LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 12 mai 2016), qu'ayant pris connaissance de la décision de la Commission départementale d'aménagement commercial (CDAC) autorisant la création, à proximité immédiate du sien, d'un important centre commercial comprenant un magasin Brico Leclerc, la société Bricolor, qui exploitait un magasin à l'enseigne Mr Bricolage, en a informé la société Mr Bricolage ; que celle-ci a demandé à son conseil de former, au nom de la société Bricolor, un recours contre cette décision auprès de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), puis de s'en désister ; que reprochant à la société Mr Bricolage, qui ne l'avait pas avisée du désistement, de lui avoir fait perdre une chance d'obtenir l'annulation de l'autorisation d'implantation du magasin Brico Leclerc, la société Bricolor l'a assignée en réparation de son préjudice ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Mr Bricolage fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a commis une faute en donnant instruction à l'avocat saisi de se désister du recours, que la société Bricolor disposait d'une chance sur deux d'obtenir l'annulation de la décision de la CDAC, qu'il existe un lien de causalité entre la faute commise par la société Mr Bricolage et le préjudice subi par la société Bricolor et d'ordonner, avant dire-droit, une expertise sur ce préjudice en accordant à celle-ci une provision alors, selon le moyen :
1°/ que caractérise un mandat l'acte aux termes duquel une personne donne pouvoir à une autre d'accomplir des actes en son nom et pour son compte ; qu'en l'espèce, l'arrêt relève que « La société Mr Bricolage qui a fait choix de l'avocat, n'était pas partie au litige et n'a donc pu intervenir qu'en qualité de mandataire de la société Bricolor » ; qu'en affirmant que la société Mr Bricolage était mandataire de la société Bricolor, sans caractériser les éléments dont il aurait résulté que la société Bricolor aurait donné pouvoir à la société Mr Bricolage de saisir un avocat à l'effet de former un recours contre la décision de la CDAC du 24 juin 2009 ou aurait ratifié après coup la décision prise à la seule initiative de la société Mr Bricolage d'introduire ce recours, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1984 du code civil ;
2°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la société Mr Bricolage contestait l'existence d'un mandat qui lui aurait été confié par la société Bricolor pour saisir Me Page à l'effet de former un recours contre la décision de la commission départementale d'aménagement commerciale du 24 juin 2009, en justifiant qu'elle n'avait eu aucune instruction en ce sens de la société Bricolor ; qu'en ne répondant pas à ce moyen opérant démontrant l'absence de mandat, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, qu'ayant retenu qu'en prenant l'initiative du désistement de sa propre autorité, après avoir donné instruction à son conseil d'exercer un recours au nom de la société Bricolor contre la décision litigieuse de la CDAC, la société Mr Bricolage avait commis une faute, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
Et attendu, d'autre part, que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à un moyen que ses constatations sur la faute ainsi commise rendaient inopérant ;
D'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en sa première branche, qui critique un motif surabondant, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que la société Mr Bricolage fait grief à l'arrêt de dire que la société Bricolor disposait d'une chance sur deux d'obtenir l'annulation de l'autorisation donnée par la CDAC, qu'il existe un lien de causalité entre la faute par elle commise et le préjudice subi par la société Bricolor et d'ordonner, avant dire-droit, une expertise sur ce préjudice, en accordant à celle-ci une provision alors, selon le moyen :
