LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 juin 2015), que, le 3 janvier 2001, Mme X... a créé l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée X... pneu (l'EURL), dont un tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire le 5 mai 2003 ; qu'un arrêt du 16 décembre 2003 a déclaré irrecevable l'appel interjeté par l'EURL contre cette décision ; que, par arrêt du 8 mars 2007, la Cour européenne des droits de l'homme a dit qu'il y avait violation de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au motif que la décision ayant prononcé l'irrecevabilité de l'appel avait limité, de manière excessive, le droit d'accès au tribunal de Mme X..., a condamné l'Etat à lui verser une certaine somme en réparation de son préjudice moral et rejeté la demande de la requérante au titre de son préjudice matériel ; que Mme X... a assigné l'Agent judiciaire de l'Etat en réparation de ce préjudice, du fait de la perte de l'EURL, sur le fondement des articles L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire et 6, § 1, de la Convention précitée ;
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen :
1°/ qu'un arrêt de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme constatant une violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales entraîne pour l'État défendeur l'obligation juridique au regard de la Convention de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci ; qu'en retenant, pour refuser d'indemniser Mme X... du préjudice matériel subi du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice et de la violation par la France de l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales retenu par l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 7 mars 2007, que Mme X... avait obtenu par cette dernière décision une indemnisation du mauvais fonctionnement allégué quand la Cour européenne des droits de l'homme avait limité, par cette décision, la satisfaction équitable due à Mme X... à un préjudice moral et que, pour le préjudice matériel, avait refusé de spéculer sur le résultat auquel la procédure incriminée aurait abouti si la violation de l'article 6. 1 de la Convention n'avait pas eu lieu, de sorte que Mme X... n'avait pas été rétablie dans la situation qui aurait été la sienne si une violation n'avait pas eu lieu et devait être indemnisée de son préjudice matériel, la cour d'appel a violé les articles 41 et 46 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ que, en toute hypothèse, l'État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice ; que sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ; que l'impossibilité pour une partie d'accéder au juge chargé de statuer sur sa prétention et d'exercer ainsi un droit consacré notamment par l'article 6. 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, constitue un déni de justice ; qu'en retenant que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 décembre 2003 déclarant irrecevable l'appel interjeté par l'EURL X... pneu représentée par sa gérante, Mme X..., ne caractérisait pas un déni de justice engageant la responsabilité de l'État quand cette décision, qui avait entraîné la condamnation de la France par l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 8 mars 2007 pour violation de l'article 6. 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison de la privation du droit d'accès à un tribunal, révélait une impossibilité pour Mme X... d'accéder au juge chargé de statuer sur sa prétention et constituait en conséquence un déni de justice, la cour d'appel a violé l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que l'État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice ; que, sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ; que l'impossibilité pour une partie d'accéder au juge chargé de statuer sur sa prétention et d'exercer ainsi un droit consacré notamment par l'article 6. 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, constitue un déni de justice ; qu'en retenant que ce n'était pas la décision de justice qui était à l'origine du préjudice subi par Mme X... mais la disposition législative appliquée par la cour d'appel, quand le déni de justice, révélé par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 décembre 2003, suffisait à engager la responsabilité de l'État pour avoir fait application d'une législation contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au lieu de l'écarter comme elle y était tenue, et caractérisait ainsi le dysfonctionnement du service de la justice, la cour d'appel a violé l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que l'arrêt retient que la décision d'irrecevabilité est conforme à la loi française alors en vigueur et que Mme X... n'a jamais soulevé, devant les juridictions françaises, l'inconventionnalité de la loi qu'elle reproche à celles-ci d'avoir appliquée ; qu'ayant ainsi fait ressortir l'absence de fonctionnement défectueux du service public de la justice au regard des circonstances de l'affaire, la cour d'appel en a exactement déduit que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ; que le moyen qui, en ses première et troisième branches, critique des motifs surabondants de l'arrêt, ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à l'Agent judiciaire de l'Etat la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Ricard, avocat aux Conseils, pour Mme X...
