LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 9 janvier 2015), que Mme X... a confié à l'EURL Alavin Romeo (l'EURL) la construction d'une villa en bois ; que les travaux, commencés en mars 2009, n'ont pas été achevés malgré une mise en demeure délivrée par le maître de l'ouvrage le 5 février 2010 ; que Mme X... a, après expertise, assigné l'EURL et son assureur décennal, la société Monceau générale assurance (la société MGA), en indemnisation de ses préjudices ;
Attendu que la société MGA fait grief à l'arrêt de fixer la réception de l'ouvrage au 24 février 2010 et de la condamner à garantir l'EURL des préjudices liquidés au bénéfice de Mme X..., alors, selon le moyen :
1°/ que l'absence de règlement du solde du prix des travaux exclut toute réception tacite de l'immeuble, peu important que le maître de l'ouvrage ait pris possession de l'immeuble ; qu'au cas présent, en retenant, pour fixer la réception tacite de l'ouvrage au 24 février 2010, que l'absence de paiement de l'intégralité du prix par le maître de l'ouvrage ne suffisait pas à exclure la réception tacite de l'immeuble par celui-ci, dès lors que Mme X... avait « clairement manifesté auprès de l'EURL Y..., dans sa mise en demeure du 5 février 2010, sa volonté de prendre possession de l'ouvrage abandonné », cependant qu'en l'absence de paiement du solde du prix, la prise de possession de l'immeuble par le maître de l'ouvrage est insuffisante pour caractériser sa volonté non équivoque de réceptionner l'immeuble, la cour d'appel a violé l'article 1792-6 du code civil ;
2°/ que la réception tacite d'un ouvrage est caractérisée par la manifestation d'une volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter l'immeuble en l'état ; que dans la mise en demeure du 5 février 2010, Mme X... indiquait qu'elle était « toujours dans l'attente de la reprise de [son] chantier », demandait à l'entrepreneur « de reprendre les travaux dans les plus brefs délais » et ajoutait : « dans 15 jours, un huissier constatera l'abandon du chantier » ; qu'ainsi, aux termes de cette mise en demeure, Mme X... se bornait à constater l'abandon du chantier sans pour autant manifester sa volonté non équivoque d'accepter l'ouvrage en l'état ; que dès lors en retenant que la mise en demeure du 5 février 2010 suffisait à caractériser la réception tacite des travaux, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce document et violé l'article 1134 du code civil ;
3°/ qu'ayant constaté que le relevé des travaux et malfaçons n'avait été dressé que le 21 mai 2010 à la suite de l'abandon du chantier, la cour d'appel ne pouvait affirmer que Mme X... avait tacitement reçu les travaux le 24 février 2010, sans méconnaître la portée de ses propres énonciations en violation de l'article 1792-6 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant retenu exactement que l'article 1792-6 du code civil n'excluait pas la possibilité d'une réception tacite lorsqu'est manifestée une volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter celui-ci, même en l'absence de paiement du solde du prix et en présence de travaux inachevés, et souverainement, sans dénaturation, que Mme X... avait manifesté auprès de l'EURL, dans sa mise en demeure du 5 février 2010, sa volonté de prendre possession de l'ouvrage abandonné en précisant qu'à défaut de reprise dans quinze jours, un huissier constaterait l'abandon de chantier et que l'EURL ne sollicitait pas le paiement de travaux, la cour d'appel a pu fixer la réception de l'ouvrage au 24 février 2010 ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Monceau générale assurance aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Monceau générale assurance et la condamne à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente juin deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour la société Monceau générale assurance
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir fixé la réception de l'ouvrage au 24 février 2010 et condamné la compagnie Monceau générale assurance à garantir l'EURL Y... des préjudices liquidés au bénéfice de Maryse X..., soit la somme totale de 89. 335 euros, et à payer à Mme X... la somme de 2. 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Aux motifs que le 5 février 2010, Maryse X... a adressé à l'EURL Y... une mise en demeure de reprendre un chantier « arrêté depuis le mois d'octobre 2009 » en précisant qu'à défaut de reprise « dans 15 jours, un huissier constatera l'abandon de chantier » ; que l'entreprise a accusé réception de la lettre recommandé le 8 février 2010 ; qu'elle n'a jamais contesté les assertions contenues dans ce courrier et n'a notamment jamais mis en demeure Maryse X... de régler un situation de travaux sous peine d'arrêt du chantier ; que la cause de la rupture des relations contractuelles ne peut donc pas se situer dans une défaillance de Maryse X... dans le paiement d'une situation de travaux ; qu'au demeurant, l'abandon déjà ancien du chantier apparaît lié aux problèmes de santé du gérant de l'EURL Y..., en témoigne le certificat médical du 6 janvier 2012 que celle-ci verse elle-même aux débats ; qu'il convient donc de dire que la résiliation du marché est intervenu le 24 février 2010 aux torts de l'EURL Y..., l'envoi d'une situation de travaux du 6 avril 2010, soit postérieurement à la