1°/ que lorsque le dommage réside dans la perte de chance de réussite d'une action en justice, le caractère sérieux de la chance perdue s'apprécie au regard de la seule probabilité de succès de cette action, qu'il appartient aux juges du fond d'évaluer en reconstituant fictivement la discussion qui n'a pu s'instaurer en raison de la faute du mandataire ; que l'existence d'une perte de chance sérieuse d'obtenir l'annulation d'une décision de la commission départementale d'aménagement commercial dépend exclusivement de la nature des moyens d'annulation et de la discussion qui aurait pu s'instaurer devant la Commission nationale d'aménagement commercial ; qu'en l'espèce, pour estimer que la chance pour la société Bricolor d'obtenir l'annulation de la décision de la CDAC de la Moselle du 24 juin 2009 pouvait être estimée à une sur deux, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que « le recours du 16 juillet 2009 (…) avançait des arguments qui n'apparaissaient pas dénués de pertinence » ; qu'en n'identifiant ni n'analysant aucun des moyens qui auraient été susceptibles d'entraîner l'annulation de la décision de la CDAC, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa version applicable au présent litige ;
2°/ que lorsque le dommage réside dans la perte de chance de réussite d'une action en justice, le caractère sérieux de la chance perdue s'apprécie au regard de la seule probabilité de succès de cette action, qu'il appartient aux juges du fond d'évaluer en reconstituant fictivement la discussion qui n'a pu s'instaurer en raison de la faute du mandataire ; que la perte de chance d'obtenir l'annulation d'une décision de la CDAC s'analyse au regard des moyens opérants et de la discussion opérante qui aurait pu s'instaurer devant la Commission nationale d'aménagement commercial, au regard des critères énoncés à l'article L. 752-6 du code de commerce parmi lesquels, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, ne figure plus le critère de la densité d'équipement commercial de la zone de chalandise concernée ; qu'en l'espèce, pour estimer que la chance pour la société Bricolor d'obtenir l'annulation de la décision de la CDAC de la Moselle du 24 juin 2009 pouvait être estimée à une sur deux, la cour d'appel s'est bornée à faire allusion à l'implantation du magasin Brico Leclerc dans une « zone déshéritée et à la population déclinante, mais pourtant déjà largement pourvue en magasins du même type », ainsi qu' « l'implantation d'ensembles commerciaux comparables dans la même zone de chalandise » et donc à des arguments inopérants, tirés de la densité en magasin de bricolages de la zone de chalandise ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa version applicable au présent litige et l'article L. 752-6 du code de commerce ;
3°/ que la cour d'appel devait d'autant plus s'expliquer précisément sur le contenu des moyens susceptibles d'entraîner l'annulation de la décision de la CDAC qu'une annulation par la CNAC n'aurait pas empêché la société Brico Leclerc de réitérer sa demande et d'obtenir une nouvelle autorisation ; que cet élément était de nature à rendre purement théorique la perte de chance alléguée ; qu'en s'abstenant de procéder à une telle recherche, ainsi qu'elle y était invitée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt constate que le recours contre la décision litigieuse de la CDAC fait une analyse de la conformité de l'autorisation délivrée par celle-ci ; qu'il relève que les arguments qui y sont présentés n'apparaissent pas dénués de pertinence au regard des critères légaux de l'aménagement du territoire et du développement durable, puisqu'il s'agit de l'implantation d'un ensemble commercial important sur une friche industrielle et dans une zone déshéritée à la population déclinante, mais pourtant déjà très largement pourvue en magasins du même type ; qu'il relève, encore, qu‘une autorisation d'installation, dans une commune voisine, d'un magasin similaire, qui avait été accordée par la CDAC à la même date que celle concernant le magasin Brico Leclerc, avait, sur un recours, été annulée par la CNAC ; qu'il en déduit que la société Bricolor disposait d'une chance raisonnable d'obtenir l'annulation du projet Brico Leclerc, laquelle peut être estimée à une sur deux en considération de ce que la décision qui aurait été rendue aurait résulté d'une appréciation factuelle par la CNAC ; qu'en l'état de ses constatations et appréciations, la cour d'appel, à laquelle il n'était pas interdit de prendre en compte, à titre d'élément d'appréciation des effets potentiels du projet, la densité d'équipement commercial de la zone de chalandise, même si celle-ci ne figure plus au nombre des conditions définies par l'article L. 752-6 du code de commerce que la CNAC doit appliquer, et qui a, ainsi, caractérisé la perte de chance certaine subie par la société Bricolor, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en second lieu, que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations sur les obstacles structurels à l'ouverture du magasin litigieux, lesquels étaient de nature à empêcher l'obtention d'une nouvelle autorisation après l'annulation de la décision de la CDAC qui aurait pu intervenir si le recours avait pu être mené à son terme, rendaient inopérantes ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que la société Mr Bricolage fait grief à l'arrêt de dire qu'il existe un lien de causalité entre la faute commise par la société Mr Bricolage et le préjudice subi par la société Bricolor et d'ordonner, avant dire-droit, une expertise sur ce préjudice en accordant une provision à la société Bricolor alors, selon le moyen :
1°/ que la réparation du préjudice suppose que le dommage présente un lien de causalité avec la faute commise ; que pour estimer qu'il existait un lien de causalité entre la faute commise par la société Mr Bricolage et le préjudice subi par la société Bricolor, la cour d'appel a constaté un résultat déficitaire de la société Bricolor à compter de l'ouverture du magasin Brico Leclerc ; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée, si ce résultat déficitaire, ne résultait pas de décisions de gestion interne, dans la mesure où le chiffre d'affaires n'avait pas baissé, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ que la cour d'appel qui se contente d'affirmer que le déficit subi par la société Bricolor pour l'année 2012 « n'a d'autre explication que l'ouverture du magasin Brico Leclerc », sans justifier sa décision autrement que par cette affirmation, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa version applicable au présent litige ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel n'était pas tenue de vérifier que l'ouverture du magasin Brico Leclerc avait entraîné une baisse du chiffre d'affaires de la société Bricolor, que la société Mr Bricolage tenait elle-même pour inévitable ;
Et attendu, d'autre part, que l'arrêt relève que l'ouverture par la société Brico Leclerc du magasin concurrent, installé auprès d'un hypermarché drainant une clientèle nombreuse, qui a été implanté juste de l'autre côté du carrefour où se situe le magasin de la société Bricolor, dans une zone de chalandise déjà réduite et en voie de réduction, tandis qu'il existait déjà aux alentours une concurrence non négligeable, et qui est trois fois plus important que celui de la société Bricolor, a nécessairement eu un impact négatif sur l'activité de cette société, laquelle a été contrainte de la cesser ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a caractérisé l'existence d'un lien de causalité entre la faute commise par la société Mr Bricolage et le préjudice subi par la société Bricolor, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Mr Bricolage aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la société Bricolor la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit novembre deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
.Moyens produits par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Mr Bricolage.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt partiellement infirmatif attaqué d'AVOIR dit que la société Mr Bricolage a commis une faute en donnant instruction à Maître Page de se désister du recours formé le 16 juillet 2009 au nom de la société Bricolor, dit que celle-ci disposait d'une chance sur deux d'obtenir l'annulation de l'autorisation donnée par la commission départementale d'aménagement commercial de la Moselle à l'ouverture d'un magasin Brico Leclerc à Creutzwald (Moselle), dit qu'il existe un lien de causalité entre la faute commise par la société Mr Bricolage et le préjudice subi par la société Bricolor et, avant dire droit sur ce préjudice, ordonné une expertise avec mission pour l'expert de donner son avis sur les chefs de préjudice allégués par la société Bricolor en conséquence de sa cessation d'activité en 2012 et condamné la société Mr Bricolage à payer à la société Bricolor une somme de cent mille euros à titre de provision ;
