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14/11/2018 | FRANCE | N°17-28464

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 14 novembre 2018, 17-28464


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 novembre 2017), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 10 septembre 2015, pourvoi n° 14-24.690, Bull. 2015, I, n° 201), que, par contrat du 25 juin 1979, la commune de Colombes (la commune) a concédé à C... Y..., MM. B... et X... Y... et M. A... D... l'exploitation des marchés communaux, à compter du 1er octobre 1979 et pour une durée de trente ans, à l'issue de laquelle soit le contrat était tacitement reconduit, soit la co

mmune remboursait aux concessionnaires une partie des redevances versées ;...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 novembre 2017), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 10 septembre 2015, pourvoi n° 14-24.690, Bull. 2015, I, n° 201), que, par contrat du 25 juin 1979, la commune de Colombes (la commune) a concédé à C... Y..., MM. B... et X... Y... et M. A... D... l'exploitation des marchés communaux, à compter du 1er octobre 1979 et pour une durée de trente ans, à l'issue de laquelle soit le contrat était tacitement reconduit, soit la commune remboursait aux concessionnaires une partie des redevances versées ; qu'au terme de la durée fixée, la commune n'a pas reconduit le contrat, invoquant la nullité de la clause de reconduction tacite et des stipulations relatives à l'indemnisation en cas de non-reconduction ; que MM. B... et X... Y... l'ont assignée en paiement de l'indemnité contractuelle ; que M. C... Y... est intervenu volontairement à l'instance ;

Attendu que MM. X..., B... et C... Y... (les consorts Y...) font grief à l'arrêt de rejeter leur demande alors, selon le moyen :

1°/ que, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; qu'il ne peut en aller autrement qu'en cas d'irrégularité tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ; que n'affecte pas le contenu du contrat initial ni ne constitue un vice d'une particulière gravité, la clause de tacite reconduction stipulée antérieurement à l'intervention de l'article 38 de la loi du 29 janvier 1993, devenu L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales ; qu'en décidant, pourtant, en raison de la stipulation d'une clause de tacite reconduction, d'écarter l'application du contrat initial en sa clause afférente au remboursement de la valeur résiduelle des investissements non amortis par les concessionnaires, la cour d'appel a violé les règles générales applicables aux contrats administratifs dont s'inspire l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ que l'étendue et les modalités des obligations de la personne publique envers son cocontractant en fin de contrat, au titre de la valeur résiduelle des investissements non amortis qu'il a réalisés, peuvent être déterminées par les stipulations du contrat, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment de la personne publique, une disproportion manifeste entre la somme ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le titulaire du contrat, des dépenses qu'il a exposées et qui n'ont pas été amorties ; que la cause de l'engagement d'indemniser la valeur résiduelle des investissements peut être tacite et résulter de l'économie générale du contrat ; qu'en l'espèce, MM. X..., B... et C... Y... faisaient valoir que l'engagement pris par la commune avait pour cause, selon l'économie du contrat, de les indemniser « de la valeur non amortie des investissements prévus par le contrat » pour le cas où les relations contractuelles prendraient fin avant les quarante années nécessaires à cet amortissement ; que, pour débouter pourtant MM. X..., B... et C... Y... de leur demande d'application de la clause, la cour d'appel a retenu qu'y était stipulé le « paiement aux concessionnaires d'une indemnité, sans qu'il soit fait référence à l'économie générale du contrat, notamment aux engagements financiers pris par les concessionnaires et à la durée nécessaire d'amortissement des financements qu'ils ont supportés, qui nécessiterait un allongement de la période initiale de validité du contrat » ; qu'en exigeant ainsi une mention expresse de la cause de l'engagement de la commune, la cour d'appel a violé les règles générales applicables aux contrats administratifs dont s'inspire l'article 1132 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, alors qu'était uniquement discutée devant elle « la validité de la clause » indemnitaire, la cour d'appel a retenu que ses « conditions d'application » ne seraient pas réunies ; qu'en relevant d'office ce moyen sans provoquer les observations des parties, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

4°/ qu'à supposer que tel soit le sens de l'arrêt, la cour d'appel a écarté la validité de la clause indemnitaire sans avoir constaté une jurisprudence établie du Conseil d'Etat en ce sens ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires ;

