motif hypothétique équivaut à son absence ; qu'en écartant toute intention frauduleuse du prévenu, cependant qu'elle a constaté une augmentation sensible du montant global des opérations pendant la période de grossesse de la demanderesse par rapport à la période précédente, aux motifs d'une part que le montant de chaque achat ou retrait effectué pendant la période de grossesse n'excédait pas le montant de chaque opération réalisée avec la carte bancaire de la demanderesse avant la période de prévention et d'autre part que l'augmentation du montant global des dépenses pendant la période de grossesse devait être apprécié au regard du fait que la carte bancaire avait pu être utilisée plus souvent pour des achats communs par M. Y... dès lors que Mme X... ne pouvait plus elle-même utiliser son chéquier pendant cette période, la cour d'appel, qui a elle-même constaté que le prévenu avait reconnu avoir fait des achats d'essence, de cigarettes et d'aliments correspondant chacun nécessairement à une somme modeste et qui n'a fait état d'aucun élément de preuve de nature à établir, d'une part, que Mme X... aurait eu l'habitude, hors la période de sa grossesse, d'établir des chèques pour les achats communs et, d'autre part, que le montant des débits apparaissant sur les relevés de compte bancaire de Mme X... pendant la période de sa grossesse correspondrait aux sommes ordinairement réglées par chèques par celle-ci pour de tels achats, s'est prononcée par des motifs inopérants et hypothétiques et n'a pas justifié sa décision" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, pendant leur vie commune, M. Y... a utilisé, pour financer diverses dépenses de nature personnelle, la carte bancaire que Mme X..., sa compagne, lui avait confiée pour effectuer des achats répondant aux besoins du ménage ;
Attendu que la cour d'appel, statuant, après la relaxe prononcée en première instance, sur le seul appel de la partie civile, retient notamment, pour débouter celle-ci de sa demande d'indemnisation, qu'il subsiste un doute raisonnable quant à l'existence d'une intention frauduleuse de la part de M. Y... à l'occasion de cette utilisation de la carte bancaire de Mme X... ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, d'où il résulte qu'aucune faute civile, à l'origine du préjudice invoqué, n'est démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept février deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.