LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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M. André L... ,
contre l'arrêt de la cour d'appel de POITIERS, chambre correctionnelle, en date du 14 janvier 2016, qui, pour soumission de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions d'hébergement indignes, l'a condamné à 5 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 111-5, 225-14, 225-15 du code pénal, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale, excès de pouvoir, violation de la loi ;
"en ce que la cour d'appel a confirmé le jugement ayant déclaré M. L... coupable de soumission de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions d'hébergement indignes commis à [...] du 8 juillet 2010 au 8 juillet 2013, l'ayant, en répression, condamné au paiement d'une amende délictuelle de 5 000 euros, ayant déclaré recevable les constitutions de parties civiles de MM. Z..., A..., B..., Mme C..., MM. M..., D..., E... et ayant condamné M. L... à leur verser à chacun la somme de 500 euros en réparation de leur préjudice moral ;
aux motifs propres que M. L... était associé et gérant de la société civile immobilière Cap Bourbon, propriétaire à [...], de deux immeubles locatifs, l'un situé au [...] ; que le 14 janvier 2012, il se présentait dans les locaux du commissariat de police de [...] pour déposer plainte contre X pour des dégradations commises dans ses immeubles ; que l'enquête diligentée permettait aux services de police d'établir l'état de dégradation avancée des deux immeubles ; que les fonctionnaires de police décrivaient des appartements impropres à l'habitation, avec une alimentation électrique vétuste, un réseau d'alimentation en eau défaillant, une ventilation et une isolation insuffisante et des revêtements dégradés ; que les parties visitées des immeubles présentaient les caractéristiques de locaux insalubres entraînant des risques de santé pour les occupants ; que ce constat était corroboré par les déclarations des locataires, lesquels soutenaient en outre, avoir emménagé dans des locaux « retapés en trompe l'oeil » et avoir rapidement découvert les désordres cachés ; qu'entendu, M. L... imputait ces désordres à des locataires indélicats et expliquait que tous les logements loués étaient décents et en conformité à la réglementation en vigueur au moment de leur mise en location ; qu'il reconnaissait avoir confié à deux locataires, en l'occurrence, MM. A... et F..., la réalisation des travaux de réfection et admettait que la plupart des locataires bénéficiaient d'une allocation logement directement perçue par la société civile immobilière ; qu'il résulte des pièces du dossier et des débats que l'infraction reprochée au prévenu est constituée ; qu'en effet, le caractère insalubre des appartements loués continuellement depuis 2007 a été établi, tant par les constatations des enquêteurs, que par les déclarations des locataires et les multiples décisions administratives mettant le prévenu en demeure de réaliser les travaux pour faire cesser les désordres dans ses immeubles et les arrêtés déclarant ces logements impropres à la location ; qu'ainsi :
1°- l'arrêté préfectoral du 19 avril 2012 portant mise en demeure de mettre fin à la mise à disposition aux fins d'habitation des locaux situés dans l'immeuble du [...] ;
2°- l'arrêté préfectoral du 18 juillet 2012 concernant l'immeuble du [...] faisant l'objet d'une déclaration d'insalubrité à titre remédiable des parties communes et des logements du rez de chaussée, du premier étage et du fond de la cour ;
3°- un arrêté préfectoral du même jour concernant dans les mêmes conditions l'immeuble du [...] ; que M. L... n'a formulé aucun recours contre ces décisions administratives et, face aux injonctions du préfet, ne mettait pas en oeuvre les moyens adaptés pour faire cesser les désordres de ses immeubles alors que la situation était classée comme remédiable ; qu'il effectuait cependant lui-même quelques travaux de « rafistolages » et de « cache misère » n'hésitant pas à faire travailler, sans les payer, des locataires sans compétences reconnues ; que le 14 septembre 2012, les services de la mairie constataient que quelques travaux avaient été réalisés, mais étaient insuffisants pour rendre les locaux salubres ; que, par courrier en date du 7 février 2013, la société civile immobilière Cap Bourbon était mise de nouveau en demeure d'effectuer les travaux ; que l'arrêté du 22 février 2013, déclarait insalubres les logements situés au premier et au second étages de l'immeuble du [...] ; que la visite de conformité faite en mai 2013 ne permettait pas de lever cette mesure administrative ; que l'arrêté municipal du 7 août 2013 mettait une fois de plus la société civile immobilière Cap Bourbon en demeure effectuer les travaux de réfection prescrits par l'arrêté préfectoral du 18 juillet 2012 ; qu'il y a lieu de rappeler que, titulaire d'un diplôme