LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 12 février 2015), que, par actes authentiques des 26 février 1974 et 5 avril 1979, Mme X... et son époux, André Y..., ont donné à bail à long terme à la société viticole de France un domaine agricole comprenant des bâtiments et parcelles ; qu'une partie de ces biens a été apportée au groupement foncier agricole de Mauvesin (GFA) ; que Mme Y... et son fils Alain sont devenus respectivement usufruitier et nu-propriétaire de l'autre partie, au décès d'André Y... ; que, par actes du 6 octobre 2004, les consorts Y... et le GFA ont délivré à la société viticole de France congé de l'ensemble du domaine pour le 31 octobre 2008 ; qu'après désignation en référé d'un expert chargé d'évaluer l'indemnité revenant au preneur sortant, la société viticole de France a saisi le tribunal paritaire en indemnisation de la plus-value apportée au fonds au motif que les améliorations engendrées par ses travaux avaient permis de développer un domaine viticole reconnu ;
Attendu que la société viticole de France fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement au titre d'une plus-value du domaine et bâtiments donnés à bail, alors, selon le moyen, que le preneur à bail qui a, par son travail et ses investissements, apporté au fonds loué des améliorations a droit à une indemnité qui ne peut excéder, en ce qui concerne les plantations, la plusvalue apportée au fonds par celles-ci, la plus-value constituant ainsi le plafond de toute indemnisation ; qu'en refusant à la société viticole de France l'indemnité qu'elle réclamait, égale à la plus-value procurée au Domaine de Mauvesin par les plantations qu'elle avait réalisées, telle qu'évaluée par l'expert judiciaire à la somme de 3 468 183, 25 euros, et en ne lui allouant que la seule valeur résiduelle du vignoble qu'elle a fixée à 242 942 euros, ce qui revenait à dénier à la société viticole de France une indemnisation proportionnée à son travail et à ses investissements, la cour d'appel a violé les articles L. 411-69 et L. 411-71 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant, d'une part, exactement retenu que les dispositions des articles L. 411-69 et L. 411-71 du code rural et de la pêche maritime excluent pour le preneur sortant toute autre forme d'indemnisation que l'indemnité égale au coût des travaux et améliorations évalués à l'expiration du bail après déduction d'un amortissement par année d'utilisation, quel que soit le fondement juridique invoqué, d'autre part, relevé que les parties n'avaient conclu aucun accord particulier relatif à une indemnisation complémentaire du preneur au titre de la plus-value apportée au fonds loué, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié les décomptes de l'expert judiciaire et de chaque partie, a légalement justifié sa décision de déterminer l'indemnité de sortie à partir de la valeur résiduelle totale du vignoble ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société viticole de France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société viticole de France et la condamne à payer aux consorts Y... et au GFA de Mauvesin la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six octobre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour la société viticole de France.
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Viticole de France de ses demandes en paiement au titre d'une plus-value du domaine et bâtiments donnés à bail,
AUX MOTIFS QUE « sur l'indemnité complémentaire liée à la plus-value apportée au fonds
Aux termes des articles L. 411-69 et L. 411-71 du Code rural et de la pêche maritime, le preneur qui a, par son travail ou par ses investissements, apporté des améliorations au fonds loué a droit, à l'expiration du bail, à une indemnité due par le bailleur, quelle que soit la cause qui a mis fin au bail, calculée selon des modalités définies à l'article L. 411-71 pour les bâtiments et ouvrages incorporés au sol, les plantations, les travaux de transformation du sol et les travaux imposés par l'autorité administrative, la plus-value apportée au fonds par ces plantations y étant mentionnée comme référence plafond de l'indemnité due au preneur sortant ;
Il résulte de la teneur de l'article L. 411-69 suscité, et de ceux qui suivent sous la section IX du chapitre I du titre I du livre IV du code rural et de la pêche maritime, et il est constant que ces dispositions légales d'ordre public excluent pour le preneur sortant toute autre forme d'indemnisation que l'indemnité prévue par l'article L. 411-69, qui est égale au coût des travaux et améliorations évalués à l'expiration du bail après déduction d'un amortissement par année d'utilisation, quelque soit le fondement juridique invoqué, sauf le cas échéant à ce que les parties aient convenu d'une indemnisation complémentaire tenant à faire bénéficier le preneur de la plus-value apportée aux fonds loués par ses travaux ;
