LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que M. X... a constitué en 1994 avec son épouse, Mme Y..., la société SCEA Lou Mistraou (la société) dont ils détenaient, chacun, la moitié du capital et dont ils étaient tous deux cogérants ; que Mme Y... et M. X... étaient par ailleurs associés et cogérants du groupement d'intérêt économique Le Jardin des papes ; que par un acte sous seing privé en date du 26 décembre 2005, Mme Y... a cédé à M. X... ses parts dans le capital de la société moyennant le prix de 100 000 euros, payable au moyen d'un prêt octroyé par Mme Y..., qui devait être soldé dans le cadre de la procédure de divorce engagée par les époux ; que tandis que Mme Y... a assumé jusqu'en février 2007, avec l'accord de M. X..., des fonctions de gestion administrative et comptable au sein de la société, M. X... a créé le 23 mars 2007 la société Le Jardin des papes ; que, reprochant à M. X... d'avoir fait adopter par des assemblées générales extraordinaires de la société des décisions en fraude de ses droits, Mme Y... l'a assigné ainsi que la société Lou Mistraou et la société Le Jardin des papes en annulation de ces assemblées ainsi qu'en remboursement de la valeur de ses parts sociales ; que la société Lou Mistraou a demandé reconventionnellement la condamnation de Mme Y... au remboursement de prélèvements injustifiés ;
Sur la recevabilité du pourvoi incident, contestée par la défense :
Vu l'article 409 du code de procédure civile ;
Attendu que la société Lou Mistraou, d'une part, M. X..., d'autre part, soutiennent que le pourvoi incident est irrecevable en raison de l'acquiescement de Mme Y... à l'arrêt attaqué ;
Attendu qu'il résulte en effet des productions que par conclusions déposées le 28 avril 2015 au tribunal de grande instance de Carpentras, Mme Y... a demandé sans réserves la condamnation de M. X... à lui restituer le prix de la cession de ses droits sociaux au visa de l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 19 février 2015 en ce qu'il valide la cession de parts sociales du 26 décembre 2005, demandes à nouveau formulées sans réserves dans des conclusions identiques déposées le 9 octobre 2015, après déclaration de pourvoi de la société Mistraou ; qu'ainsi, Mme Y... a manifesté sa volonté non équivoque d'accepter l'arrêt frappé de pourvoi ;
Que, dès lors, le pourvoi incident est irrecevable ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche :
Vu l'article 1842, alinéa 1, du code civil ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société Lou Mistraou de remboursement de sommes dont le détournement est imputé à Mme Y..., l'arrêt relève l'existence d'une confusion dans la tenue des comptes sociaux approuvée par M. X..., qui connaissait les manipulations comptables opérées par Mme Y... ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la demande de remboursement était formée par la société Lou Mistraou, personne morale distincte de ses deux cogérants, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief :
Déclare IRRECEVABLE le pourvoi incident ;
Et sur le pourvoi principal :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de remboursement de sommes dont le détournement est imputé à Mme Y..., l'arrêt rendu le 19 février 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Met hors de cause, sur leur demande, M. X... et la société Le Jardin des papes relativement au pourvoi formé par la société Lou Mistraou ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour la société SCEA Lou Mistraou
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la SCEA LOU MISTRAOU de sa demande de condamnation de Madame Y... à lui payer la somme à titre principal de 488.093,92 euros et, à titre subsidiaire, de 422.823,45 euros, au titre des décaissements injustifiés dont elle était l'instigatrice au moyen de malversations comptables ;
AUX MOTIFS QUE « Sur la base du rapport d'audit commandé par la SCEA à l'expert comptable Roustan, celle là réclame, en demandant à la cour d'évoquer, le paiement de la somme de 488.093,92 euros à titre principal et celle de 422.823,45 euros à titre subsidiaire au titre des décaissements effectués par madame Y... :
Le premier juge a réservé ces demandes dans l'attente du dépôt de son rapport par l'expert qu'il a commis :
Madame Y... conteste à bon droit ces prétentions :
En effet, c'est par analyse minutieuse du rapport de l'audit établi par Monsieur Z..., devenu expert comptable de la société, qu'elle a relevé de nombreuses anomalies dans l'articulation des observations faites, sachant que l'homme de l'art a procédé :
« A la vérification des pièces comptables significatives conformément à vos demandes ainsi que lorsque cela a été possible, à la destination effective des sommes réglées au titre de ces factures » D'autre part les contrôles ont été effectués par sondage sur deux des plus importants fournisseurs de la Société sur cette période.
