LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 3122-29 du code du travail en sa rédaction alors applicable, l'article L. 1221-1 du code du travail, ensemble l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... a été engagée le 9 octobre 1975 par la société Perso 2000, aux droits de laquelle vient la société Carrefour, en qualité de conseiller administratif et comptable ; qu'elle travaillait selon un horaire fixe du lundi au vendredi de 8 heures 30 à 16 heures ; que ses horaires de travail ont été modifiés au cours de l'année 2010 ; que le 17 novembre 2010, elle a reçu un avertissement en raison de son refus de respecter les horaires de travail ; qu'à compter du 7 février 2011 ses horaires ont été modifiés au sein d'un cycle de cinq semaines ; que le 18 avril 2011, elle a fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire de deux jours en raison de son refus de respecter les horaires de travail ; qu'elle a été licenciée le 31 octobre 2011 pour faute grave en raison de son refus de respecter les horaires de travail ;
Attendu que pour dire que le licenciement de la salariée reposait sur une faute grave et la débouter de l'ensemble de ses demandes, l'arrêt retient que si les nouveaux horaires varient selon la semaine alors que les horaires précédents étaient fixes, cette variation est particulièrement limitée et se caractérise deux lundis toutes les 5 semaines par une embauche avancée à 4 heures 45 et un samedi toutes les cinq semaines de 6 heures à 12 heures, que ni l'embauche anticipée deux lundis sur cinq, ni le travail un samedi matin sur cinq, alors que le samedi est un jour ouvré pour l'entreprise, ni même la combinaison de ces deux éléments ne constituent un élément objectif bouleversant l'économie du contrat de travail ni son équilibre, qu'en conséquence, l'employeur avait le loisir de modifier, les horaires de la salariée, que le refus de cette dernière de se soumettre aux nouveaux horaires, si elle a pu ne constituer un temps qu'un manquement justifiant tout d'abord un simple avertissement puis deux jours de mise à pied, a dégénéré, au regard même de sa très grande ancienneté, en une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise dès lors que malgré les sanctions précédentes elle persistait depuis plus d'un an à venir travailler alors qu'elle était en repos et à ne pas assurer son travail les samedi et lundi matin, qu'une telle insubordination, qui a persisté malgré deux sanctions disciplinaires, et sur une telle période, était de nature à désorganiser le service ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le passage, même partiel, d'un horaire de jour à un horaire de nuit constitue une modification du contrat de travail qui doit être acceptée par le salarié et qu'elle avait constaté que le nouvel horaire impliquait, certains jours, une prise de service à 4 h 45, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne la société Carrefour aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Carrefour à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé et signé par Mme Aubert-Monpeyssen, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, en remplacement du président empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile, en son audience publique du vingt-sept septembre deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour Mme X...
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le licenciement de Mme X... était justifié par une faute grave et d'avoir rejeté les demandes qu'elle formait au titre des indemnités de rupture ;
AUX MOTIFS QUE le changement d'horaire consistant dans une nouvelle répartition de l'horaire au sein de la journée, alors que la durée du travail et la rémunération restent identiques, constitue en principe un simple changement des conditions de travail relevant du pouvoir de direction du chef d'entreprise, et non une modification du contrat de travail ; Mais QUE les parties peuvent inclure une clause de fixation des horaires de travail dans le cadre d'un contrat de travail à temps plein ; QUE toutefois, la commune intention des parties de contractualiser les horaires de travail du salarié ne peut résulter de la seule pratique de ces horaires depuis de nombreuses années, quand bien même ils auraient été définis au regard des contraintes familiales du salarié ; QUE, par exception au principe précédent, un bouleversement des horaires est susceptible de constituer une modification du contrat nonobstant la nature extracontractuelle de l'élément modifié et ce à raison de l'incidence, objective ou subjective, de la modification sur la situation personnelle du salarié ; QUE c'est ainsi que, sur le plan objectif, le changement d'horaire constitue une modification du contrat de travail s'il est d'une importance telle qu'il en bouleverse l'économie ou l'équilibre, tel le passage d'un horaire de jour à un horaire de nuit, le passage d'un horaire continu à un horaire discontinu, d'un horaire fixe à un horaire variable et encore d'un horaire fixe à un horaire variant chaque semaine selon un cycle ;
QU'enfin, sur le plan subjectif, la modification des horaires, si elle n'est pas objectivement importante, doit encore être appréciée au regard de la situation personnelle du salarié car le pouvoir de direction de l'employeur ne saurait porter une atteinte excessive à son droit au respect de la vie personnelle et familiale ou à son droit au repos ; QU'en l'espèce, en l'absence de contrat de travail écrit, les horaires, même très longtemps appliqués à la salariée, soit du lundi au vendredi de 8 heures 30 à 16 heures ne constituent nullement un élément contractualisé de la commune intention des parties ; QUE dès lors, il convient de rechercher si les nouveaux horaires bouleversent l'économie ou l'équilibre du contrat ; QUE certes, les nouveaux horaires varient selon la semaine alors que les horaires précédents étaient fixes, mais cette variation est particulièrement limitée et se caractérise deux lundis toutes les 5 semaines par une embauche avancée à 4 heures 45 et un samedi toutes les cinq semaines de 6 heures à 12 