LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., M. Y...et M. Z... ont été victimes de faits d'escroquerie ayant donné lieu à une condamnation pénale de leurs auteurs et à l'octroi de dommages-intérêts ; que n'ayant pu recouvrer ces sommes, ils ont saisi l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (l'AGRASC) ; que celle-ci ayant déclaré leur demande irrecevable, ils l'ont assignée en paiement des sommes allouées par la juridiction pénale ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur la seconde branche du premier moyen et sur le second moyen annexé, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 706-164, alinéa 1er, du code de procédure pénale ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que toute personne physique qui, s'étant constituée partie civile, a bénéficié d'une décision définitive lui accordant des dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait d'une infraction pénale ainsi que des frais en application des articles 375 ou 475-1 et qui n'a pas obtenu d'indemnisation ou de réparation en application des articles 706-3 ou 706-14, ou une aide au recouvrement en application de l'article 706-15-1, peut obtenir de l'AGRASC que ces sommes lui soient payées prioritairement sur les biens de son débiteur dont la confiscation a été décidée par décision définitive ;
Attendu que pour débouter M. X..., M. Y... et M. Z... de leur demande, l'arrêt énonce qu'à défaut pour eux de justifier d'une saisine préalable et vaine de la CIVI et du SARVI à fins d'indemnisation, la demande qu'ils ont présentée auprès de l'AGRASC est irrecevable ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les victimes justifiaient de ce qu'elles bénéficiaient d'une décision définitive leur octroyant des dommages-intérêts et de ce qu'elles n'avaient obtenu ni indemnisation, ni réparation, ni aide au recouvrement de la CIVI et du SARVI, la cour d'appel, ajoutant une condition que la loi ne prévoit pas, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 mai 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour MM. Y..., Z... et X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté MM. Serge X..., Alain Y... et Paul Z... de leur demande d'indemnisation par l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués ;
AUX MOTIFS QUE « l'article 706-164 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi du 9 juillet 2010 ayant créé l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (l'AGRASC) dispose :
« Toute personne physique qui, s'étant constituée partie civile, a bénéficié d'une décision définitive lui accordant des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait d'une infraction pénale ainsi que des frais en application des articles 375 ou 475-1 et qui n'a pas obtenu d'indemnisation ou de réparation en application des articles 706-3 ou 706-14, ou une aide au recouvrement en application de l'article 706-15-1, peut obtenir de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués que ces sommes lui soient payées prioritairement sur les biens de son débiteur dont la confiscation a été décidée par décision définitive.
L'Etat est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre l'auteur de l'infraction dans le respect du rang des privilèges et sûretés de droit civil. » ;
Qu'il est constant que M. Serge X..., M. Alain Y... et M. Paul Z... ont été victimes d'une infraction pénale (escroquerie) dont les auteurs ont été condamnés par arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 14 janvier 2005 devenu irrévocable à la suite du rejet du pourvoi intervenu le 22 février 2006 à leur payer des dommages et intérêts fixés, au profit de M. Serge X... et M. Alain Y... à la contre-valeur en euros de la somme de 2. 000. 000 $ US et au profit de M. Paul Z... à la contrevaleur en euros de la somme de 500. 000 $ US ; que la confiscation des deux tableaux « Madone de Sienne » attribué à Raphaël et « Cafe cantante le paralelo » de Picasso, acquis avec les fonds provenant de l'escroquerie, a été prononcée par la cour d'appel ; qu'il est ainsi acquis que M. Serge X..., M. Alain Y... et M. Paul Z... remplissent bien les premières conditions pour accéder à l'indemnisation prévue par l'article 706-164 ;
Considérant que ce texte ajoute à ces conditions de recevabilité de la demande d'indemnisation que la victime n'ait pas été indemnisée par ailleurs par la CIVI ou le SARVI ;
Que c'est à tort que le tribunal, se fondant sur les termes de la circulaire d'application du 28 février 2011 selon lesquels est recevable la personne « dont l'indemnisation par la CIVI ou le SARVI est impossible », a considéré qu'il suffisait que le demandeur établisse, comme en l'espèce, que son indemnisation par la CIVI ou le SARVI était impossible sans qu'il lui soit imposé de saisir ces organismes d'une demande préalable à la saisine de l'AGRASC ; qu'en effet, le texte d'une circulaire, outre qu'il n'a pas de valeur réglementaire, ne peut qu'éclairer l'application de ce texte de loi mais ne peut le modifier et qu'en l'espèce, les dispositions de l'article 706-164 sont suffisamment claires sur la nécessité pour le demandeur d'avoir tenté vainement d'être indemnisé par la CIVI ou le SARVI puisqu'il y est indiqué que la victime « n'a pas obtenu d'indemnisation ou de réparation en application des articles 706-3 ou 706-14, ou une aide au recouvrement en application de l'article 706-15-1 » et non « ne peut obtenir d'indemnisation ou de réparation » ;
