LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 4 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 26 novembre 2008, la société IGE a conclu avec la société Prodim, devenue la société Carrefour proximité France (la société CPF), un contrat de licence d'enseigne, et avec la société CSF France, aux droits de laquelle est venue la société CSF, un contrat d'approvisionnement prioritaire prévoyant une durée d'exécution de cinq ans devant arriver à échéance le 25 novembre 2013 ; que la société IGE ayant résilié les contrats le 20 février 2010, les sociétés CSF et CPF l'ont assignée en réparation des préjudices résultant de la rupture avant leur terme des contrats ;
Attendu que pour rejeter les demandes de dommages-intérêts des sociétés CSF et CPF, l'arrêt retient que la société IGE indique, sans être démentie, qu'à la suite des difficultés de trésorerie qu'elle a rencontrées au cours de l'année 2009 ayant entraîné des incidents de paiement de ses factures, la société CSF a exigé le règlement comptant avec chèque de banque et refusé de rétablir les conditions de paiement initial, même lorsque sa situation était redevenue normale ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la société CSF avait dénié avoir jamais contraint la société IGE à régler les commandes au comptant, par chèques de banque, la cour d'appel, qui a modifié les termes du litige, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette les demandes de dommages-intérêts des sociétés CSF et Carrefour proximité France et statue sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, l'arrêt rendu, le 27 novembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt; et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne la société IGE aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer aux sociétés CSF et Carrefour proximité France la somme globale de 3 000 euros et rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Odent et Poulet, avocat aux Conseils, pour la société CSF et la société Carrefour proximité France
II est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris, en ce qu'il avait débouté les sociétés CSF France et Carrefour Proximité France de leurs demandes de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QU'aux termes du contrat d'approvisionnement intitulé «Négoce Plus », la société IGE ne s'était effectivement pas engagée à s'approvisionner de façon exclusive auprès de la société CSF France, le contrat stipulant que le client s'engage à s'approvisionner « de façon prioritaire auprès du fournisseur ou auprès des fournisseurs que le fournisseur a spécialement agréés », le contrat ne prévoyait cependant aucun volume, aucun pourcentage déterminé ; que, d'autre part, le contrat avait effectivement été souscrit pour une durée de cinq ans, avec tacite reconduction par période de trois ans et n'offrait aucune possibilité de résiliation anticipée au client ; que l'article 10 du contrat prévoyait, en effet, une résiliation par anticipation, de plein droit et sans préavis en cas de cessation de paiement, redressement judiciaire ou liquidation judiciaire du client, et une résiliation pour inexécution au bénéfice du fournisseur, 15 jours après l'envoi d'une lettre de mise en demeure rappelant les griefs et l'intention de celui-ci ; que, d'autre part, le contrat ne comportait aucune indication relative aux modalités de règlement, le paragraphe 7.1 du contrat n'ayant pas été complété sur ce point ; qu'il était exact cependant que le paragraphe 7.2 stipulait expressément que tout retard ou tout incident de paiement pourrait être considéré par le fournisseur, à son seul gré et sans mise en demeure préalable, comme un manquement pouvant entraîner la rupture du contrat sans préavis, ni indemnité au profit du client, et que le paragraphe 7.4 autorisait le fournisseur, en présence d'un incident de paiement, à suspendre toutes les livraisons et tous services au profit du client, sauf si ce dernier proposait un paiement comptant à la livraison par chèque de banque ; que la SARL IGE, sans être démentie sur ce point, exposait qu'elle avait rencontré, dans le courant de 2009, des difficultés de trésorerie passagères entraînant quelques incidents de paiement de factures, à la suite desquels la société CSF France avait exigé le règlement comptant avec un chèque de banque, puis avait suspendu les livraisons de produits, et ce à compter du mois d'avril 2009, refusant de rétablir les conditions de paiement initial, même quand la situation de la SARL IGE était redevenue normale ; que la SARL IGE expliquait que, faute de pouvoir se soumettre aux conditions draconiennes imposées par la société CSF, et ne recevant plus les produits commandés, elle avait été contrainte de dénoncer le contrat, en adressant un courrier le 10 février 2010 ; qu'il était