Mais attendu que, selon une jurisprudence établie (CE, 23 mai 2011, département de la Guyane, n° 314715 ; CE, 17 octobre 2016, commune de Villeneuve-le-Roi, n° 398131), l'illégalité de la clause de reconduction tacite contenue dans un contrat de délégation de service public conclu antérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 38 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, a pour conséquence l'illégalité de la clause prévoyant l'indemnisation du cocontractant de la personne publique du fait de la non-reconduction tacite du contrat, aucun préjudice et, par suite, aucun droit à indemnité ne pouvant naître, pour ce cocontractant, de l'absence de reconduction à l'issue de la durée initiale convenue par les parties ; que l'arrêt relève que l'article 30 de la convention litigieuse, qui fixe à trente ans la durée initiale du contrat, énonce, en son deuxième alinéa, le principe de sa tacite reconduction par période de dix ans et stipule, en son troisième alinéa, que la commune a la possibilité de préférer ne pas renouveler le contrat moyennant paiement aux concessionnaires d'une indemnité ; qu'il en résulte que la clause dont l'application est sollicitée par les consorts Y... et qui prévoit l'indemnisation des concessionnaires, en cas de refus de la part de la commune de mettre en oeuvre la clause de reconduction tacite, est entachée d'illégalité ; que, par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués dans les conditions de l'article 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne MM. X..., B... et C...Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour MM. X..., B... et C... Y...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté les demandes formées par M. B... Y..., M. X... Y... et M. C... Y... ;

AUX MOTIFS QUE « Sur la validité de la clause :

Que le juge judiciaire est compétent pour connaître des litiges relatifs à l'exécution du contrat de concession conclu le 25 juin 1979 en application de l'article 136 du décret du 17 mai 1809 et doit appliquer, outre les règles de droit administratif, le principe de la force obligatoire des contrats qui entraîne l'exigence de loyauté des relations contractuelles ;

Que la commune de Colombes n'a pas, aux termes du dispositif de ses dernières conclusions et avant toute défense au fond, sollicité le renvoi devant le juge administratif de la question de la validité de la clause contenue à l'article 30 du contrat pas plus que les consorts Y... ne s'y sont opposés dans le dispositif de leurs dernières conclusions ;
Que par ailleurs, le juge judiciaire qui peut d'office relever toute question préjudicielle, surseoir à statuer et renvoyer l'examen de cette question au juge compétent doit cependant vérifier qu'il est en présence d'une question qui soulève une difficulté sérieuse et dont la solution est nécessaire au règlement du litige et qu'il n'existe pas de jurisprudence suffisamment établie pour qu'il puisse trancher la contestation ;
Qu'en l'espèce, après avoir rappelé que la commune de Colombes soulève l'irrégularité de la clause d'indemnisation contenue à l'article 30 du contrat en raison de l'illicéité des renouvellements tacites de contrat, il y a lieu de dire que l'irrégularité invoquée n'est pas d'une gravité telle qu'il y ait lieu d'écarter l'application du contrat, de sorte que l'appréciation de la légalité de cet acte par le juge administratif n'est pas nécessaire à la solution du litige ;

Que force est de constater à la lecture de l'article dont s'agit qu'après avoir fixé la durée initiale du contrat, soit 30 ans commençant à courir le 1er octobre 1979, il comporte en son alinéa 2 un principe général, celui de la tacite reconduction du contrat par période de 10 ans, et une dérogation au seul bénéfice de la commune qui lui donne la possibilité de préférer ne pas renouveler le contrat moyennant paiement aux concessionnaires d'une indemnité, sans qu'il soit fait référence à l'économie générale du contrat, notamment aux engagements financiers pris par les concessionnaires et à la durée nécessaire d'amortissement des financements qu'ils ont supportés, qui nécessiterait un allongement de la période initiale de validité du contrat ;

Que dès lors que la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, dite ‘'loi Sapin'', fait obstacle à la reconduction tacite de ce contrat de concession à la fin de sa durée initiale, ce que les parties ne discutent pas, le principe général édicté par l'article 30 alinéa 2 ne peut trouver à s'appliquer ; qu'il en résulte que la commune, confrontée à la nécessité de constater que le contrat initialement prévu pour une durée de trente ans était arrivé à son terme, n'a pu "préférer'' rembourser une indemnité pour mettre fin au contrat ; que le défaut de renouvellement ne résulte pas d'une décision de la commune, mais des effets de la loi, lui ôtant à cet égard toute possibilité de choix ; que les conditions d'application de l'article 30, soit à moins que la ville ne préfère rembourser, et d'octroi de l'indemnité de rupture qu'il contient ne sont pas réunies et la demande de liquidation de l'indemnité ne peut qu'être rejetée » ;