Que les travaux parlementaires confirment la volonté du législateur de soumettre la recevabilité de la demande auprès de l'AGRASC à un refus d'indemnisation ou de réparation par un autre organisme puisqu'il y est indiqué que les parties civiles « ne devront pas avoir reçu d'indemnisation ou de réparation de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) ou du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) », ce qui suppose bien qu'une recherche d'indemnisation préalable ait été faite ;
Qu'enfin, il ne pourrait être laissé à l'appréciation de l'AGRASC le soin d'apprécier, en dehors de toute décision des organismes concernés, si la demande d'indemnisation du demandeur est irrecevable ou vouée à l'échec, cette appréciation ne pouvant relever que de la CIVI ou du SARVI ;
Qu'ainsi, il y a lieu de constater qu'à défaut pour les demandeurs de justifier d'une saisine préalable et vaine de la CIVI et du SARVI à fins d'indemnisation, la demande qu'ils ont présentée auprès l'AGRASC est irrecevable et a été à juste titre rejetée par l'agence ;
Que le jugement déféré sera infirmé et les intimés déboutés de toutes leurs demandes ;
Considérant que c'est en vain que les intimés invoquent les dispositions de l'article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme en soutenant que l'Etat français empêcherait l'exécution du jugement prononcé par la cour d'appel de Grenoble au travers de la confiscation des tableaux à son profit et de son refus de les indemniser à hauteur de la condamnation prononcée pourtant inférieure à la valeur de ces tableaux, alors que l'irrecevabilité de leur demande procède de leur choix de ne pas saisir la CIVI et le SARVI préalablement à la saisine de l'AGRASC » ;
1/ ALORS QUE toute personne constituée partie civile qui bénéficie d'une décision définitive lui accordant des dommages et intérêts et dont l'indemnisation par la CIVI ou le SARVI est impossible peut obtenir de l'AGRASC que ces dommages et intérêts lui soient payés prioritairement sur les biens de son débiteur dont la confiscation a été décidée de manière définitive ; que l'indemnisation par l'AGRASC n'est donc pas conditionnée à une saisine préalable de la CIVI ou du SARVI mais à l'impossibilité d'obtenir de ces organismes une indemnisation ; qu'en décidant pourtant en l'espèce, pour débouter les exposants de leur demande d'indemnisation auprès de l'AGRASC, qu'« il y a lieu de constater qu'à défaut pour les demandeurs de justifier d'une saisine préalable et vaine de la CIVI et du SARVI à fins d'indemnisation, la demande qu'ils ont présentée auprès l'AGRASC est irrecevable et a été à juste titre rejetée par l'agence » (arrêt, p. 6, alinéa 2), la cour d'appel a violé l'article 706-164 du code de procédure pénale ;
2/ ALORS ET EN TOUT ETAT DE CAUSE QUE méconnaît le droit de chaque justiciable à un procès équitable, l'Etat qui ne prend aucune mesure pour parvenir à l'exécution, en faveur de la victime, d'une décision de justice définitive et obligatoire ; qu'en l'espèce, le tribunal correctionnel de Grenoble a, par jugement du 2 juin 2003, ordonné l'indemnisation de MM. Z..., Y... et X..., ainsi que la confiscation des tableaux de maître acquis par MM. A..., B...et C...; que l'arrêt confirmatif du 14 janvier 2015 est devenu définitif à la suite du rejet du pourvoi par la chambre criminelle le 25 janvier 2006 ; que près de dix ans après cette dernière décision, l'impécuniosité des auteurs de l'infraction et le refus opposé par l'AGRASC ont empêché toute indemnisation des exposants, et ce alors même que les tableaux de maître, produits de l'infraction acquis avec leurs fonds, sont entre les mains de l'Etat ; qu'en rejetant pourtant la demande des exposants tendant à l'exécution d'une condamnation indemnitaire définitive prononcée à leur profit, cependant que ce rejet leur imposait une charge exorbitante et disproportionnée, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté MM. Serge X..., Alain Y... et Paul Z... de leur demande d'indemnisation par l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués ;
AUX MOTIFS QUE « l'article 706-164 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi du 9 juillet 2010 ayant créé l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (l'AGRASC) dispose :
« Toute personne physique qui, s'étant constituée partie civile, a bénéficié d'une décision définitive lui accordant des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait d'une infraction pénale ainsi que des frais en application des articles 375 ou 475-1 et qui n'a pas obtenu d'indemnisation ou de réparation en application des articles 706-3 ou 706-14, ou une aide au recouvrement en application de l'article 706-15-1, peut obtenir de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués que ces sommes lui soient payées prioritairement sur les biens de son débiteur dont la confiscation a été décidée par décision définitive.