AUX MOTIFS QUE « Sur la faute de Mr Bricolage : (…) le 16 juillet 2009 a été formé au nom de la société Bricolor, sous la signature de Maître Page, avocat, un recours devant la commission nationale d'aménagement commercial à l'encontre de la décision de la commission départementale de la Moselle en date du 24 juin 2009, laquelle avait autorisé la création d'un ensemble commercial sur la commune de Creutzwald, comprenant un magasin de bricolage Brico Leclerc ; que la société Mr Bricolage qui a fait choix de l'avocat, n'était pas partie au litige et n'a donc pu intervenir qu'en qualité de mandataire de la société Bricolor ; qu'à ce titre, elle ne pouvait donner instruction, le 29 septembre 2009, à l'avocat de se désister du recours, sans avoir elle-même reçu des instructions en ce sens de la société Bricolor ; qu'en prenant l'initiative d'un désistement de sa propre autorité, la société Mr Bricolage a ainsi commis une faute ; qu'en ne daignant même pas en aviser la société Bricolor, laquelle ne l'apprendra ultérieurement que fortuitement, la société Mr Bricolage a, de plus, agi avec une désinvolture que les premiers juges ont à juste titre sanctionnée par l'allocation à la société Bricolor d'une indemnité pour le préjudice moral qui lui était ainsi causé » ;
1°/ ALORS QUE caractérise un mandat l'acte aux termes duquel une personne donne pouvoir à une autre d'accomplir des actes en son nom et pour son compte ; qu'en l'espèce, l'arrêt relève que « La société Mr Bricolage qui a fait choix de l'avocat, n'était pas partie au litige et n'a donc pu intervenir qu'en qualité de mandataire de la société Bricolor » ; qu'en affirmant que la société Mr Bricolage était mandataire de la société Bricolor, sans caractériser les éléments dont il aurait résulté que la société Bricolor aurait donné pouvoir à la société Mr Bricolage de saisir un avocat à l'effet de former un recours contre la décision de la commission départementale d'aménagement commerciale du 24 juin 2009 ou aurait ratifié après coup la décision prise à la seule initiative de Mr Bricolage d'introduire ce recours, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1984 du code civil ;
2°/ ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la société Mr Bricolage contestait l'existence d'un mandat qui lui aurait été confié par la société Bricolor pour saisir Maitre Page à l'effet de former un recours contre la décision de la commission départementale d'aménagement commerciale du 24 juin 2009, en justifiant qu'elle n'avait eu aucune instruction en ce sens de la société Bricolor ; qu'en ne répondant pas à ce moyen opérant démontrant l'absence de mandat, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt partiellement infirmatif attaqué d'AVOIR dit que la société Bricolor disposait d'une chance sur deux d'obtenir l'annulation de l'autorisation donnée par la commission départementale d'aménagement commercial de la Moselle à l'ouverture d'un magasin Brico Leclerc à Creutzwald (Moselle), dit qu'il existe un lien de causalité entre la faute commise par la société Mr Bricolage et le préjudice subi par la société Bricolor et, avant dire droit sur ce préjudice, ordonné une expertise avec mission pour l'expert de donner son avis sur les chefs de préjudice allégués par la société Bricolor en conséquence de sa cessation d'activité en 2012 et condamné la société Mr Bricolage à payer à la société Bricolor une somme de cent mille euros à titre de provision ;
AUX MOTIFS QUE « sur la perte de chance : (…) le préjudice de la société Bricolor s'analyse en une perte de chance d'obtenir l'annulation de la décision ayant autorisé l'implantation du magasin Brico Leclerc ; que les premiers juges ne pouvaient pas affirmer de façon péremptoire que le projet Brico Leclerc répondait aux critères d'évaluation édictés par l'article L. 752-6 du code de commerce, alors que ce projet n'étant pas versé aux débats, ils ne disposaient, pour s'en convaincre, que de la décision de la commission départementale d'aménagement commerciale de la Moselle, dont la motivation plutôt sommaire n'était pas de nature à les éclairer ; que le recours du 16 juillet 2009, analysant la conformité de l'autorisation aux critères d'évaluation légaux, tant en