LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu la connexité, joint les pourvois n° K 16-16.587 à X 16-16.598, Z 16-16.600 et A 16-16.601 ;
Donne acte à Mme [S] [X] épouse [K], ès qualités d'héritière de [Q] [X], Mme [W] [T], ès qualités d'héritière de [Y] [L], MM. [X], [P], [R] [C], Mmes [E] [J], [S], [R], [H] [C] ainsi qu'à Mme [D] [P] veuve [C], tant en son nom personnel qu'au nom de ses enfants mineurs, [Q] et [I], ès qualités d'héritiers de [V] [C], de leur reprise d'instance ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon les arrêts attaqués ([Localité 1], 8 mars 2016), que Mme [Z] et les autres défendeurs aux pourvois ont été salariés de la société Valeo embrayages (la société) sur le site d'[Localité 1], lequel a été inscrit par arrêté ministériel du 21 juillet 1999 sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période de 1958 à 1992 ; que, soutenant avoir été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante, ces anciens salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la réparation de leur préjudice d'anxiété ;
Attendu que la société fait grief aux arrêts de la condamner à payer à chacun des défendeurs une certaine somme en réparation de son préjudice d'anxiété, alors, selon le moyen, que la réparation du préjudice d'anxiété n'est admise, pour les salariés exposés à l'amiante, qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi n° 98-1114 du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel pris pour son application ; que l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, qui a créé une allocation de cessation anticipée d'activité, et en a réservé le bénéfice aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante inscrits sur une liste établie par arrêté ministériel, a interdit son cumul avec un avantage vieillesse et en a exclu les salariés remplissant "les conditions requises pour bénéficier d'une pension de vieillesse au taux plein" ; qu'il en résulte que les salariés bénéficiant d'un avantage vieillesse ou remplissant, au jour de l'entrée en vigueur de cette loi, les conditions pour bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein n'étaient pas éligibles à l'ACAATA et, partant, ne pouvaient obtenir la réparation automatique d'un préjudice spécifique d'anxiété ; qu'en décidant le contraire, et en retenant, à l'appui de sa décision, que cette allocation pouvait bénéficier à tout salarié ayant travaillé dans un établissement classé par arrêté ministériel sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'ACAATA, peu important "… qu'il ait ou non adhéré au régime légal ou qu'il ait eu ou non plus de soixante ans au moment de la mise en place du dispositif ACAATA", la cour d'appel a violé par fausse interprétation l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;
Mais attendu que la cour d'appel a exactement retenu que les salariés, qui avaient travaillé dans un établissement de la société inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'ACAATA pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, pouvaient obtenir la réparation de leur préjudice spécifique d'anxiété, qu'ils aient ou non adhéré au dispositif légal et peu important leur âge à la date de la mise en place de ce dispositif ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Valeo embrayages aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Valeo embrayages et la condamne à payer la somme de globale de 3 000 euros à Mme [Z], MM. [O], [E], [G], Mme [K], ès qualités, MM. [D], [M], Mme [A], M. [H] et Mme [T], ès qualités ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept avril deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la société Valeo embrayages, demanderesse aux pourvois n° K 16-16.587 à X 16-16.598 et Z 16-16.600 et A 16-16.601 ;
Il est fait grief aux arrêts attaqués d'AVOIR condamné la Société Valeo Embrayages à verser à chacun des salariés défendeurs une somme de 8 000 € en réparation de son préjudice d'anxiété, outre diverses sommes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE "il résulte de l'article L.4121-1 du Code du travail que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, et veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes sur le fondement des principes généraux et de prévention édictés à l'article L.4121-2 ; que l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise dont il doit assurer l'effectivité ;
QUE l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 a créé un dispositif spécifique destiné à compenser la perte d'espérance de vie que peuvent connaître des salariés en raison de leur exposition à l'amiante ; qu'il a mis en place une allocation de cessation anticipée d'activité, dite ACAATA, versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparations navales, âgés d'au moins 50 ans sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle ;