heures ; QUE ni l'embauche anticipée deux lundis sur cinq, ni le travail un samedi matin sur cinq, alors que le samedi est un jour ouvré pour l'entreprise, ni même la combinaison de ces deux éléments ne constituent un élément objectif bouleversant l'économie du contrat de travail ni son équilibre ; QUE sur un plan objectif, alors que la salariée était âgée à l'époque des faits de 56 ans et avait achevé d'élever ses enfants, elle se contente de faire valoir qu'elle est très attachée à sa vie familiale et que les nouveaux horaires entraînent forcément un changement de ses habitudes ; QU'ainsi, il n'est établi par aucun élément que la modification des horaires porte une atteinte excessive au respect de sa vie personnelle et familiale ni à son droit au repos ; QUE la salariée fait encore valoir qu'en réalité elle devait travailler non pas un samedi toutes les 5 semaines mais 2 comme elle aurait dû le faire les 20 novembre 2010, 4 décembre 2010 et 18 décembre 2010 ; QUE ces dates ne concernent nullement les griefs articulés dans la lettre de licenciement et ne lui ont porté aucun préjudice puisque précisément elle n'a jamais accepté de travailler le samedi ; QUE la salariée fait valoir subsidiairement que l'employeur a abusé de son pouvoir de direction dès lors qu'il ne justifie pas que le changement d'horaires était dans l'intérêt de l'entreprise ; QU'en l'espèce, la modification des horaires, qui s'appliquait à l'ensemble des salariés du service, avait été présentée et discutée en comité d'établissement et en CHSCT et elle se fondait sur un plan de réorganisation précis visant l'adaptation du service aux évolutions du commerce ; QUE dès lors que l'abus n'est pas établi, il n'appartient pas au juge de s'immiscer plus avant dans l'exercice du pouvoir de direction qui relève alors de la liberté du chef d'entreprise ; QU'en conséquence, l'employeur avait le loisir de modifier, dans les limites de l'espèce, les horaires de la salariée ; QUE le refus de cette dernière de se soumettre aux nouveaux horaires, si elle a pu ne constituer un temps qu'un manquement justifiant tout d'abord un simple avertissement puis deux jours de mise à pied, a dégénéré, au regard même de sa très grande ancienneté, en une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise dès lors que malgré les sanctions précédentes elle persistait depuis plus d'un an à venir travailler alors qu'elle était en repos et à ne pas assurer son travail les samedi et lundi matin ; QU'en effet, une telle insubordination, qui a persisté malgré deux sanctions disciplinaires, et sur une telle période, était de nature à désorganiser le service ;
1- ALORS QU'en matière de faute grave, la charge de la preuve pèse exclusivement sur l'employeur, et le salarié n'a rien à démontrer ; que Mme X... ayant été licenciée pour avoir refusé une modification de ses horaires de travail, il revenait à l'employeur de démontrer que, comme il le soutenait, l'horaire de travail n'était pas contractualisé ; qu'en jugeant néanmoins qu' « en l'absence de contrat de travail écrit, les horaires, même très longtemps appliqués à la salariée, soit du lundi au vendredi de 8 heures 30 à 16 heures ne constituent nullement un élément contractualisé de la commune intention des parties », la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, ensemble l'article 1315 du code civil ;
2- ALORS QUE le passage, même partiel, d'un horaire de jour à un horaire de nuit constitue une modification du contrat de travail qui ne peut être imposée au salarié et qu'il doit accepter ; qu'en jugeant que la société Carrefour pouvait imposer à Mme X..., qui avait jusque alors pratiqué un horaire fixe et constant du lundi au vendredi, de 8 h à 16 h, une modification de ses horaires impliquant que certaines de ses journées débutent à 4 h 45 du matin, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 L. 1234-9 et L. 3122-29 du code du travail ;
3- ALORS QUE, de même, le passage d'un horaire fixe à un horaire variable par cycles constitue une modification du contrat de travail qui ne peut être imposée au salarié et qu'il doit accepter ; qu'en jugeant que la société Carrefour pouvait imposer à Mme X..., jusqu'alors soumise à un horaire fixe, un horaire par cycles de cinq semaines, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
4- ALORS QU'encore, la privation du bénéfice de deux jours de repos consécutifs constitue une modification du contrat de travail qui ne peut être imposée au salarié et doit être acceptée ; qu'en jugeant que la société Carrefour pouvait imposer à Mme X... de travailler certains samedis et d'être ainsi privée de deux jours de repos consécutifs dont elle avait jusqu'alors bénéficié chaque semaine, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
5- ALORS QU'enfin, la cour d'appel ne pouvait refuser de prendre en considération le fait que le planning imposait en réalité de travailler plus d'un samedi sur cinq, sans rechercher si ce point était avéré ; qu'elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
6- ALORS QUE, subsidiairement, le refus par un salarié d'un changement de ses conditions de travail, s'il rend le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, ne constitue pas à lui seul une faute grave ; qu'en jugeant que Mme X... avait commis une faute grave en refusant une modification de ses horaires, la cour d'appel a violé les articles .L 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail, ensemble l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
7- ET ALORS, toujours subsidiairement, que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du contrat de travail même pendant la durée limitée du préavis ; que la cour d'appel ne pouvait donc qualifier de faute grave le fait pour Mme X..., de refuser une modification de ses horaires, sans préciser en quoi ce refus dont il était constant qu'il persistait depuis plus d'un an, rendait impossible le maintien du contrat de travail même pendant la durée du préavis ; qu'elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles L 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail.