LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° 15-29.502 et n° 16-10.825, qui attaquent le même arrêt ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 4 février 2014, pourvoi n° 11-13.316), qu'à la suite d'un vol avec armes au cours duquel des marchandises que détenait la société Harry Winston sous le régime de l'entrepôt douanier lui ont été dérobées, l'administration des douanes a réclamé à cette société le paiement des droits de douane et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) applicables à ces marchandises ; que la société Harry Winston a assigné l'administration des douanes en annulation de l'avis de mise en recouvrement (AMR) de ces droits et taxe ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° 15-29.502, pris en ses deux premières branches :
Attendu que l'administration des douanes fait grief à l'arrêt d'annuler partiellement l'AMR à hauteur du montant de la TVA alors, selon le moyen :
1°/ qu'en cas de sortie d'un bien du régime de l'entrepôt douanier, les Etats membres peuvent prévoir qu'une autre personne que celle qui a fait sortir le bien de ce régime soit solidairement tenue d'acquitter la taxe sur la valeur ajoutée, ce qui est le cas, en France, de la personne qui a obtenu l'autorisation d'appliquer le régime ; qu'en affirmant qu'en cas de sortie d'un bien du régime de l'entrepôt douanier, seules les personnes qui ont fait sortir ce bien de ce régime sont tenues d'acquitter la taxe sur la valeur ajoutée, la cour d'appel a violé les articles 202 et 205 de la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée et l'article 277 A du code général des impôts ;
2°/ qu'en cas de sortie d'un bien du régime de l'entrepôt douanier, la personne qui a obtenu l'autorisation d'appliquer ce régime est solidairement tenue d'acquitter la taxe sur la valeur ajoutée avec la personne qui a fait sortir le bien du régime ; qu'en affirmant qu'à la suite de la sortie des bijoux volés litigieux du régime de l'entrepôt douanier, seules les personnes ayant fait sortir ces biens de ce régime, désignées comme les malfaiteurs qui ont dérobé les bijoux, devaient acquitter la taxe sur la valeur ajoutée, sans rechercher si la société Harry Winston n'était pas titulaire de l'autorisation du régime et n'était pas, en conséquence, solidairement tenue d'acquitter cette taxe, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 202 et 205 de la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée et de l'article 277 A du code général des impôts ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions de l'administration des douanes que celle-ci ait soutenu devant la cour d'appel que la société Harry Winston, comme titulaire de l'autorisation de régime douanier, était solidairement tenue au paiement de la dette douanière avec les personnes ayant dérobé les marchandises ; que le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, est irrecevable ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en sa troisième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi n° 16-10.825 :
Vu l'article 203 du code des douanes communautaire, alors applicable :
Attendu que pour rejeter la demande de la société Harry Winston concernant le montant des droits de douanes dus pour les marchandises qu'elle détenait sous le régime de l'entrepôt douanier, l'arrêt relève qu'il s'infère du texte susvisé qu'une dette douanière est née du vol et que son paiement peut être exigé par l'administration des douanes ; qu'il ajoute que le paragraphe 3 de ce texte énumère les personnes débitrices de la dette douanière et retient qu'aucune de ses dispositions ne permet d'affirmer que les personnes de cette liste ne peuvent être considérées comme débitrices alternatives ou que l'administration doive agir par priorité contre les auteurs du vol plutôt que contre la personne qui doit initialement exécuter les obligations de paiement des droits de douanes ; qu'il en déduit que si les auteurs du vol ont été identifiés et condamnés, l'administration des douanes n'était pas tenue de leur réclamer en priorité le paiement des droits que le vol a fait naître et que la société Harry Winston était tenue au paiement de ces droits ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la Cour de justice de l'Union européenne a dit que le titulaire du régime douanier était redevable de la dette douanière au sens de l'article 203, paragraphe 3, quatrième tiret, du code des douanes communautaire, si les dispositions figurant aux trois premiers tirets de ce paragraphe 3 ne s'appliquent pas (CJUE, 27 juin2013, C-542/11, points 33 et 34 et arrêt du 12 juin 2014, C-75/13, point 37), la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi n° 15-29.502 ;
Et sur le pourvoi n° 16-10.825 :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'administration des douanes est bien fondée à réclamer à la société Harry Winston le paiement des droits de douanes relatifs aux marchandises détenues sous le régime de l'entrepôt douanier et dérobées dans ses locaux, l'arrêt rendu le 10 novembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne le directeur général des douanes et des droits indirects aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, le condamne à payer à la société Harry Winston la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six avril deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour le directeur général des douanes et droits indirects et le ministre des finances et des comptes publics, demandeurs au pourvoi n° C 15-29.502
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR donné acte à l'administration des douanes qu'elle renonce à réclamer à la société HARRY WINSTON le paiement des droits et taxes s'agissant des marchandises sous « carnet ATA » qui s'élèvent à la somme de 283.341 euros (en réalité 283.841 euros), ce qui réduit l'avis de mise en recouvrement à la somme de 3.555.086 euros (en réalité 3.553.086 euros), d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il avait dit que l'administration des douanes ne pouvait demander à la société HARRY WINSTON la taxe sur la valeur ajoutée relative aux bijoux détenus sous le régime de l'entrepôt douanier et dérobés le 6 octobre 2007 et en ce qu'il avait annulé sur ce point l'avis de mise en recouvrement du 16 novembre 2007 et d'AVOIR validé cet avis de mise en recouvrement pour un montant de 169.334 euros (en réalité 167.334 euros) ;
AUX MOTIFS QU'il convient à titre liminaire de donner acte à l'administration des douanes qu'elle renonce à réclamer à la société HARRY WINSTON le paiement des droits et taxes s'agissant des marchandises sous « carnet ATA » qui s'élèvent à la somme de euros (en réalité 283.841 euros) ; qu'en conséquence, le montant de l'AMR en cause est réduit au total de 3.553.086 euros, soit 3.836.927 – 283.341 (en réalité 283.841), ce qui n'est pas contesté par l'administration ; que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit dans son arrêt du 11 juillet 2013 que l'article 71, paragraphe 1, second alinéa de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens que le vol de marchandises placées sous le régime de l'entrepôt douanier fait intervenir le fait générateur et l'exigibilité de la taxe sur la valeur ajoutée ; que l'administration des douanes soutient que la société HARRY WINSTON est redevable du paiement de cette taxe par l'application combinée des articles 293, A, I et 291 du Code général des impôts ; que le premier de ces textes précise qu'« à l'importation, le fait générateur se produit et la taxe devient exigible au moment où le bien est considéré comme importé au sens du 2 I de l'article 291 » et le second énonce qu'« est considéré comme importation d'un bien (
) B. la mise à la consommation d'un bien placé lors de son entrée sur le territoire sous l'un des régimes suivants prévus par les règlements communautaires en vigueur : (
) conduite en douane, magasins et aires de dépôt temporaire, zone franche (
) » ; que l'administration des douanes rappelle que l'article 93, A, I, alinéa 2, énonce que « (
) la taxe doit être acquittée par la personne désignée comme destinataire réel des biens sur la déclaration d'importation » ; qu'elle estime que le vol a « (
) forcément constitué la mise à la consommation des bijoux qui ont été reversés sur le territoire communautaire (
