LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu la connexité, joint les pourvois n° W 14-30.021 à H 14-30.054 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués que la société Alstom power Boilers devenue Alstom power systems a exploité jusqu'en mars 2001 un établissement de fabrication de chaudières industrielles implanté à Lys-lez-Lannoy ; que le 13 mars 2001, le fonds de commerce a été cédé à la société SI Energie, emportant transfert de plein droit des contrats de travail ; que par arrêté du 1er août 2001, l'établissement de Lys-lez-Lannoy a été classé dans la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; que la société Si Energie ayant fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire convertie en liquidation judiciaire par jugement du 15 avril 2003, des salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la condamnation de la société Alstom power systems au paiement de diverses sommes au titre de leur préjudice d'anxiété et de bouleversement dans les conditions d'existence ;
Sur le premier moyen :
Vu l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, ensemble l'article L. 4121-1 du code du travail ;
Attendu que le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par les salariés ; qu'il naît à la date à laquelle les salariés ont connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de l'établissement sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ;
Attendu que pour condamner la société Alstom power systems à payer aux salariés une somme en réparation de leur préjudice d'anxiété, les arrêts retiennent que la société Alstom power Boilers a démontré une totale inertie face à la présence d'amiante en tous points dans l'entreprise que des matériels et des produits amiantés ont été utilisés sans que ne soient prises des précaution particulières ni que soit organisée une surveillance médicale spécifique, malgré les interrogations soulevées par le médecin du travail ; que les salariés qui ont été exposés aux risques d'inhalation de l'amiante durant plusieurs années subissent un préjudice d'anxiété permanent, alimenté tant par la gravité intrinsèque du mal que par les décès d'anciens collègues de travail à la suite d'un mésothéliome ; que les intéressés ont eu connaissance du risque résultant de leur exposition à compter du 1er août 2001, date du classement de l'établissement sur la liste ministérielle ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le transfert des contrats de travail à la société SI Energie était intervenu le 13 mars 2001, soit antérieurement à l'arrêté ministériel d'inscription de l'établissement sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constations, a violé les textes susvisés ;
Sur le deuxième moyen propre aux pourvois n° W 14-30.021, X 14-30.022, Y 14-30.023, C 14-30.027, D 14-30.028, E 14-30.029, F 14-30.030, G 14-30.032, J 14-30.033, K 14-30.034, N 14-30.036, P 14-30.037, Q 14-30.038, R 14-30.039, S 14-30.040, T 14-30.041, U 14-30.042, V 14-30.043, W 14-30.044, X 14-30.045, Y 14-30.046, A 14-30.048, C 14-30.050, D 14-30.051, E 14-30.052 et F 14-30.053 :
Met hors de cause l'AGS CGEA de Lille et M. X... en qualité de mandataire liquidateur de la société industrielle énergie qui n'étaient pas parties aux instances en cause ;
Vu l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, ensemble l'article L. 4121-1 du code du travail ;
Attendu que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence ;
Attendu que les arrêts, réformant les jugements déférés sur le quantum du préjudice d'anxiété, condamnent la société Alstom Power Systems à payer aux salariés une somme de 8 000 euros à ce titre et confirment les jugements pour le surplus ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les jugements attaqués avaient condamné la société Alstom power Boilers à payer aux salariés deux sommes distinctes au titre du préjudice d'anxiété d'une part et du préjudice lié aux troubles dans les conditions d'existence d'autre part, la cour d'appel qui a confirmé le deuxième chef de condamnation, a violé les textes susvisés ;
Sur le quatrième moyen propre aux pourvois n° B 14-30.026, H 14-30.031, B 14-30.049, H 14-30.054 :
Vu l'article 1134 du code civil et le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;
