LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 octobre 2015), que Mmes Brigitte, Françoise et Geneviève X... et MM. Fabrice et Yves X... (les consorts X...) sont propriétaires indivis d'un immeuble donné à bail commercial à la société Harvey hôtel (le preneur) ; qu'ils ont confié la défense de leurs intérêts à M. Y... (l'avocat), exerçant au sein de la société civile professionnelle Z... (la SCP) ; que, par jugement du 4 octobre 2007, confirmé en appel, le tribunal de grande instance de Paris a fixé le loyer du bail renouvelé à la somme annuelle de 131 541 euros, à compter du 1er janvier 2004 ; que, parallèlement à cette procédure, l'avocat a notifié au preneur, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 3 janvier 2007, une demande de révision triennale du loyer en vue de le voir porter à la somme de 250 000 euros par an ; qu'aucune instance en fixation du loyer révisé n'ayant été introduite dans le délai de deux ans institué par l'article L. 145-60 du code de commerce, le preneur s'est prévalu de la prescription pour s'opposer au paiement du loyer révisé ; que les consorts X... ont assigné l'avocat et la SCP en responsabilité et indemnisation ;
Attendu que l'avocat et la SCP font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à payer aux consorts X... la somme de 45 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ que le montant des loyers révisés doit correspondre à la valeur locative, les indices visés à l'article L. 145-38 du code de commerce ne constituant qu'un plafond au-delà duquel le loyer ne peut augmenter ; qu'en affirmant qu'il appartenait aux défendeurs de rapporter la preuve de ce que la valeur locative était inférieure à celle résultant de l'application des indices visés à l'article L. 145-38 du code de commerce, quand l'augmentation dépendait de la valeur locative qu'il appartenait à ceux qui la sollicitaient d'établir, la cour d'appel a violé les articles L. 145-33 et L. 145-38 du code de commerce ;
2°/ qu'il appartient au demandeur à l'action qui impute à l'avocat une perte de chance de gagner un procès de prouver que l'instance qui aurait dû être introduite aurait pu connaître une issue favorable ; qu'en jugeant qu'il incombait à l'avocat d'apporter la preuve que la valeur locative au 3 janvier 2007 était inférieure au loyer résultant de l'application des indices visés à l'article L. 145-38 du code de commerce dont les consorts X... prétendaient qu'ils auraient bénéficier en l'absence de faute de leur conseil, quand, en qualité de demandeurs, ils leur appartenaient d'apporter la preuve qu'ils auraient pu obtenir du juge une révision du loyer qui leur était dû et, partant, d'établir que la valeur locative aurait justifié l'augmentation du loyer qu'ils reprochaient à leur conseil de ne pas avoir sollicité, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et ainsi violé l'article 1315 du code civil ;
3°/ que, pour apprécier l'existence d'une perte d'une chance de réussite d'une action en justice, il appartient aux juges du fond de reconstituer la discussion qui n'a pu s'instaurer devant la juridiction qui aurait dû être saisie ; qu'en jugeant que la faute de l'avocat avait fait perdre aux consorts X... une chance de voir leur loyer révisé au 3 janvier 2007 à la somme de 148 721 euros, montant résultant du jeu de la variation des indices, sans prendre en compte la valeur locative du bien au 3 janvier 2007, élément qui aurait nécessairement été pris en considération par la juridiction qui aurait dû être saisie pour fixer le montant du loyer révisé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel a, sans inverser la charge de la preuve et dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve soumis à son examen, reconstitué fictivement les débats qui se seraient déroulés devant le juge qui aurait été saisi de la fixation du loyer commercial, en l'absence de faute de l'avocat, en relevant, d'abord, que les consorts X... avaient calculé leur préjudice sur la base de la valeur locative au 1er janvier 2004, judiciairement fixée après expertise et réduite par rapport à celle revendiquée dans leur correspondance du 3 janvier 2007, à laquelle ils avaient appliqué le coefficient d'évolution de l'indice de référence, ensuite, que l'avocat et la SCP n'avaient pas rapporté la preuve contraire d'une valeur locative inférieure, enfin, qu'aucun élément de preuve ne permettait d'invalider l'évaluation résultant de l'application des articles L. 145-37 et L. 145-38 du code de commerce, que les consorts X... auraient été en droit de revendiquer ; que, de ces constatations et appréciations, elle a pu déduire que les consorts X... avaient perdu, de façon certaine, par la faute de leur avocat, une chance sérieuse de voir le loyer de leur bien porté à 148 721 euros, préjudice qu'elle a souverainement évalué à la somme de 45 000 euros ; que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Y... et la SCP Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer aux consorts X... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour M. Y... et la SCP Z...
