LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Gérard X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 26 janvier 2015, qui, pour abus de confiance, l'a condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 17 février 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Sadot, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de M. le conseiller SADOT, les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE, BRIARD et TRICHET, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GAILLARDOT ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable d'abus de confiance et, en répression, l'a condamné à trois mois d'emprisonnement avec sursis ;
" aux motifs propres qu'il résulte des documents remis par les parties civiles et des investigations que M. X..., président de la société Maisons traditionnelles MTL Valfinance s'est fait remettre des fonds par les époux Y... en vue de la construction d'une maison d'habitation, selon contrat signé au bénéfice de sa société le 16 septembre 2000 alors qu'il savait que la situation financière de celle-ci ne lui permettait pas de mener à terme l'exécution du contrat ; qu'en effet, à cette date, deux de ses sociétés se trouvaient déjà en liquidation judiciaire, les cotisations d'assurance dues à la société SMABTP étaient impayées, et il se trouvait lui-même en état de cessation des paiements selon jugement du tribunal de commerce d'Evreux qui en a fixé la date au 27 juin 2000 dans la procédure de liquidation judiciaire ouverte à son encontre à titre personnel par jugement du 31 décembre 2003 ; que conscient des difficultés financières qui se posaient, il a obtenu par deux courriers signés de sa main, l'accord M. et Mme Y... pour transférer le contrat à la SA Valimmo, alors même que les garanties étaient moindres, et a endossé personnellement leurs trois chèques, en les persuadant de l'imminence des travaux qui auraient dû commencer au 1er octobre 2000 selon le contrat initial, tout en se sachant dans l'impossibilité financière de les exécuter ; que c'est ainsi qu'après que les époux M. et Mme Y... aient fait constater par huissier de justice l'absence de tout commencement de travaux en mars 2001, il leur a notifié la résiliation du contrat à leurs torts, et sans même évoquer les acomptes encaissés par lui-même ; que, pour toute défense, M. X... prétend que ses déclarations de garde à vue lui ont été imposées, que les documents présentés sont des faux, que sa signature a été imitée ou apposée avec sa griffe pendant la période où il était malade et en soins, ce qui a été évidemment démenti, et ne correspond à aucune logique ; qu'en effet, l'intervention de M. Pierre Z...au stade de la signature du contrat et des premières études résulte d'un contrat de sous-traitance établi le 15 septembre 1999 avec M. X..., représentant la société Maisons traditionnelles Valfinance, et prévoyant des honoraires de 15 % du montant de chaque contrat, comprenant les frais des premières études et du permis de construire ; que de fait, ce dernier n'est jamais intervenu pour la société Valimmo, ou seulement sur demande expresse du prévenu ; que le délit d'abus de confiance reproché à M. X... étant ainsi parfaitement caractérisé à sa charge, même si le montant des acomptes a été reversé à M. Z...au titre de ses honoraires, la cour confirme la déclaration de culpabilité dans les termes du jugement ;
" et aux motifs éventuellement adoptés que, s'il est exact que les deux contrats ont été signés par M. Z..., il n'en demeure pas moins, qu'en sa qualité de dirigeant, M. X... devait vérifier les contrats signés et établir des règles de signature, et ce d'autant plus que M. X... a indiqué géré, du fait de sa maladie, son activité en extinction, ce qui aurait dû l'amener à n'accepter, directement ou indirectement, aucun nouveau contrat ; que le premier chèque a été endossé avec sa signature, qu'il paraît plus que surprenant que l'état de santé de M. X... l'empêche de signer les contrats mais pas d'endosser les chèques ; que ce premier chèque a été déposé sur le compte d'une société qui n'est pas la contractante, un tel changement ne pouvant pas avoir été fait à l'insu du dirigeant ; qu'il est démontré que, avant même la signature du contrat, la société Maisons traditionnelles MTL Valfinance était déjà dans une situation de trésorerie ne lui permettant d'assumer ses engagements, ceci étant prouvé par la résiliation de l'assurance obligatoire le 13 septembre 2000 pour défaut de paiement ; qu'en conséquence, le 16 septembre 2000, la société Maisons traditionnelles MTL Valfinance ne pouvait pas s'engager, de sorte que le délit d'abus de confiance est établi à l'encontre de M. X..., qui en sa qualité de dirigeant devait veiller à ce que de nouveaux contrats ne soient pas signés, étant précisé qu'il ne