vrai que ce courrier ne formulait aucun grief particulier ; que force était cependant de constater que la société CSF, qui avait fait application des dispositions des articles 7.2 et 7.4 ci-dessus rappelées, ne justifiait pas avoir formulé un quelconque grief, ni avoir adressé une mise en demeure de payer à la SARL IGE, se contentant d'adresser une mise en demeure d'avoir à reprendre les approvisionnements, le 7 décembre 2009, alors qu'elle ne pouvait ignorer les motifs ayant conduit la SARL IGE à ne plus passer commande ; que les conventions doivent être exécutées de bonne foi ; que la société CSF France ne pouvait valablement soutenir que la rupture du contrat était intervenue brutalement et de façon fautive en février 2010, sans motif et à la seule initiative de la SARL IGE, alors que depuis le mois d'avril, elle avait cessé toute livraison, après avoir modifié les conditions de règlement, en exigeant un paiement au comptant qui n'était pas justifié et que la SARL IGE ne pouvait en tout état de cause assumer ; que s'il n'était effectivement pas question pour la société CSF de poursuivre une relation contractuelle sans s'assurer d'être payée, il lui appartenait d'exécuter loyalement les termes du contrat et de tirer toutes les conséquences de la défaillance, à la supposer établie, de la SARL IGE, en faisant application de l'ensemble des dispositions de l'article 7 et de l'article 10, et en mettant un terme au contrat comme elle en avait la possibilité, au lieu d'en exiger l'exécution forcée et de tenter d'obtenir une indemnisation qui n'avait pas été contractuellement prévue ; qu'aucune faute ne pouvait donc être retenue à l'encontre de la SARL IGE ; qu'il convenait en conséquence de confirmer la décision qui avait débouté la société CSF France de sa demande de dommages-intérêts ; quant à l'apurement des comptes entre les parties, il est exact que le tribunal n'était saisi d'aucune demande, les parties n'ayant pas formulé de demandes en ce sens ; la société CSF demande à la cour de réformer la décision ; la SARL IGE sollicite la confirmation du jugement, sans formuler d'observations ni émettre de prétentions sur ce point : les pièces produites ne permettent pas de vérifier si les parties sont effectivement créancières l'une de l'autre et si après compensation la société CSF est ou non redevable de la somme de 2 695, 72 € retenue par le tribunal ; il convient en conséquence de réformer le jugement en ce qu'il a condamné la SAS CSF France après compensation, à payer à la SARL IGE la somme de 2 695,72 euros ; en ce qui concerne enfin les dispositions du jugement relatives au contrat liant la SARL IGE et la société CARREFOUR PROXIMITE France, la cour relève que la SARL IGE n'a pas relevé appel incident se contentant de demander la confirmation ; il convient en conséquence de confirmer la décision en ce qu'elle a condamné la SARL IGE à payer à la société CARREFOUR PROXIMITE France la somme de 3 800 € en remboursement des travaux réalisés pour l'aménagement du magasin en application de l'article 5 de la convention, en l'absence de toute discussion sur ce point ; la société CARREFOUR PROXIMITE France sollicite la réformation du jugement en ce qu'elle a été déboutée de sa demande d'indemnité, soutenant que la SARL IGE ne justifie d'aucun motif pour résilier le contrat et doit payer les redevances prévues par celui-ci jusqu'à son échéance ; la SARL IGE fait justement valoir que deux contrats étaient intimement liés, que le contrat de licence d'enseigne, en raison de son objet même, ne pouvait se poursuivre, dès lors que le contrat d'approvisionnement était rompu ; la rupture du contrat ne peut donc être qualifiée de fautive ; il convient en conséquence de confirmer la décision sur ce point
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE sur le contrat CSF France et IGE attendu que ce contrat stipule une obligation d'approvisionnement prioritaire de la société IGE auprès de son cocontractant ; que toutefois cette convention ne stipule aucune obligation d'approvisionnement exclusif; qu'elle ne prévoit pas plus un volume de commande ou de chiffre d'affaire minimum à réaliser ; que dès lors, la convention ne faisant nullement interdiction à la requise de s'approvisionner chez un autre fournisseur ; qu'aucune faute ne saurait être retenue à rencontre de la partie requise ; que ce contrat ne prévoit aucun jour de règlement des factures après réception de cellesci ; que dès lors, en l'absence de modalités de paiement clairement définies, la partie requérante ne saurait opposer une quelconque faute à son cocontractant ; que l'article 10 de ce contrat relatif à la résiliation anticipée de la convention présente un caractère manifestement abusif; qu'en effet, les clauses de sorties ne prévoient aucune réciprocité ; que dès lors la partie requise pouvait légitimement procéder à la résiliation de la convention liant les parties ; que sur ce point, la société CSF ne saurait dès lors prétendre à une quelconque compensation financière, celle-ci n'étant pas contractuellement prévue ; que la société CSF ne justifie par ailleurs d'aucun préjudice lié à la résiliation de la convention ; qu'en l'absence de préjudice, la requérante ne saurait pas plus prétendre à une quelconque compensation financière de nature indemnitaire ;
