LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 décembre 2014) que lors du rachat en 2007 de la société Isolants DP par la société Micel-ICT, il a été convenu que le contrat de travail de Mme X..., engagée par la société Isolants DP en 1975, serait maintenu jusqu'à la fin de l'année 2011, date à laquelle l'intéressée pourrait faire valoir ses droits à une retraite à taux plein ; que selon avenant conclu à effet au 1er janvier 2010 avec la société ICTDP issue de la fusion de ces deux sociétés, la salariée s'est vue confier les fonctions de cadre commercial exercées en télétravail depuis son domicile en région parisienne ; que par lettre du 16 décembre 2011, l'employeur lui a proposé une modification de son contrat de travail consistant en la suppression du télétravail et fixant son lieu de travail à Lallaing dans le département du Nord ; que suite à son refus, la salariée a été licenciée pour motif économique par lettre en date du 5 mars 2012 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen :
1°/ que la réorganisation de l'entreprise constitue un motif économique autonome de licenciement ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement, qui faisait mention du refus d'une modification du contrat de travail consécutive à une réorganisation de l'entreprise, dont il appartenait au juge de vérifier qu'elle était justifiée soit par des difficultés économiques, soit par des mutations technologiques, soit par la nécessité de sauvegarder sa compétitivité, était suffisamment motivée ; qu'en retenant pourtant que cette lettre ne faisait référence ni à un recul du chiffre d'affaires, ni à l'éventualité de perspectives économiques mauvaises pour 2011, qu'elle ne caractérisait aucune difficulté économique ni mutation technologique, se contentant d'une pétition de principe, et qu'elle ne justifiait pas davantage en quoi la réorganisation était indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartenait, pour considérer que la cause première et déterminante du licenciement de la salariée était le motif personnel et non pas économique, et que par conséquent son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel aurait violé les articles L. 1233-16, L. 1233-2 et L. 1233-3 du code du travail ;
2°/ que le juge a l'obligation de l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement mentionnait que « l'adaptation continue de notre organisation par rapport à l'activité économique, nous conduit à avoir des équipes regroupées sur notre nouveau site de Lallaing pour conserver et développer notre réactivité. Dans ces conditions, il est apparu indispensable de mettre fin au principe du télétravail à votre domicile et ainsi de vous muter sur notre nouveau site de Lallaing qui devient aussi le siège social et l'unique site de la société, ceci afin d'améliorer notre organisation, et ainsi de permettre à notre société de rester performante et compétitive vis-à-vis de ses concurrents » ; que la lettre de licenciement faisait ainsi état de la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, en améliorant son organisation ; qu'en retenant pourtant, pour considérer que le licenciement de la salariée était sans cause réelle et sérieuse, que la lettre de licenciement visait une amélioration de la compétitivité de l'entreprise et non sa sauvegarde, la cour d'appel aurait dénaturé les termes clairs et précis de cette lettre et violé le principe susvisé ;
3°/ que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement qui se bornait à indiquer que le travail à distance était une source de désorganisation pour l'entreprise, sans reprocher à la salariée une maîtrise imparfaite du nouvel outil informatique ERP, sur lequel elle travaillait depuis début 2011, n'invoquait aucun motif personnel mais seulement un motif économique ; qu'en retenant pourtant que la lettre de licenciement mettait en avant le fait que la salariée ne s'était pas adaptée au maniement du nouvel outil informatique et, par conséquent, visait un motif inhérent à la personne du salarié, pour en déduire que la cause première et déterminante du licenciement était le motif personnel et non le motif économique et que, par conséquent, le licenciement de la salariée était sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-16 du code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, appréciant souverainement la valeur des éléments de preuve qui lui étaient soumis et recherchant la véritable cause du licenciement, a retenu, par motifs propres et adoptés, hors toute dénaturation, que préalablement à l'envoi de la proposition de modification du contrat de travail, le licenciement avait d'ores et déjà été décidé, que selon la lettre de licenciement la salariée ne maîtrisait pas le nouvel outil informatique ; qu'ainsi, elle a pu retenir que le licenciement avait un motif inhérent à la personne de la salariée, et, dans l'exercice des pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1235-1 du code du travail, décidé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer la somme de 122 000 euros à titre de dommages et intérêts, alors, selon le moyen, que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse a pour seul objet de réparer le préjudice résultant du licenciement, soit la perte d'emploi ; qu'il n'existe aucun lien de causalité entre un licenciement sans cause réelle et sérieuse et le montant de la retraite du salarié ; qu'il s'ensuit, qu'en se fondant sur le fait que Mme Françoise X... concluait à juste titre que sa perte d'emploi avait une incidence directe sur le montant de sa retraite, pour lui allouer la somme de 122 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-3 du code du travail ;
Mais attendu que sous le couvert de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en cause devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine des juges du fond qui, examinant la situation de la salariée, ont procédé à l'évaluation de son préjudice ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société ICTDP aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société ICTDP et condamne celle-ci à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
.Moyens produits par la SCP de Chaisemartin et Courjon, avocat aux Conseils, pour la société ICTDP.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit le licenciement de Mme Françoise X... épouse Z... sans cause réelle et sérieuse et condamné la société ICTDP à lui payer la somme de 122. 000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