peut pas invoquer l'ignorance du contrat, alors qu'il encaisse la contrepartie, qui plus est sur un autre compte ; que M. X... avait d'ailleurs reconnu devant le juge d'instruction que la société Maisons traditionnelles MTL Valfinance était dans l'incapacité d'honorer son engagement et que l'encaissement avait été fait pour renflouer le groupe ; que de plus, contrairement à ses affirmations, M. X... est le signataire des courriers des 22 et 27 décembre ; qu'il ne lui est pas possible de prétendre ignorer le contrat initial alors qu'il a entériné son transfert sur Valimmo dans des conditions juridiques douteuses ; qu'il ne peut pas plus ignorer les remises des deux chèques ultérieurs ; que quelque soit l'implication de M. Z..., dont la défense souligne à raison les turpitudes, il n'en demeure pas moins que M. X..., en sa qualité de dirigeant, se devait de contrôler la régularité des contrats signés pour sa société ; qu'il est donc déclaré coupable, mais compte tenu de l'ancienneté des faits et de l'absence de tout antécédent, il est condamné à la peine de trois mois d'emprisonnement avec sursis ;
" 1°) alors que l'abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire ; qu'en retenant, pour déclarer le prévenu coupable d'abus de confiance, que celui-ci avait détourné les acomptes remis par les parties civiles et destinés à la construction de leur maison, quand le prévenu était devenu propriétaire des fonds avancés en paiement du prix fixé au contrat et que ces fonds n'avaient donc pas été remis à titre précaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de sa décision, a méconnu les textes susvisés ;
" 2°) alors que, en toute hypothèse, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; qu'en estimant, pour déclarer le prévenu coupable d'abus de confiance, que celui-ci n'avait pas respecté son obligation contractuelle d'affecter les acomptes remis par les parties civiles à la construction de leur maison, quand il résultait de ses propres constatations que les fonds remis avaient été utilisés notamment pour l'obtention du permis de construire délivré le 12 décembre 2000 au profit des époux, M. et Mme Y..., ce dont il résultait que les fonds avaient bien été affectés, au moins en partie, à l'usage auquel ils étaient destinés, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de sa décision, a méconnu les textes susvisés ;
" 3°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; qu'ayant constaté qu'aux termes du contrat de sous-traitance entre M. X... et M. Z..., les honoraires de ce dernier s'élevaient à 15 % du montant du contrat et comprenaient non seulement les frais du permis de construire mais aussi ceux des premières études et que le montant des acomptes versés par M. et Mme Y... avait été reversé à M. Z...au titre de ses honoraires, la cour d'appel aurait dû rechercher si les fonds remis n'avaient pas ainsi été affectés, en totalité, à la réalisation des premières études et du permis de construire nécessaires à la construction ; qu'en s'abstenant de le faire, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 4°) alors que le contrat du 16 septembre 2000 stipule clairement dans ses conditions particulières relatives au délai d'exécution des travaux que « les travaux commenceront dans un délai de quinze jours à compter de la réalisation des conditions suspensives », à savoir notamment, aux termes du même contrat, l'obtention du permis de construire, des prêts et de l'assurance dommages ouvrage et que « le délai d'exécution des travaux sera de onze mois à compter de l'ouverture du chantier » ; qu'en retenant que le début des travaux était prévu dans les quinze jours de la signature du contrat et que les travaux auraient donc dû commencer au 1er octobre 2000 selon le contrat initial, quand il résultait du contrat que les travaux de construction ne devaient commencer qu'après l'aboutissement des premières études et des démarches administratives nécessaires, en sorte qu'il ne pouvait être reproché au prévenu d'avoir affecté les fonds à l'accomplissement de cette phase préliminaire indispensable et nécessairement préalable à la construction proprement dite, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction " ;
Sur le moyen, pris en sa première branche :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que M. X..., gérant de la société Valimmo, a été poursuivi du chef d'abus de confiance pour avoir détourné des avances, d'un montant global de 32 386, 87 euros, remises par M. et Mme Y... qui avaient conclu avec cette société un contrat de construction de maison individuelle ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de cette infraction, la cour d'appel prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors que le caractère précaire de la remise de ces fonds découle de la nature de la convention conclue entre les parties, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le grief doit être écarté ;