d'architecture (DLP), M. L... avait toutes les connaissances lui permettant d'apprécier l'état d'un immeuble, d'en diagnostiquer les défaillances et d'en ordonner la remise dans un état acceptable ; qu'en outre, l'état de vulnérabilité ou de dépendance de la majorité des locataires, victimes étaient apparent et connu de lui ; que Mme C... devait assumer seule la charge de ses deux enfants avec pour seule ressource le revenu de solidarité active ; qu'après déduction de l'allocation pour le logement versée par la caisse d'allocations familiales, elle était redevable de 100 euros ; qu'elle présentait, en outre, une fragilité psychologique car, le 28 mars 2014, elle avait fait l'objet d'un arrêté du préfet de la Charente portant admission en soins psychiatriques, cette mesure n'étant par la suite levée que par arrêté préfectoral du 19 août 2014 ; qu'âgé de 70 ans, M. N... D... , retraité ne sachant ni lire ni écrire, bénéficiait d'une pension de retraite de 800 euros par mois ; qu'il était très ignorant et ne pouvait percevoir la réalité de ce que son propriétaire lui faisait subir ; qu'il n'avait pas vu malice au fait de devoir payer son loyer en liquide, sans autre reçu que quelques lignes gribouillées au dos d'une enveloppe ; qu'à son entrée dans les lieux, M. Laurent Z... au lourd passé de toxicomane et d'alcoolique connu de M. L... , sortait d'une cure de désintoxication et était psychologiquement fragile ; qu'il était sans emploi ; que les conditions de vie qu'il subissait pendant son temps de présence dans les lieux étaient si difficiles qu'elles avaient fini par avoir des effets néfastes sur son état de santé et le pousser à tenter de mettre fin à ses jours en avril 2012 ; que M. Guy A... souffrait d'un alcoolisme notoire et d'une désocialisation toute aussi sévère qui n'étaient pas traitées ; qu'il était titulaire du revenu minimum d'insertion ; que lors de ses auditions, M. L... indiquait qu'il le décrivait comme « alcoolique » et « Rmiste » ce qui attestait de sa parfaite connaissance de l'état de faiblesse sociale, humaine et financière dans laquelle se trouvait son locataire ; qu'ancien plombier à Paris, M. Michel M... avait, à la demande de M. L... , fait le voyage pour s'installer à [...] en 2008, celui-ci lui ayant fait miroiter un emploi à plein temps pour rénover les logements qu'il avait acquis ; que la désillusion fut amère quand il se rendit compte que les rénovations promises n'étaient en fait que des bricolages de fortune, faits au moindre coût et qu'il n'était pas payé correctement ; que coupé de ses repères et logé dans des conditions dégradantes, il avait sombré dans un alcoolisme émaillé de violences ; que très dépressif, M. Jacky F... était lui aussi sans emploi à son arrivée et atteint par un alcoolisme chronique dont M. L... avait pleinement conscience ainsi qu'il le reconnaissait ; qu'il percevait une indemnité de 980 euros des Assedic ; que célibataire et sans emploi, M. Yannick B... sortait de prison ; qu'il vivait du revenu de solidarité active ; que M. Jean-Claude E... était titulaire du revenu minimum d'insertion, puis du revenu de solidarité active ; que M. Jean-Luc G... était sans travail et en cours de séparation ; que bénéficiaire du revenu de solidarité active avec son ami, Mme Emmanuelle H... était mère d'un enfant âgé de deux ans dont elle avait la charge ; que Mme Justine I... emménageait alors qu'elle était titulaire du revenu de solidarité active et enceinte de six mois ; qu'enfin, Mme Virginie J... n'avait pour seules ressources que 150 euros versés tous les mois par la mission locale ; que M. L... connaissait parfaitement la situation économique des différents locataires et en a tiré profit ; qu'en effet, du fait de leur impécuniosité générale, la quasi intégralité des loyers était payée à la société civile immobilière Cap Bourbon par la caisse d'allocations familiales de la Vienne, chacun des locataires étant bénéficiaire de l'aide au logement ; qu'il ressort des éléments précités que l'infraction visée par la prévention, qui consiste à la soumission de personnes dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur, à des conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine est établie ; que le jugement déféré ne peut qu'être confirmé en ce qui concerne la déclaration de culpabilité ; que la peine d'amende prononcée par le tribunal répond aux conditions de l'article 132-20 du code pénal ; que le jugement déféré doit en conséquence être confirmé ; que le tribunal a, au vu des pièces versées aux débats, fait une exacte évaluation des dommages et intérêts devant être mis à la charge du prévenu pour réparer le dommage causé à chaque partie civile ; que les dispositions civiles du jugement seront donc confirmées ; que l'équité commande de confirmer la décision du tribunal en ce qui concerne l'application des dispositions de l'article 475-1 du code de procédure pénale et de condamner sur ce même fondement M. L... à verser à M. D..., Mme C... et M. B..., une indemnité complémentaire de 800 euros chacun et une indemnité de 2000 euros à Maître K... en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 telle que prévues au dispositif ;