rupture des relations contractuelles, ne pouvant avoir aucun effet juridique ; qu'il sera d'ailleurs souligné que la question de la responsabilité de la rupture n'a pas été abordée par le tribunal de grande instance de Saint-Denis dès lors que l'EURL Y... n'était pas représentée en première instance ; Sur la réception de l'ouvrage que l'article 1792-6 du code civil prévoit en son 1er alinéa que « la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement » ; que cela n'exclut pas la possibilité d'une réception tacite lorsqu'est manifestée une volonté non équivoque d'accepter l'ouvrage, même malgré l'absence de paiement du solde du prix et en présence de travaux inachevés ; qu'il convient de rechercher l'état d'esprit du maître de l'ouvrage, plutôt que l'état objectif de l'ouvrage ; qu'il en résulte que l'absence d'achèvement, voire même le constat que l'ouvrage n'est pas en état d'être reçu ou habité, ne font pas obstacle à la réception tacite, dès lors que le maître de l'ouvrage est entré en possession de la construction et a payé la quasi totalité du prix des travaux ; que la réception tacite est encore concevable dans des circonstances où la dangerosité de la construction prive le maître de l'ouvrage de la possibilité d'occuper les lieux, quand bien même d'ailleurs il émettrait des réserves, lorsque, entré en possession de l'ouvrage et s'étant acquitté du coût des travaux, il introduit une procédure de référé-expertise aux fins de constatation de désordres ; qu'en l'espèce, le premier juge doit être censuré lorsque pour contester à Maryse X... la réception tacite de l'ouvrage qu'elle invoquait, il se contente de relever l'absence de paiement de l'intégralité du prix démontrant sa volonté de ne pas recevoir l'ouvrage ; que cette seule circonstance n'est pas suffisante ; qu'en effet, et ainsi qu'il a été vu plus haut, Maryse X... a clairement manifesté auprès de l'EURL Y..., dans sa mise en demeure du 5 février 2010, sa volonté de prendre possession de l'ouvrage abandonné ; qu'un procès-verbal a donc été dressé le 21 mai 2010 qui matérialise l'abandon du chantier ; que le fait que Maryse X... n'ait pas donné suite à la demande de paiement de la toiture ne modifie en rien cette constatation puisque la facture de 10 850 euros émise le 6 avril 2010 est postérieure au délai de reprise du chantier ; qu'il sera d'ailleurs observé à cet égard que l'EURL Y..., qui se contente de demander l'infirmation du jugement, ne sollicite aucunement le paiement de ces travaux censément non payés et en réalité facturés pour justifier a posteriori l'abandon de son chantier ; que si Maryse X... a engagé une procédure de référé-expertise quelques mois plus tard, cette action fait suite aux malfaçons constatées d'abord lors de l'établissement du procès-verbal de constat d'huissier du 21 mai 2010 puis à l'occasion de la terminaison des travaux de plomberie et d'électricité susceptibles de rendre le bien habitable effectués par MP Rénovation ; que le jugement encourt donc infirmation en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à constater l'existence d'une réception tacite ;
Alors, de première part, que l'absence de règlement du solde du prix des travaux exclut toute réception tacite de l'immeuble, peu important que le maître de l'ouvrage ait pris possession de l'immeuble ; qu'au cas présent, en retenant, pour fixer la réception tacite de l'ouvrage au 24 février 2010, que l'absence de paiement de l'intégralité du prix par le maître de l'ouvrage ne suffisait pas à exclure la réception tacite de l'immeuble par celui-ci, dès lors que Mme X... avait « clairement manifesté auprès de l'EURL Y..., dans sa mise en demeure du 5 février 2010, sa volonté de prendre possession de l'ouvrage abandonné » (arrêt, p. 8, § 1), cependant qu'en l'absence de paiement du solde du prix, la prise de possession de l'immeuble par le maître de l'ouvrage est insuffisante pour caractériser sa volonté non équivoque de réceptionner l'immeuble, la cour d'appel a violé l'article 1792-6 du code civil ;
Alors, de deuxième part, que la réception tacite d'un ouvrage est caractérisée par la manifestation d'une volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter l'immeuble en l'état ; que dans la mise en demeure du 5 février 2010, Mme X... indiquait qu'elle était « toujours dans l'attente de la reprise de [son] chantier », demandait à l'entrepreneur « de reprendre les travaux dans les plus brefs délais » et ajoutait : « dans 15 jours, un huissier constatera l'abandon du chantier » ; qu'ainsi, aux termes de cette mise en demeure, Mme X... se bornait à constater l'abandon du chantier sans pour autant manifester sa volonté non équivoque d'accepter l'ouvrage en l'état ; que dès lors en retenant que la mise en demeure du 5 février 2010 suffisait à caractériser la réception tacite des travaux, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce document et violé l'article 1134 du code civil ;
Alors, de troisième part et en tout état de cause, qu'ayant constaté que le relevé des travaux et malfaçons n'avait été dressé que le 21 mai 2010 à la suite de l'abandon du chantier, la cour d'appel ne pouvait affirmer que Madame X... avait tacitement reçu les travaux le 24 février 2010, sans méconnaître la portée de ses propres énonciations en violation de l'article 1792-6 du code civil ;