Attendu que pour condamner la société Alstom power Boilers à payer aux salariés une somme en réparation de leur préjudice d'anxiété, les arrêts, après avoir visé le protocole transactionnel conclu le 19 septembre 2003, retiennent que si dans le préambule dudit protocole il était fait expressément état de la présence d'amiante dans les locaux de l'établissement de Lys-lez-Lannoy, une telle référence ne concernait que les conséquences d'une telle présence sur l'accord commercial conclu le 15 mars 2001 entre la société Alstom power Boilers et la société SI Energie créée à cet effet et conduisant au transfert des contrats de travail ; que la transaction ne réglant que le différend qui s'y trouve compris et celui-ci étant circonscrit à la seule validité du transfert, celle-ci ne peut avoir autorité de la chose jugée à l'égard des demandes des salariés ayant pour objet la réparation du préjudice résultant de leur exposition à l'amiante ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le protocole d'accord du 19 septembre 2003 précise en son article 3.1 que l'indemnisation transactionnelle versée aux salariés est destinée à compenser tous préjudices directs ou indirects, de quelle que nature qu'ils soient, en rapport avec les faits, actes et événements décrits au préambule, lequel mentionne expressément la présence d'amiante dans les locaux, l'inscription de l'établissement sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, des travaux liés à cette présence d'amiante à effectuer par le repreneur de l'établissement et des instances judiciaires en cours, la cour d'appel qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le texte et le principe susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il soit besoin de statuer sur le troisième moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 31 octobre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne les salariés ou leurs ayants droit aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits aux pourvois par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour la société Alstom power systems.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
COMMUN A TOUS LES POURVOISIl est fait grief aux arrêts attaqués d'avoir condamné la société Alstom power systems à verser aux salariés 8 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété ;
AUX ENONCIATIONS QUE « par acte en date du 13 mars 2001 la société APB (Alstom power boilers) a cédé au Groupe CISN-Société Industrielle Energie (SI Energie) le fonds de commerce composé de neuf unités de fabrication de parties sous pression et l'activité d'essais métallurgiques du laboratoire, exploité à l'établissement de Lys-Lez-Lannoy ; (...) Que par arrêté en date du 1er août 2001 l'établissement de Lys-lez-Lannoy a été classé dans la liste des établissements ayant fabriqué des matériaux contenant de l'amiante et des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante, susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité, pour la période de 1956 à 1997 étendue à 2001 par arrêté du 7 avril 2006 » ;
ET AUX MOTIFS QUE « les différentes pièces dont la communication est sollicitée par [la société Alstom power systems] ne sont pas de nature à avoir une incidence sur l'évaluation du préjudice allégué ; qu'en effet il résulte des documents versés aux débats (...) [que le salarié] a été employé au sein de l'établissement de Lys-lez-Lannoy et que par ailleurs il n'est pas contesté qu'il n'[était] pas atteint (...) d'une maladie professionnelle ; qu'il apparaît toutefois qu'il a bien été exposé aux risques d'inhalation de l'amiante durant plus de (...) ; que s'il n'a pas développé de maladie professionnelle, une telle exposition constitue bien un facteur d'anxiété permanent, alimenté tant par la gravité intrinsèque du mal que par les décès d'anciens collègues de travail à la suite d'un mésothéliome, dont le directeur de l'établissement, et par le nombre de salariés atteints d'une maladie professionnelle liée à l'amiante qui, selon les services de l'inspection du travail, s'élevait déjà en 2000 à [15% des actifs et] 40% des retraités ; (...) ; qu'il a eu au moins connaissance du risque résultant de son exposition à compter du 1er août 2001, date du classement de l'établissement dans la liste de ceux ayant fabriqué des matériaux contenant de l'amiante ; que les troubles psychologiques en résultant ont bien donné lieu à un préjudice d'anxiété devant être évalué à la somme de 8 000 € » ;
ALORS QUE le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par les salariés ; que le préjudice d'anxiété ne peut naître qu'à la date à laquelle chaque salarié a eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de son lieu d'activité sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation d'activité anticipée des travailleurs de l'amiante (ACAATA) ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que « par acte en date du 13 mars 2001 la société APB (Alstom power boilers) a cédé au Groupe CISN-Société Industrielle Energie (SI Energie) le fonds de commerce (...) exploité à l'établissement de Lys-Lez-Lannoy », et que postérieurement, « par arrêté en date du 1er août 2001 l'établissement de Lys-lez-Lannoy a été classé dans la liste des établissements (...) susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité », de sorte que les salariés ont eu « connaissance du risque résultant de [leur] exposition à compter du 1er août 2001 » ; qu'il en résultait que le préjudice d'anxiété allégué par les salariés n'était pas encore né lors de la cession, par la société Alstom power boilers à la société Industrielle Energie, du fonds de commerce exploitant l'établissement de Lys-Lez-Lannoy, de sorte qu'aucune demande ne pouvait être dirigée à ce titre à l'encontre de l'exposante venant aux droits de la société Alstom power boilers ; qu'en condamnant pourtant la société Alstom power systems à verser à chacun des salariés la somme de 8 000 euros en réparation du préjudice d'anxiété, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1147 du Code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
