LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Jean-Yves X...,
- La société Domaine des grands vins de France,
contre l'arrêt de la cour d'appel de BESANÇON, chambre correctionnelle, en date du 7 septembre 2017, qui a condamné, le premier pour abus de confiance, à six mois d'emprisonnement avec sursis et 6000 euros d'amende et la seconde pour recel, à 8000 euros d'amende, a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 24 octobre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire FOUQUET, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, la société civile professionnelle GADIOU et CHEVALLIER, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général MORACCHINI ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation :
Vu l'article 567-1-1 du code de procédure pénale ;
Attendu que le moyen n'est pas de nature à être admis ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que la cour d'appel a déclaré M. X... coupable d'abus de confiance ;
"aux motifs qu'au visa de l'article 314-1 du code pénal, l'abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a accepté à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé ; qu'en l'espèce l'accusation repose sur le fait que M. X... ait quitté la société Henri C... au terme de l'échec de reprise de l'entreprise à laquelle il devait donner une seconde jeunesse commerciale et financière, en emportant avec Lui le fichier clients, contrevenant pour le moins à son engagement pris lors de la transaction signée à son départ ; qu'il créait immédiatement la SDVF et la difficulté était apparue par la présence de clients dans ses fichiers dont l'origine ne pouvait être, selon Henri C... , que le résultat d'un détournement de clientèle ; que pour asseoir cela, l'information judiciaire et les débats tant devant le tribunal que devant la Cour ont permis de relever des éléments qui convergeaient entre eux : ainsi en est-il tout d'abord des résultats de l'expertise civile réalisée par M. A..., expert nommé par deux ordonnances du tribunal de Strasbourg des 15 et 22 mars 2011 ; qu'en effet ainsi qu'il ressort des cotes D 73/208 à D73/215, après l'explication sur le programme de travail utilisé par l'expert que (cote D73/212) l'expert note "Concernant la machine de l'accueil chez GVF, Von notera deux arborescences provenant à l'évidence de la requérante. Une première, de nom ‘ 'Henri C... ' ' sous l'utilisateur "Muriel B... D" dont les contenus datent de 2006 et 2007 que nous reproduisons partiellement ci-après (...) et Une seconde de nom « Henri C... » sous l''utilisateur Jean-Yves et dont nous reproduisons l'arborescence partielle page suivante". (Cote D73/213) ; que l'expert remarque « à l'évidence, les fichiers datent de l'époque ou M. X... était salarié d'Henri C... » et que le fichier contient des informations souvent confidentielles de l'entreprise Henri C... ; que dans son rapport d'intervention il est relevé (cote D73/214) qu'il y avait « 32 898 clients existant à la fois dans le fichier Henri C... et dans ceux extraits au sein de la société Grands Vins de France, ou au domicile de MM. D... et X... » ; que les résultats de cette expertise civile confirment que M. X... a bien eu en sa possession les fichiers de Henri C... , le fait d'avoir déclaré les avoir « écrasé » et jamais utilisé ne résiste pas aux analyses des experts ; que cet élément éclaire les autres points de convergence soulignés par la partie civile ou les premiers juges et venant à l'appui de la réalité de la commission du délit d'abus de confiance, ainsi en est-il des affirmations relevées par les enquêteurs tant sur les consignes données par M. X... avant les auditions de témoins par les gendarmes, des déclarations de Mme E... sur la demande d'extraction de l'ensemble du fichier sauf le grand Est puis les précisions du prévenu à la barre du tribunal sur le fait qu'il avait sollicité également le fichier grand Est ; que dans un sens concordant, la déposition de M. Vincent F... sur la remise par M. X... dès son arrivée d'une clé USB contenant le fichier Henri C... ou les dépositions d'anciens salariés de la société Henri C... tels Patrick G..., Djamel H... ou Thomas I..., Jean J... ou Cédric K... sur le travail effectué pour leur part grâce au fichier Henri C... et très peu avec les fiches remises par un call center. Ils connaissaient tous parfaitement l'origine de leur outil de travail ; que les courriers de clients Henri C... sur les démarches de VRJP se présentant comme tels puis sous l'appellation GVF vont dans le même sens de l'utilisation avec sa présentation du fichier Henri C... . Sur ce point il n'est pas exclu, comme reconnu dans les us et coutumes de la profession, que des VRP embauchés par DGVF depuis la société Henri C... soient partis avec leurs propres fichiers ; que cependant, même si l'on parvenait à distinguer pour chaque client ou prospect l'origine de sa présence dans le fichier d'un VRP (fichier Henri C... ou pas), il n'en demeure pas moins que le détournement du fichier Henri C... par M. X... est établi ; que la Cour confirmera le jugement sur la déclaration de culpabilité de M. X... » ;
