LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur les premier et second moyens du pourvoi, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 16 décembre 2014), que fin 2013, la direction de la société GDF Suez a décidé de regrouper les « centres de services partagés », qui mutualisent les activités support des cinq branches opérationnelles de la société et dans ce cadre, de créer une direction des services partagés au sein de l'établissement « siège », ainsi que la mutation du personnel de quatre centres de services partagés sur les cinq que compte l'établissement « unité de services partagés infrastructures », vers l'établissement « siège » ; que par acte du 11 juin 2014, le comité de l'établissement « siège » a saisi le président du tribunal de grande instance en la forme des référés, afin d'obtenir la suspension de la mise en oeuvre du projet « évolution des centres de services partagés » dans l'attente de sa consultation et de celle de tous les comités d'établissements concernés par la réforme ;
Attendu que la société GDF Suez fait grief à l'arrêt de déclarer recevables les demandes du comité de l'établissement « siège » et d'ordonner la suspension de la mise en oeuvre du projet « Evolution des centres de services partagés » dans l'attente de la consultation des comités des établissements « siège » et « unité de services partagés infrastructures », alors, selon le moyen :
1°/ que le juge des référés doit se placer à la date de sa décision pour ordonner ou refuser la mesure demandée ; qu'en application de ce principe, une demande de suspension d'une décision de l'employeur est sans objet, et partant irrecevable, lorsqu'au jour où le juge statue sur cette demande, le processus d'information et de consultation relatif à la décision en cause est achevé et que cette décision est mise en oeuvre ; que la cour d'appel a relevé que le 7 juillet 2014, soit avant même que le premier juge ait statué, la société GDF Suez a décidé la mise en oeuvre du projet CSP après que les procédures d'information et de consultation relatives à ce projet aient été achevées; que la cour d'appel aurait dû déduire de ses propres énonciations que les demandes du comité d'établissement Siège tendant à la suspension de la mise en oeuvre du projet CSP étaient devenues sans objet, qu'en décidant le contraire, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 809 du code civil ;
2°/ qu'une ordonnance de référé est exécutoire de droit à titre provisoire, en sorte que la partie gagnante est en droit d'exécuter cette ordonnance nonobstant l'appel de la partie perdante; que pour déclarer les demandes du comité d'établissement Siège recevables, la cour d'appel a retenu l'existence d'un trouble manifestement illicite « persistant » jusqu'au jour où elle a statué, constitué par « l'empressement » de la société GDF Suez à mettre en oeuvre le projet CSP ; qu'en statuant ainsi, bien qu'elle constatait que l'assignation en référé introduite par le comité d'établissement Siège n'avait pas de caractère suspensif et que le premier juge des référés avait jugé qu'il n'y avait lieu à suspendre la mise à exécution de ce projet, la cour d'appel a violé les articles 489 et 809 du code de procédure civile ;
3°/ qu'aux termes des articles L. 2327-2 et L. 2327-15 du code du travail, le comité d'établissement ne doit être consulté avec le comité central d'entreprise que si la décision en cause, qui relève de la direction générale de l'entreprise, exige pour sa mise en oeuvre des mesures spécifiques à l'établissement ; que la cour d'appel a jugé que les mesures contenues dans le projet CSP avaient un effet direct local sur les conditions de travail des salariés des établissements Siège et l'UPSI, en sorte que le comité d'établissement Siège devait être consulté sur ce projet ; qu'en statuant ainsi sans constater que la décision relative au projet CSP, dont il n'était pas contesté qu'elle émanait de la direction générale de la société GDF Suez, exigeait, pour sa mise en oeuvre, des mesures spécifiques locales, lors même que la société GDF Suez démontrait dans ses écritures que cette décision entraînait, pour sa mise en oeuvre, aucune mesure d'adaptation locale, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles L. 2327-2 et L. 2327-15 du code du travail ;
Mais attendu d'abord, qu'ayant constaté que le projet « Evolution des centres de services partagés » avait un effet direct local sur les conditions de travail des salariés de l'établissement « siège », la cour d'appel en a exactement déduit, au regard des dispositions de l'article L. 2327-2 du code du travail dans leur rédaction applicable en la cause, que le comité de cet établissement devait être consulté préalablement à la mise en oeuvre du projet dans l'établissement, peu important que la décision émane de la seule direction générale de la société GDF Suez ;