PROPRE AUX POURVOIS n° W 14-30021, X 14-30022, Y 14-30023, C 14-30027, D 14-30028, E 14-30029, F 14-30030, G 14-30032, J 14-30033, K 14-30034, N 14-30036, P 14-30037, Q 14-30038, R 14-30039, S 14-30040, T 14-30041, U 14-30042, V 14-30043, W 14-30044, X 14-30045, Y 14-30046, C 14-30050, D 14-30051, E 14-30052, F 14-30053.Il est fait grief aux arrêts attaqués d'avoir éventuellement confirmé les jugements entrepris en ce qu'ils avaient condamné la société Alstom power systems venant aux droits de la société Alstom power boilers à payer aux salariés la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du bouleversement dans les conditions d'existence ;
AUX ENONCIATIONS QUE « selon ses dernières écritures et observations orales soutenues à l'audience du 2 juillet 2014, [le salarié] sollicite de la cour la condamnation de la société à lui verser 30.000 euros, en réparation du préjudice d'anxiété comprenant également le bouleversement dans les conditions d'existence » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « sur le préjudice spécifique dans le bouleversement des conditions d'existence : Que [le salarié] sollicite la réparation du préjudice subi en raison du bouleversement dans les conditions d'existence ; Qu'il a été démontré que la contamination [du salarié] est avérée ; qu'elle est indiscutablement consécutive à la violation par l'employeur de son obligation de sécurité ; Qu'au-delà du préjudice d'anxiété et même si le dispositif Acaata minimise le préjudice subi en ce qu'il compense la rupture d'égalité au regard du droit à la retraite, la perte d'espérance de vie constitue un préjudice considérable puisque les projets personnels vont nécessairement être impactés par la contamination dont il a été victime ; Que les études scientifiques démontrent que l'espérance de vie des personnes exposées à l'amiante est inférieure à l'espérance de vie moyenne de la population masculine ; que les maladies liées à la contamination de l'amiante apparaissent précocement ; qu'il y a lieu de considérer qu'il existe une forte présomption de risque ; Que la SA Alstom power systems s'oppose à cette demande dans la mesure où la diminution d'espérance de vie ne constitue pas un fait établi mais un simple aléa directement à l'origine de la reconnaissance par la cour de cassation de l'existence d'un préjudice d'anxiété ; Qu'il est exact que la perte d'espérance de vie n'est pas certaine ; que pour autant, il est indéniable que l'épée de Damoclès pesant sur [le salarié] du fait de la faute commise par son employeur ne lui permet(tait) plus d'envisager l'avenir de la même manière ; Qu'en effet, au-delà d'une peur de tomber malade, [le salarié] mais également ses proches, conscients de la potentialité importante de développer un jour une pathologie mettant en jeu le pronostic vital, vont (avaient) inévitablement modifié les orientations à prendre (investissement matériel, achat de voiture, etc.) ; Que la cour d'appel de Paris a retenu dans son arrêt du 1er décembre 2011, sur renvoi de la cour de cassation du 11 mai 2010, l'existence d'un préjudice découlant du bouleversement dans les conditions d'existence du fait que, conscients de la diminution de leur espérance de vie, les ex-salariés (en l'espèce de la ZF Masson) sont amputés de la possibilité de vivre sereinement leur avenir ; Qu'en l'espèce, il y a lieu de considérer qu'au-delà d'un amoindrissement financier et matériel du cadre de vie, le seul constat d'une perte d'espérance de vie, statistiquement démontrée, a créé pour [le salarié] un trouble dans ses conditions d'existence en termes de qualité de projet de vie sociale et familiale réduit ; Que la demande [du salarié] à ce titre est admise » ;
1°/ ALORS QUE, ainsi que la cour d'appel l'a rappelé, chacun des salariés « sollicit[ait] de la cour la condamnation de la société à lui verser 30 000 euros, en réparation du préjudice d'anxiété comprenant également le bouleversement dans les conditions d'existence » ; qu'en leur allouant pourtant, en sus de la réparation du préjudice d'anxiété, une indemnité au titre du bouleversement dans les conditions d'existence, la cour d'appel a méconnu les termes des litiges, en violation de l'article 4 du Code de procédure civile ;
