Statuant sur les pourvois formés par :
- M. Bastien X...,- La société Bygmalion,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, 2° section, en date du 2 juillet 2015 qui, dans l'information suivie contre eux des chefs de recel de favoritisme, a prononcé sur leur demande d'annulation de pièces de la procédure ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 20 janvier 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, MM. Soulard, Steinmann, Mmes de la Lance, Chaubon, MM. Germain, Sadot, Mme Zerbib, conseillers de la chambre, Mmes Chauchis, Pichon, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Lacan ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de Mme le conseiller PLANCHON, les observations de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE DE BRUNETON, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LACAN ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 15 octobre 2015, joignant les pourvois et prescrivant leur examen immédiat ;
Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 114 et 432-14 du code pénal, de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, de la directive n° 2004/ 18 du 31 mars 2004, des articles préliminaire, 80-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que la chambre de l'instruction a rejeté la requête en nullité et a dit n'y avoir lieu à l'annulation d'une pièce de la procédure examinée jusqu'à la cote D 127 ;
" aux motifs que, par sa plainte avec constitution de partie civile, déposée le 10 février 2013, le syndicat SNPCA-CFE-CGC dénonçait les circonstances et conditions de passation de divers contrats de prestations de services, passés entre 2008 et 2011 par France télévisions et différentes sociétés de conseils créées et animées par d'anciens cadres de la direction de cet établissement, qu'il en allait, notamment, ainsi pour la société par actions simplifiées Bygmalion SAS, créée en 2008 et dirigée par M. X... jusqu'au 1 janvier 2011, ancien membre de la direction de FTV jusqu'en 2008, réalisant des prestations de « veille internet, courrier aux téléspectateurs, préparation de dossiers et d'éléments de langage pour le secrétaire général, accompagnement stratégique du groupe FTV » ; qu'une information judiciaire a été ouverte le 24 mai 2013, des chefs de favoritisme, prise illégale d'intérêt et de complicité de prise illégale d'intérêt ; que plusieurs personnes comme M. C..., président de France télévisions, de août 2005 à août 2010, et M.
D...
secrétaire général seront mis en examen, du chef de favoritisme, que M. X... co-dirigeant et actionnaire de la société Bygmalion, et cette société seront mis en examen pour recel du délit de favoritisme, en leur qualité de signataire respectif de ces conventions ou encore comme les ayant initiées en ce qui concerne M. C...; que, sur l'éventuel défaut de base légale des poursuites, il appartient à la cour ici saisie de se prononcer sur cette question, dont dépend la suite des investigations et les poursuites engagées ; que la loi n° 200-719 du 1er août 2000, modifiant celle du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication, a créée en son article 44, la société France télévisions, société constituée dans l'intérêt général, qui poursuit, depuis la loi du 3 décembre 1986, des missions de service public (article 43-11) ; qu'en application de l'article 47, l'Etat détient l'intégralité du capital de la société France télévisions et des sociétés de programme, que, selon l'article 47-1, France télévisions et ses filiales sont soumises à la législation sur les sociétés anonymes, sauf dispositions contraires, que son Conseil d'administration comprend douze membres nommées pour cinq ans, que cet organisme est doté d'un président et d'un directeur général ; qu'enfin France télévisions est soumise au contrôle économique et financier de l'Etat ; que, la loi 2009-258 du 5 mars 2009, est venue modifier ou compléter la loi du 1er août 2000, quant à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, que ce texte redéfinit la mission de France télévisions, qui répond à des missions de service public, telles que tracées par l'article 43-11 et indique que la principale source de financement de France télévisions est constituée par le produit de la contribution à l'audiovisuel public, que cette loi reprend le principe que l'Etat détient la totalité du capital des sociétés France télévisions et Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur à la France et que les présidents de ces sociétés sont nommés par décret pour cinq ans, après avis conforme du Conseil supérieur de l'audiovisuel et des commissions parlementaires compétentes (article 13) ; que l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées, non soumises au code des marchés publics (CMP), a transposé plusieurs directives, dont celles n° 2004/ 18/ CE du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, fournitures et services, que son article 1 définit les