Attendu ensuite, qu'ayant fait ressortir que l'employeur n'avait transmis aux membres du comité de l'établissement aucune information précise et écrite en vue de sa consultation sur la mise en oeuvre dans l'établissement du projet « Evolution des centres de services partagés », la cour d'appel a décidé à bon droit que la demande du comité d'établissement était recevable ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en ses deux premières branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société GDF Suez aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 1 500 euros au comité d'établissement siège de la société GDF Suez ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour la société GDF Suez.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué ;
D'AVOIR déclaré recevables les demandes formulées par le comité d'établissement Siège tendant à suspendre, sous astreinte, la mise en oeuvre du projet CSP jusqu'à ce que ce comité et l'ensemble des comités d'établissement impactés par ce projet soient consultés et à condamner la société GDF Suez à lui verser la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité provisionnelle et la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QU' «à titre principal, la société GDF Suez oppose au comité d'établissement l'irrecevabilité de ses demandes, faisant valoir que depuis le 8 juillet 2014, les salariés des CSP de l'établissement USPI ont reçu un courrier leur notifiant leur mutation au sein de l'établissement Siège à compter du 1er août suivant; que l'intimée conclut dans ces conditions que la demande du comité d'établissement visant à suspendre la mise en oeuvre de toute décision liée au projet CSP est devenue sans objet ; que, contrairement à ce que fait plaider l'appelant, il revient à la cour, pour répondre à la fin de non-recevoir invoquée par l'intimée, de se prononcer, non pas sur la réalité d'un trouble manifestement illicite au jour de la saisine du premier juge mais sur la persistance, ou non, à ce jour, de ce trouble - fondant l'objet de l'actuelle procédure de référé - , dès lors que la société GDF SUEZ a décidé le 7 juillet 2014, en exécution de son projet, d'effectuer à compter du 1er août suivant, le transfert de certaines activités et salariés de l'établissement USPI au sein de l'établissement Siège; qu'il y a lieu d'observer que la mise en oeuvre du projet est ainsi intervenue alors que le comité d'établissement Siège avait vainement réclamé sa consultation, alors qu'il avait engagé la présente procédure en référé pour obtenir cette consultation et alors que le magistrat saisi n'avait pas encore statué sur la, demande du comité; que si le recours introduit par le comité d'établissement n'était pas suspensif, la société GDF Suez a, ainsi, déployé un empressement particulier à mettre en oeuvre son projet qui est, seul cause, de la situation de fait dont elle se prévaut aujourd'hui, pour prétendre à l'irrecevabilité des demandes du comité d'établissement USPI, c'est à dire, l'instauration de nouvelles structures et conditions de travail pour les salariés concernés sur laquelle le juge des référés n'aurait pas le pouvoir de l'obliger à revenir ; que cette affirmation - outre qu'elle n'apparaît pas, dans ces conditions, exempte d'une certaine mauvaise foi- s'avère mal fondée en droit ; qu'en effet, si, contrairement au premier juge, la cour estime ci-après que la consultation du comité d'établissement USPI est légalement requise, le défaut de consultation de ce comité s'avérera constitutif d'un trouble manifestement illicite, persistant puisque la mise en oeuvre du projet n'est présentement pas achevée ; qu'il appartient au juge des référés de faire cesser ce trouble par la mise en place de la consultation litigieuse et, à tout le moins, la suspension corrélative de la mise en oeuvre du projet CSP, sollicitée par le comité d'établissement; que les demandes de ce dernier sont donc recevables; qu'il y a lieu de procéder à leur examen ».
ALORS QUE le juge des référés doit se placer à la date de sa décision pour ordonner ou refuser la mesure demandée; qu'en application de ce principe, une demande de suspension d'une décision de l'employeur est sans objet, et partant irrecevable, lorsqu'au jour où le juge statue sur cette demande, le processus d'information et de consultation relatif à la décision en cause est achevé et que cette décision est mise en oeuvre; que la cour d'appel a relevé que le 7 juillet 2014, soit avant même que le premier juge ait statué, la société GDF Suez a décidé la mise en oeuvre du projet CSP après que les procédures d'information et de consultation relatives à ce projet aient été achevées; que la cour d'appel aurait dû déduire de ses propres énonciations que les demandes du comité d'établissement Siège tendant à la suspension de la mise en oeuvre du projet CSP étaient devenues sans objet, qu'en décidant le contraire, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 809 du code civil.