2°/ ALORS QUE, en toute hypothèse, l'indemnisation accordée au titre d'un préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; qu'en allouant pourtant aux salariés, en sus de la réparation du préjudice d'anxiété, une indemnité au titre du bouleversement dans les conditions d'existence, la cour d'appel a violé l'article L. 4121-1 du code du travail, ensemble l'article 1147 du code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
PROPRE AUX POURVOIS n° Z 14-30024, A 14-30025, B 14-30026, H 14-30031, M 14-30035, Z 14-30047, B 14-30049, H 14-30054Il est fait grief aux arrêts attaqués d'avoir infirmé les jugements déférés en ce qu'ils avaient déclaré irrecevables les demandes formées par les salariés contre la SA Alstom power systems par suite du transfert de leur contrat de travail en application de l'article L. 122-12 ancien du code du travail (L. 1224-1 et L. 1224-2 nouveaux du code du travail) et mis en conséquence la SA Alstom power systems hors de cause, et, statuant à nouveau, d'avoir condamné la SA Alstom power systems à verser aux salariés 8 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété ;
AUX ENONCIATIONS QUE « par acte en date du 13 mars 2001 la société APB (Alstom power boilers) a cédé au Groupe CISN-Société Industrielle Energie (SI Energie) le fonds de commerce composé de neuf unités de fabrication de parties sous pression et l'activité d'essais métallurgiques du laboratoire, exploité à l'établissement de Lys-Lez-Lannoy, avec transfert des contrats de travail ;
Que le 19 mars 2001 le transfert a été effectif ; que chaque salarié a en outre perçu à cette occasion 18.293,88 € lors de l'entrée en jouissance du fonds de commerce et 1.524,29 € à la fin de la fabrication de l'affaire Tamuin2 ;
Que par arrêté en date du 1er août 2001 l'établissement de Lys-lez-Lannoy a été classé dans la liste des établissements ayant fabriqué des matériaux contenant de l'amiante et des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante, susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité, pour la période de 1956 à 1997 étendue à 2001 par arrêté du 7 avril 2006 » ;
ET AUX MOTIFS QUE « conformément à l'article L. 122-12 devenu L. 1224-1 du Code du travail le contrat de travail [du salarié] a fait l'objet d'un transfert de la société Alstom Power Boilers à la société SI Energie à compter du 19 mars 2001 ; que toutefois l'application des dispositions légales précitées ne le privait pas du droit d'agir directement contre son ancien employeur pour obtenir l'indemnisation du préjudice résultant du fait de ce dernier et subi antérieurement au transfert ; que le(s) (différents) préjudice(s) allégué(s) est (sont) bien imputable(s) à la société intimée substituée dans les droits de la société Alstom power boilers et est (sont) né(s) antérieurement au transfert du contrat de travail ; (...) Que les différentes pièces dont la communication est sollicitée par la société ne sont pas de nature à avoir une incidence sur l'évaluation du préjudice allégué ; qu'en effet il résulte des documents versés aux débats par [le salarié] qu'il a été employé au sein de l'établissement de Lys-lez-Lannoy et que par ailleurs il n'est pas contesté qu'il n'est pas atteint jusqu'à présent d'une maladie professionnelle ; qu'il apparaît toutefois qu'il a bien été exposé aux risques d'inhalation de l'amiante durant plus de (...) ; que s'il n'a pas développé de maladie professionnelle, une telle exposition constitue bien un facteur d'anxiété permanent, alimenté tant par la gravité intrinsèque du mal que par les décès d'anciens collègues de travail à la suite d'un mésothéliome, dont le directeur de l'établissement, et par le nombre de salariés atteints d'une maladie professionnelle liée à l'amiante qui, selon les services de l'inspection du travail, s'élevait déjà en 2000 à (15% des actifs et à ) 40% des retraités ; que s'étant trouvé par le fait de l'employeur dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, [le salarié] a bien subi un préjudice dont la réparation doit être évaluée à la somme de 8.000 € » ;