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté Mme X... de l'ensemble de ses demandes tendant à la condamnation de l'agent judiciaire de l'État à lui payer la somme de 4 518 676 euros en indemnisation de son préjudice matériel et économique subi du fait de la perte de l'Eurl X... Pneu ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE Madame X... reproche à la Cour d'appel d'avoir manqué â son obligation de respecter la hiérarchie des normes juridiques en ne faisant pas application des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'avoir privée de son droit d'accès à un tribunal et en déduit que la responsabilité de l'Etat est engagée sur le fondement de l'article L 141-1 du Code de l'organisation judiciaire ; qu'aux termes de l'article L 141-1 du Code de l'organisation judiciaire " l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou un déni de justice. " ; que constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ; que le déni de justice s'entend, non seulement comme le refus de répondre aux requêtes ou le fait de négliger les affaires en état de l'être, mais aussi, plus largement, tout manquement de l'Etat à son devoir de protection juridictionnelle de l'individu qui comprend le droit pour tout justiciable de voir statuer sur ses prétentions dans un délai raisonnable ; que l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ne peut être appréciée que dans la mesure où l'exercice des voies de recours n'a pas permis de réparer le mauvais fonctionnement allégué ; qu'il peut être relevé que Madame X... qui n'a pas formé de pourvoi en cassation contre la décision de la Cour d'appel estimant que celui-ci aurait été nécessairement rejeté compte tenu de la législation applicable à l'espèce, a exercé un recours devant la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui a abouti à la reconnaissance de ses droits et à une indemnisation à hauteur de 3. 000 euros en réparation de son préjudice moral ; qu'il s'ensuit que l'exercice de ce recours lui a permis d'obtenir une indemnisation du mauvais fonctionnement allégué ; que par ailleurs la décision rendue par la Cour d'appel déclarant Madame X... irrecevable en son recours ne caractérise pas le refus de répondre à une requête ou une absence de jugement de l'affaire mais constitue uniquement l'application par les juges d'une règle de procédure édictée par un texte dont l'objet est d'assurer une bonne administration de la justice ; que dès lors, aucun déni de justice ne peut être imputé au service de la justice ; qu'enfin, il convient d'examiner la demande de Mme X... au regard de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme qui a fait application de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et non comme l'a fait le tribunal en motivant son jugement au regard d'une violation du droit communautaire commise par la Cour d'appel Considérant qu'en tout état de cause, la décision d'irrecevabilité de l'appel interjeté par Madame X... contre le jugement de liquidation de sa société était conforme aux textes législatifs en vigueur soit la loi N° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises et à l'article 1844-7 7° du code civil relatif aux causes d'extinction d'une société ainsi qu'à une jurisprudence constante depuis un arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 1999 qui énonçait que " mais attendu que si le débiteur est recevable en vertu du droit propre qu'il tient de l'article 171-1 de la loi du 25 janvier 1985, à former un pourvoi en cassation contre l'arrêt qui a prononcé sa liquidation judiciaire, il ne peut, s'agissant d'une personne morale dissoute en application de l'article 1844-7-7° du code civil et dont le dirigeant fut-il son administrateur provisoire antérieurement désigné, est privé de ses pouvoirs à compter de la liquidation judiciaire, exercer ce droit que par l'intermédiaire de son liquidateur amiable ou mandataire ad hoc " ; qu'il résulte de ces constatations que ce n'est pas la décision de justice qui est à l'origine du préjudice subi par Madame X... mais la disposition législative appliquée par la Cour d'appel ; que cela est démontré par le fait que le texte a été modifié par la loi 26 juillet 2005 qui a inséré un nouvel article L641-9 dans le code de commerce permettant aux dirigeants d'exercer certains droits propres du débiteur sans recourir â la désignation d'un mandataire ad bac pour représenter la société, les dirigeants se voyant reconnaître le droit d'exercer un recours par eux-mêmes ; qu'il convient de noter que la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a condamné l'Etat après avoir procédé à une appréciation in concreto de la difficulté que pouvaient rencontrer les dirigeants de société à faire nommer dans le délai d'appel un administrateur ad hoc pour représenter la société et a alors conclu â la non-conformité de la loi française au regard du recours effectif à un tribunal ; qu'une telle appréciation ne pouvait être présumée par les juridictions françaises antérieurement alors que le recours était bien prévu par la loi même s'il était difficile à exercer ; qu'il y a lieu de relever, au demeurant, que Madame X... n'a jamais évoqué devant les juridictions françaises l'inconventionnalité du texte ce qui aurait pu les amener â statuer différemment ; qu'il ne peut, dès lors, être reproché au service de la justice un dysfonctionnement entraînant la recherche de sa responsabilité pour faute lourde ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS DES PREMIERS JUGES QU'une décision par laquelle une juridiction déclare une action en justice irrecevable ne saurait constituer un déni de justice