LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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La société Sogea nord ouest travaux publics,
contre l'arrêt de la cour d'appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 23 janvier 2017, qui, pour blessures involontaires, l'a condamnée à 30 000 euros d'amende, dont 20 000 euros avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 12 décembre 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Talabardon , conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Talabardon , les observations de la société civile professionnelle COUTARD et MUNIER-APAIRE, de la société civile professionnelle SEVAUX et MATHONNET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-2 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale et défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré la société Sogea coupable du délit de blessures involontaires avec incapacité totale de travail supérieure à trois mois, l'a condamnée à une amende de 30 000 euros, dont 20 000 euros avec sursis, et a alloué des provisions à Mme Z... agissant tant à titre personnel qu'en qualité de représentante légale de son fils mineur X... ;
" aux motifs que : l'accident se produisait alors que le jeune X... Z..., quelles qu'en soient les causes et circonstances, jouait à proximité immédiate d'un fagot dépourvu de feuillard, de telle sorte que l'un des tuyaux lui roulait sur une partie du corps, lui écrasant plus particulièrement une jambe ; que l'accident s'est produit parce que l'enfant a eu accès à l'empilement de tuyaux devenu instable en l'absence de feuillard pour maintenir les tuyaux liés par fagots, alors qu'un barriérage efficace aurait dû être mis en place pour prévenir tout accès possible du public, sans qu'aucun élément ne permette de retenir, comme le soutient la société Sogea, que le fait que cet empilement soit devenu instable serait dû à une cause extérieure et qu'au surplus le risque que présentaient, par son accessibilité au public, à proximité immédiate d'entrées d'immeubles d'habitat collectif, non seulement cet empilement mais aussi l'éventuelle détérioration de son dispositif de stockage, était parfaitement prévisible au regard des circonstances ainsi rappelées ; que comme l'ont retenu les premiers juges, la responsabilité pénale de la société Socotec, à laquelle il est reproché de ne pas avoir procédé à l'inspection commune et obligatoire et de ne pas avoir contrôlé la sécurisation du chantier, ne saurait être retenue alors qu'aucune faute causale dans la réalisation de l'accident n'est imputable à l'un de ses organes ou représentants en ce qu'elle a rempli ses obligations, soit l'élaboration d'un PGC ayant permis l'élaboration d'un PPSPS conforme audit PGC, sans qu'il puise lui être fait grief de ne pas avoir participé à la réunion de préparation du chantier du 29 mars 2010 dès lors que rien n'établit avec certitude, en l'état des contestations et contradictions existantes à cet égard, qu'elle en avait été effectivement avertie ; qu'en revanche, il est constant qu'une faute a été commise par un ou plusieurs intervenants de la société Sogea, à laquelle il est justement reproché de ne pas avoir sécurisé le chantier dès lors qu'elle ne s'est pas assurée de la mise en place du barriérage prévu alors que le chantier était ouvert, au demeurant, comme il est dit ci-dessus, sans qu'il soit établi que le coordonnateur SPS en ait été averti ; que loin de la « faute de service » à laquelle fait référence l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, c'était bien au directeur d'agence, en la personne de M. Thierry A..., qui, par la nature de ses fonctions exercées pour le compte de la Sogea, disposait, même en l'absence d'un délégation écrite de pouvoirs, de la compétence et de l'autorité nécessaire pour agir en qualité de représentant de son employeur au sens de l'article 121-2 du code pénal, ainsi qu'en témoigne le fait qu'il ait été signataire de l'acte d'engagement de l'important marché de travaux concerné, qu'il appartenait de prendre toutes dispositions nécessaires pour que le chantier ne soit pas ouvert, ni en tout cas que le stockage d'évidence risqué des tuyaux ne soit pas entrepris sans qu'il se soit assuré, personnellement ou par la fourniture d'instructions adéquates, de la mise en place d'un dispositif de protection dont la nécessité avait été préalablement constatée aux termes du PGC et du PPSPS, soit nécessairement au regard de la nécessité de satisfaire préalablement à des impératifs de sécurité ; que c'est au demeurant ce qu'admettait M. A... dès sa première audition en déclarant qu'il était directeur de l'agence Sogea de Mondeville, ayant pour supérieur hiérarchique son directeur régional, implanté en Seine-Maritime, et que « pour lui, le chantier était sécurisé (bonne mise en place des matériaux) mais pas barriéré, c'est-à-dire que le stockage était bien fait » mais reconnaissant aussi « qu'on aurait dû mettre des barrières, je reconnais qu'il y a un manque de la part de la société Sogea, je veux bien prendre une part de responsabilité (la suite du propos étant consacré au renvoi à la responsabilité d'autres intervenants, y compris de la société Socotec, qui n'aurait pas rempli sa mission de contrôle » ; qu'en tout cas doit-il être retenu de ce propos que l'intéressé admettait comme relevant de sa compétence la mise en place du chantier et la sécurisation de celui-ci, la nature même de ces propos révélant l'acceptation très insuffisante qui a pu être la sienne de la notion de sécurité du chantier, à laquelle il n'avait manifestement pas intégré la nécessité du barriérage ;