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné solidairement M. Y... et la SCP Z... à payer aux consorts X... la somme de 45. 000 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts aux taux légal à compter du 21 mai 2013 ;
AUX MOTIFS QUE considérant que les consorts X... sont propriétaires indivis d'un immeuble situé... à Paris (17eme) à usage d'hôtel, donne à bail commercial à la société Harvey Hotel ; qu'ayant donné congé pour le 31 décembre 2003, ils ont chargé Me Y..., avocat au barreau de Paris exerçant actuellement au sein de la SCP Z... anciennement B..., d'engager une procédure en fixation du loyer du bail renouvelé ; que par jugement du 4 octobre 2007, confirmé en appel par arrêt du 27 novembre 2008, le loyer du bail renouvelé a été fixé à la somme de 131. 541 € en principal, par an, à compter du 1er janvier 2004 ; que parallèlement, alors que l'instance en fixation du loyer était pendante, Me Y... a notifié au preneur, par lettre recommandée avec avis de réception du 3 janvier 2007, une demande de révision triennale du loyer à la somme de 250. 000 € par an ; qu'aucune instance en fixation du loyer révise n'ayant toutefois été introduite, le preneur s'est prévalu de la prescription biennale instituée par l'article L 145-60 du code de commerce pour s'opposer au paiement du loyer révisé que les consorts X... ont sollicité une fois le loyer du bail renouvelé définitivement fixé ; que considérant qu'invoquant la faute de leur avocat qui a laissé prescrire l'action en révision du loyer, les consorts X... ont, le 9 février 2011, assigné M. Y... et la SCP d'avocats en paiement de dommages et intérêts ce qui a donné lieu au jugement déféré ; que, sur la faute, considérant que M. Y... et la SCP Z... appelants, critiquent le jugement en ce qu'il a retenu la faute de l'avocat ; qu'ils soutiennent que les consorts X... n'ont pas invité celui-ci à saisir le juge des loyers commerciaux de la question de la fixation du loyer révisé alors qu'ils ne pouvaient ignorer les conséquences d'une telle abstention compte tenu de leurs qualités professionnelles, M. Yves X... étant un professionnel des transactions immobilières, l'époux de Mme Brigitte X... étant gestionnaire immobilier et le fils de Mme A... étant avocat ; mais considérant que le fait que Me Y... ait notifié au locataire de ses clients une demande de révision du loyer conformément aux articles L 145-37 et L 145-38 du code de commerce implique qu'il était en charge de la procédure de révision du loyer ; qu'il lui appartenait d'accomplir toutes diligences afin d'éviter que la demande de révision de loyer ne se trouve prescrite et à tout le moins d'attirer 1'attention de ses clients sur les conséquences de l'absence de saisine du juge des loyers commerciaux dans le délai de deux ans ; que les appelants ne sont pas fondés à se retrancher derrière une prétendue absence d'instruction ni les compétences juridiques prétendues de certains indivisaires ou membres de leur famille ; que par des motifs pertinents que la cour approuve que les premiers juges ont retenu le manquement de l'avocat à son obligation d'information et de conseil et dès lors sa faute professionnelle ; que, sur le préjudice, considérant que Me Y... et la SCP Z... font valoir que les consorts X... tiennent à tort pour acquis que s'ils avaient saisi le juge des loyers commerciaux, le montant du loyer révisé au 3 janvier 2007 aurait nécessairement été fixé à 148. 721 € par an soit la somme résultant du jeu des indices alors que selon la jurisprudence actuelle sur l'article L145-38 du code de commerce, le loyer révisé en fonction du jeu des indices constitue un plafond auquel le bailleur ne peut prétendre qu'autant que la valeur locative des biens à la date de la demande de révision ne se trouve pas située entre le loyer en cours et le loyer plafond, qu'en l'espèce les consorts X... ne justifient aucunement de la valeur locative au 3 janvier 2007 de sorte qu'ils ne démontrent pas qu'ils auraient pu prétendre à un loyer déterminé par le jeu des indices, que les premiers juges ont inversé la charge de la preuve en leur imposant de faire la preuve de cette valeur locative ; qu'ils ajoutent que les dommages et intérêts alloués excèdent la juste