"1°)alors que l'utilisation par une personne d'informations relatives à la clientèle d'une société dont il est salarié ne constitue un abus de confiance que lorsqu'elle faite par des procédés déloyaux dans le but d'attirer une partie de cette clientèle vers une autre société ; qu'en se bornant à relever que l'expertise civile confirme que M. X... a eu en sa possession les fichiers de Henri C... , sans jamais établir ni les procédés déloyaux qui auraient été mis en oeuvre pour attirer la clientèle de cette société lorsqu'il en était le salarié, ni que, au moment de l'appréhension de ces fichiers, le prévenu aurait souhaité capter frauduleusement cette clientèle, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
"2°)alors qu'en retenant qu'il n'est pas exclu, comme reconnu dans les us et coutumes de la profession, que des VRP embauchés par GVF depuis la société Henri C... soient partis avec leurs propres fichiers, reconnaissant ainsi qu'il existe un doute sur la provenance des fichiers litigieux, tout en affirmant, sans s'en expliquer davantage, que même si l'on parvenait à distinguer pour chaque client ou prospect l'origine de sa présence dans le fichier d'un VRP (fichier Henri C... ou pas), le détournement est établi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;
"3°)alors qu'à tout le moins, en retenant qu'il n'est pas exclu que des VRP embauchés par GVF depuis la société Henri C... soient partis avec leurs propres fichiers et en reconnaissant qu'il n'est pas possible de distinguer pour chaque client ou prospect l'origine de sa présence dans le fichier d'un VRP, la cour d'appel, qui n'a pas établi avec certitude l'utilisation frauduleuse des fichiers litigieux, s'est prononcée par des motifs hypothétiques" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, de septembre 2004 à mai 2009, M. X... a occupé le poste de directeur commercial de la société Henri C... ; qu'il est établi que trois mois avant son départ il a obtenu de la responsable informatique l'extraction de données concernant 109404 clients du fichier, remises sur clé USB ; qu'après son licenciement, il a créé sa propre société, la société Domaine des Grands Vins de France (DGVF), immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 16 juillet 2009, exerçant une activité de commerce de vins auprès des particuliers selon le procédé de la vente directe, dont il est devenu directeur général ; que la société Henri C... ayant déposé plainte pour le détournement de son fichier client et son utilisation frauduleuse, une information judiciaire a été ouverte à l'issue de laquelle, notamment, renvoyés devant le tribunal correctionnel, M. X... a été condamné du chef d'abus de confiance, la société DGVF étant condamnée du chef de recel ; que M. X..., la société DGVF, la société Henri C... et le procureur de la République ont formé appel de cette décision ;
Attendu que pour déclarer la société DGVF coupable de recel, l'arrêt énonce que M.X..., qui était le directeur général de DGVF dès la constitution de la société, a apporté une capacité d'investissement pour développer l'entreprise, mais également le fichier détourné des clients de la société Henri C... et que les premiers chiffres d'affaires ont été réalisés grâce essentiellement aux données du fichier, les autres démarches venant en complément de la dynamique commerciale mise en place ; que la cour d'appel en conclut que le délit de recel de documents papiers et numériques est constitué et que sur ce point la motivation et la déclaration de culpabilité du premier juge concernant la société DGVF doit être confirmée ;
Attendu que les demandeurs ne sauraient se faire un grief de ce que la société DGVF a été déclarée coupable de recel, tandis que son représentant, M. X... a été condamné du chef d'abus de confiance, dès lors que d'une part, en application de l'article 121-2 du code pénal, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments le délit de recel en la personne de M. X..., représentant de la personne morale, agissant pour le compte de celle-ci et d'autre part, la dite société n'a pas elle-même été poursuivie pour abus de confiance ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2500 euros la somme globale que M. X... et la société Domaine des grands vins de France (DGVF) devront payer à la société Henri C... en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le cinq décembre deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.