matière d'aménagement du territoire que de développement durable, avançait des arguments qui n'apparaissaient pas dénués de pertinence, s'agissant de l'implantation d'un ensemble commercial important dans une zone déshéritée et à la population déclinante, mais pourtant déjà largement pourvue en magasins du même type ; qu'il n'est pas inintéressant de noter que, ce même 24 juin 2009 où elle autorisait l'implantation du magasin Brico Leclerc à Creutzwald, la commission départementale d'aménagement commercial de la Moselle autorisait également l'implantation d'un magasin Brico Cash dans la commune voisine de Saint-Avold et que, sur recours formé contre cette décision, la commission nationale l'a annulée le 12 novembre 2009 ; que pourtant, les deux projets, Brico Leclerc et Brico Cash, présentaient bien des similitudes, s'agissant de l'implantation d'ensembles commerciaux comparables dans la même zone de chalandise, de sorte que la société Bricolor disposait d'une chance raisonnable d'obtenir l'annulation du projet Brico Leclerc ; que certes, la commission nationale, saisie en 2012 par la société Bricolor d'un recours contre l'extension de la galerie commerciale Leclerc, a autorisé l'opération, mais que cette décision n'est pas transposable au cas litigieux, dès lors qu'il s'agissait alors d'une opération de moindre importance portant sur l'extension d'un ouvrage déjà existant, tandis qu'en 2009, il s'agissait de créer un centre commercial d'importance sur une friche industrielle ; que la chance pour la société Bricolor n'était donc pas nulle, mais peut être estimée à une sur deux, pour tenir compte du fait que la décision qui aurait été rendue aurait résulté d'une appréciation factuelle par la commission » ;
1°/ ALORS QUE lorsque le dommage réside dans la perte de chance de réussite d'une action en justice, le caractère sérieux de la chance perdue s'apprécie au regard de la seule probabilité de succès de cette action, qu'il appartient aux juges du fond d'évaluer en reconstituant fictivement la discussion qui n'a pu s'instaurer en raison de la faute du mandataire ; que l'existence d'une perte de chance sérieuse d'obtenir l'annulation d'une décision de la commission départementale d'aménagement commercial dépend exclusivement de la nature des moyens d'annulation et de la discussion qui aurait pu s'instaurer devant la commission nationale d'aménagement commercial ; qu'en l'espèce, pour estimer que la chance pour la société Bricolor d'obtenir l'annulation de la décision de la CDAC de la Moselle du 24 juin 2009 pouvait être estimée à une sur deux, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que « le recours du 16 juillet 2009 (…) avançait des arguments qui n'apparaissaient pas dénués de pertinence » ; qu'en n'identifiant ni n'analysant aucun des moyens qui auraient été susceptibles d'entraîner l'annulation de la décision de la CDAC, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa version applicable au présent litige ;
2°/ ALORS QU'EN TOUT ETAT DE CAUSE lorsque le dommage réside dans la perte de chance de réussite d'une action en justice, le caractère sérieux de la chance perdue s'apprécie au regard de la seule probabilité de succès de cette action, qu'il appartient aux juges du fond d'évaluer en reconstituant fictivement la discussion qui n'a pu s'instaurer en raison de la faute du mandataire ; que la perte de chance d'obtenir l'annulation d'une décision de la commission départementale d'aménagement commercial s'analyse au regard des moyens opérants et de la discussion opérante qui aurait pu s'instaurer devant la commission nationale d'aménagement commercial, au regard des critères énoncés à l'article L. 752-6 du code de commerce parmi lesquels, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, ne figure plus le critère de la densité d'équipement commercial de la zone de chalandise concernée ; qu'en l'espèce, pour estimer que la chance pour la société Bricolor d'obtenir l'annulation de la décision de la CDAC de la Moselle du 24 juin 2009 pouvait être estimée à une sur deux, la cour d'appel s'est bornée à faire allusion à l'implantation du magasin Brico Leclerc dans une « zone déshéritée et à la population déclinante, mais pourtant déjà largement pourvue en magasins du même type », ainsi qu' « l'implantation d'ensembles commerciaux comparables dans la même zone de chalandise » et donc à des arguments inopérants, tirés de la densité en magasin de bricolages de la zone de chalandise ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa version applicable au présent litige et l'article L. 752-6 du code de commerce ;