Au demeurant la SAS société Viticole de France ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une faute du bailleur dans le cadre de l'exécution du contrat de bail et n'invoque expressément ni les dispositions de l'article 555 du code civil ni la théorie de l'enrichissement sans cause, se fondant sur un accord des parties relatif à une " surindemnité " ;
Or le protocole d'accord conclu le 20 décembre 2008 entre la SAS société Viticole de France et M. et Mme Y... et le GFA de Mauvesin pour l'organisation de " certaines des conditions et des conséquences de la fin des baux, et notamment concernant le transfert de l'exploitation viticole de la SVF aux bailleurs ou tout autre successeur substitué " et pour consentir une convention d'occupation précaire à l'expiration du bail permettant au preneur de rester dans tout ou partie d'un bien loué à compter du 1er novembre 2008 et jusqu ‘ au 31 août 2009, fait référence à la saisine en référé par le preneur " d'une action en fixation des indemnités qu'elle estime lui être due en contrepartie de son exploitation des fonds pris à baux et de leur retour au bailleur ", les parties précisant que " cette discussion indemnisation est expressément exclue du présent protocole et se réglera entre (elles) de manière séparée ", mais ne mentionne en aucun cas l'accord du bailleur et du preneur sur le principe d'une indemnité quelconque et a fortiori d'une indemnité complémentaire ;
Dès lors, sans qu'il y ait lieu d'examiner la validité de la clause du bail du 26 février 1974 au 4° du paragraphe I de la 4ème feuille qui importe peu sur le sort de la demande de la SAS société Viticole de France, celle-ci n'est pas fondée à réclamer d'indemnité complémentaire ;
Dans ces conditions, la cour confirme le jugement déféré sur ce point » ; (arrêt p. 6 et 7)
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « sur l'indemnité due au preneur sortant et à la plus-value
L'article L. 411-71 du code rural prévoit expressément que l'indemnité au preneur sortant, égale à l'ensemble des dépenses engagées par le preneur avant l'entrée en production des plantations déduction faite d'un amortissement calculé à partir de cette date, ne peut être supérieure à la plus-value apportée au fonds ; la plus-value n'intervient dans l'appréciation de l'indemnité due au preneur sortant qu'en lui fixant un maximum, ce qui exclut par définition qu'elle puisse être invoquée pour une indemnisation complémentaire ; les articles L. 411-69 et suivants du code rural excluent quelconque indemnisation d'une plus-value et il est constant que le code rural exclut tout autre droit à indemnisation de fin de bail que l'indemnité au preneur sortant ;
Le demandeur vise ensuite de façon empirique les articles 1134 et 1147 du code civil ; cependant en l'espèce aucune faute contractuelle du bailleur n'est invoquée et aucun manquement à l'obligation de loyauté n'est établi ; en effet non seulement les parties ne sont jamais convenues d'un droit à bénéfice sur la plus-value pour le preneur (…) ; si la jurisprudence a pu admettre indemnité complémentaire au preneur sortant, c'était sur la base d'un accord spécifique entre les parties, lequel n'existe nullement au cas d'espèce ; aucune faute de nature contractuelle n'est établie et aucun droit à indemnisation n'est ouvert au preneur ; la société demanderesse sera en conséquence déboutée de toutes ses demandes d'indemnisation d'une plus-value du domaine loué au titre des constructions ou des plantations ; » (jugement p. 5)
ALORS QUE le preneur à bail qui a, par son travail et ses investissements, apporté au fonds loué des améliorations a droit à une indemnité qui ne peut excéder, en ce qui concerne les plantations, la plus-value apportée au fonds par celles-ci, la plus-value constituant ainsi le plafond de toute indemnisation ; qu'en refusant à la société Viticole de France l'indemnité qu'elle réclamait, égale à la plus-value procurée au Domaine de Mauvesin par les plantations qu'elle avait réalisées, telle qu'évaluée par l'expert judiciaire à la somme de 3 468 183, 25 €, et en ne lui allouant que la seule valeur résiduelle du vignoble qu'elle a fixée à 242 942 €, ce qui revenait à dénier à la société Viticole de France une indemnisation proportionnée à son travail et à ses investissements, la cour d'appel a violé les articles L. 411-69 et L. 411-71 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article 1134 du code civil.