ALORS QUE le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par les salariés ; que le préjudice d'anxiété ne peut naître qu'à la date à laquelle chaque salarié a eu connaissance de ce risque et ne peut en conséquence pas naître avant la date à laquelle ce salarié a eu connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de son lieu d'activité sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation d'activité anticipée des travailleurs de l'amiante (ACAATA) ; que si le transfert intervenu de plein droit du contrat de travail à un nouvel employeur ne prive pas le salarié du droit d'agir contre son ancien employeur, c'est à la condition que sa demande concerne une créance née antérieurement au transfert du contrat de travail ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a constaté que « le[s] contrat[s] de travail d[es] salarié[s] [ont] fait l'objet d'un transfert de la société Alstom power boilers à la société SI Energie à compter du 19 mars 2001 », et que « par arrêté en date du 1er août 2001, l'établissement de Lys-lez-Lannoy a été classé dans la liste des établissements (...) susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité » ; qu'il en résultait que le préjudice d'anxiété des salariés n'avait pu naître en l'espèce avant le 1er août 2001, soit postérieurement au transfert de leurs contrats de travail à la société SI Energie, de sorte qu'ils ne pouvaient diriger leurs demandes à cet égard contre leur ancien employeur ; que pour conclure le contraire, la Cour d'appel a retenu que le préjudice d'anxiété des salariés « est né antérieurement au transfert d[es] contrat[s] de travail » ; qu'en statuant ainsi, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1147 du Code civil, ensemble les articles L. 1224-1 et L. 1224-2 du Code du travail.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
PROPRE AUX POURVOIS n° B 14-30026, H 14-30031, B 14-30049, H 14-30054.Il est fait grief aux arrêts attaqués d'avoir infirmé les jugements déférés en ce qu'ils avaient déclaré irrecevables les demandes formées par les salariés contre la SA Alstom power systems en ce qu'elles se heurtent à l'autorité de la chose jugée et mis en conséquence la SA Alstom power systems hors de cause, et, statuant à nouveau, d'avoir condamné la SA Alstom power systems à verser aux salariés 8 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété ;
AUX MOTIFS QU' « en application des articles 2044, 2049 et 2052 du code civil il résulte de l'article 1 du protocole transactionnel conclu le 19 septembre 2003 auquel [le salarié] était partie que cette transaction était destinée à mettre fin aux différends nés à l'occasion ou à la suite du transfert de l'établissement de Lys-lez-Lannoy à la société SI Energie, ainsi que ceux nés de la passation et de l'exécution des accords pris pour ce faire ou encore de ceux nés du transfert volontaire ou non des contrats de travail attachés à l'activité cédée et d'une manière générale à tous différends en rapport avec ces transferts et leurs conséquences, y inclus la perte de l'emploi au sein de SI Energie ; que cet article était complété par l'article 3 aux termes duquel l'indemnisation globale, forfaitaire et définitive d'un montant brut de 900 000 euros était destinée à compenser tous les préjudices directs ou indirects de quelque nature qu'ils soient en rapport avec les faits, actes et évènements décrits au préambule de l'accord ; que si dans ce préambule il était fait directement et expressément état de la présence d'amiante dans les locaux de l'établissement de Lys-lez-Lannoy, une telle référence ne concernait que les conséquences d'une telle présence sur l'accord commercial conclu le 15 mars 2001 entre la société Alstom power boilers et la société SI Energie créée à cet effet par le groupe CISN et conduisant au transfert des contrats de travail au sein de cette dernière société ; que la transaction ne réglant que le différend qui s'y trouvait compris et celui-ci étant circonscrit à la seule validité du transfert, celle-ci ne peut avoir autorité de la chose jugée à l'égard de la demande [du salarié] ayant pour objet la réparation du préjudice résultant de son exposition à l'amiante » ;
ALORS QUE le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, aux termes du protocole transactionnel conclu le 19 septembre 2003, les salariés avaient irrévocablement renoncé à toute demande et/ou action judiciaire à l'encontre de leur ancien employeur ; que cette renonciation incluait les demandes liées à l'exposition aux poussières d'amiante dès lors qu'aux termes de l'article 3.1 du protocole, l'indemnisation transactionnelle versée aux salariés était destinée à « compenser tous préjudices directs ou indirects, de quelque nature qu'ils soient (...) en rapport avec les faits, actes et évènements décrits au préambule », lequel faisait expressément référence à « la présence localisée d'amiante dans les locaux » (préambule, point 4) ; que pour conclure pourtant que le protocole transactionnel « ne peut avoir autorité de la chose jugée à l'égard de la demande [des salariés] ayant pour objet la réparation du préjudice résultant de [leur] exposition à l'amiante », la cour d'appel a retenu qu' « une telle référence ne concernait que les conséquences d'une telle présence sur l'accord commercial conclu le 15 mars 2001 entre la société Alstom power boilers et la société SI Energie » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du préambule du protocole transactionnel du 19 septembre 2003, et violé l'article 1134 du code civil.