dès lors que ladite décision ne caractérise nullement un refus de répondre à une requête ou une absence de jugement d'une affaire en état de l'être mais uniquement l'application, par l'autorité judiciaire, d'une règle de procédure dont l'objet est d'assurer une bonne administration de la justice. ; en second lieu, si les stipulations de l'article 46 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales exigent effectivement que les Etats contractants se conforment aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels ils sont parties, celles-ci n'ont ni pour objet ni pour effet d'ouvrir devant le juge national et de manière inconditionnelle, un droit à indemnisation au profit d'une personne qui se prévalait d'une tel arrêt ayant préalablement admis la violation, par un Etat signataire, d'un droit fondamental garanti par ladite Convention ; (…) que la prétention soumise au tribunal par Mme X... doit donc être regardée comme reposant en réalité sur la faute nullement invoquée au cas présent qu'aurait commise le législateur en ne procédant pas à la modification du régime juridique applicable aux droits et actions exercés par le dirigeant d'une personne morale dissoute en application des dispositions de l'article 1844-7 7° du code civil et qui, jusqu'à l'intervention de l'article 104 de la loi 2005-445 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises faisait obstacle à ce qu'un dirigeant d'une société placée en liquidation judiciaire exerçât une voie de recours autrement que par l'intermédiaire du liquidateur amiable ou d'un mandataire ad hoc ; par suite, Mme X... n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir que l'État aurait engagé, sur le fondement des dispositions de l'article L. 114-1 du code de l'organisation judiciaire, sa responsabilité à son endroit du fait du fonctionnement défectueux du service public de la justice dès lors que l'arrêt précité de la cour d'appel de Paris en date du 16 décembre 2003 ne contient aucune violation manifeste des stipulations de l'article 6 § I de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des Libertés fondamentales ;
1°) ALORS QU'un arrêt de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme constatant une violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales entraîne pour l'État défendeur l'obligation juridique au regard de la Convention de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci ; qu'en retenant, pour refuser d'indemniser Mme X... du préjudice matériel subi du fait du fonctionnement défectueux du service de la justice et de la violation par la France de l'article 6. 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales retenu par l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 7 mars 2007, que Mme X... avait obtenu par cette dernière décision une indemnisation du mauvais fonctionnement allégué quand la Cour européenne des droits de l'homme avait limité, par cette décision, la satisfaction équitable due à Mme X... à un préjudice moral et que, pour le préjudice matériel, avait refusé de spéculer sur le résultat auquel la procédure incriminée aurait abouti si la violation de l'article 6. 1 de la Convention n'avait pas eu lieu, de sorte que Mme X... n'avait pas été rétablie dans la situation qui aurait été la sienne si une violation n'avait pas eu lieu et devait être indemnisée de son préjudice matériel, la cour d'appel a violé les articles 41 et 46 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°) ALORS QUE, en toute hypothèse, l'État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice ; que sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ; que l'impossibilité pour une partie d'accéder au juge chargé de statuer sur sa prétention et d'exercer ainsi un droit consacré notamment par l'article 6. 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, constitue un déni de justice ; qu'en retenant que l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 décembre 2003 déclarant irrecevable l'appel interjeté par l'Eurl X... Pneu représentée par sa gérante, Mme X..., ne caractérisait pas un déni de justice engageant la responsabilité de l'État quand cette décision, qui avait entraîné la condamnation de la France par l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 8 mars 2007 pour violation de l'article 6. 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en raison de la privation du droit d'accès à un tribunal, révélait une impossibilité pour Mme X... d'accéder au juge chargé de statuer sur sa prétention et constituait en conséquence un déni de justice, la cour d'appel a violé l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°) ALORS QUE l'État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice ; que sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ; que l'impossibilité pour une partie d'accéder au juge chargé de statuer sur sa prétention et d'exercer ainsi un droit consacré notamment par l'article 6. 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, constitue un déni de justice ; qu'en retenant que ce n'était pas la décision de justice qui était à l'origine du préjudice subi par Mme X... mais la disposition législative appliquée par la cour d'appel, quand le déni de justice, révélé par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 décembre 2003, suffisait à engager la responsabilité de l'État pour avoir fait application d'une législation contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au lieu de l'écarter comme elle y était tenue, et caractérisait ainsi le dysfonctionnement du service de la justice, la cour d'appel a violé l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.