AUX MOTIFS QU'en application de l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques, à des mutations technologiques, à une réorganisation de l'entreprise ou, dans certaines conditions, à une cessation d'activité ; que la société ICTDP soutient que le licenciement intervient dans le cadre de la réorganisation de l'entreprise pour stopper le recul du chiffre d'affaires et prévenir des perspectives économiques mauvaises pour 2011 ; Mais que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; que cette lettre ne fait référence ni à un recul du chiffre d'affaires ni à l'éventualité de perspectives économiques mauvaises pour 2011 ; (…) que cette lettre met en avant le fait que la salariée ne s'est pas adaptée au maniement du nouvel outil informatique et par voie de conséquence vise un motif inhérent à sa personne et que force est de constater qu'elle ne caractérise aucune difficulté économique ni mutation technologique, se contentant de pétition de principe ; qu'elle ne justifie pas davantage en quoi la réorganisation est indispensable à la sauvegarde de sa compétitivité ou de celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient, visant une amélioration de celle-ci et non pas sa sauvegarde ; qu'enfin, il ressort des pièces versées aux débats et notamment des mails échangés entre Yves Y..., directeur général de la société, avec des clients de la société ou avec Mme X... que dès juillet 2011, le transfert des clients de cette dernière était décidé ; que par mail du 10 juin 2011, M. Y... demande à la salariée de venir à Douai « pour que nous commencions à organiser votre départ de fin d'année » comme il était initialement prévu lors de la cession de la société DP Isolants, celle-ci pouvant bénéficier à cette date de droits à la retraite complets selon la législation en vigueur à l'époque ; que ces pièces démontrent que la cause première et déterminante du licenciement de Françoise X... est le motif personnel et non pas économique ; que la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a dit le licenciement de Françoise X... sans cause réelle et sérieuse ;
1) ALORS QUE la réorganisation de l'entreprise constitue un motif économique autonome de licenciement ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement, qui faisait mention du refus d'une modification du contrat de travail consécutive à une réorganisation de l'entreprise, dont il appartenait au juge de vérifier qu'elle était justifiée soit par des difficultés économiques, soit par des mutations technologiques, soit par la nécessité de sauvegarder sa compétitivité, était suffisamment motivée ; qu'en retenant pourtant que cette lettre ne faisait référence ni à un recul du chiffre d'affaires, ni à l'éventualité de perspectives économiques mauvaises pour 2011, qu'elle ne caractérisait aucune difficulté économique ni mutation technologique, se contentant d'une pétition de principe, et qu'elle ne justifiait pas davantage en quoi la réorganisation était indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartenait, pour considérer que la cause première et déterminante du licenciement de la salariée était le motif personnel et non pas économique, et que par conséquent son licenciement était sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-16, L. 1233-2 et L. 1233-3 du code du travail ;
2) ALORS QU'en tout état de cause, le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement mentionnait que « l'adaptation continue de notre organisation par rapport à l'activité économique, nous conduit à avoir des équipes regroupées sur notre nouveau site de Lallaing pour conserver et développer notre réactivité. Dans ces conditions, il est apparu indispensable de mettre fin au principe du télétravail à votre domicile et ainsi de vous muter sur notre nouveau site de Lallaing qui devient aussi le siège social et l'unique site de la société, ceci afin d'améliorer notre organisation, et ainsi de permettre à notre société de rester performante et compétitive vis-à-vis de ses concurrents » ; que la lettre de licenciement faisait ainsi état de la nécessite de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, en améliorant son organisation ; qu'en retenant pourtant, pour considérer que le licenciement de la salariée était sans cause réelle et sérieuse, que la lettre de licenciement visait une amélioration de la compétitivité de l'entreprise et non sa sauvegarde, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette lettre et violé le principe susvisé ;
3) ALORS QUE la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement qui se bornait à indiquer que le travail à distance était une source de désorganisation pour l'entreprise, sans reprocher à la salariée une maîtrise imparfaite du nouvel outil informatique ERP, sur lequel elle travaillait depuis début 2011, n'invoquait aucun motif personnel mais seulement un motif économique ; qu'en retenant pourtant que la lettre de licenciement mettait en avant le fait que la salariée ne s'était pas adaptée au maniement du nouvel outil informatique et, par conséquent, visait un motif inhérent à la personne du salariée, pour en déduire que la cause première et déterminante du licenciement était le motif personnel et non le motif économique et que, par conséquent, le licenciement de la salariée était sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-16 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société ICTDP à payer à Mme Françoise X... épouse Z... la somme de 122. 000 €, à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
AUX MOTIFS QUE Françoise X..., née le 29 septembre 1953, était employée dans la société depuis 1975 ; qu'elle n'a pas retrouvé de travail à la suite de son licenciement ; qu'elle conclut à juste titre que cette perte d'emploi a une incidence directe sur le montant de sa retraite ; qu'eu égard à ces éléments et au montant des derniers salaires perçus, la décision déférée sera réformée en son quantum ; qu'il sera alloué à Françoise X... la somme de 122. 000 € à titre de dommages et intérêts ;
ALORS QUE l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse a pour seul objet de réparer le préjudice résultant du licenciement, soit la perte d'emploi ; qu'il n'existe aucun lien de causalité entre un licenciement sans cause réelle et sérieuse et le montant de la retraite du salarié ; qu'il s'ensuit, qu'en se fondant sur le fait que Mme Françoise X... concluait à juste titre que sa perte d'emploi avait une incidence directe sur le montant de sa retraite, pour lui allouer la somme de 122. 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-3 du code du travail.