LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Mohamed X...,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de MONTPELLIER, en date du 24 novembre 2016, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de violences aggravées et infractions à la législation sur les armes, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 10 mai 2017 où étaient présents : M. Guérin, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, MM. Straehli, Larmanjat, Ricard, Parlos, Bonnal, Mme Ménotti, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Talabardon, Ascensi, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Desportes ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de Mme le conseiller DURIN-KARSENTY, les observations de la société civile professionnelle MATUCHANSKY, POUPOT et VALDELIÈVRE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 27 février 2017, prescrivant son examen immédiat ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, article préliminaire, 63-8, 116, 591, 593 et 803-2 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté le moyen tiré de la nullité de l'interrogatoire de première comparution et des actes subséquents ;
" aux motifs qu'en dépit de pièces médicales établies dès le 17 janvier 2016 à 14 heures 54, ainsi que les 18 et 19 janvier 2016 (D 53, D 54, D 67) imposant que la garde à vue de M. Mohamed X... se déroule en milieu hospitalier, cette mesure a en réalité été exercée, à partir du 18 janvier 2016 dans la soirée soit aux alentours de 18 heures 30 (D 66, D 67, D 73) et jusqu'au 19 janvier 2016 à 12 heures 15, dans les locaux des services de police, dans des conditions qui portent nécessairement atteinte à la personne concernée ainsi privée durant cette mesure de garde à vue des soins que son état justifiait ; qu'il en découle que seuls le procès-verbal d'audition du 19 janvier 2016 à 9 heures 53 (D 65) et le procès-verbal de fin de garde à vue du 19 janvier 2016 à 12 heures 15 (D 68) encourent la nullité, les procès-verbaux de notification de garde à vue du 17 janvier à 12 heures 30 (D 47), d'audition réalisée le 17 janvier à 15 heures 20 (D 51) ayant été dressés alors que l'intéressé était hospitalisé ; que le procès-verbal d'audition du 18 janvier à 10 heures 40 (D 55) a également été établi durant l'hospitalisation de M. X... […] ; que les autres procès-verbaux établis durant le temps de la garde à vue ne trouvent pas leur support nécessaire dans les pièces annulées de sorte qu'ils n'ont pas vocation à être annulés ; que l'interrogatoire de première comparution de M. X... trouve son support nécessaire dans les actes d'enquête (constatations, auditions de victimes et témoins, exploitation des images de vidéo surveillance …), ainsi que dans le réquisitoire introductif du procureur de la République, et non dans les actes annulés lors desquels l'intéressé ne s'est d'ailleurs pas incriminé, étant relevé, d'une part, que les pièces médicales en procédure (D 67 notamment) ne montrent pas que l'état de l'intéressé aurait été incompatible avec une comparution et une audition devant le juge d'instruction, d'autre part, que l'intéressé assisté par son avocat a été en mesure de comprendre les enjeux de l'acte, dès lors qu'il a usé de son droit de se taire ; que trouvant son support dans un acte régulier, le placement sous contrôle judiciaire de M. X..., au demeurant apte à entendre une telle notification (Ca 4), ne peut encourir l'annulation ; que le moyen tiré de la nullité de l'interrogatoire de première comparution et des actes subséquents qui y trouvent leur support nécessaire sera en conséquence rejeté ; que la chambre de l'instruction constate l'absence de cause de nullité dans le dossier de la procédure arrêtée à la cote D 145 ;
" 1°) alors que le défèrement immédiat devant le juge d'instruction, à l'issue d'une garde à vue, est une mesure de contrainte qui a pour effet de prolonger, pendant sa durée d'exécution, la période de privation de liberté subie par la personne gardée à vue ; que, tout comme la garde à vue qui le précède, le défèrement immédiat ne peut intervenir dans des conditions incompatibles avec l'état de santé de la personne concernée ; que la chambre de l'instruction a elle-même constaté, sur la base des pièces médicales du dossier, que l'état de santé présenté par M. X... le 19 janvier 2016 était incompatible avec une garde à vue hors du milieu hospitalier ; qu'en retenant néanmoins, en dépit de cette constatation, qu'il n'était pas établi que l'état de l'intéressé était incompatible avec son défèrement le jour même devant le juge d'instruction, dans les locaux du tribunal de grande instance de Montpellier, la chambre de l'instruction a statué par des motifs contradictoires et privé en conséquence sa décision de motifs ;