1°/ ALORS QUE lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; qu'il ne peut en aller autrement qu'en cas d'irrégularité tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ; que n'affecte pas le contenu du contrat initial ni ne constitue un vice d'une particulière gravité, la clause de tacite reconduction stipulée antérieurement à l'intervention de l'article 38 de la loi du 29 janvier 1993, devenu L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales ; qu'en décidant pourtant, en raison de la stipulation d'une clause de tacite reconduction, d'écarter l'application du contrat initiale en sa clause afférente au remboursement de la valeur résiduelle des investissements non amortis par les concessionnaires, la cour d'appel a violé les règles générales applicables aux contrats administratifs dont s'inspire l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ ALORS QUE l'étendue et les modalités des obligations de la personne publique envers son cocontractant en fin de contrat, au titre de la valeur résiduelle des investissements non amortis qu'il a réalisés, peuvent être déterminées par les stipulations du contrat, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment de la personne publique, une disproportion manifeste entre la somme ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le titulaire du contrat, des dépenses qu'il a exposées et qui n'ont pas été amorties ; que la cause de l'engagement d'indemniser la valeur résiduelle des investissements peut être tacite et résulter de l'économie générale du contrat ; qu'en l'espèce, les exposants faisaient valoir que l'engagement pris par la commune de Colombes avait pour cause, selon l'économie du contrat, de les indemniser « de la valeur non amortie des investissements prévus par le contrat » pour le cas où les relations contractuelles prendraient fin avant les 40 années nécessaires à cet amortissement (conclusions, spéc. pp. 18 à 20) ; que pour débouter pourtant les exposants de leur demande d'application de la clause, la cour d'appel a retenu qu'y était stipulé le « paiement aux concessionnaires d'une indemnité, sans qu'il soit fait référence à l'économie générale du contrat, notamment aux engagements financiers pris par les concessionnaires et à la durée nécessaire d'amortissement des financements qu'ils ont supportés, qui nécessiterait un allongement de la période initiale de validité du contrat » (arrêt, p. 9, § 6) ; qu'en exigeant ainsi une mention expresse de la cause de l'engagement de la commune, la cour d'appel a violé les règles générales applicables aux contrats administratifs dont s'inspire l'article 1132 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°/ ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, alors qu'était uniquement discutée devant elle « la validité de la clause » indemnitaire, la cour d'appel a retenu que ses « conditions d'application » ne seraient pas réunies (arrêt, p. 9, § 3 et 7) ; qu'en relevant d'office ce moyen sans provoquer les observations des parties, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

4°/ ALORS QU'à supposer que tel soit le sens de l'arrêt, la cour d'appel a écarté la validité de la clause indemnitaire sans avoir constaté une jurisprudence établie du Conseil d'Etat en ce sens ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 17-28464
Date de la décision : 14/11/2018
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

COMMUNE - Finances communales - Recettes - Droits de place perçus dans les halles, foires et marchés - Fixation - Convention d'affermage - Clause de reconduction tacite et d'indemnisation en cas de non-reconduction tacite du contrat - Illégalité - Effets

SEPARATION DES POUVOIRS - Acte administratif - Appréciation de la légalité, de la régularité ou de la validité - Question préjudicielle - Nécessité - Exclusion - Cas - Illégalité résultant d'une jurisprudence établie du Conseil d'Etat

Selon une jurisprudence établie (CE, 23 mai 2011, Département de la Guyane, n° 314715 ; CE, 17 octobre 2016, Commune de Villeneuve-le-Roi, n° 398131), l'illégalité de la clause de reconduction tacite contenue dans un contrat de délégation de service public conclu antérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 38 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 a pour conséquence l'illégalité de la clause prévoyant l'indemnisation du cocontractant de la personne publique du fait de la non-reconduction tacite du contrat. Dès lors, aucun droit à indemnité ne peut naître, pour ce cocontractant, de l'absence de reconduction à l'issue de la durée initiale convenue par les parties


Références :

article 38 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993

article 1132 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016

loi des 16-24 août 1790

décret du 16 fructidor an III.

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 23 novembre 2017

Sur la compétence des juridictions administratives pour apprécier la légalité d'une clause inclue dans un contrat dont le contentieux de l'exécution relève de la compétence judiciaire, à rapprocher :1re Civ., 5 mars 2015, pourvoi n° 14-10188, Bull. 2015, I, n° 53 (cassation partielle)

arrêt cité ;1re Civ., 9 décembre 2015, pourvoi n° 14-16548, Bull. 2015, I, n° 317 (2) (cassation partielle) ;1re Civ., 12 mai 2016, pourvoi n° 15-16743, 15-18.595, Bull. 2016, I, n° 106 (2) (cassation). Sur les effets de l'illégalité de la clause de reconduction tacite, cf. :CE, 23 mai 2011, n° 314715, mentionné aux tables du Recueil Lebon ;

CE, 17 octobre 2016, n° 398131, mentionné aux tables du Recueil Lebon.


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 14 nov. 2018, pourvoi n°17-28464, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : SCP Bénabent, SCP Piwnica et Molinié

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.28464
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