LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- Mme Marika X... épouse Y...,
- M. René Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, 11ème chambre, en date du 4 mai 2017, qui a condamné, la première, pour abus de confiance, à six mois d'emprisonnement avec sursis et à 5 000 euros d'amende, le second, pour recel, à deux mois d'emprisonnement avec sursis et à 3 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 7 mars 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Bray ;
Sur le rapport de Mme le conseiller PLANCHON, les observations de la société civile professionnelle BORÉ, SALVE DE BRUNETON et MÉGRET, de la société civile professionnelle FRANÇOIS-HENRI BRIARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général SALOMON ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire en demande, commun aux demandeurs, et le mémoire en défense produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 6, 7, 8, 174, 385, 512, 520, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité et, en conséquence, écarté la prescription de l'action publique, confirmé la décision entreprise sur la déclaration de culpabilité de Mme X..., épouse Y..., pour les faits d'abus de confiance relatifs à l'achat de quirats de bateau, aux paiements et versements réalisés au profit de M. Julien C... , à la commission versée à Mme Anita D..., à l'achat des montres et du vin, infirmé la décision entreprise en ce qui concerne les faits relatifs au financement des travaux et, statuant de nouveau, déclaré Mme Y... coupable des faits d'abus de confiance pour les faits relatifs au financement des travaux, confirmé la décision entreprise sur la culpabilité de M. Y... pour les faits de recel de bien provenant du délit d'abus de confiance commis par Mme X..., épouse Y..., concernant l'achat des quirats de bateaux, l'achat d'une montre et du vin, infirmé la décision entreprise en ce qui concerne les faits relatifs au financement des travaux et, statuant de nouveau, déclaré M. Y... coupable des faits de recel de bien provenant de l'abus de confiance commis par Mme X..., épouse Y..., concernant le financement des travaux, condamné Mme X..., épouse Y..., à la peine de six mois d'emprisonnement assortis du sursis ainsi qu'au paiement d'une amende d'un montant de 5 000 euros, condamné M. Y... à la peine de deux mois d'emprisonnement assortis d'un sursis ainsi qu'au paiement d'une amende d'un montant de 3 000 euros, confirmé la décision entreprise sur la recevabilité de la constitution de partie civile, déclaré M. et Mme Y... responsable du préjudice subi par M. E..., en sa qualité de mandataire universel de Mme F..., du fait des infractions commises, condamné solidairement M. et Mme Y... à payer à M. E..., ès qualités, la somme de 76 582 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice matériel subi, la solidarité étant limitée à la somme de 54 496 euros à l'égard de M. Y... et condamné solidairement M. et Mme Y... à payer à M. E..., ès qualités, la somme de 3 000 euros au titre du préjudice moral ;
"aux motifs que, sur l'exception de nullité et la prescription, l'article préliminaire du code de procédure pénale stipule que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties ; qu'elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement ; qu'ainsi, le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial, garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que par l'article préliminaire du code de procédure pénale, implique que ne puisse participer au jugement d'une affaire un magistrat qui en a connu en qualité de représentant du ministère public ; qu'en l'espèce, il est établi que le président du tribunal correctionnel de Lorient ayant jugé l'affaire en premier ressort avait eu à en connaître en qualité de substitut du procureur et a notamment adressé aux services de gendarmerie le 23 avril 2007 un soit-transmis pour enquête ; que ce constat vicie le jugement rendu le 26 mars 2014 et que les prévenus sont recevables et bien fondés à en solliciter l'annulation devant la cour d'appel qui seule peut constater la nullité ; qu'il n'est pas établi que les prévenus aient eu connaissance au moment de l'audience en premier ressort du moyen invoqué et qu'ils y auraient renoncé ; que le jugement en premier ressort a toutefois fait l'objet d'un appel régulier du parquet formalisé le 31 mars 2014 ; qu'or, la Cour de cassation a jugé que les actes de poursuite ou de procédure, y compris les voies de recours, interrompaient par eux-mêmes la prescription de l'action publique ; que les mandements de citation des prévenus devant la cour d'appel sont datés du 12 janvier 2017 ; que, dès lors, il n'y a pas de prescription de l'action publique, moins de trois années s'étant écoulées entre les deux dates ; qu'en application des dispositions de l'article 520 du code de procédure pénale, la cour entend, après avoir constaté la nullité du jugement, évoquer et statuer sur le fond ;
"1°) alors que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial et qu'il en résulte que ne peut participer au jugement d'une affaire un magistrat qui en a connu en qualité de représentant du ministère public ; qu'en rejetant l'exception de nullité du jugement, quand l'audience devant le tribunal correctionnel avait été présidée par un magistrat qui avait auparavant, en sa qualité de substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lorient, accompli un acte de poursuite à l'égard des prévenus dans la même affaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"2°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ; qu'en rejetant l'exception de nullité du jugement, après avoir retenu que « les prévenus [étaient] recevables et bien fondés à en solliciter l'annulation devant la cour d'appel » et que « la cour entend[ait], après avoir constaté la nullité du jugement, évoquer et statuer sur le fond », la cour d'appel s'est contredite et a violé les textes susvisés ;
"3°) alors que les juges d'appel ne peuvent confirmer, après évocation, un jugement affecté de nullité ; qu'en confirmant le jugement sur la culpabilité de M. et Mme Y... pour une partie des faits reprochés et sur la recevabilité de la constitution de partie civile, quand ce jugement était nul pour avoir été rendu par une juridiction ne satisfaisant pas à l'exigence d'impartialité, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"4°) alors que l'exercice incident d'une voie de recours par le ministère public ne constitue pas un acte interruptif de prescription de l'action publique ; qu'en retenant, pour écarter la prescription, que la déclaration d'appel incident formée par le ministère public le 31 mars 2014 était intervenue moins de trois ans avant l'acte interruptif suivant, constitué par le mandement de citation des prévenus devant la cour d'appel, daté du 12 janvier 2017, quand la déclaration d'appel incident, qui ne constitue pas un acte d'instruction ou de poursuite, n'a pas d'effet interruptif de prescription, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"5°) alors qu'en toute hypothèse, la nullité du jugement s'étend à tous les actes dont le jugement nul est le support nécessaire ; qu'en retenant, pour écarter la prescription, que la déclaration d'appel incident formée par le ministère public le 31 mars 2014 était intervenue moins de trois ans avant l'acte interruptif suivant, constitué par le mandement de citation des prévenus devant la cour d'appel daté du 12 janvier 2017, quand l'acte d'appel incident d'un jugement correctionnel a ce jugement pour support nécessaire, ce dont il résulte que la nullité du second se communique au premier, en sorte que la prescription de l'action publique était acquise au jour où elle statuait, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'après avoir relevé que le président du tribunal correctionnel ayant statué en premier ressort avait eu à connaître de l'affaire en qualité de substitut du procureur de la République et avait, notamment adressé aux services de gendarmerie un soit-transmis pour enquête, constaté la nullité du jugement puis évoqué et statué sur le fond, l'arrêt a, dans son dispositif, rejeté l'exception de nullité, puis, selon les dispositions, confirmé et infirmé le jugement ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre moyen de cassation proposé :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 4 mai 2017, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de RENNES, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trois mai deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.