" 2°) alors que la personne qui comparaît pour la première fois devant le juge d'instruction, en vue de sa mise en examen, a le droit, soit de faire des déclarations, soit de répondre aux questions qui lui sont posées, soit de se taire ; que l'exercice de ce droit suppose que la personne soit en mesure de choisir librement entre les trois options qui lui sont ouvertes ; qu'aux termes du rapport médical déposé le 22 janvier 2016 (D 114), à la suite de l'examen pratiqué le 19 janvier 2016, à 19 heures 30, à la demande du juge d'instruction, M. X... était « inapte à participer à des débats » lors de sa première comparution devant le magistrat instructeur, le 19 janvier 2016 ; qu'en retenant que l'intéressé aurait été en mesure de comprendre les enjeux de la comparution, dès lors qu'il avait usé du droit de se taire, sans mieux expliquer en quoi il ne résultait pas du rapport médical du 22 janvier 2016 que son état de santé l'avait contraint à exercer cette option, et l'avait empêché de faire des déclarations ou de répondre à des questions, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Vu les articles 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et 116 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'il se déduit de ces textes que porte nécessairement atteinte aux intérêts d'une personne mise en examen, le fait que le juge d'instruction procède à son interrogatoire de première comparution dans des conditions incompatibles avec son état de santé, peu important qu'elle n'ait, à cette occasion, pas fait de déclarations par lesquelles elle se serait incriminée ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure, qu'à la suite d'une rixe entre deux groupes armés de poings américains, de tasers et d'une arme à feu, survenue le 17 janvier 2016, vers 5 heures 15, dans une discothèque, M. Mohamed X..., blessé, a été admis à l'hôpital de Sète ; que des armes de poing ayant été découvertes dans son véhicule et plusieurs témoignages le mettant en cause comme l'un des possibles agresseurs, il a été placé en garde à vue le 17 janvier 2016 dans cet établissement hospitalier à compter de 12 heures 30 ; qu'un examen médical, réalisé à 14 heures 54, a conclu à la compatibilité de son état de santé avec une mesure de garde à vue en milieu hospitalier ; qu'il a été entendu à 15 heures 20, assisté de son conseil ; que le procureur de la République, à 17 heures 47 a requis son transfert à l'hôpital Lapeyronnie, à Montpellier, où l'intéressé a été entendu le 18 janvier à 10 heures 40 ; que la prolongation de sa garde à vue lui a été notifiée le même jour à 11 heures 30 ; qu'un examen médical, effectué à 12 heures 30, a conclu que l'état de santé de M. X... était compatible avec la prolongation de garde à vue sous réserves de soins et d'une surveillance en milieu hospitalier ; qu'il a été transféré le lendemain au commissariat de police et entendu à compter de 9 heures 53 ; qu'un médecin requis à 10 heures 18 a déposé son rapport à 12 heures et a conclu que M. X... était inapte à une mesure de garde à vue excepté en milieu hospitalier ; que la garde à vue a été levée le 19 janvier à 12 heures 30 ; qu'une information étant ouverte, M. X... a été déféré dans le cabinet du juge d'instruction qui a procédé à son interrogatoire de première comparution le 19 janvier de 16 heures 31 à 16 heures 43, avant de lui notifier sa mise en examen ; que, par ordonnance du même jour, prise à 18 heures 09, le juge d'instruction a désigné un médecin aux fins d'examen médical de l'intéressé, effectué à 19 heures 30 ; que ce rapport a relevé que M. X... était apte à entendre une notification de contrôle judiciaire, cette notification étant intervenue à 22 heures le même jour dans les locaux de l'établissement hospitalier ; que le rapport d'expertise médicale déposé le 22 janvier suivant a relevé que l'intéressé était apte à ce qu'on lui notifie des éléments mais inapte à participer à des débats, inapte à la garde à vue et à une incarcération en dehors d'un cadre hospitalier ; que, par requête, en date du 18 juillet 2016, M. X... a soulevé la nullité de sa garde à vue, celle de sa mise en examen et des actes subséquents ;
Attendu qu'après avoir annulé les procès-verbaux de l'audition et de fin de garde à vue du 19 janvier 2016, réalisés au sein des locaux des services de police dans des conditions incompatibles avec les constats des certificats médicaux, l'arrêt attaqué, pour rejeter le moyen de nullité de l'interrogatoire de première comparution, énonce notamment que cet acte trouve son support nécessaire dans les actes d'enquête ainsi que dans le réquisitoire introductif du procureur de la République, et non dans les actes annulés lors desquels l'intéressé ne s'est d'ailleurs pas incriminé ; que les juges relèvent que les pièces médicales en procédure ne montrent pas que l'état de l'intéressé aurait été incompatible avec une comparution et une audition devant le juge d'instruction ; qu'ils retiennent que l'intéressé assisté par son conseil a été en mesure de comprendre les enjeux de l'acte dès lors qu'il a usé de son droit de se taire ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'en dépit du certificat médical effectué avant la levée de la garde à vue mentionnant que l'intéressé était inapte à être soumis à cette mesure en dehors du milieu hospitalier, ce dernier a fait l'objet d'un défèrement devant le juge d'instruction, qui a procédé à sa première comparution et sa mise en examen dans des conditions demeurées incompatibles avec son état de santé, comme il résulte du certificat médical réalisé postérieurement à cet acte, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier, en date du 24 novembre 2016, mais en ses seules dispositions ayant rejeté le moyen tiré de la nullité de l'interrogatoire de première comparution et des actes subséquents, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept juin deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.