marchés et les accords cadres soumis à la présente ordonnance ; que son article 3 énumère les pouvoirs adjudicateurs dont les organismes de droit privé ou les organismes de droit public, dotés de la personnalité juridique et qui sont créées pour satisfaire spécialement des besoins d'intérêt général, ayant un caractère autre qu'industriel ou commercial ; que l'article 6 de cette ordonnance pose le principe pour ces pouvoirs ou entités adjudicateurs, de leur soumission et du respect aux principes de la liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ; que l'ensemble des requérants à l'annulation de la présente procédure pour défaut de base légale, ne contestent pas que France télévisions remplit les caractéristiques légales sus évoquées que l'ordonnance du 6 juin 2005 est applicable à France télévisions et aux marchés qu'elle était amenée à conclure sur la période considérée ; que l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, dans sa version applicable au moment des faits, comme dans celle applicable au 31 décembre 2009, en exergue, aux dispositions qu'elle instaure, vise : vu le code pénal, notamment, ses articles 222-38... et 450-1, que l'adverbe, notamment, indique que cette énumération n'est pas exhaustive ; que vu la loi n° 91-3, du 3 janvier 1991, relative à la transparence et à la régularité des procédures de marchés et soumettant la passation de certains contrats à des règles de publicité et de mise en concurrence ; qu'il doit être déduit des préambules que ce texte n'est pas exclusivement applicable aux marchés publics, comme le rappelle expressément l'article 6 susvisé de ladite ordonnance et comme l'y invite le droit communautaire qui admet une approche plus large du terme de marché public ; que les termes de cet article sont, en effet, comme le soutient la partie civile, à rapprocher de ceux de l'article 1 du CMP : ce sont ces mêmes principes fondamentaux de la commande publique qui sont rappelés dans l'article 6 de l'ordonnance du 6 juin 2005 ; que de fait, aux termes de l'article 1- II du code des marchés publics « Les marchés publics et les accords-cadres soumis au présent code respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. Ces obligations sont mises en oeuvre conformément aux règles fixées par le présent code » ; que, par ailleurs, la Cour de cassation invite à sanctionner le non respect des dispositions de l'ordonnance du 6 juin 2005 par l'application du texte d'incrimination de l'article 432-14 du code pénal ; qu'en effet dans son rapport annuel de 2008, la Cour de cassation va dans le sens d'une inclusion de l'ordonnance du 6 juin 2005 dans le champ d'application du délit de favoritisme ; que, dans ce rapport, la Cour de cassation affirme sans aucune ambiguïté : « L'article 432-14 du code pénal incrimine les pratiques discriminatoires caractérisées par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public. Il appartient aux juridictions du fond de caractériser l'existence d'un tel acte, notamment en précisant le cadre juridique du marché concerné et les obligations légales ou réglementaires qui auraient été violées (Crim., 10 mars 2004, Bull. crim., 2004, n° 64, pourvoi n° 02-85. 285 ; Crim., 17 janvier 2007, pourvoi n° 06-43. 067), peu important à cet égard que la norme violée soit une disposition du code des marchés publics stricto sensu ou une norme légale ou réglementaire complémentaire soumettant des personnes publiques ou privées, non assujetties à un tel code, à des obligations de mise en concurrence imposées par le droit communautaire (Voir en particulier l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics) » ; qu'antérieurement, par sa décision du 14 février 2007, cette même juridiction avait déjà jugé que même dans les cas où le code des marchés publics n'imposerait pas de procédure de publicité ou de mise en concurrence, le délit de favoritisme devait sanctionner le non respect des principes fondamentaux de la commande publique énoncés à l'article 1 du code des marchés publics ; qu'en conséquence, la notion de marchés publics, qui s'entend du principe de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitements des candidats et du principe de transparence des candidats et du principe de transparence des procédures, concernent l'ensemble des marchés passés par des personnes morales investies d'une mission d'intérêt général ou de service public, dont la rémunération sera assurée par l'adjudicateur ou l'entité adjudicatrice au sens de l'ordonnance du 6 juin 2005 ; que les marchés passés entre 2008 et 2011 conclus entre France télévisions, société de droit privé, régie par le droit des personnes privées, certes, mais que cette société est investie d'une mission de service public, que l'Etat détient l'intégralité de son capital, que ses ressources financières essentielles proviennent de la redevance audiovisuelle, que France télévisions est soumise au contrôle économique et financier de l'Etat