Sur le moyen, pris en ses autres branches :
Attendu qu'il ne résulte pas de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que le prévenu ait soutenu, devant les juges du fond, que les sommes remises par M. et Mme Y... avaient été utilisées conformément à ce qui avait été convenu entre les parties ;
Que, dès lors, en ces branches, le moyen, présenté pour la première fois devant la Cour de cassation, est nouveau, mélangé de fait, et comme tel irrecevable ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 643-11 du code de commerce, 1382 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné M. X... à verser la somme de 32 386, 87 euros aux époux, M. et Mme Y..., au titre de leur préjudice matériel ;
" aux motifs qu'aux termes du premier paragraphe de l'article L. 643-11 du code de commerce, il est fait exception à la règle selon laquelle le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur, notamment lorsque la créance trouve son origine dans une infraction pour laquelle la culpabilité du débiteur a été établie ; qu'en outre, selon le paragraphe III de ce même article, les créanciers recouvrent leur droit de poursuite individuelle au cas où la faillite personnelle du débiteur a été prononcée ; que, dès lors, c'est à tort que les premiers juges ont déclaré les parties civiles irrecevables à demander la réparation de leur préjudice matériel en raison de la liquidation judiciaire prononcée à l'encontre de M. X... ; que la cour, infirmant le jugement entrepris, le condamne à payer à M. et Mme Y... la somme de 32 386, 87 euros au titre de leur préjudice matériel ;
" 1°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; qu'en se bornant à évoquer les dispositions de l'article L. 643-11 du code de commerce en vertu duquel les créanciers recouvrent leur droit de poursuite individuelle contre le débiteur après la clôture de la liquidation pour insuffisance d'actif en cas de condamnation pénale ou de prononcé de la faillite personnelle, sans constater ni que la liquidation judiciaire avait effectivement fait l'objet en l'espèce d'une telle clôture ni que M. X... avait fait effectivement fait l'objet d'une mesure de faillite personnelle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
" 2°) alors que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'en allouant aux parties civiles, au titre de leur préjudice matériel, la somme de 32 386, 87 euros égale à l'ensemble des acomptes versés par celles-ci en vertu du contrat litigieux, quand il résultait de ses propres constatations que la société Valimmo avait réalisé certaines prestations en exécution dudit contrat et, notamment toutes les démarches, plans et documents ayant permis la délivrance du permis de construire, ce dont il résultait que le préjudice matériel résultant de l'inexécution contractuelle était nécessairement inférieur à la somme de 32 386, 87 euros réclamée par les parties civiles, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe de la réparation intégrale du préjudice " ;
Vu les articles 593 du code de procédure pénale et L. 643-11 du code de commerce ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte du second de ces textes que les créanciers d'un débiteur en liquidation judiciaire ne peuvent, dans les hypothèses prévues par cet article, recouvrer l'exercice individuel de leurs actions contre ce débiteur qu'après que la procédure collective a été clôturée pour insuffisance d'actif ;
Attendu que, pour déclarer recevable la demande en indemnisation de leur préjudice matériel de M. et Mme Y..., qui avaient déclaré leur créance dans le cadre de la procédure collective concernant M. X... et les sociétés dont il était le dirigeant, l'arrêt énonce qu'en application de l'article L. 643-11 du code de commerce, il est fait exception à la règle selon laquelle le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur, notamment lorsque la créance trouve son origine dans une infraction pour laquelle la culpabilité du débiteur a été établie, ou au cas où la faillite personnelle du débiteur a été prononcée ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans constater que la liquidation judiciaire de M. X... avait été clôturée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen, en date du 26 janvier 2015, mais en ses seules dispositions ayant condamné M. X... à indemniser le préjudice matériel de M. et Mme Y..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Caen, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à l'application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rouen et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six avril deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.