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14/12/2016 | FRANCE | N°14-25800

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 14 décembre 2016, 14-25800


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 26 juin 2014) que M. X..., domicilié en Belgique où il exerce son activité professionnelle, a sollicité son admission au barreau de Grasse sous le bénéfice de la dispense de formation et de diplôme prévue à l'article 98, 5°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, pour les juristes attachés, pendant huit ans au moins, à l'activité juridique d'une organisation syndicale ;

Sur le moyen unique, pris en sa

première branche :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter sa de...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 26 juin 2014) que M. X..., domicilié en Belgique où il exerce son activité professionnelle, a sollicité son admission au barreau de Grasse sous le bénéfice de la dispense de formation et de diplôme prévue à l'article 98, 5°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, pour les juristes attachés, pendant huit ans au moins, à l'activité juridique d'une organisation syndicale ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'inscription au barreau de Grasse, alors, selon le moyen, que l'article 11 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques méconnaît le principe d'égalité, et de libre accession à une profession ou à une activité économique ; qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité de ce texte qui interviendra, l'arrêt attaqué rendu en application de cette loi se trouvera privé de base légale au regard des articles 4 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la Cour de cassation ne pourra que l'annuler ;

Mais attendu que, par décision n° 2016-551 QPC du 6 juillet 2016, le Conseil constitutionnel a dit que les mots « et de celles concernant les personnes ayant exercé certaines fonctions ou activités en France », figurant au 2° de l'article 11 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, sont conformes à la Constitution ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur la seconde branche du moyen :

Attendu que M. X... fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que la libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union ; qu'elle implique l'abolition non seulement de toutes discriminations ostensibles fondées sur la nationalité, mais encore de toutes formes dissimulées de discriminations, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande de M. X... tendant à obtenir son inscription au tableau de l'ordre des avocats au barreau de Grasse, la cour d'appel a retenu que « l'activité juridique visée à l'article 98, 5 °, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 doit avoir été exercée sur un territoire français, comme preuve de l'expérience du droit français ; que c'est la prise en compte de l'expérience pratique de l'application du droit français qui permet au requérant de passer outre les épreuves d'admission au certificat français d'aptitude à la profession d'avocat et d'être inscrit à un barreau français comme avocat selon la procédure dérogatoire prévue à l'article 98, 5°, du décret du 27 novembre 1991 [et] que cette exigence n'est aucunement discriminatoire vis-à-vis des ressortissants d'autres Etats membres de l'Union européenne ; qu'elle n'a aucun lien avec la nationalité du requérant » ; qu'en statuant ainsi, quand cette exigence, fondée sur un critère de territorialité, est susceptible de procurer un avantage aux citoyens français sur les candidats, ressortissants d'autres Etats membres de l'Union européenne, la cour d'appel a violé l'article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

Mais attendu que, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, l'ensemble des dispositions du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives à la libre circulation des personnes vise à faciliter l'exercice des activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l'Union et s'oppose aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu'ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d'un autre Etat membre ; qu'une mesure qui entrave la libre circulation des travailleurs ne peut être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général, à condition que l'application d'une telle mesure soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (arrêt du 10 mars 2011, C-379/09, Casteels, points 21 et 22 ; arrêt du 8 novembre 2011, C-461/11, Radziejewski, point 33) ;

Et attendu que l'arrêt relève que l'activité juridique visée à l'article 98, 5°, du décret du 27 novembre 1991, doit avoir été exercée sur le territoire français, dès lors que la prise en compte de cette expérience permet de passer outre les épreuves d'admission au certificat français d'aptitude à la profession d'avocat selon la procédure dérogatoire prévue par ce texte ; qu'il ajoute que cette condition, indépendante de la nationalité du requérant, n'est pas discriminatoire à l'égard des ressortissants d'autres Etats membres de l'Union européenne, qui peuvent la remplir s'ils ont travaillé en France, et qu'elle est indispensable pour garantir les connaissances et qualifications nécessaires à l'exercice de cette profession sur le territoire national ; que la cour d'appel a ainsi fait ressortir que cette réglementation se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général de protection des justiciables, qu'elle est propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et qu'exigeant des connaissances et qualifications de nature à protéger les droits de la défense et la bonne administration de la justice, elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze décembre deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour M. X....

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé la décision du Conseil de l'ordre en ce qu'il avait rejeté la demande d'inscription au tableau de l'ordre de Monsieur X... justifiant de plus de huit années de pratique professionnelle comme juriste attaché à l'activité juridique d'une organisation syndicale ;

AUX MOTIFS QUE « Monsieur X... né à Ixelles (Belgique) le 21 avril 1968, et résidant actuellement à Nivelles (Belgique), a réussi dans le cadre d'études effectuées à l'université libre de Bruxelles le 1er juillet 1994 les examens « de 3E licence en droit au grade légal » et lui a été conféré le grade de licencié au grade légal ;

que l'université libre de Bruxelles, atteste que le 18 septembre 1995, Monsieur X... a obtenu la licence spéciale en droit ;

que Monsieur X... a sollicité son inscription au tableau de l'ordre en invoquant plus de 8 ans de pratique professionnelle au titre de juriste d'une organisation syndicale ;

que selon l'article 98 paragraphe 5° du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 : « sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat :
5° Les juristes attachés pendant huit ans au moins à l'activité juridique d'une organisation syndicale » ;

que suivant contrat de travail à durée indéterminée non daté, Monsieur X... a été embauché à compter du 2 juillet 2004 par la chambre de commerce d'industrie du Brabant-Wallon ;