ET ALORS QU'une ordonnance de référé est exécutoire de droit à titre provisoire, en sorte que la partie gagnante est en droit d'exécuter cette ordonnance nonobstant l'appel de la partie perdante; que pour déclarer les demandes du comité d'établissement Siège recevables, la cour d'appel a retenu l'existence d'un trouble manifestement illicite « persistant » jusqu'au jour où elle a statué, constitué par « l'empressement » de la société GDF Suez à mettre en oeuvre le projet CSP;
qu'en statuant ainsi, bien qu'elle constatait que l'assignation en référé introduite par le comité d'établissement Siège n'avait pas de caractère suspensif et que le premier juge des référés avait jugé qu'il n'y avait lieu à suspendre la mise à exécution de ce projet, la cour d'appel a violé les articles 489 et 809 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Le moyen reproche à l'arrêt attaqué ;
D'AVOIR ordonné à la société GDF Suez de procéder à la consultation de son comité d'établissement du Siège sur le projet d'évolution des centres de services partagés, suspendu la mise en oeuvre de ce projet jusqu'à ce que ce comité d'établissement et le comité d'établissement l'UPSI soient consultés et ce, sous astreinte de 3 000 euros par infraction constatée et condamné la société GDF Suez à payer au comité d'établissement du Siège la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité provisionnelle et la somme de 3 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
AUX MOTIFS QU' « il n'est pas contesté que le projet CSP tend à créer une direction des services partagés rattachée à l'établissement du Siège et à regrouper tous les CSP existants en six CSP (Finances, RH, Achats, Si, Immobilier, Logistique et Consulting); que cette modification implique des transferts d'activités et de personnels de l'établissement USPI vers l'établissement Siège, telles que celle des ressources humaines ou de la comptabilité - installée à St Herblain près de Nantes et délocalisée à Saint-Denis; que ce projet, qualifié par la société GDF SUEZ d'«autoportant», non seulement, présente les décisions de principe que doit prendre l'entreprise, mais également, contient les « feuilles de route » décrivant le détail des suppressions/ créations d'emplois ainsi que la manière d'atteindre de cette cible à horizon fin 2015 ; qu'au regard précisément de ce détail, le premier juge a estimé que le projet va être mis en place « sans nécessiter de décisions des chefs d'établissement concernés», et que «même s'il va impacter de manière très importante l'établissement USPI, la direction n'est pas obligée d'informer et de consulter le comité d'établissement USPI, tant que la mise en oeuvre du projet ne nécessite aucune décision relevant des pouvoirs du chef d'établissement » ; que la société GDF SUEZ fait valoir, il est vrai, que sans que l'intervention des chefs d'établissement soit nécessaire elle a, d'ores déjà réalisé, à ce jour, diverses mesures prévues par le projet litigieux, telle que la création de la Direction des services partagés et la mutation administrative de certains personnels de l'USPI au sein du Siège; mais que l'intimée ne dit mot des mouvements de personnels, inclus dans le projet, qui impliquent des suppressions d'emploi et une mobilité géographique des salariés concernés; qu'à l'évidence ces dernières mesures, accompagnées par celles de l'accord collectif du 19 juin 2014, signé au niveau de la société GDF Suez, ont un effet direct local, sur les conditions de travail des salariés des établissements Siège et USP que si la « délocalisation de l'emploi» des salariés USPI est favorisée par cet accord elle n'en demeure pas moins définitive tandis que les salariés Siège sont amenés à accueillir une nouvelle communauté de travailleurs et à se fondre avec eux dans de nouvelles structures ; Or qu'il importe peu que les décisions issues du projet CSP soient prises au niveau de la société, et non, des établissements, dès lors que le projet produit, ainsi, incontestablement, des effets sur les conditions voire les contrats de travail des salariés desdits établissements; que, contrairement aux prétentions de la société GDF Suez, le niveau où est prise la décision à l'origine d'un projet ne suffit pas à déterminer celui de l'institution représentative du personnel, à laquelle doit être soumis le projet en cause; que, plus précisément, si, comme en l'espèce, les mesures d'application du projet visent les salariés de certains établissements, le projet a beau être conçu au niveau de l'entreprise, les comités d'établissement correspondants doivent être consultés sur ces mesures; que - conformément aux dispositions des articles L. 2327-15 et L. 2323-6 du code du travail - l'affectation, par le projet CSP, des conditions, voire, des contrats de travail des salariés des établissements Siège et USPI, justifie donc la consultation desdits comités, dès lors que la société GDF Suez n'établit pas que l'intervention des chefs d'établissement soit exclue dudit projet ; qu'en conséquence, il convient d'accueillir les demandes du comité d'établissement et d'ordonner les mesures requises relatives à la consultation de l'appelant et à la suspension de la mise en oeuvre du projet CSP toujours en cours ; que l'atteinte portée à ses prérogatives est constitutive d'un préjudice ; que la cour évalue d'ores et déjà à 3 000 euros la provision à faire valoir sur l'indemnité réparatrice de ce préjudice ; qu'en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la société GDF Suez versera au comité d'établissement appelant la somme de 3 000 euros ».
ALORS QU' aux termes des articles L.2327-2 et L.2327-15 du code du travail, le comité d'établissement ne doit être consulté avec le comité central d'entreprise que si la décision en cause, qui relève de la direction générale de l'entreprise, exige pour sa mise en oeuvre des mesures spécifiques à l'établissement; que la cour d'appel a jugé que les mesures contenues dans le projet CSP avaient un effet direct local sur les conditions de travail des salariés des établissements Siège et l'UPSI, en sorte que le comité d'établissement Siège devait être consulté sur ce projet; qu'en statuant ainsi sans constater que la décision relative au projet CSP, dont il n'était pas contesté qu'elle émanait de la direction générale de la société GDF Suez, exigeait, pour sa mise en oeuvre, des mesures spécifiques locales, lors même que la société GDF Suez démontrait dans ses écritures que cette décision entraînait, pour sa mise en oeuvre, aucune mesure d'adaptation locale, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles L.2327-2 et L.2327-15 du code du travail.