LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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Mme Marie-Martine X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de MONTPELLIER, chambre correctionnelle, en date du 18 avril 2017, qui, pour abus de confiance, l'a condamnée à trois mois d'emprisonnement avec sursis, et a statué sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 16 mai 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Zerbib, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de Mme le conseiller ZERBIB, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle BOULLEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général MONDON ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Mme X..., employée en qualité de vendeuse au service de la SNC Martinez-B..., exploitant un bureau de tabac, a été notamment poursuivie sur plainte de cette société pour avoir commis une escroquerie en trompant des clients demeurés inconnus pour les déterminer à lui remettre des fonds à la suite de manoeuvres frauduleuses que caractériserait la sur-facturation de certains produits et pour avoir commis, au préjudice de son employeur, un abus de confiance par détournement de sommes correspondant à des marchandises facturées mais non enregistrées en caisse et pour vol ; que les premiers juges ont requalifié en abus de confiance la totalité des faits reprochés à Mme X... et l'en ont déclarée coupable et responsable du préjudice subi par la partie civile ; qu'ils ont renvoyé l'affaire sur les intérêts civils à une audience ultérieure ; que le prévenu et le ministère public ont interjeté appel ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 314-1 du code pénal, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a dit que les faits poursuivis sous la qualification d'escroquerie sont constitutifs d'abus de confiance et retenu la culpabilité de Mme Marie-Martine X... de ce chef ;
"aux motifs que Mme X... qui a plusieurs fois varié dans ses déclarations a d'abord indiqué que si le système de sur-facturation des clients n'avait pas été mis en place par son employeur, car cela s'était fait "tout seul", il en avait cependant connaissance et les sommes ainsi récupérées étaient mises dans une boîte prise par l'employeur ; que cet argument est irrecevable puisque loin de corriger les erreurs de caisse, cette sur-facturation qui est aussi une fraude à l'égard des clients n'a pas profité à l'employeur qui s'est rendu compte, qu'en plus de cette pratique illégale constatée sur plusieurs jours par procès-verbal d'huissier, certaines ventes n'étaient pas enregistrées, ce que la prévenue a admis, entraînant là encore des manques en caisse ; que les écarts d'enregistrement de caisse par rapport aux sommes versées pour les achats mentionnés qui sont relevés dans le constat d'huissier sont eux même établis par les journaux de caisse correspondant à ces achats, remis et annexés au constat ; qu'on comprend mal pourquoi l'employeur aurait voulu de sa seule initiative faire constater officiellement une pratique frauduleuse qu'il aurait lui-même suggérée et qui mettait, si elle était connue, gravement à mal ses relations avec la clientèle révélant aussi des pratiques frauduleuses en matière de rémunération de ses salariées ; qu'aucun des autres employés Mme A..., MM. Sylvain B..., Denis B..., Mme C... , Mme D... n'ont cautionné cette pratique pour réduire les erreurs de caisse au demeurant marginales et M. Sylvain B... fils du gérant et salarié a confirmé les révélations que lui avait fait Mme Céline E... sur les agissements frauduleux de la prévenue ; que Mme X... a, sur les faits constatés par l'huissier, reconnu curieusement qu'elle n'avait pas mis dans la boîte le produit des sur-facturations mais directement dans la caisse alors que les sommes manquantes n'ont pas été retrouvées, disant finalement qu'elle avait été contrainte par son employeur de pratiquer ainsi, tout en admettant qu'elle était la seule à l'avoir fait, ce qui paraît d'autant plus étonnant qu'elle considère que les erreurs de caisse étaient le fait de tous les salariés ; que la matérialité des faits n'est pas contestée ni contestable puisque les 5 contrôles effectués par l'huissier ont confirmé les accusations de l'employeur et il est bien évident que ces agissements l'ont été au seul profit de la prévenue qui a cherché un complément de rémunération par ce moyen et/ou à se faire payer les heures supplémentaires qu'elle accusait son employeur de ne pas lui avoir réglées le dimanche ; qu'à cet égard le raisonnement tenu par son avocat qui voudrait que les sommes détournées des circuits légaux aient été remises à l'employeur pour payer les heures supplémentaires du dimanche est en totale contradiction avec le fait que Mme X... a réclamé devant le conseil des prud'hommes le paiement des heures supplémentaires qui ne lui avait pas été réglées mais cela confirme que ce sont bien des sommes substantielles qui ont été soustraites par ce mode opératoire aux recettes de l'établissement ; qu'à défaut de manoeuvres frauduleuses et préalables à l'achat par les clients des produits, lesquelles doivent être matérialisées autrement que par un mensonge sur le prix, il y a lieu de retenir sous la seule qualification d'abus de confiance les faits de détournements reprochés à la prévenue dans le cadre tant des sur-facturations que de l'absence d'enregistrements des ventes, opérations toutes préjudiciables à son employeur ;
"alors que, s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée ; que, sur la poursuite du chef d'escroquerie pour avoir, en sur-facturant certains produits, trompé des clients demeurés inconnus pour les déterminer à lui remettre des fonds, la cour d'appel qui a requalifié les faits en abus de confiance, sans avoir invité la prévenue à se défendre sur cette nouvelle qualification, a méconnu le principe et les textes susvisés" ;
Attendu que pour déclarer Mme X... coupable d'abus de confiance après avoir ainsi requalifié les faits qui lui étaient reprochés sous la qualification d'escroquerie, l'arrêt énonce qu'à défaut de manoeuvres frauduleuses par elle déployées préalables à l'achat de marchandises par les clients, qui ne peuvent être caractérisées par un simple mensonge de sa part sur le prix des produits vendus dont elle conservait la fraction par elle majorée, la totalité des faits qui lui sont reprochés, préjudiciables à son employeur, s'agissant tant des sur-facturations que de l'absence d'enregistrement des ventes, doit être qualifiée d'abus de confiance ;
Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors que dans des conclusions déposées par son avocat, la prévenue a contesté la qualification d'abus de confiance pour l'ensemble des faits reprochés, y compris ceux poursuivis du chef d'escroquerie, et s'est ainsi expliquée sur cette qualification qu'elle a elle-même envisagée par anticipation pour la combattre, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les droits de la défense ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-1 et 132-19 du code pénal, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Mme X... a trois mois d'emprisonnement assortis de sursis simple ;
"aux motifs qu'au vu du casier judiciaire vierge de Mme X... mais eu égard à la gravité des faits la cour confirmera la peine de trois mois d'emprisonnement assortis d'un sursis simple ;
"alors qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; qu'en condamnant Mme X... à une peine d'emprisonnement entièrement assortie de sursis, sans s'expliquer sur sa personnalité autrement que par la référence à son casier judiciaire et sans examiner aucunement sa situation personnelle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision" ;
Attendu que pour confirmer le jugement qui a condamné Mme X... à trois mois d'emprisonnement avec sursis, l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que son casier judiciaire ne mentionne aucune condamnation, que les faits altèrent la relation de confiance devant exister entre salariés et employeurs, que le préjudice apparaît relativement faible et qu'elle doit en conséquence être sanctionnée par une peine d'avertissement ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui s'est prononcée sur la gravité des faits et la personnalité de leur auteur et en prenant en compte les seuls éléments connus d'elle quant à sa situation matérielle, familiale et sociale que la prévenue n'a pas autrement complétés, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 1382 du code civil, 509, 520, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Mme X... à payer 15 000 euros en réparation de son préjudice économique et celle de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
"aux motifs que la cour trouve au dossier et notamment dans l'attestation de l'expert comptable, les comparatifs effectuées ainsi que la méthode employée de reconstitution du chiffre d'affaire, la justification du préjudice économique correspondant à l'insuffisance des recettes sur l'année 2007, sur le calcul duquel la prévenue n'a apporté aucun démenti sérieux mais la cour limitera le montant des dommages-intérêts à la somme de 15 000 euros en considération du fait que la prévenue a été relaxée du chef de vol et que des erreurs de caisse involontaires ont pu être commises de la part de l'ensemble des salariés durant cette période ;
"1°) alors que la cour d'appel doit, lorsqu'elle décide d'évoquer, inviter les parties à s'expliquer sur les demandes renvoyées par les premiers juges à une audience ultérieure sans avoir été tranchées ; qu'en l'espèce, les premiers juges avaient renvoyé sur les intérêts civils sans se prononcer sur leur évaluation ; que dès lors, la cour d'appel qui a évoqué et fixé le montant des sommes dues par Mme X... à la partie civile, sans inviter préalablement les parties à s'expliquer, a méconnu le principe et les textes susvisés ;
"2°) alors qu'en tout état de cause, le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'en admettant que le préjudice de la société Martinez-B... puisse être évalué sur la base d'une reconstitution du chiffre d'affaires, laquelle ne s'attachait donc pas à prendre en compte individuellement chacun des actes commis par Mme X... au préjudice de la victime, la cour d'appel, qui a ainsi évalué de manière forfaitaire le préjudice, a méconnu les textes susvisés" ;
Vu l'article 520 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'il se déduit de ce texte que la cour d'appel ne peut évoquer les points du litige relatif à l'action civile, qui n'ont pas été tranchés par les premiers juges, que lorsque le renvoi devant ces derniers les exposerait à se contredire sur ce qu'ils avaient décidé ;
Attendu qu'après avoir confirmé le jugement, qui avait accueilli la constitution de partie civile de l'employeur de la prévenue et renvoyé l'affaire sur les intérêts civils, en ses dispositions relatives à la culpabilité de Mme X..., l'arrêt, évoquant sur l'action civile, condamne cette dernière à payer à la SCP Martinez-B... les sommes de 15 000 euros et de 2 000 euros en réparation de son préjudice matériel et moral ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Montpellier, en date du 18 avril 2017, mais en ses seules dispositions relatives aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nîmes à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Montpellier et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-sept juin deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.