qu'il avait pour fonction : « d'assumer la fonction de responsable de projet dans le cadre du service environnement de la chambre de commerce et d'industrie du Brabant-Wallon, le traitement et le suivi des dossiers à caractère juridique, « services de première ligne », ainsi que toutes missions relations avec l'assistance aux entreprises ; que cette mission consiste entre autres à détecter et identifier les entreprises intéressées par l'environnement, à traiter les dossiers d'aide aux entreprises » ;

que Monsieur Y..., directrice du département expertises et coordination de l'agence bruxelloise pour l'entreprise, certifie que Monsieur X... a travaillé comme expert coordinateur pour cette institution du 1er juin 2013 au 29 septembre 2013 avec pour mission :
- la détection des risques et opportunités de délocalisation de projets à enjeux socio-économiques majeurs pour la région de Bruxelles – Capitale ;
- l'accompagnement des projets précités ;
- le secrétariat du Conseil de coordination économique ;
que l'office national des pensions de Bruxelles indique que Monsieur X... a travaillé :
- en 1991 comme employé,
- en 1995 comme employé,
- 56 jours en 1997 et 15 jours en 1998 comme ouvrier,
- puis de 1998 à 2011 comme employé ;
que Monsieur X... indique avoir exercé une activité juridique au sein d'organisations syndicales en Belgique ;
que Monsieur X... n'a en conséquence exercé aucune activité juridique sur le territoire français ;
que l'activité juridique visée à l'article 98.5° du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 doit avoir été exercée sur un territoire français, comme preuve de l'expérience du droit français ;
que c'est la prise en compte de l'expérience pratique de l'application du droit français qui permet au requérant de passer outre les épreuves d'admission au certificat français d'aptitude à la profession d'avocat et d'être inscrit à un barreau français comme avocat selon la procédure dérogatoire prévue à l'article 98.5° du décret du 27 novembre 1991 ;
que cette exigence n'est aucunement discriminatoire vis-à-vis des ressortissants d'autres Etats membres de l'Union Européenne ; qu'elle n'a aucun lien avec la nationalité du requérant ;
que Monsieur X... ne répond donc pas aux exigences du texte précité ;
qu'il convient de rejeter le recours présenté par Monsieur X... les 4 et 5 décembre 2013 contre la décision rendue le 18 octobre 2013 par le CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE GRASSE »

1/ ALORS QUE l'article 11 de la Loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques méconnaît le principe d'égalité, et de libre accession à une profession ou à une activité économique ; qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité de ce texte qui interviendra, l'arrêt attaqué rendu en application de cette loi se trouvera privé de base légale au regard des articles 4 et 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et la Cour de cassation ne pourra que l'annuler ;

2/ ALORS QUE la libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union ; qu'elle implique l'abolition non seulement de toutes discriminations ostensibles fondées sur la nationalité, mais encore de toutes formes dissimulées de discriminations, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande de Monsieur X... tendant à obtenir son inscription au tableau de l'ordre des Avocats du Barreau de Grasse, la cour d'appel a retenu que « l'activité juridique visée à l'article 98.5° du décret 91-1197 du 27 novembre 1991 doit avoir été exercée sur un territoire français, comme preuve de l'expérience du droit français ; que c'est la prise en compte de l'expérience pratique de l'application du droit français qui permet au requérant de passer outre les épreuves d'admission au certificat français d'aptitude à la profession d'avocat et d'être inscrit à un barreau français comme avocat selon la procédure dérogatoire prévue à l'article 98.5 ° du décret du 27 novembre 1991 [et] que cette exigence n'est aucunement discriminatoire vis-à-vis des ressortissants d'autres Etats membres de l'Union européenne ; qu'elle n'a aucun lien avec la nationalité du requérant » ; qu'en statuant ainsi, quand cette exigence, fondée sur un critère de territorialité, est susceptible de procurer un avantage aux citoyens français sur les candidats, ressortissants d'autres Etats membres de l'Union européenne, la cour d'appel a violé l'article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 14-25800
Date de la décision : 14/12/2016
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

AVOCAT - Barreau - Inscription au tableau - Conditions particulières - Article 98 du décret du 27 novembre 1991 - Activité juridique exercée sur le territoire national - Nécessité - Article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne - Libre circulation des travailleurs - Compatibilité

AVOCAT - Barreau - Inscription au tableau - Conditions - Conditions de formation et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat - Dispense - Article 98 du décret du 27 novembre 1991 - Activité juridique exercée sur le territoire national - Nécessité - Article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne - Libre circulation des travailleurs - Compatibilité UNION EUROPEENNE - Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne - Article 45 - Libre circulation des travailleurs - Compatibilité - Accès à la profession d'avocat - Article 98 du décret du 27 novembre 1991 - Activité juridique exercée sur le territoire national - Nécessité

L'exigence d'une activité juridique exercée sur le territoire national pour bénéficier de la dispense de formation et de diplôme prévue à l'article 98 du décret du 27 novembre 1991 n'est pas contraire à l'article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dès lors que cette réglementation se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général de protection des justiciables, qu'elle est propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et qu'exigeant des connaissances et qualifications de nature à protéger les droits de la défense et la bonne administration de la justice, elle n'excède pas ce qui est nécessaire pour l'atteindre


Références :

article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

article 98 du décret du 27 novembre 1991

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 26 juin 2014

Sur la nécessité d'une pratique professionnelle exercée sur le territoire français, à rapprocher :1re Civ., 15 juillet 1999, pourvoi n° 97-13079, Bull. 1999, I, n° 235 (cassation) ;1re Civ., 28 mars 2008, pourvoi n° 06-21051, Bull. 2008, I, n° 90 (cassation)

arrêt cité


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 14 déc. 2016, pourvoi n°14-25800, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat général : M. Sudre
Rapporteur ?: Mme Wallon
Avocat(s) : SCP Bénabent et Jéhannin, SCP Zribi et Texier

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:14.25800
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