L'Etat est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre l'auteur de l'infraction dans le respect du rang des privilèges et sûretés de droit civil. » ;
Qu'il est constant que M. Serge X..., M. Alain Y... et M. Paul Z... ont été victimes d'une infraction pénale (escroquerie) dont les auteurs ont été condamnés par arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 14 janvier 2005 devenu irrévocable à la suite du rejet du pourvoi intervenu le 22 février 2006 à leur payer des dommages et intérêts fixés, au profit de M. Serge X... et M. Alain Y... à la contre-valeur en euros de la somme de 2. 000. 000 $ US et au profit de M. Paul Z... à la contrevaleur en euros de la somme de 500. 000 $ US ; que la confiscation des deux tableaux « Madone de Sienne » attribué à Raphaël et « Cafe cantante le paralelo » de Picasso, acquis avec les fonds provenant de l'escroquerie, a été prononcée par la cour d'appel ; qu'il est ainsi acquis que M. Serge X..., M. Alain Y... et M. Paul Z... remplissent bien les premières conditions pour accéder à l'indemnisation prévue par l'article 706-164 ;
Considérant que ce texte ajoute à ces conditions de recevabilité de la demande d'indemnisation que la victime n'ait pas été indemnisée par ailleurs par la CIVI ou le SARVI ;
Que c'est à tort que le tribunal, se fondant sur les termes de la circulaire d'application du 28 février 2011 selon lesquels est recevable la personne « dont l'indemnisation par la CIVI ou le SARVI est impossible », a considéré qu'il suffisait que le demandeur établisse, comme en l'espèce, que son indemnisation par la CIVI ou le SARVI était impossible sans qu'il lui soit imposé de saisir ces organismes d'une demande préalable à la saisine de l'AGRASC ; qu'en effet, le texte d'une circulaire, outre qu'il n'a pas de valeur réglementaire, ne peut qu'éclairer l'application de ce texte de loi mais ne peut le modifier et qu'en l'espèce, les dispositions de l'article 706-164 sont suffisamment claires sur la nécessité pour le demandeur d'avoir tenté vainement d'être indemnisé par la CIVI ou le SARVI puisqu'il y est indiqué que la victime « n'a pas obtenu d'indemnisation ou de réparation en application des articles 706-3 ou 706-14, ou une aide au recouvrement en application de l'article 706-15-1 » et non « ne peut obtenir d'indemnisation ou de réparation » ;
Que les travaux parlementaires confirment la volonté du législateur de soumettre la recevabilité de la demande auprès de l'AGRASC à un refus d'indemnisation ou de réparation par un autre organisme puisqu'il y est indiqué que les parties civiles « ne devront pas avoir reçu d'indemnisation ou de réparation de la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) ou du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) », ce qui suppose bien qu'une recherche d'indemnisation préalable ait été faite ;
Qu'enfin, il ne pourrait être laissé à l'appréciation de l'AGRASC le soin d'apprécier, en dehors de toute décision des organismes concernés, si la demande d'indemnisation du demandeur est irrecevable ou vouée à l'échec, cette appréciation ne pouvant relever que de la CIVI ou du SARVI ;
Qu'ainsi, il y a lieu de constater qu'à défaut pour les demandeurs de justifier d'une saisine préalable et vaine de la CIVI et du SARVI à fins d'indemnisation, la demande qu'ils ont présentée auprès l'AGRASC est irrecevable et a été à juste titre rejetée par l'agence ;
Que le jugement déféré sera infirmé et les intimés déboutés de toutes leurs demandes ;
Considérant que c'est en vain que les intimés invoquent les dispositions de l'article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme en soutenant que l'Etat français empêcherait l'exécution du jugement prononcé par la cour d'appel de Grenoble au travers de la confiscation des tableaux à son profit et de son refus de les indemniser à hauteur de la condamnation prononcée pourtant inférieure à la valeur de ces tableaux, alors que l'irrecevabilité de leur demande procède de leur choix de ne pas saisir la CIVI et le SARVI préalablement à la saisine de l'AGRASC » ;
ALORS QUE la cour d'appel qui décide que la demande dont elle est saisie est irrecevable excède ses pouvoirs en la rejetant au fond ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, après avoir retenu dans ses motifs que la demande des exposants « auprès de l'AGRASC est irrecevable », les a, dans le dispositif de sa décision, « déboutés » de leur demande d'indemnisation, excédant ainsi ses pouvoirs en violation de l'article 122 du code de procédure civile.