qu'il est, dès lors, impossible de soutenir que les marchés de prestation de services, notamment, comme en l'espèce, ceux passés par France télévisions avec un partenaire de droit privé, la société Bygmalion, sont des contrats de droit privé, soumis exclusivement au droit privé ; que, si les représentants de France télévisions admettent que ces contrats relèvent de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, ils ne peuvent faire abstraction des exigences de l'article 6 de ce texte, selon lequel les marchés et les accords-cadres soumis à la présente ordonnance respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, et que ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics ; qu'en conséquence, il doit être logiquement déduit que le non-respect de ce texte, qui fait référence sans équivoque au principe de la commande publique et à ses déclinaisons accessoires ne puisse être sanctionné par l'article 432-14 du code pénal prévoyant l'infraction de favoritisme ; que, dès lors, la violation des dispositions de l'ordonnance du 6 juin 2005 susvisée doit être sanctionné par les dispositions de l'article 432-14 du code pénal, et que dès lors il existe bien un texte de répression de nature pénale constituant un des fondements des poursuites engagées par le réquisitoire du 24 mai 2013 ; que ce réquisitoire, qui répond aux exigences légales de son existence, ce qui n'est pas contesté, n'a pas lieu d'être annulé, mais constitue au contraire le fondement légal des poursuites engagées, le 24 mai 2013 ; qu'enfin, dès lors, reposant sur un texte de répression, soit l'article 432-14 du code pénal et l'ordonnance du 6 juin 2005, les mises en examen de la société Bygmalion et de M. X... prononcées au vu de ces textes n'ont pas lieu d'être annulées, les requérants ne protestant pas contre l'inexistence d'indices graves ou concordants au sens de l'article 80-1 du code de procédure pénale ;
" alors que le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, interdit l'application extensive de la loi pénale, notamment, par analogie ; que le délit de favoritisme prévu par l'article 432-14 du code pénal réprime les actes contraires aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ; qu'en refusant d'annuler les mises en examen des demandeurs du chef du délit de recel de favoritisme alors qu'en l'absence de toute référence à l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, le principe d'interprétation stricte de la loi pénale interdisait d'étendre l'application des dispositions de l'article 432-14 du code pénal à la répression de contrats qui ne sont ni des marchés publics, ni des délégations de service public, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés " ; Attendu qu'il résulte de l'arrêt et des pièces de la procédure que le Syndicat national des personnels de la communication et de l'audiovisuel CFE-CGC (SNPCA-CFE-CGC) a porté plainte et s'est constitué partie civile, notamment, du chef d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics et de recel de ce délit, contre les dirigeants de la société anonyme France télévisions (FTV), qui auraient conclu, avec plusieurs prestataires, dont la société Bygmalion, dirigée par M. Bastien X..., ancien salarié de FTV, de nombreux marchés de services sans mise en concurrence préalable, en violation des dispositions de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics ; que le juge d'instruction a mis en examen, d'une part, du chef de favoritisme, MM. Patrick C...et Camille D..., respectivement président et secrétaire général de France télévisions, d'autre part, du chef de recel de ce délit, M. X... et la société Bygmalion ; qu'ultérieurement, ces derniers ont présenté une requête aux fins d'annulation d'actes de la procédure ;
Attendu que, pour écarter le moyen de nullité pris de ce que l'article 432-14 du code pénal ne s'applique qu'aux marchés régis par le code des marchés publics, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 432-14 du code pénal ;
Qu'en effet, il résulte des termes de cet article qu'il s'applique à l'ensemble des marchés publics et non pas seulement aux marchés régis par le code des marchés publics, lequel a été créé postérieurement à la date d'entrée en vigueur dudit article dans sa rédaction actuelle ; que ces dispositions pénales ont pour objet de faire respecter les principes à valeur constitutionnelle de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ; que ces principes, qui constituent également des exigences posées par le droit de l'Union européenne, gouvernent l'ensemble de la commande publique ; qu'il s'en déduit que la méconnaissance des dispositions de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, et, notamment, de son article 6, qui rappelle les mêmes principes, entre dans les prévisions de l'article 432-14 susmentionné ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept février deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.