LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 2270-1 du code civil, alors applicable, tel qu'interprété à la lumière de l'article 10 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux ;
Attendu qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêts du 4 juillet 2006, Adeneler, C-212/04 et du 15 avril 2008, Impact, C-268/06), que l'obligation pour le juge national de se référer au contenu d'une directive lorsqu'il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment les principes de sécurité juridique ainsi que de non-rétroactivité, et que cette obligation ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a reçu, en mars, avril et septembre 1996, trois injections du vaccin contre l'hépatite B, dénommé GenHevac B, produit par la société Sanofi Pasteur MSD (la société) ; qu'il a présenté, en avril 1997, une sclérose en plaques dont il a imputé la survenue à sa vaccination ; qu'après avoir, en 2002, fait ordonner une expertise en référé, il a, en 2009, assigné la société en responsabilité et indemnisation de son préjudice, sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du code civil ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable comme prescrite cette action, l'arrêt retient que le vaccin a été mis en circulation après le délai de transposition de la directive précitée et avant l'entrée en vigueur de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, transposant la directive aux articles 1386-1 et suivants du code civil, que la directive est directement applicable en droit interne à compter du 30 juillet 1988, que son article 10 prévoit une prescription de trois ans dont le point de départ est fixé à la date de la connaissance du défaut du produit, et que M. X... a eu connaissance de l'existence d'un risque possible d'apparition de sa maladie au plus tard, en 2002, lorsqu'il a sollicité une expertise en référé ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'action en responsabilité extracontractuelle dirigée contre le producteur d'un produit dont le caractère défectueux est invoqué, qui a été mis en circulation après l'expiration du délai de transposition de la directive, mais avant la date d'entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 transposant cette directive, se prescrit, selon les dispositions du droit interne, qui ne sont pas susceptibles de faire l'objet sur ce point d'une interprétation conforme au droit de l'Union, par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé, permettant seule au demandeur de mesurer l'étendue de son dommage et d'avoir ainsi connaissance de celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés, le premier par refus d'application, le second par fausse application ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 novembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la société SANOFI Pasteur MSD aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la SCP Boré et Salve de Bruneton la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour M. X...
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR déclaré irrecevables les demandes de M. Jean-Luc X... ;
AUX MOTIFS QUE M. X... fonde ses prétentions sur les dispositions des articles 1386-1 et suivants du Code civil à savoir la responsabilité du fait des produits défectueux ; que l'article 1386-17 du Code civil dispose que l'action en réparation fondée sur les dispositions du présent titre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur aurait du avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur ; que s'il est exact que cette disposition résulte d'une loi du 19 mai 1998 qui n'était donc pas applicable à la date d'injection du vaccin GenHevac B à M. X..., les premiers juges ont justement relevé que cette rédaction résultait de la transposition en droit français de la directive européenne 85/374 du 25 juillet 1985 ; qu'il n'est pas contestable, et les parties s'accordent sur ce point, que cette directive est directement applicable en droit interne à compter du 30 juillet 1988, soit trois ans après sa notification ; que, plus précisément, s'agissant de la prescription, l'article 10 de la directive est ainsi rédigé : « Les Etats membres prévoient dans leur législation que l'action en réparation prévue par la présente directive se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur » ; que comme l'a relevé le premier juge, M. X... a eu connaissance de son atteinte par une sclérose en plaques en avril 1997 ; que dès l'année 2002, il a identifié le producteur du produit prétendument défectueux puisqu'il l'a assigné en référé expertise ; que l'appelant soutient par ailleurs qu'il n'a eu connaissance du défaut du produit qu'en 2008 et 2009, date d'arrêts rendus par la Cour de cassation ; qu'à suivre son raisonnement, il aurait eu connaissance du défaut du produit au jour du prononcé de décisions de justice qui auraient admis le principe d'une défectuosité dans le fait de ne pas fournir sur la notice du produit une information sur le risque au titre des