LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 30, paragraphe 1, de la Convention de Genève du 19 mai 1956 relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite CMR ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société ELTI a confié le soin de déplacer deux fours entre Saint-Chamond et Izmir (Turquie) à la société Marichal Logistics (la société Marichal), qui a sous-traité l'opération à la société Gokbora transport international et logistiques (la société GTIL) ; que la marchandise a été livrée le 18 décembre 2008, sans réserve du destinataire, selon une lettre de voiture CMR mentionnant en tant que transporteur la société Gokbora Uluslararaqi Nakliyat Ticaret (la société GUNT) ; qu'après que le destinataire eut émis des réserves par courriel du 23 décembre suivant, la marchandise a été retournée ; que la société Groupama transports, aux droits de laquelle est venue la société Helvetia assurances (la société Helvetia), a remboursé, par l'intermédiaire de la société Diot, courtier d'assurance, à la société ELTI la somme de 13 092 euros, la franchise et le coût du transport demeurant à la charge de la société Marichal ; que les société Helvetia, Marichal et Diot ont assigné en paiement de dommages-intérêts les sociétés GTIL et GUNT ;
Attendu que pour déclarer irrecevables les demandes des sociétés Helvetia, Marichal et Diot, l'arrêt retient que ces dernières ne peuvent pas réclamer des réparations consécutives à des avaries non signalées conformément à la CMR ;
Qu'en statuant, alors que l'article 30, § 1er, de la CMR, en énonçant qu'en l'absence de réserves ou de constat contradictoire, le destinataire est réputé avoir reçu la marchandise dans l'état décrit par la lettre de voiture, n'institue qu'une présomption simple de livraison conforme, qu'il peut combattre par la preuve contraire, et non une fin de non-recevoir à son action, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 octobre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;
Condamne la société Gokbora transport international et logistique et la société Gokbora Uluslararasi Nakliyat Ve Ticaret aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer aux sociétés Helvetia assurances, Marichal Logistics et Diot la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour les sociétés Helvetia, Marichal Logistics et Diot
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevables les demandes des sociétés Helvétia, Marichal Logistics et Diot sur le fondement de l'article 30 de la CMR ;
AUX MOTIFS QUE la lettre de voiture établie à l'occasion du transport, conformément à l'article 5 de la Convention de Genève, dite plus loin CMR, du 19 mai 1956, applicable en l'espèce, est signée par l'expéditeur et le transporteur et doit en application de l'article suivant de cette convention : « g) le nombre de colis, leurs marques particulières et leurs numéros », « h) le poids brut ou la quantité autrement exprimée de la marchandise », et le cas échéant « 2 a) l'interdiction de transbordement » ; que comme l'ont souligné les premiers juges, la société Elti a signé ce document sans faire figurer dans le pavé 13, notamment dédié à cet effet, les instructions de l'expéditeur, figurant d'ailleurs au contrat la liant à la société Marichal (« chargement au pont, fours sanglés sur camion (prévoir sangles 10/12 ») ni par ailleurs aucune date de prise en charge de la marchandise ; que cette lettre de voiture a été signée par le destinataire de la marchandise, sans non plus y faire figurer une date, mais également sans y mentionner de quelconques réserves sur la marchandise livrée ; que ce document n'est par ailleurs pas conforme au document de l'expéditeur sur les poids et le nombre de colis ; qu'aux termes de l'article 30 de la CMR , la marchandise transportée est présumée avoir été livrée "dans l'état décrit dans la lettre de voiture", présomption qui vaut jusqu'à preuve du contraire, possible en application du 2èment de ce texte uniquement "s'il s'agit de pertes ou avaries non apparentes et si le destinataire a adressé des réserves écrites au transporteur dans les sept jours, dimanche et jours fériés non compris, à dater de cette constatation », en l'espèce la date de signature de la lettre de voiture par le destinataire et de livraison, non contestée comme remontant au 18 décembre 2008 ; que par un courriel du 22 décembre 2008, la société Marichal, commissionnaire, faisait état notamment à Mehmet X..., appartenant à une entité utilisant le nom de domaine « gokbora.com» donc au transporteur, que « la marchandise est arrivée endommagée à destination » et questionnait « pourriez-vous vous renseigner et me confirmer les réserves ? » ; que les deux courriels figurant dans la pièce n°18 des appelantes, l'un daté du 23 décembre 2008 à 9heurs 53 émis par la société Elti au commissionnaire la société Marichal et l'autre constituant le faire suivre du premier, adressé le même jour à 17 heures à Mehmet X... ; que dans ces deux courriers, si des « dégâts » sont évoqués dans le deuxième, aucune précision n'est donnée sur leur localisation et sur leur caractère apparent au jour de la livraison ; que ces documents ne sauraient en aucun cas constituer les réserves prévues par l'article 30 susvisé, alors que la simple lecture du rapport réalisé à la suite du retour partiel de la marchandise en France établit sans conteste que la grande majorité des désordres était visible dès la réception des colis, un des reproches tenant en effet sur l'expédition « à nu » des fours ; qu'en l'état de ces avaries apparentes, la carence du destinataire, qui n'a émis aucun document écrit, à les signaler dans la lettre de voiture, prive les autres acteurs de cette opération de transport de la faculté d'invoquer de quelconques désordres apparents de nature à engager la responsabilité ; que s'agissant des désordres non apparents au jour de la livraison, le 1èrement de l'article 30 de la CMR impose des réserves écrites, et mentionnant « la nature générale de la perte ou de l'avarie » ; que la société GUNT dans son courriel du 18 février 2009 contestait l'existence de quelconques avaries et soulignait la signature sans réserve de la lettre de voiture ; que les autres courriers ou échanges de courriels sont largement postérieurs au délai de 7 jours ouvrables ci-dessus édicté ; que les appelantes sont dès lors irrecevables à réclamer contre les intimées des réparations consécutives à des avaries non signalées conformément aux textes susvisés de la CMR ;
