LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à la société GMF assurances du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Christophe Z..., pris en la personne de ses ayants droit ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles L. 211-9 et R. 211-40 du code des assurances ;
Attendu que l'offre d'indemnisation, tant en ce qui concerne l'étendue du droit à réparation que le montant des indemnités proposées, ne peut engager l'assureur que si elle est acceptée par la victime ou ses ayants droit ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 1er juillet 2009, M. Y..., qui circulait en motocyclette, a été victime d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué le véhicule conduit par Christophe Z..., assuré auprès de la société GMF assurances (l'assureur) ; que M. Y... et son épouse, Mme Y..., ont assigné Christophe Z..., aujourd'hui décédé, et l'assureur en réparation de leurs préjudices en présence de la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts-de-Seine ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable la contestation par l'assureur du droit de M. Y... à l'entière indemnisation de son préjudice et le condamner, en conséquence, à payer la somme de 563 212,70 euros à M. Y... en réparation de son préjudice corporel et la somme de 5 000 euros à son épouse en réparation de son préjudice moral, l'arrêt retient que, par courrier daté du 10 septembre 2010, l'assureur a écrit au conseil de M. Y... en lui indiquant qu'il acceptait d'indemniser intégralement les dommages résultant des atteintes à sa personne et a fait une offre à la victime portant sur l'indemnisation de son préjudice intégral par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 avril 2012 ; que ce n'est qu'à la suite du refus de cette offre et de la saisine par M. Y... de la juridiction compétente par acte du 7 septembre 2012 que l'assureur a contesté le droit à indemnisation de la victime ; que la loi du 5 juillet 1985 impose à l'assureur de faire à la victime une offre d'indemnisation et l'article R. 211-40 du code des assurances prévoit que « l'offre doit préciser, le cas échéant, les limitations ou exclusions d'indemnisation retenues par l'assureur ainsi que leurs motifs » ; que ces dispositions qui sont d'ordre public confèrent à l'offre valeur de convention au moment de l'acceptation par la victime de cette offre ; qu'ainsi, si la victime entend contester le montant des indemnisations offertes et saisir la juridiction, l'assureur reprend son libre-arbitre quant aux indemnités proposées, aucune transaction ne liant les parties ; que cependant, s'agissant de l'étendue du droit à indemnisation de la victime, l'assureur, qui a eu connaissance des pièces relatives aux circonstances de l'accident, et notamment du procès-verbal de police, ne peut revenir sur son engagement d'indemniser la victime sans dénaturer le processus d'indemnisation prévu par la loi du 5 juillet 1985 ; que l'assureur, qui était débiteur d'une obligation à l'égard de M. Y... et lui a laissé croire pendant plus de deux ans qu'il l'indemniserait de son entier préjudice, tente de revenir sur son engagement, créant pour la victime une apparence trompeuse, et trompe ainsi les attentes légitimes de M. Y... ; que le changement de position de l'assureur, amenant l'autre partie à modifier ses demandes, lui porte préjudice ; qu'il s'ensuit que lorsqu'une partie se contredit au détriment d'autrui, et remet ainsi en cause l'attente légitime du créancier d'une obligation, ce manquement à l'obligation de cohérence peut constituer une fin de non-recevoir ; que la demande de l'assureur tendant à voir la cour d'appel se prononcer sur le droit à indemnisation de M. Y... doit être déclarée irrecevable, l'assureur ayant reconnu que ce droit à indemnisation était entier ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que M. Y... avait refusé l'offre d'indemnisation qui lui avait été faite, ce dont il résultait que l'assureur pouvait librement la modifier et que la victime ne pouvait légitimement en attendre le bénéfice, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, sauf en ses dispositions relatives au sursis à statuer, l'arrêt rendu le 21 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. et Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit juin deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société GMF assurances
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevable la contestation, par la GMF, du droit de M. Y... à l'entière indemnisation de son préjudice et d'avoir condamné, en conséquence, la GMF à payer la somme de 563 212,70 euros à M. Y... en réparation de son préjudice corporel et la somme de 5 000 euros à son épouse en réparation de son préjudice moral ;