effets secondaires indésirables possibles de l'apparition de la sclérose en plaques, alors que cette information figure sur les notices actuelles et le dictionnaire Vidal ; que toutefois, la date de la connaissance du défaut, en l'espèce le défaut d'information sur un risque possible d'apparition d'une maladie, est un fait juridique dont la preuve s'apprécie non par rapport à des décisions de justice qui ne peuvent avoir valeur d'arrêts de règlement mais en fonction d'éléments concrets établissant l'information qu'a la victime de l'existence d'un risque encouru ; qu'en l'espèce, la connaissance de l'existence de ce risque par M. X... peut être fixée au plus tard à l'année 2002, date à laquelle il a fait assigner en référé expertise la société Sanofi Pasteur Msd afin de déterminer le lien possible de causalité entre la vaccination par le vaccin GenHevac B et l'apparition de sa maladie, admettant ainsi nécessairement par son action qu'il considérait comme possible l'existence de ce lien et donc d'un défaut du produit ; que le délai de prescription n'a pas été suspendu pendant les opérations d'expertise, les dispositions de l'article 2239 du Code civil n'étant pas alors applicables et, en tout état de cause, ce délai aurait été reporté au plus tard au 29 juin 2004, date du dépôt du rapport ; qu'enfin, c'est vainement que l'appelant se prévaut de ce que son état ne serait pas consolidé alors que la règle, reprise par les dispositions de l'article 2226 du Code civil, selon laquelle le délai de prescription ne court qu'à compter du jour de la consolidation ne peut trouver application lorsque, comme en l'espèce, un texte particulier a défini un régime spécifique de prescription ; que M. X... a engagé son action au fond le 14 septembre 2009, soit plus de trois ans après l'expiration du délai de prescription, et le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de M. X... et de la CPAM du Lot (arrêt, de la p. 5, al. 1er des motifs de la décision, à la p. 6, al. antépénultième) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE l'article 2226 du Code civil, qui prévoit que l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel se prescrit par 10 ans à compter de la date de la consolidation du dommage, constitue un texte général, applicable en l'absence de texte particulier ; que s'agissant de la responsabilité du fait des produits défectueux, l'article 1386-17 organise une prescription triennale à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur ; que bien qu'issue de la loi du 19 mai 1998, postérieure aux injections du vaccin litigieux, cette rédaction résulte de la transposition en droit français de l'article 10 de la directive 85/374 en date du 25 juillet 1985 du Conseil des Communautés Européennes, dont les dispositions sont applicables aux faits postérieurs à la date limite de transposition, soit le 30 juillet 1988 ; que ces modalités de prescription triennale sont ainsi applicables aux faits de l'espèce ; que M. X... a eu connaissance de son atteinte par une sclérose en plaques en avril 1997 ; que bien que l'ordonnance de référé ne soit pas communiquée aux dossiers des parties, il résulte de leurs écritures et du rapport d'expertise du 29 juin 2004 versé au débat que M. X... a agi en justice en 2002 à l'encontre de la société Sanofi Pasteur Msd aux fins de désignation d'un expert ayant pour mission de déterminer l'existence d'un lien de causalité entre sa vaccination et l'apparition de la sclérose en plaques ; qu'il invoquait donc dès cette période un défaut du produit d'un producteur identifié ; que les conditions du point de départ de la prescription triennale étant remplies, la prescription était ainsi acquise trois ans après le dépôt du rapport d'expertise, soit le 30 juin 2007 ; que le fait que des décisions jurisprudentielles aient postérieurement précisé la notion du défaut du produit n'emporte pas réouverture du délai de prescription ; que l'assignation engageant la présente instance ayant été délivrée le 14 septembre 2009, l'action de M. X... est prescrite (jugement, de la p. 2, al. antépénultième, à la p. 3, al. 1er) ;
ALORS QUE l'action en responsabilité extracontractuelle dirigée contre le fabricant d'un produit défectueux mis en circulation avant la loi du 19 mai 1998 transposant la directive du 24 juillet 1985, à raison d'un dommage survenu entre l'expiration du délai de transposition de cette directive et l'entrée en vigueur de cette loi, se prescrit, selon les dispositions de droit interne alors en vigueur, par dix ans à compter de la manifestation du dommage ; qu'en jugeant que l'action de M. X... était soumise à une prescription de trois ans, cependant qu'elle avait constaté elle-même que le produit défectueux avait été mis en circulation avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 et que M. X... avait été vacciné en 1996, ce dont il résultait que seule la prescription de droit commun de dix ans avait vocation à s'appliquer, la Cour d'appel a violé l'article 2270-1 du Code civil.