1° ALORS QUE les juges du fond ne peuvent méconnaître les termes du litige, tels qu'ils ont été fixés par les conclusions des parties ; qu'en ayant énoncé que la SARL IGE avait exposé, sans être démentie sur ce point, avoir rencontré des difficultés de trésorerie dans le courant de l'année 2009, ayant entraîné quelques incidents de paiement de ses factures, à la suite desquels la société CSF avait exigé le règlement comptant avec chèque de banque et ce, à compter du mois d'avril 2009, refusant ainsi de rétablir les conditions de paiement initial, même lorsque la situation de la société IGE était redevenue normale, quand la société CSF avait nié avoir jamais contraint sa cocontractante à régler les commandes au comptant, par chèques de banque, la cour d'appel a modifié les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2° ALORS QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes des conclusions des parties ; qu'en ayant énoncé que la société CSF n'avait pas nié avoir obligé la SARL IGE à régler ses commandes au comptant, par chèques de banque, alors que la société CSF avait souligné qu'il s'agissait là d'une affirmation gratuite de sa cocontractante et qu'elle n'avait jamais formulé une telle exigence (conclusions des exposantes, p. 12 § 6), la cour d'appel a dénaturé les termes des conclusions des exposantes, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
3° ALORS QUE le créancier d'une obligation inexécutée a toujours le choix entre solliciter la résiliation du contrat ou en poursuivre l'exécution forcée ; qu'en retenant à la charge de la société CSF de ne pas avoir prononcé la résolution du contrat, comme elle en avait la faculté, et d'avoir voulu en poursuivre l'exécution forcée, la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil ;
4° ALORS QUE la résiliation avant terme d'un contrat en cours, sans aucun motif, est fautive ; qu'ayant constaté que la SARL IGE avait, par courrier du 10 février 2010, dénoncé, sans formuler de grief particulier, le contrat d'approvisionnement en cours, sans en déduire que la rupture du contrat était fautivement intervenue à son initiative, la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil ;
5° ALORS QUE la bonne foi contractuelle ne peut aboutir à modifier les obligations contractuelles pesant sur les parties ; qu'en ayant, sous prétexte de bonne foi contractuelle, imputé à faute à la société CSF d'avoir appliqué les clauses du contrat relatives à l'obligation d'approvisionnement pesant sur la société IGE et à son obligation de payer les marchandises livrées, lesquelles clauses étaient de l'essence de la convention, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1184 du code civil ;
6° ALORS QUE la rupture fautive d'un contrat en cours emporte indemnisation du préjudice qui s'en est ensuivi ; qu'en ayant reproché à la société CSF d'avoir poursuivi le paiement d'une indemnisation qui n'était pas contractuellement prévue (arrêt, p. 6 § 4 in fine), quand une telle indemnisation découlait nécessairement de la rupture fautive du contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1184 du code civil ;
7° ALORS QUE la rupture avant terme d'un contrat d'approvisionnement à durée déterminée se résout par des dommages-intérêts compensant la perte du bénéfice attendu du contrat, pour la période restant à courir jusqu'à son terme contractuel ; qu'en ayant énoncé, par adoption des motifs des premiers juges, que la société CSF ne justifiait d'aucun préjudice lié à la résiliation de la convention, quand elle avait sollicité l'indemnisation de sa perte de bénéfice brut jusqu'au terme du contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1184 du code civil ;
8° ALORS QUE la clause d'un contrat d'approvisionnement prévoyant la possibilité, pour une des parties, de se prévaloir de la résiliation du contrat dans des hypothèses précises, n'empêche pas que l'autre a toujours la possibilité de résilier unilatéralement le contrat en cas de faute grave du cocontractant ; qu'en ayant énoncé, à la suite des premiers juges, que la société IGE pouvait résilier unilatéralement le contrat, car la société CSF avait la possibilité contractuelle de le faire, dans des hypothèses précises qui ne prévoyaient aucune réciprocité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1184 du code civil.