3°/ ALORS QUE la cour devait d'autant plus s'expliquer précisément sur le contenu des moyens susceptibles d'entraîner l'annulation de la décision de la CDAC qu'une annulation par la CNAC n'aurait pas empêché la société Brico Leclerc de réitérer sa demande et d'obtenir une nouvelle autorisation ; que cet élément était de nature à rendre purement théorique la perte de chance alléguée ; qu'en s'abstenant de procéder à une telle recherche, ainsi qu'elle y était invitée (v. conclusions, p. 24), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt partiellement infirmatif attaqué d'AVOIR dit qu'il existe un lien de causalité entre la faute commise par la société Mr Bricolage et le préjudice subi par la société Bricolor et, avant dire droit sur ce préjudice, ordonné une expertise avec mission pour l'expert de donner son avis sur les chefs de préjudice allégués par la société Bricolor en conséquence de sa cessation d'activité en 2012 et condamné la société Mr Bricolage à payer à la société Bricolor une somme de cent mille euros à titre de provision ;
AUX MOTIFS QUE « sur le lien de causalité entre la faute et le préjudice :
la société Bricolor fait valoir que l'implantation du magasin Brico Leclerc l'a contrainte à cesser son activité, dès lors qu'elle n'était pas en mesure de supporter la concurrence à laquelle elle se trouvait désormais confrontée ; qu'il n'est, en effet, pas niable que l'arrivée d'un concurrent trois fois plus important qu'elle-même, installé de l'autre côté d'un carrefour dans une zone de chalandise déjà réduite et en voie de réduction, alors qu'il existait déjà aux alentours une concurrence non négligeable, a nécessairement eu un impact négatif sur l'activité de la société Bricolor ; que, de plus, le magasin Brico Leclerc étant accolé à un hypermarché qui draine une clientèle importante, laquelle ayant stationné son véhicule sur le parking Leclerc aura naturellement tendance à se rendre plus facilement au magasin Brico Leclerc qu'au magasin Bricolor, il n'est pas étonnant que la société Bricolor ait pu faire constater par huissier de justice, un mois après l'ouverture du magasin Brico Leclerc, que le parking de celui-ci était plein tandis que son magasin à elle était pratiquement vide ; que, par ailleurs, les résultats de la société Bricolor révèlent pour l'année 2012 une perte de 243.960 euros qui, même allégée de la dépréciation du stock, s'élève tout de même à 169.474 euros, alors que les trois années précédentes avaient toutes été bénéficiaires ; que cette chute soudaine n'a d'autre explication que l'ouverture du magasin Brico Leclerc en 2012, de sorte que la décision du dirigeant de la société Bricolor de cesser son activité n'est pas critiquable, alors qu'une déclaration de cessation des paiements était, à brève ou moyenne échéance, inéluctable ; qu'il existe un lien de causalité entre la faute commise par la société Mr Bricolage et le préjudice subi par la société Bricolor » ;
1°/ Alors que la réparation du préjudice suppose que le dommage présente un lien de causalité avec la faute commise ; que pour estimer qu'il existait un lien de causalité entre la faute commise par la société Mr Bricolage et le préjudice subi par la société Bricolor, la cour d'appel a constaté un résultat déficitaire de la société Bricolor à compter de l'ouverture du magasin Brico Leclerc ; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée (v. conclusions, p. 32), si ce résultat déficitaire, ne résultait pas de décisions de gestion interne, dans la mesure où le chiffre d'affaires n'avait pas baissé, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ ALORS QUE la cour d'appel qui se contente d'affirmer que le déficit subi par la société Bricolor pour l'année 2012 « n'a d'autre explication que l'ouverture du magasin Brico Leclerc », sans justifier sa décision autrement que par cette affirmation, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa version applicable au présent litige.