"1°) alors que les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ; que pour déclarer M. L... coupable de soumission d'une personne dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance étaient apparents ou connus de lui à des conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine, la cour d'appel a considéré comme établi le caractère insalubre des appartements loués par la société civile immobilière Cap Bourbon au regard des arrêtés déclarant ces logements impropres à la location en relevant que M. L... n'avait pas formé de recours contre ces décisions ; qu'en statuant ainsi, cependant que M. L... avait soutenu que ces arrêtés étaient illégaux, notamment, en raison des erreurs de droit et de fait commises par les services sanitaires lors des visites effectuées pour le compte des autorités municipale et préfectorale, sans apprécier elle-même, comme elle y était pourtant tenue, la légalité de ces arrêtés, la cour d'appel a entaché sa décision d'un excès de pouvoir négatif et a, partant, violé les textes susvisés ;
"2°) alors que le délit de soumission d'une personne dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur à des conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine, n'est pas constitué par la seule contravention avec la réglementation en vigueur sans que soit constaté un état de délabrement tel qu'une personne humaine ne saurait y vivre ; qu'en déclarant M. L... coupable des faits qui lui étaient reprochés, sans identifier, pour chacune des victimes, si le logement occupé était à ce point insalubre qu'il ne pouvait être occupé par une personne humaine, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"3°) alors que le délit de soumission d'une personne dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur à des conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine, n'est pas constitué lorsque l'état du logement est l'effet des dégradations commises par ses occupants ; qu'en déclarant M. L... coupable des faits qui lui étaient reprochés, sans rechercher, comme cela lui était pourtant demandé, si, comme il l'établissait, les lieux loués, à l'origine en bon état, n'avaient pas été dégradés par leurs occupants, si bien qu'aucun délit ne pouvait être constitué à son encontre, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu que, pour déclarer M. L... coupable de soumission de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions d'hébergement indignes, l'arrêt attaqué et le jugement qu'il confirme relèvent que les policiers ont, notamment, décrit des logements impropres à l'habitation, une alimentation électrique vétuste, un réseau d'alimentation en eau défaillant, une ventilation et une isolation insuffisantes ainsi que des revêtements dégradés, l'ensemble des deux immeubles gérés par le prévenu et visités dans leurs parties communes et privatives présentant les caractéristiques de locaux insalubres entraînant des risques pour la santé des occupants ; que les juges ajoutent que ce constat a été corroboré, d'une part, par les déclarations des locataires, lesquels ont également soutenu avoir emménagé dans des locaux sommairement refaits et avoir rapidement découvert les désordres cachés, d'autre part, par les multiples décisions administratives mettant M. L... en demeure de réaliser les travaux pour faire cesser les désordres dans ses immeubles et les arrêtés déclarant ces logements impropres à la location ;
Attendu que ces énonciations mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions régulièrement déposées devant elle et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable, et a ainsi justifié l'allocation, au profit des parties civiles, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D'où il suit que le moyen, qui revient à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, parmi lesquels figurent les décisions administratives qui n'ont pas constitué le fondement des poursuites et n'ont fait l'objet d'aucune exception d'illégalité de la part du prévenu, ne saurait être accueilli, les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme, prises dans leur entier contexte, écartant, en outre, les allégations du prévenu sur l'imputabilité de dégradations à certains locataires ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 3 000 euros la somme que M. L... devra payer à la société civile professionnelle Potier de la Varde - Buk Lament au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale et de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991 modifiée ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Caron , conseiller rapporteur, M. Castel, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.