"alors que les personnes morales ne peuvent être déclarées pénalement responsables que s'il est établi qu'une infraction a été commise, pour leur compte, par leurs organes ou leurs représentants ; qu'en retenant, pour déclarer la société Sogea coupable de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité supérieure à trois mois faute d'avoir sécurisé le chantier litigieux, que c'était à M. A..., directeur de l'agence de la société Sogea de Mondeville, signataire de l'acte d'engagement du marché de travaux concerné, qui, par la nature de ses fonctions exercées pour le compte de la Sogea, disposait, même en l'absence d'une délégation écrite de pouvoirs, de la compétence et de l'autorité nécessaire pour agir en qualité de représentant de son employeur, sans mieux caractériser ni s'expliquer sur l'existence effective d'une délégation de pouvoirs en matière de sécurité, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que le jeune X... Z..., âgé de huit ans, a été grièvement blessé alors que, jouant sur les lieux d'un important chantier de voirie devant le domicile [...] , il est monté sur un tuyau en fonte de près de 150 kg, qui, en roulant, lui a écrasé la jambe ; qu'au terme de l'information judiciaire ouverte sur les faits, les sociétés Sogea nord ouest travaux publics et Socotec, qui étaient chargées, respectivement, de la réalisation des travaux et du contrôle et la sécurité des installations de chantier, ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel du chef de blessures involontaires par personne morale ayant entraîné une incapacité supérieure à trois mois, la première pour n'avoir pas pris les mesures permettant d'assurer la sécurité du chantier, la seconde, pour avoir omis d'en procéder à l'inspection commune et obligatoire et d'en contrôler la sécurisation ; que les juges du premier degré ont renvoyé les prévenues des fins de la poursuite et débouté les consorts Z... de leurs demandes ; que le ministère public, les parties civiles et la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados ont relevé appel de la décision ;
Attendu que, pour infirmer le jugement sur la relaxe de la société Sogea, fondée sur l'absence d'identification, par le magistrat instructeur, de l'organe ou du représentant de la personne morale responsable du défaut de sécurisation du chantier, l'arrêt relève que cette carence est imputable à M. Thierry A..., directeur de l'agence locale de Mondeville (Calvados), qui, par la nature de ses fonctions, dont témoigne le fait qu'il avait signé l'acte d'engagement de l'important marché de travaux concerné, disposait, en l'absence même d'une délégation écrite de pouvoirs du directeur régional, basé en Seine-maritime, de la compétence et de l'autorité nécessaires pour prendre toutes dispositions afin que le chantier fût inaccessible au public et, à tout le moins, que le stockage des tuyaux, d'évidence risqué, ne fût pas entrepris sans que l'intéressé se fût assuré, personnellement ou par la fourniture d'instructions adéquates, de la mise en place d'un dispositif de protection, dont la nécessité avait été soulignée tant dans le plan général de coordination établi par la société Socotec que dans le plan particulier de sécurité et de protection de la santé ; que les juges ajoutent que, lors de sa première audition, M. A... a d'ailleurs admis que la mise en place et la sécurisation du chantier relevaient de sa compétence, même s'il sous-estimait les mesures de sécurité à prendre, notamment l'installation d'une clôture ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance comme de contradiction, d'où il résulte que M. A... était investi d'une délégation de pouvoirs de fait pour assurer la sécurisation du chantier en cause et qu'il a ainsi agi en qualité de représentant de la société et pour son compte, la cour d'appel a justifié sa décision au regard de l'article 121-2 du code pénal ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 3 000 euros la somme que la société Sogea nord ouest travaux publics devra payer à la société civile professionnelle Sevaux-Mathonnet au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale et de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991 modifiée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-trois janvier deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.