A partir de ces examens partiels des pièces comptables, il a ainsi relevé, en ce qui concerne ces deux principaux fournisseurs l'existence de fausses factures passées en comptabilité par Madame Y... pour un montant total de 353.039,92 euros, les sommes correspondantes, et au moins 242.662,12 euros ayant remis à « des tiers » certains chèques étant eux-mêmes encaissés par Madame Y....
Il affirme que les bilans et comptes de résultat des exercices 2000 à 2006 ne reflètent pas la réalité économique de la société.
Cependant Madame Y... objecte que l'échantillon analysé n'est pas significatif de la réalité de l'activité de l'entreprise et cite les autres fournisseurs habituels et au moins aussi important pour certains comme la Société Grambois ou CAPE :
D'autre part, elle produit les relevés bancaires pour ces années du GIE Le Jardin des Papes qui démontrent que de nombreuses opérations ont été effectuées via ce compte, notamment au profit direct de Monsieur X....
Elle affirme sans être utilement contredite que le compte du GIE a fonctionné comme « une caisse noire » au profit des époux durant leur mariage et que Monsieur X... a continué de l'utiliser après son départ :
Pour preuve des manoeuvres imputées à Madame Y..., il lui est reproché la création dissimulée de trois comptes bancaires sur lesquels elle faisait transiter de l'argent qu'elle utilisait ensuite à son profit ;
Or, Madame Y... démontre que l'un des comptes ouvert le 31 août 1998 au nom de l'une de leurs filles l'a été conjointement par les époux Y..., avec dépôt le jour même d'un chèque d'un montant de 100.000 francs tirés sur le compte bancaire de la SCEA et que lui seul a ouvert à la même époque un compte Epargne Populaire qu'il a alimenté sur le champ par la remise de la somme de 34.300 francs ; en outre en 1998 un compte Epargne Populaire a été ouvert au nom de Madame Y... et sur lequel Monsieur X... possédait une procuration ;
La SCEA glose sans fondement sur les conclusions de Madame Y... concernant le solde de 129.000 euros du GIE, porté brusquement au montant de zéro, pour considérer qu'elle fait un aveu du détournement de cette somme, ce qui est inexact puisque justement elle s'interroge, de manière plutôt accusatoire, sur l'absence d'explication et le silence de l'expert-comptable auditeur sur la brutale disparition des comptes du GIE du montant de cette somme ;
En conclusion, elle donne crédit à son affirmation selon laquelle le couple utilisait cette « caisse noire » à leur usage et pour les besoins de la famille, de chacun des époux et les loisirs du couple ;
Il apparaît clairement qu'une confusion dans la tenue des comptes de la société qui avait nécessairement l'approbation de Monsieur X... avait été mise en place et que les manipulations comptables opérées par Madame Y... lui étaient connues, même s'il n'est pas possible d'affirmer à ce jour dans quelle mesure tous les paiements qui ont profité à l'un ou l'autre des époux Y... sont légitimes ;
Ainsi la demande de paiement des sommes prétendument détournées ne peut qu'être rejetée et en l'absence d'indices suffisamment sérieux d'une créance contre Madame Y..., il n'appartient pas à la Cour de pallier la carence en preuve dont est débitrice la SCEA en organisant une mesure d'expertise, même si elle lui est demandée » (arrêt attaqué p. 21 § 4 à 11 et p. 22).
ALORS, D'UNE PART, QUE la demande de remboursement des sommes décaissées par Madame Y... émanait de la SCEA LOU MISTRAOU, personne morale distincte de ses deux cogérants ; que le fait qu'une confusion dans la tenue des comptes de la SCEA, « qui (aurait eu) nécessairement l'approbation de Monsieur X..., (ait) été mise en place et que les manipulations comptables opérées par madame Y... (auraient été) connues » de celui-ci, n'affectait en rien son droit de demander, en tant que personne morale distincte, la réparation du préjudice subi du fait de ces manipulations et de cette confusion des comptes ; que la Cour d'Appel a donc méconnu le principe de la personnalité morale distincte de la SCEA LOU MISTRAOU et les articles 1832 et suivants du Code Civil ;
ALORS, D'AUTRE PART ET SUBSIDIAIREMENT, QUE le juge ne peut se prononcer par des motifs hypothétiques ou dubitatifs ; qu'en rejetant la demande de la SCEA LOU MISTRAOU au motif que la mise en place d'une confusion des comptes « nécessairement » été approuvée par Monsieur X..., la Cour d'appel a violé l'article 455 du CPC.