) » et qu'en conséquence la société HARRY WINSTON est redevable du paiement de la TVA ; que cependant, ainsi que le soutient la société HARRY WINSTON, la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, énonce à son article 201 qu'« à l'importation, la TVA est due par la ou les personnes désignées ou reconnues comme redevables par l'Etat membre d'importation » ; mais qu'elle précise à l'article 202 que « la TVA est due par la personne qui fait sortir les biens des régimes ou situations énumérés aux articles 156, 157, 158, 160 et 161 », l'article 156 c visant « les livraisons de biens destinés à être placés sous un régime d'entrepôt douanier » ; qu'il se déduit de ces dispositions que la directive précitée introduit à l'article 202 un régime dérogatoire au principe énoncé à l'article 201 selon lequel à l'importation la TVA est due par la ou les personnes désignées comme redevable(s) par l'Etat membre, laquelle est, en application de l'article 93, A, I, alinéa 2, du code général des impôts, la personne désignée comme destinataire réel des biens sur la déclaration d'importation ; qu'en vertu de l'article 202 de la directive, applicable en l'espèce dès lors que les marchandises se trouvaient placées sous un régime d'entrepôt douanier, la personne redevable de la TVA est celle qui a fait sortir les biens du régime de l'entrepôt douanier ; que cette sortie n'a pas été, au cas présent, le fait de la société HARRY WINSTON, mais celle des malfaiteurs qui ont dérobé les bijoux ; qu'il s'en déduit que l'AMR, délivré à la société HARRY WINSTON doit être annulé en ce qu'il comprend le montant de la TVA soit, selon les indications de la lettre du 6 novembre 2007, la somme de 3.385.752 euros ; qu'il sera en conséquence réduit d'autant ;
1°) ALORS QU'en cas de sortie d'un bien du régime de l'entrepôt douanier, les Etats membres peuvent prévoir qu'une autre personne que celle qui a fait sortir le bien de ce régime soit solidairement tenue d'acquitter la taxe sur la valeur ajoutée, ce qui est le cas, en France, de la personne qui a obtenu l'autorisation d'appliquer le régime ; qu'en affirmant qu'en cas de sortie d'un bien du régime de l'entrepôt douanier, seules les personnes qui ont fait sortir ce bien de ce régime sont tenues d'acquitter la taxe sur la valeur ajoutée, la Cour d'appel a violé les articles 202 et 205 de la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée et l'article 277 A du Code général des impôts ;
2°) ALORS QU'en cas de sortie d'un bien du régime de l'entrepôt douanier, la personne qui a obtenu l'autorisation d'appliquer ce régime est solidairement tenue d'acquitter la taxe sur la valeur ajoutée avec la personne qui a fait sortir le bien du régime ; qu'en affirmant qu'à la suite de la sortie des bijoux volés litigieux du régime de l'entrepôt douanier, seules les personnes ayant fait sortir ces biens de ce régime, désignées comme les malfaiteurs qui ont dérobé les bijoux, devaient acquitter la taxe sur la valeur ajoutée, sans rechercher si la société HARRY WINSTON n'était pas titulaire de l'autorisation du régime et n'était pas, en conséquence, solidairement tenue d'acquitter cette taxe, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 202 et 205 de la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée et de l'article 277 A du Code général des impôts ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, le destinataire d'un avis de mise en recouvrement doit s'acquitter auprès de l'administration des douanes de l'intégralité des droits dont il est reconnu débiteur ; qu'en estimant que la société HARRY WINSTON était débitrice d'une somme de 169.334 euros (en réalité 167.334 euros) envers l'administration des douanes, obtenue en retranchant du montant des droits dus après déduction des droits relatifs aux marchandises sous « carnet ATA » (3.555.086 euros, en réalité 3.553.086 euros) le montant global de la taxe sur la valeur ajoutée réclamée (3.385.752 euros), sans rechercher si ce dernier montant comprenait la taxe sur la valeur ajoutée due à raison des marchandises sous « carnet ATA » (250.271 euros), dont elle relevait elle-même qu'elle avait d'ores et déjà été déduite pour obtenir le solde de 3.555.086 euros (en réalité 3.553.086 euros), de sorte que la société HARRY WINSTON restait en réalité devoir la somme de 417.605 euros (3.553.086 – 3.135.481), la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 203 du Code des douanes communautaire et de l'article 345 du Code des douanes. Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Harry Winston, demanderesse au pourvoi n° X 16-10.825
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit que l'administration des douanes était bien fondée à demander à la société Harry Winston le paiement des droits de douane relatifs aux bijoux détenus sous le régime de l'entrepôt douanier et dérobés dans ses locaux et d'avoir, en conséquence, validé l'AMR du 16 novembre 2007 pour un montant de 169.334 € ;