1°) ALORS QUE, selon l'article 30 §1, à défaut de constat contradictoire ou de réserves, la marchandise, en cas de pertes ou d'avaries, est présumée avoir été reçue dans l'état décrit dans la lettre de voiture jusqu'à preuve du contraire ; que, en revanche, si un constat contradictoire a été établi entre le transporteur et le destinataire, l'article 30 § 2 de la CMR énonce que la preuve contraire à l'état constaté contradictoirement n'est possible que pour les pertes ou avaries non apparentes et si le destinataire a adressé des réserves écrites au transporteur dans les sept jours, dimanche et jours fériés non compris, à dater de cette constatation ; que les paragraphes 1 et 2 de l'article 30 de la Convention de Genève du 19 mai 1956 concernent donc chacun des situations différentes régies par des règles différentes ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a retenu, pour déclarer irrecevable la demande d'indemnisation des sociétés exposantes, qu'aux termes de l'article 30 de la CMR, la marchandise transportée est présumée avoir été livrée « dans l'état décrit dans la lettre de voiture », présomption qui vaut jusqu'à preuve du contraire, possible en application du 2èment de ce texte uniquement « s'il s'agit de pertes ou avaries non apparentes et si le destinataire a adressé des réserves écrites au transporteur dans les sept jours, dimanche et jours fériés non compris, à dater de cette constatation »; qu'en appliquant ainsi le régime de la preuve contraire posé par l'article 30 § 2 à une situation relevant de l'article 30§1, la Cour d'appel a violé l'article 30 de la CMR ;
2°) ALORS QUE l'article 30, paragraphe 1, de la Convention de Genève du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite CMR, dispose qu'en cas de pertes ou avaries, à défaut de constat contradictoire ou de réserves, la marchandise est présumée avoir été reçue dans l'état décrit dans la lettre de voiture jusqu'à preuve du contraire ; que cette preuve contraire est possible sans restriction pour les avaries, apparentes comme non apparentes, n'ayant pas fait l'objet de réserve dans le délai posé par cet article; qu'en restreignant la possibilité de renverser la présomption de livraison conforme à l'état décrit dans la lettre de voiture aux seules avaries non apparentes à condition que le destinataire ait également émis des réserves dans un certain délai, la Cour d'appel a violé l'article 30 §1 de la CMR ;
3°) ALORS QU' il résulte de l'article 30 § 1 de la CMR que, en cas de pertes ou avaries, le défaut de constat contradictoire ou de réserves dans le délai requis emporte seulement présomption de ce que la marchandise a été reçue dans l'état décrit dans la lettre de voiture et ne constitue pas une fin de non recevoir de la demande d'indemnité; qu'en décidant que la demande d'indemnisation des sociétés Helvétia, Marichal Logistics et Diot était irrecevable au motif d'une absence de réserve formulée dans le délai requis, quand celle-ci avait pour seule conséquence de présumer que les marchandises avaient été livrées dans l'état décrit dans la lettre de voiture, la Cour d'appel a violé l'article 30, paragraphe 1, de la Convention de Genève du 19 mai 1956;
4°) ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et il ne peut notamment, à ce titre, fonder sa décision sur des moyens qu'il aurait relevé d'office sans inviter au préalable les parties à en débattre ; qu'en relevant d'office et sans inviter les parties à s'en expliquer, l'application de l'article 30 § 2 de la CMR quand toutes les parties se fondaient sur l'article 30 §1 en l'absence de constat contradictoire entre le transporteur et le destinataire lors de la prise de livraison, la Cour d'appel a violé l'article 16 du Code de procédure civile ;
5°) ALORS QUE l'article 30 §2 de la CMR énonce que lorsque l'état de la marchandise a été constaté contradictoirement par le destinataire et le transporteur, la preuve contraire au résultat de cette constatation n'est possible que pour les avaries non apparentes ayant fait l'objet de réserves écrites au transporteur dans un délai de sept jours, dimanche et jours fériés non compris, à compter de la constatation contradictoire ; que cet article ne s'applique que si un constat contradictoire a été dressé entre le destinataire et le transporteur ; qu'en faisant application, en l'absence d'un tel constat contradictoire, de la restriction posée par cet article concernant la preuve contraire, la Cour d'appel a violé ledit article;
6°) ALORS QUE l'article 30 §2 de la CMR énonce que lorsque l'état de la marchandise a été constaté contradictoirement par le destinataire et le transporteur, la preuve contraire au résultat de cette constatation n'est possible que pour les avaries non apparentes ayant fait l'objet de réserves écrites au transporteur dans un délai de sept jours, dimanche et jours fériés non compris, à compter de la constatation contradictoire ; qu'en faisant application de cet article sans constater l'existence d'un constat contradictoire, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 30 §2 .