réparation d'une perte de chance et ne tient pas compte de la fiscalité qui aurait été supportée par les bailleurs sur le montant du loyer révisé ; mais considérant que c'est sans inverser la charge de la preuve que les premiers juges ont retenu qu'il appartenait aux défendeurs, s'ils considéraient que les bases de calculs du préjudice réclamé étaient erronées, de rapporter la preuve de ce que la valeur locative au 3 janvier 2007 était inférieure au loyer résultant de l'application des indices visés à l'article L. 145-38 du code de commerce sur la base desquels les consorts X... ont fixé leur préjudice ; qu'en effet, les consorts X..., en leur qualité de demandeurs, ont évalué le préjudice subi sur la base du loyer qu'ils auraient pu voir fixer si la procédure en fixation de loyer révisé avait été introduite ; que M. Y... et la SCP Z... ne fournissent aucun élément sur la valeur locative au 3 janvier 2007 permettant d'établir que le loyer révisé avait pu être inférieur au loyer plafond que les consorts X... auraient été en droit de revendiquer en application des articles L. 145-37 et L. 145-38 du code de commerce ; qu'il apparaît dès lors que les consorts X... ont perdu de façon certaine, par la faute de leur avocat, la chance particulièrement sérieuse de voir le loyer de leurs locaux commerciaux révisé au 3 janvier 2007, à la somme de 148. 721 €, montant résultant du jeu de la variation des indices, soit un différentiel de loyer sur la période triennale de 51. 540 € ; que considérant, cependant, que la réparation du préjudice résultant d'une perte de chance, même certaine, ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; qu'il doit être tenu compte en l'espèce de la fiscalité qui aurait été supportée par les bailleurs, si sans la chance perdue, leur action en fixation de loyer révisé avait pu être menée à bonne fin ; qu'au vu de l'ensemble des éléments de la cause, le montant du préjudice subi par les consorts X... sera entièrement réparé par l'allocation de la somme de 45. 000 à titre de dommages et intérêts ; que les appelants seront condamnés solidairement au paiement de ladite somme avec intérêts au taux légal à compter du jugement et les parties déboutées du surplus de leur demande ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTÉS QU'il résulte des éléments du dossier, ce qui n'est pas contesté par les défendeurs, qu'aucune action en fixation du loyer révisé n'a été engagée dans les deux ans de la lettre recommandée avec avis de réception adressée à la société Harvey Hotel par Me Y... pour le compte des consorts X... le 3 janvier 2007 lui notifiant une demande de révision, à compter du 1er janvier 2007, du prix du loyer et fixant le montant du layer principal, à compter de cette date, à la somme de 250. 000 euros par an, sous réserve de la fixation définitive du loyer de renouvellement au 1er janvier 2004 par le tribunal de grande instance de Paris ; que dès lors il appartenait à Me Y..., en sa qualité de professionnel, de veiller à ce que cette demande puisse aboutir, et donc d'exercer en temps utile l'action en fixation du loyer révisé, ou, tout au moins, d'aviser ses clients du risque de prescription de l'action, s'il estimait qu'il n'avait pas de mandat à cet effet ; outre qu'il ne rapporte aucune preuve de l'exécution de ce devoir d'information et de conseil, il résulte du courrier qu'il a adressé le 10 janvier 2010 à la société Harvey Hotel, dans lequel il indique que « le loyer dont s'agit a été porté à la somme annuelle au principal de 148. 721 euros à compter du 1er janvier 2007 » qu'il a en réalité omis d'exercer l'action en révision du loyer ; que dès lors, sa faute professionnelle est incontestable et il ne saurait s'en exonérer en invoquant les connaissances juridiques de personnes qui, même proches de ses clients les consorts X..., sont totalement étrangères aux relations contractuelles au titre desquelles sa responsabilité est recherchée ; que les défendeurs contestent également la réalité et le montant du préjudice invoqué par les demandeurs ; qu'il est certes exact qu'ainsi qu'ils le soutiennent, le montant du loyer révisé ne doit pas nécessairement être fixé en application du coefficient de l'indice du coût de la construction, mais