LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Met hors de cause, sur sa demande, M. L... , sur le pourvoi principal ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que salarié de la société Viesly industries textiles (la société), M. L... a été victime, le 25 mai 2010, d'un accident pris en charge, au titre de la législation professionnelle, par la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut (la caisse) ; qu'après consolidation de son état de santé, le 28 septembre 2010, un taux d'incapacité permanente partielle de 9 % lui a été reconnu ; que la victime a saisi une juridiction de sécurité sociale d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique du pourvoi incident, annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal :
Vu l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012, et l'article 86, II, de cette loi ;
Attendu, selon le premier de ces textes que le second rend applicable aux majorations de rente et d'indemnités en capital ayant pris effet à compter du 1er avril 2013, qu'en cas de faute inexcusable de l'employeur à l'origine d'une atteinte corporelle du salarié, la majoration de la rente ou de l'indemnité en capital est payée par la caisse qui en récupère le capital représentatif auprès de l'employeur dans des conditions déterminées par décret ;
Attendu que l'arrêt, après avoir retenu la faute inexcusable de la société, dit que la majoration de l'indemnité en capital, qui a pris effet antérieurement au 1er avril 2013 compte tenu de la date de consolidation de l'état de santé de M. L... , sera récupérée par l'imposition d'une cotisation complémentaire, conformément à l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, dans sa version antérieure à la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la majoration de l'indemnité en capital due à la victime en raison de la faute inexcusable de l'employeur avait été fixée postérieurement au 1er avril 2013, la cour d'appel a violé par refus d'application les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut pourra récupérer auprès de l'employeur la majoration de l'indemnité en capital selon les modalités prévues à l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale dans sa version antérieure à la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012, l'arrêt rendu le 26 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne la société Viesly industries textiles ainsi que la société Rouvroy et Declercs et M. Y..., en leurs qualités respectives d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de la société Viesly industries textiles, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d'assurance maladie du Hainaut.
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a dit que la récupération par la Caisse à l'encontre de l'employeur de la majoration de l'indemnité en capital s'effectuerait selon les modalités prévues à l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale dans sa version antérieure à la loi n°2012-1404 du 17 décembre 2012 ;
AUX MOTIFS QUE « la caisse primaire d'assurance maladie a sollicité devant le tribunal des affaires de sécurité sociale que l'employeur soit condamné à lui rembourser les sommes dont elle sera amenée à faire l'avance en application des dispositions des articles L.452-2 et L.452-3 du code de la sécurité sociale ; que les premiers juges ont décidé dans les motifs du jugement qu'il convenait, conformément aux dispositions de l'article L.452-3 dernier alinéa du code de la sécurité sociale, de déclarer recevable et bien fondée l'action récursoire de la caisse et de dire que la réparation des préjudices sera directement versée au bénéficiaire par la caisse qui en récupérera le montant auprès de l'employeur ; que le jugement omet toutefois de reprendre cette décision dans son dispositif ; qu'il y a lieu de réparer dette omission et, s'agissant de la majoration de l'indemnité en capital, qui a pris effet antérieurement au 1er avril 2013 compte tenu de la date de consolidation de l'état de santé de l'assuré, de dire que la majoration sera récupérée par l'imposition d'une cotisation complémentaire dont le taux et la durée sont fixés par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail sur la proposition de la caisse primaire, en accord avec l'employeur, sauf recours devant la juridiction de la sécurité sociale compétente, conformément à l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale dans sa version antérieure à la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 » ;
ALORS QUE les dispositions de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la loi n°2012-1404 du 17 décembre 2012, prévoyant une récupération sous la forme d'un capital représentatif, sont applicables aux majorations de rente et d'indemnités en capital ayant pris effet à compter du 1er avril 2013 ; qu'à ce titre, la date de référence est la date à laquelle la majoration a été décidée ; qu'en ordonnant la récupération, sous la forme de l'imposition d'une cotisation complémentaire, quand la majoration a été décidée à la date de la décision des premiers juges, le 16 janvier 2015, soit après le 1er avril 2013, les juges du fond ont violé l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la loi n°2012-1404 du 17 décembre 2012, ensemble l'article 86 II de la même loi. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Viesly industries textiles, la société Rouvroy et Declercs, ès qualités, et M. Y..., ès qualités.
Il est fait grief à la cour d'appel d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a dit que l'accident du travail est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur, fixé au maximum la majoration du capital versé à M. L... , dit que cette majoration suivra l'évolution du taux d'incapacité attribué à la victime, et, avant dire droit sur la liquidation des préjudices subis, ordonné une expertise médicale aux fins de déterminer les séquelles subies par le salarié et d'avoir condamné la société Viesly Industries Textiles à payer à la victime une provision de 2 000 € à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.