QUE le salarié qui a travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 susvisé et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, et qui se trouve, par le fait de l'employeur, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, qu'il se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers, qu'il ait été ou non réellement exposé fonctionnellement, directement ou de façon environnementale à l'inhalation de poussières d'amiante, subit un préjudice spécifique d'anxiété dont il est en droit de solliciter l'indemnisation sur le fondement de l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur qui doit alors démontrer une cause exonératoire de sa responsabilité ;
QUE l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence, sans qu'il soit besoin que le salarié apporte la preuve de la réalité et de l'étendue de son préjudice ;
QU'en outre, qu'un salarié remplissant les conditions d'adhésion prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel pris en son application, a droit à la réparation de son préjudice d'anxiété, qu'il ait ou non adhéré au régime légal ou qu'il ait eu ou non plus de soixante ans au moment de la mise en place du dispositif ACAATA ;
QUE la réparation du préjudice d'anxiété est susceptible d'être cumulée avec les indemnités conventionnelles accordées lors de la cessation anticipée d'activité ; que l'existence d'un accord d'entreprise assurant une compensation plus importante de la perte de revenus résultant de la cessation d'activité n'interdit pas une demande ultérieure en réparation du trouble psychologique résultant du risque de développer une maladie liée à l'amiante ; que les avantages retirés par les salariés d'un accord d'entreprise dont l'objet est totalement étranger à l'indemnisation du préjudice d'anxiété et qui tend exclusivement à faciliter le départ des salariés au bénéfice de l'allocation amiante en compensant pour partie les pertes de revenus ne peuvent venir en déduction ou en compensation avec les dommages et intérêts alloués en réparation de ce préjudice d'anxiété ;
QUE le niveau d'anxiété est subjectif et dépend de la personnalité de chacun ; que les études scientifiques ne permettent pas en l'état de la science de déterminer de façon certaine à partir de quel seuil d'exposition le salarié est susceptible de développer une maladie liée à l'amiante ; qu'en l'absence de tout élément permettant de mesurer ou de quantifier ce niveau, le préjudice d'anxiété ne peut donner lieu qu'à une réparation forfaitaire appréciée souverainement ;
QU'en l'espèce, il n'est pas contesté que le site VALEO d'Amiens a été inscrit par l'arrêté du 21 juillet 1999 pris en application de la loi du 23 décembre 1998 sur la liste des établissements donnant droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante pour la période de 1958 à 1992 ; qu'il est constant que le salarié a travaillé sur le site VALEO d'[Localité 1] sur la période considérée, en sorte que l'exposition professionnelle au risque amiante doit nécessairement être tenue pour établie ;
QU'il ne résulte pas des pièces produites aux débats que l'employeur démontre une quelconque cause d'exonération de sa responsabilité ; que quand bien même il a pris des mesures à compter de 1971 pour améliorer les conditions de travail, ces mesures se sont révélées insuffisantes à empêcher l'inhalation des poussières d'amiante et la survenue du risque d'une maladie ;
QUE le salarié a droit à l'indemnisation de son préjudice d'anxiété, et cela peu important qu'il n'ait pas bénéficié du dispositif de départ anticipé (…)" ;
ALORS QUE la réparation du préjudice d'anxiété n'est admise, pour les salariés exposés à l'amiante, qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi n° 98-1114 du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel pris pour son application ; que l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, qui a créé une allocation de cessation anticipée d'activité, et en a réservé le bénéfice aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante inscrits sur une liste établie par arrêté ministériel, a interdit son cumul avec un avantage vieillesse et en a exclu les salariés remplissant "les conditions requises pour bénéficier d'une pension de vieillesse au taux plein" ; qu'il en résulte que les salariés bénéficiant d'un avantage vieillesse ou remplissant, au jour de l'entrée en vigueur de cette loi, les conditions pour bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein n'étaient pas éligibles à l'Acaata et, partant, ne pouvaient obtenir la réparation automatique d'un préjudice spécifique d'anxiété ; qu'en décidant le contraire, et en retenant, à l'appui de sa décision, que cette allocation pouvait bénéficier à tout salarié ayant travaillé dans un établissement classé par arrêté ministériel sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'Acaata, peu important "… qu'il ait ou non adhéré au régime légal ou qu'il ait eu ou non plus de soixante ans au moment de la mise en place du dispositif ACAATA", la Cour d'appel a violé par fausse interprétation l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998.