Aux motifs que par lettre du 10 septembre 2010, la GMF avait écrit au conseil de M. Y... en lui indiquant qu'elle acceptait d'indemniser intégralement les dommages résultant des atteintes à la personne de M. Y... et avait fait une offre à la victime portant sur l'indemnisation de son préjudice intégral par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 avril 2012 ; que ce n'était qu'à la suite du refus de cette offre et de la saisine par M. Y... de la juridiction compétente, par acte du 7 septembre 2012, que la GMF avait contesté le droit à indemnisation de la victime ; que la loi du 5 juillet 1985 imposait à l'assureur de faire à la victime une offre d'indemnisation devant préciser les limitations ou exclusions d'indemnisation retenues par l'assureur ainsi que leurs motifs ; que ces dispositions d'ordre public conféraient à l'offre valeur de convention au moment de l'acceptation par la victime de cette offre ; qu'ainsi, si la victime entendait contester le montant des indemnisations offertes et saisir la juridiction, l'assureur reprenait son libre-arbitre quant aux indemnités proposées, aucune transaction ne liant les parties ; que cependant, s'agissant de l'étendue du droit à indemnisation de la victime, l'assureur qui avait eu connaissance des pièces relatives aux circonstances de l'accident et notamment du procès-verbal de police, ne pouvait revenir sur son engagement d'indemniser la victime sans dénaturer le processus d'indemnisation prévu par la loi du 5 juillet 1985 ; qu'en effet, la GMF, qui était débitrice d'une obligation à l'égard de M. Y... et lui avait laissé croire pendant plus de deux ans qu'elle l'indemniserait de son entier préjudice, tentait de revenir sur son engagement, créant pour la victime une apparence trompeuse et trompait ainsi les attentes légitimes de M. Y... ; que le changement de position de la GMF, amenant l'autre partie à modifier ses demandes, lui portait préjudice ; que lorsqu'une partie se contredisait au détriment d'autrui et remettait ainsi en cause l'attente légitime du créancier d'une obligation, ce manquement à l'obligation de cohérence pouvait constituer une fin de non-recevoir ; que la demande de la GMF tendant à voir la cour se prononcer sur le droit à indemnisation de M. Y... devait donc être déclarée irrecevable, la GMF ayant reconnu que ce droit à indemnisation était entier ;
Alors 1°) que l'offre d'indemnisation ne peut engager l'assureur que si elle est acceptée par la victime ; qu'en interdisant à la GMF de revenir sur son offre d'indemniser la victime formulée le 6 avril 2012, après avoir constaté que celle-ci avait été refusée par M. Y... qui avait saisi la juridiction compétente le 7 septembre 2012, la cour d'appel a violé les articles L. 211-9 et R. 211-40 du code des assurances ;
Alors 2°) qu'après avoir retenu que si la victime entendait contester le montant des indemnisations offertes par l'assureur et saisir la juridiction, l'assureur reprenait son libre-arbitre quant aux indemnités proposées, aucune transaction ne liant alors les parties, la cour d'appel, qui a ensuite refusé à la GMF le droit de revenir sur son offre d'indemniser la victime avant que celle-ci ne l'accepte, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a de nouveau violé les articles L. 211-9 et R. 211-40 du code des assurances ;
Alors 3°) que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; que la cour d'appel, qui a estimé que la GMF avait laissé croire pendant plus de deux ans à M. Y... qu'elle l'indemniserait de son entier préjudice, après avoir constaté que l'offre faite à la victime d'indemniser intégralement son préjudice datait du 6 avril 2012 et que M. Y... avait refusé l'offre avant de saisir la juridiction compétente le 7 septembre 2012, soit cinq mois seulement après l'offre, a entaché sa décision de contradiction et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Alors 4°) et subsidiairement que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'à supposer que la cour d'appel ait considéré que l'offre d'indemniser intégralement M. Y... avait été formulée par la lettre adressée au conseil de ce dernier par la GMF le 10 septembre 2010, elle a, en toute hypothèse, entaché sa décision de contradiction, en énonçant d'un côté, que l'assureur avait laissé croire à l'assuré pendant plus de deux ans qu'il l'indemniserait de son entier préjudice et, de l'autre, que la saisine de la juridiction par M. Y... datait du 7 septembre 2012, soit moins de deux ans après la lettre du 10 septembre 2010, et a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Alors 5°) et subsidiairement que pour juger irrecevable la contestation, par la GMF, du droit de M. Y... à l'entière indemnisation de son préjudice, la cour d'appel, qui a considéré que l'assureur s'était contredit au détriment de M. Y... en se fondant sur le seul fait qu'il avait eu connaissance des pièces relatives aux circonstances de l'accident avant de rédiger l'offre d'indemnisation intégrale de son préjudice, cependant qu'il ressortait de ses propres constatations que M. Y... ayant refusé l'offre d'indemnisation du 6 avril 2012, que la GMF était tenue de formuler, avant de saisir lui-même la juridiction, aucun comportement déloyal ou contradictoire de l'assureur n'était caractérisé, a violé l'article 122 du code de procédure civile.
Le greffier de chambre