peut être fixé à la valeur locative lorsque celle-ci se situe entre le loyer en cours et le plafond résultant de la variation de l'indice du coût de la construction ; que toutefois, en l'espèce, il convient de rappeler que la valeur locative au 1er janvier 2004 a été fixée par jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 4 octobre 2007 (donc postérieur à la date de révision), confirmé par un arrêt de la Cour d'appel du 27 novembre 2008, sur la base d'un rapport d'expertise judiciaire déposé le 26 février 2007 ; que les demandeurs ont calculé leur préjudice sur la base de la valeur locative ainsi définie, réduite par rapport à celle envisagée dans leur courrier du 3 janvier 2007, indiquant clairement les paramètres de leur évaluation dans leurs écritures ; qu'il appartenait donc aux défendeurs, s'ils considéraient que les bases de calcul étaient erronées, de rapporter la preuve d'une valeur locative inférieure à celle de 2004 affectée des variations de l'indice du coût de la construction, alors que ni le rapport de l'expert, ni les décisions judiciaires susvisées, ne permettent d'invalider l'évaluation proposée par les consorts X... ; que, par ailleurs, s'agissant d'une créance d'indemnité qui est revendiqué à juste titre par les demandeurs, l'argumentation des défendeurs relative aux conséquences fiscales de revenus fonciers est dénuée de pertinence ; qu'eu regard à l'ensemble des éléments du dossier, il convient de retenir que les consorts X... justifient d'une perte de chance quasi certaine d'avoir obtenu la fixation, par le juge, d'un loyer révisé au montant de 148. 721 euros au 1er janvier 2007 ; qu'en conséquence, les défendeurs seront condamnés solidairement à leur payer la somme de 50. 000 euros à titre de dommages-intérêts, les intérêts au taux légal ne pouvant courir sur cette somme qu'à compter du présent jugement qui retient le principe de la responsabilité de Me Y... ;
1°) ALORS QUE le montant des loyers révisés doit correspondre à la valeur locative, les indices visés à l'article L. 145-38 du Code de commerce ne constituant qu'un plafond audelà duquel le loyer ne peut augmenter ; qu'en affirmant qu'il appartenait aux défendeurs de rapporter la preuve de ce que la valeur locative était inférieure à celle résultant de l'application des indices visés à l'article L. 145-38 du Code de commerce, quand l'augmentation dépendait de la valeur locative qu'il appartenait à ceux qui la sollicitaient d'établir, la Cour d'appel a violé les articles L. 145-33 et L. 145-38 du Code de commerce ;
2°) ALORS QU'il appartient au demandeur à l'action qui impute à l'avocat une perte de chance de gagner un procès de prouver que l'instance qui aurait dû être introduite aurait pu connaître une issue favorable ; qu'en jugeant qu'il incombait à l'avocat d'apporter la preuve que la valeur locative au 3 janvier 2007 était inférieure au loyer résultant de l'application des indices visés à l'article L. 145-38 du Code de commerce dont les consorts X... prétendaient qu'ils auraient bénéficier en l'absence de faute de leur conseil, quand, en qualité de demandeurs, ils leur appartenaient d'apporter la preuve qu'ils auraient pu obtenir du juge une révision du loyer qui leur était dû et, partant, d'établir que la valeur locative aurait justifié l'augmentation du loyer qu'ils reprochaient à leur conseil de ne pas avoir sollicité, la Cour d'appel a inversé la charge de la preuve et ainsi violé l'article 1315 du Code civil ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse pour apprécier l'existence d'une perte d'une chance de réussite d'une action en justice, il appartient aux juges du fond de reconstituer la discussion qui n'a pu s'instaurer devant la juridiction qui aurait dû être saisie ; qu'en jugeant que la faute de l'avocat avait fait perdre aux consorts X... une chance de voir leur loyer révisé au 3 janvier 2007 à la somme de 148. 721 euros, montant résultant du jeu de la variation des indices, sans prendre en compte la valeur locative du bien au 3 janvier 2007, élément qui aurait nécessairement été pris en considération par la juridiction qui aurait dû être saisie pour fixer le montant du loyer révisé, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil.