LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, ci-après annexé :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 10 décembre 2014), que, par acte du 29 mai 2012, Mme X... et M. Y... ont acquis de M. Z...la propriété de parcelles bénéficiant d'une servitude de passage sur la propriété de Mme A..., dont l'assiette a été fixée, par un jugement définitif du 1er juin 1994, « à l'emprise du chemin d'exploitation tel qu'il existait au 10 août 1992 date du rapport d'expertise » ; que Mme A... a assigné les consorts X...-Y...en cessation sous astreinte du passage par la parcelle A 887, contiguë de la parcelle A 715 grevée de la servitude de passage ;
Attendu que Mme A... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande et de retenir que l'assiette du passage fixée judiciairement s'exerce sur les parcelles A 715 et A 887 ;
Mais attendu qu'ayant, par motifs propres et adoptés, relevé que le droit de passage défini par l'expert, au vu des plans annexés à la note de synthèse du 10 août 1992 avait son assiette notamment sur la parcelle A 887 supportant le chemin d'exploitation visé par le rapport d'expertise, la cour d'appel a retenu, par une interprétation souveraine et sans violer l'article 1351 du code civil, que c'est par une insuffisance de précision que la mention de la parcelle A 887 n'avait pas été visée au dispositif du jugement comme faisant partie de l'assiette du fonds servant et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme A... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme A... et la condamne à payer à Mme X... et M. Y... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux septembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour Mme A....
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit que l'assiette de passage fixée judiciairement par jugement du tribunal de grande instance de Rochefort en date du 1er juin 1994, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 4 mars 1997 au bénéfice des parcelles cadastrées A n° 801, 803, 861 et 862 s'exerce sur le chemin d'exploitation tel qu'il existait au 10 août 1992 et qui a son assiette sur les parcelles cadastrées section A n° 715 et A n° 887 appartenant à Mme A..., d'avoir débouté Mme A... de l'ensemble de ses prétentions et de l'avoir condamnée à payer à Mme X... et M. Y... la somme de cinq mille euros à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE « la recevabilité de l'appel n'est pas contestée ;
La résolution du présent litige oblige à rappeler deux instances précédentes concernant les parcelles en cause, instances antérieures à l'acquisition de leur propriété par les consorts X...
Y... ;
En premier lieu, par arrêt de la cour d'appel de Poitiers en date du 18 décembre 1985, Madame Michelle A... a obtenu que soit judiciairement établie l'absence de caractère rural du chemin dit de la Salle aux Boutinières débouchant sur le chemin vicinal ; Il s'agit de la parcelle actuellement cadastrée sous le n° 887 et encore empruntée par les consorts X...-Y...pour accéder à la voie publique ; L'arrêt de 1985 précisait dans son dispositif : " Dit que le cadastre de la commune de Champagne devra être modifié en conséquence "
En second lieu, par jugement daté du 1er juin 1994, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Poitiers en date du 4 mars 1997, le tribunal de grande instance de Rochefort-sur-Mer a notamment :
- constaté que la propriété des époux Z... (auteurs des consorts X...
Y...) se trouvait enclavée,
- accordé aux époux Z... un droit de passage sur la propriété de Michelle A...,
- précisé que le fonds servant cadastré n° 715 appartient à Michelle A...,
- précisé que le fonds dominant cadastré n° 803, 801, 863 et 861 appartient aux époux Z... ;
- dit que l'assiette de ce droit de passage sera fixée sur l'emprise du chemin d'exploitation tel qu'il existait au 10 août 1992, date du dépôt du rapport d'expertise ;
Il résulte des relevés cadastraux à la date du 5 novembre 2012 que la parcelle n° 715 ne contient pas l'emprise du chemin d'exploitation tel qu'il existait au 10 août 1992, que cette emprise correspond à la parcelle désormais cadastrée n° 887 ;
Dès lors, Madame Michelle A... prétend que, certes les consorts X...-Y...bénéficient bien d'une servitude sur la parcelle portant actuellement le n° 715, mais leur dénie le droit de passage sur la parcelle actuellement cadastrée n° 887 non expressément visée aux décisions des 1er juin 1994 et 4 mars 1997 ; La position de Madame Michèle A... consiste donc à reconnaître aux intimés un droit de passage sur une parcelle qui ne serait pas contiguë à la leur, et à les empêcher purement et simplement de rejoindre la voie publique ; Elle reconnaît donc l'existence d'une servitude totalement vidée de son utilité puisque son assiette serait inaccessible depuis le fonds dominant ;
Madame Michelle A... soutient que les intimés ne peuvent pas se prévaloir de l'état d'enclave juridique dans lequel ils se trouvent pour avoir eux-mêmes volontairement créé cette situation de fait.
Ce moyen appelle deux observations ;
D'une part, l'état d'enclave préexistait à l'acquisition par les consorts X...-Y...de leur lot et il ne peut pas leur être reproché de s'être volontairement enclavés, pas plus que cela ne pouvait être d'ailleurs reproché à leurs auteurs les époux Z... qui avaient acheté un terrain provenant de la division d'une plus grande parcelle en 1972 ;
D'autre part, force est de constater que le litige trouve sa véritable origine dans l'interprétation qu'il convient de donner au jugement du tribunal de grande instance de Rochefort-sur-Mer en date du 1er juin 2004 ; A cet égard, la lecture attentive du rapport d'expertise déposé le 10 août1992, du jugement du 1er juin 1994 et de l'arrêt du 4 mars 1997 permet de constater que le litige portait sur un passage revendiqué, à l'époque par les époux Z..., portant exclusivement sur le chemin dit de la Salle aux Boutinières actuellement cadastré 887 ; La meilleure preuve en est que dans son dispositif, le jugement du 1er juin 1994, faisant droit aux demandes des époux Z..., précisait bien : " 1'assiette de ce droit de passage sera fixée sur l'emprise du chemin d'exploitation tel qu'il existait au 10 août 1992, date du dépôt du rapport d ‘ expertise " ;
Il est manifeste que la numérotation cadastrale autonome sous le n° 887 du chemin de la Salle aux Boutinières, dont le caractère rural a été écarté en application de la décision de la cour d'appel de Poitiers en date du 18 décembre 1985, n'est intervenue que postérieurement à l'instance de 1994 ; Dès lors, dans les années 1990, le chemin n'ayant pas encore été individualisé par un numéro de cadastre spécifique, les juges de Rochefort-sur-Mer ont été contraints d'apporter la précision relative à l'emprise du chemin d'exploitation inclus dans une des parcelles de Madame Michelle A..., mais ne portant pas encore le numéro qui lui a été attribué par la suite ;
Au vu des observations qui précèdent quant à l'interprétation qu'il convient de donner au jugement du tribunal de grande instance de Rochefort sur-Mer en date du 1er juin 1994, Madame Michelle A... n'est pas fondée à s'opposer au passage des intimés sur sa parcelle actuellement cadastrée n° 887 ;
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Madame Michelle A... de ses prétentions ;
S'agissant des dommages-intérêts sollicités sur le fondement de la procédure abusive, la cour adhère aux motifs retenus par le premier juge pour allouer aux intimés la somme de 5. 000 € titre de réparation ; Admettre en effet que les consorts X...-Y...bénéficient d'une servitude de passage sur sa propriété et interpréter cette servitude de telle sorte qu'il est strictement impossible d'en user, conduit à une situation inextricable pour les intimés et révèle une mauvaise foi manifeste chez l'appelante ;
Madame Michelle A... qui succombe sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel ; »
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « Suivant actes notariés en date des 1er octobre 1980 et 5 décembre 1984, Monsieur Z... a acquis de Madame Monique C..., épouse D..., sur la commune de Champagne, lieudit « Les Boutinières », les parcelles cadastrées section A, n/ 801, 803, 861 et 863 ;
Les parcelles vendues résultaient de la division des parcelles n° 184 et 185 reçues antérieurement par Madame D...de ses parents en exécution d'une donation-partage consentie par ces derniers à leurs enfants, le 29 juillet 1972 ;
Madame D..., est demeurée propriétaire de la partie désormais cadastrée Section A n° 864 et 862 ;
Dans le cadre de la donation-partage, Madame Michelle C..., épouse A... s'est vu attribuer les parcelles cadastrées section A, n° 715, 186 et 187 ;
De par la configuration des lieux, la parcelle n° 184-185 devenue l'ensemble constitué des parcelles n° 801, 803, 861, 863, 864 et 862, s'est retrouvée enclavée lors de la division du fonds des époux C...-B..., le seul accès étant a constitué par un chemin dit « chemin de la Salle aux Boutinières " ;
Par un arrêt de la Cour d'appel de Poitiers en date du 18 décembre 1985 Madame A... a obtenu qu'il soit établi judiciairement l'absence de caractère rural de ce chemin ;
Par jugement du Tribunal de grande instance de Rochefort du 1er juin 1994, Monsieur Bernard Z... vendeur des consorts X...-Y..., a obtenu l'établissement d'une servitude de passage au visa de l'article 682 du Code civil, sur la parcelle cadastrée section A n° 715 appartenant à Madame Michelle A... ;
Le dispositif du jugement est formulé de la manière suivante : « Précise que le fonds servant, cadastré commune de Champagne, lieudit « Prairie de la Salle » section A numéro 715 pour 1 hectare 88 ares 89 centiares appartient à Madame C...épouse A..., en vertu d'un acte de donation-partage reçu par Maître E..., notaire à Soubise, le 29 Juillet 1972, publié le 25 Septembre 1972, volume 4666 numéro 27 ;
Précise que le fonds dominant, cadastré commune de Champagne lieudit les Boutinières, section A Numéro 803 pour 16 ares 83 centiares, numéro 801 pour 1 are 17 Centiares, numéro 863 Pour 1 are 33 centiares, numéro 861 pour 21 Ares 97 centiares, appartient aux époux Z..., en vertu d'un acte reçu par Maître F..., notaire à Saintes, le 1er octobre 1980, publié le 7 Novembre 1980, volume 6327, numéro 12, et d'un acte reçu par Maître G..., notaire à Saint-Agnant, le 5 Décembre 1984, publié le 5 Février 1985, volume 7500. numéro » ;
Dans sa note de synthèse du 10 août 1992, l'expert H...a clairement défini l'assiette du droit de passage sur les plans annexés 1, 2 et 3 et il est aisé de vérifier que ce droit de passage a notamment son assiette sur la parcelle A n° 887 laquelle supporte le chemin d'exploitation visé par le rapport d'expertise ;
En jugeant que la propriété Z... était enclavée et devait bénéficier d'un droit de passage sur la propriété A..., le Tribunal ne pouvait sans se contredire, définir une assiette de passage qui ne permettait pas la desserte complète du fonds enclavé et dont l'assiette n'était pas contigüe au dit fonds ;
En se référant expressément dans son jugement pour déterminer son assiette à " l'emprise du chemin d'exploitation tel qu'il existait au 10 août 1992, date de dépôt du rapport d'expertise " le Tribunal dans sa décision du 1er juin 1994 a nécessairement pris en compte les deux parcelles supportant le chemin d'exploitation ;
C'est donc en raison d'une insuffisance de précision que la mention de la parcelle A n° 887 n'a pas été visée au dispositif du jugement comme faisant partie de l'assiette du fonds servant ;
Madame A... en est parfaitement consciente puisque Monsieur Z... a toujours utilisé ce chemin d'exploitation dont l'assiette se trouve sur la parcelle n° 887 pour rejoindre sa propriété ;
Il n'est pas sérieux de soutenir que Monsieur Z... s'est enclavé volontairement en demandant le bénéfice d'une servitude de passage sur une parcelle non attenante à sa propriété ; Carole Anne X... et Xavier Y... n'ont pas à supporter l'insuffisance ou mauvaise identification des parcelles qui constituent l'assiette de la servitude de passage et il ne peut leur être opposé un enclavement de leur fait ou de celui de leur auteur ;
Il convient en conséquence de débouter Mme A... de l'ensemble de ses prétentions ;
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive :
La présente instance s'inscrit dans un lourd contentieux qui a opposé la partie demanderesse aux auteurs des consorts X.../ Y...et qui se poursuit dorénavant à leur détriment ;
En considération de la configuration des lieux et des précédentes décisions judiciaires qui sont intervenues à son désavantage, l'argumentation de Michelle A... consistant à soutenir que Monsieur Z... s'est volontairement enclavé confine à la mauvaise foi dès lors que le Tribunal ne pouvait dans le même temps juger que la propriété Z... était enclavée tout en lui accordant une servitude de passage sur une parcelle qui ne permettait pas son désenclavement effectif.
L'action en justice de Mme A... révèle une véritable intention de nuire qui doit être sanctionnée par l'allocation de dommages et intérêts qui doivent être arbitrés à la somme de 5000 euros » ;
1°) ALORS QUE les juges saisis d'une contestation relative à l'interprétation d'une précédente décision ne peuvent, sous le prétexte d'en déterminer le sens, apporter une modification quelconque aux dispositions précises de celle-ci et aux droits et obligations des parties ; qu'en jugeant que le dispositif de l'arrêt du 4 mars 1997 de la cour d'appel de Poitiers qui fixe l'assiette de passage de la servitude sur la parcelle n° 715 doit être interprété comme signifiant que l'assiette de la servitude s'exercera sur les parcelles cadastrées A n° 715 et A n° 887, la cour d'appel a modifié les dispositions précises de l'arrêt interprété et violé les articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE la régularité du jugement est sans incidence sur l'autorité de la chose jugée ; qu'en jugeant par motifs adoptés que dans son jugement du 1er juin 1994 confirmé par arrêt du 4 mars 1997, les juges du fond n'avaient pu, sans se contredire, juger que la propriété Z... était enclavée et devait bénéficier d'un droit de passage sur la propriété A... puis définir une assiette de passage qui ne permettait pas la desserte complète du fonds enclavé et dont l'assiette n'était pas contigüe audit fonds (jugement de première instance p. 4 al. 7), la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé les articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les documents qui leur sont soumis ; qu'en jugeant qu'il était manifeste que la numérotation cadastrale autonome sous le n° 887 du chemin de la Salle aux Boutinières n'était intervenue que postérieurement à l'instance de 1994 alors qu'il résultait clairement, tant de l'extrait du cadastre annexé au constat d'huissier du 28 juin 1991 que du rapport d'expertise de Mme H...déposé le 10 août 1992, produits par Mme A..., que la numérotation cadastrale du chemin litigieux sous le numéro n° 887 était déjà intervenue lors de l'instance de 1994, la cour d'appel a dénaturé lesdits documents en violation de l'article 1134 du code civil ;
4°) ALORS QUE la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ; qu'en considérant que le litige ayant donné lieu à l'arrêt du 4 mars 1997 de la cour d'appel de Poitiers portait sur le chemin dit de la Salle aux Boutinières actuellement cadastré 887 (arrêt attaqué, p. 4, al. 4 et 6 et p. 5, al. 1), tout en jugeant que ce chemin avait son assiette sur les parcelles section A n° 715 et A n° 887 appartenant aux époux A..., la cour d'appel, en se contredisant, a privé sa décision de motifs et violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°) ALORS QUE l'enclave volontaire qui exclut le bénéfice de la servitude de passage peut résulter tant d'une modification des lieux que d'une décision de justice ; qu'en jugeant que l'état d'enclave du lot des époux Z... résultait de la division d'une parcelle plus grande en 1972 et non de la servitude de passage demandée et obtenue par M. Z..., par l'arrêt du 4 mars 1997 de la cour d'appel de Poitiers, sur un fonds qui n'était pas contigu au sien, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 682 du code civil ;
6°) ALORS QUE le caractère volontaire de l'état d'enclave créée par le vendeur d'une parcelle est opposable à l'acquéreur de ladite parcelle ; qu'en jugeant que l'état d'enclave préexistait à l'acquisition par les consorts X...-Y...de leur lot et que, de ce fait, il ne pouvait leur être reproché de s'être volontairement enclavés, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 682 du code civil.