AUX MOTIFS QUE « sur les droits de douane : aux termes de l'article 203 du code des douanes communautaire, dans sa version applicable à l'époque des faits, "1. Fait naître une dette douanière à l'importation : la soustraction d'une marchandise passible de droits à l'importation à la surveillance douanière. 2. La dette douanière naît au moment de la soustraction de la marchandise à la surveillance douanière. 3. Les débiteurs sont : - la personne qui a soustrait la marchandise à la surveillance douanière, - les personnes qui ont participé à cette soustraction en sachant ou en devant raisonnablement savoir qu'il s'agissait d'une soustraction de la marchandise à la surveillance douanière, - celles qui ont acquis ou détenu la marchandise en cause et qui savaient ou devaient raisonnablement savoir au moment où elles ont acquis ou reçu cette marchandise qu'il s'agissait d'une marchandise soustraite à la surveillance douanière ainsi que - le cas échéant, la personne qui doit exécuter les obligations qu'entraîne le séjour en dépôt temporaire de la marchandise ou l'utilisation du régime douanier sous lequel cette marchandise a été placée" ; dans l'arrêt du 11 juillet 2013 par lequel elle a répondu aux questions préjudicielles posées dans l'affaire de l'espèce, la Cour de justice de l'Union a dit pour droit que cette disposition "(
) doit être interprétée en ce sens qu'un vol de marchandises, placées sous le régime de l'entrepôt douanier constitue une soustraction desdites marchandises au sens de cette disposition faisant naître une dette douanière à l'importation (...)" ; il s'en déduit que la dette douanière est née du vol des marchandises et que son paiement peut être demandé par l'administration des douanes ; en ce qui concerne le débiteur de cette dette, les dispositions précitées énumèrent les personnes qui sont débitrices du paiement des droits, parmi lesquelles la personne qui doit exécuter les obligations qu'entraîne l'utilisation du régime douanier sous lequel cette marchandise a été placée ; si la mention relative à cette personne figure à la fin de la liste et est précédée de la locution "le cas échéant" que le dictionnaire Larousse définit comme signifiant "si le cas se présente" ou "éventuellement", il n'en demeure pas moins qu'aucune disposition du texte ne permet d'affirmer que les personnes de cette liste ne pourraient être considérées comme débitrices alternatives ou que l'Administration devrait agir par priorité contre les auteurs du vol, plutôt que contre la personne qui doit initialement exécuter les obligations de paiement des droits de douane ; en conséquence, le fait que les auteurs soient, à l'heure actuelle, identifiés et condamnés, n'implique pas que l'administration des douanes doive en priorité leur réclamer le paiement des droits que le vol a fait naître ; c'est donc à juste titre qu'elle a réclamé à la société Harry Winston le paiement des droits de douane en cause, sans qu'il soit en l'espèce nécessaire de se référer aux dispositions du code civil sur la solidarité » ;
ALORS QU'une personne ne peut être redevable d'une dette douanière au titre de l'article 203, paragraphe 3, quatrième tiret, du code des douanes communautaire que si les dispositions figurant aux trois premiers tirets de ce paragraphe 3 ne s'appliquent pas (CJUE, arrêt du 27 juin 2013, Staatssecretaris van Financiën / Codirex Expeditie, C-542/11, considérants 33 et 34 ; CJUE, arrêt du 12 juin 2014, SEK Zollagentur / Hauptzollamt Gießen, C-75/13, considérant 37) ; qu'en l'espèce, les auteurs du vol des marchandises ont été retrouvés et condamnés, ce dont il résulte que les personnes ayant soustrait la marchandise à la surveillance douanière, visées au premier tiret de l'article 203, paragraphe 3, sont identifiées et peuvent se voir réclamer le paiement des droits de douane par l'administration douanière ; qu'en décidant cependant que l'administration des douanes était en droit de réclamer le règlement des droits de douane à la société Harry Winston, au titre de l'article 203, paragraphe 3, quatrième tiret, du code des douanes communautaire, bien que la disposition figurant au premier tiret de ce paragraphe 3 soit applicable, la cour d'appel a violé l'article 203 du code des douanes communautaire dans sa rédaction applicable à l'époque des faits.