AUX MOTIFS QU'en application des articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale et L. 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu envers son salarié d'une obligation de sécurité, notamment en ce qui concerne les accidents du travail ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, cette conscience étant appréciée in abstracto, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'il n'est pas nécessaire que la faute ainsi définie ait été la cause déterminante de l'accident ; que lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire ; qu'il incombe au salarié de rapporter la preuve, d'une part, de ce que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, d'autre part, de ce que celui-ci n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; que d'abord, il n'est pas contesté que l'accident n'est pas survenu parce que le salarié a tiré sur une poignée de porte qui aurait cassé, comme mentionné dans la déclaration d'accident de travail établie par l'employeur, en la personne de K... I... ; que les parties s'accordent au contraire pour expliquer qu'un pot s'était coincé sur un banc d'étirage et que lorsque N... L... a tenté de le dégager, le bras métallique de maintien du pot s'est brisé en entrainant sa chute ; que F... A..., témoin de l'accident, a expliqué que le pot en plastique avait été écrasé par le bras, qui était rentré dans le pot, qu'il avait stoppé la machine et fait appel à N... L... qui avait commencé à couper le pot avec un cutter et avait ensuite tenté de tirer dessus, qu'à ce moment le bras en fonte avait cédé ; que selon l'employeur, la procédure adéquate consistait à actionner un téton métallique pour enclencher la marche arrière du mécanisme et décoincer le pot, modalité d'intervention que N... L... connaissait parfaitement ; que le salarié soutient pour sa part que le téton métallique n'était pas présent, que la solution consistait à intervenir manuellement, que cette pratique était utilisée par lui et d'autres salariés dans de telles circonstances, le décoinçage se faisant alors par une poussée sur le bras de maintien en fonte, et qu'il n'existait aucune consigne particulière de sécurité sur le banc d'étirage en cause ; que l'allégation de l'appelante selon laquelle les témoignages de E... G... et K... I... réfuteraient la thèse de N... L... n'est démontrée par aucun élément ; que O... R..., W... X... et H... J..., membres du CHSCT, ont déclaré n'avoir pas été informés de l'accident du travail par la direction et qu'aucune enquête n'a été ouverte ; que la photographie et les plans de la machine produits par la société Viesly Industrie Textiles font apparaître le téton métallique évoqué comme devant être utilisé pour débloquer les pots coincés sur le banc d'étirage ; que rien ne permet toutefois de vérifier que la photographie a été prise au moment de l'accident et sur la machine impliquée ; que sur l'une des photographies qu'il a produites, N... L... a mentionné « place du téton » sur un emplacement partiellement masqué par un poteau ; que ces éléments ne permettent pas en conséquence d'affirmer ni que la manette était présente ni qu'elle faisait défaut ; que les autres pièces ne permettent pas davantage de trancher cette question ; que les attestations émanant de Z... S..., chef de service maintenance, et de C... T..., ancien directeur à la retraite, ont trait aux seules procédures et consignes à suivre en cas de blocage des pots de matière sur l'étirage ; que les comptes rendus de vérification périodique des installations électriques des années 2008 à 2014 sont dénuées d'intérêt, les installations électriques n'étant pas en cause dans l'accident du travail de N... L... et les vérifications opérées ne concernant pas l'état des machines ; que les pièces relatives à l'inaptitude de N... L... à son poste et à son reclassement au sein de la société n'apportent pas d'informations sur les circonstances de l'accident ; qu'aucun des salariés entendus par la gendarmerie ne mentionne l'absence ou la présence de la manette sur la machine en cause le jour de l'accident du travail ; qu'en revanche il est établi que le phénomène de blocage des pots était récurrent, particulièrement dans les jours ayant précédé l'accident ; que BF... B... a ainsi déclaré que « c'est le fonctionnement de la machine qui est comme ça », que la machine bloque par moment parce qu'un pot est bloqué sur lui-même et que c'est son rôle ainsi que celui de N... L... de surveiller les machines et de les débloquer ; qu'il a précisé que la machine présentait des difficultés depuis environ une semaine avant l'accident, que le problème avait été signalé au responsable ST... D..., que le problème ne venait pas tant de la machine que des pots, usés et défectueux ; que F... A... a indiqué également que les pots se bloquaient souvent sur la RSB21, que « c'est bien connu avec cette machine » et que depuis une semaine avant l'accident les pots se coinçaient plus fréquemment qu'à l'habitude ; que ST... D..., responsable de la sécurité des machines et de la qualité, a confirmé que c'était une machine qui avait des problèmes avec les pots, attribuant cette difficulté au mauvais état du centrage ; qu'LG... OI... a fait part de l'état des pots, rafistolés par du scotch, pour expliquer qu'ils bloquent en arrivant au tourniquet, soulignant avoir participé, après l'accident, au remplacement du tourniquet dont la courroie était usée ; que le phénomène de blocage des pots, connu de l'employeur, nécessitait l'intervention régulière du personnel surveillant les machines ; que BF... B... a indiqué que pour remettre en service la machine bloquée par un pot « il faut monter dessus et redescendre », ajoutant qu'il « arrive assez souvent qu'on chute » ; que W... X... a évoqué l'exigüité des lieux et le fait que les bras des machines cassaient une à deux fois par an et étaient envoyés à l'atelier pour soudure ; qu'ainsi, l'employeur avait ou devait avoir conscience du risque auquel le salarié était exposé du fait du blocage des pots ; qu'il lui incombait en conséquence de prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver N... L... ; que le phénomène de blocage n'apparaissant pas pouvoir être totalement évité, mais simplement réduit par l'emploi de pots et d'un tourniquet en bon état, il incombait à tout le moins à l'employeur d'élaborer un mode opératoire destiné à débloquer les pots en toute sécurité et de donner des consignes claires à ses salariés ; que la société Viesly Industrie Textiles produit les attestations de Z... S..., chef de service maintenance, et de C... T..., ancien directeur à la retraite ; que le premier indique que N... L... connaissait les procédures et consignes à suivre en cas de blocage des pots de matière sur l'étirage, à savoir les débloquer en actionnant la manette de sécurité en place sur le matériel ; que le second confirme que N... L... avait toute connaissance de la procédure existante dans l'entreprise consistant en cas de blocage de machine, notamment pour débloquer les pots de matière, à débrayer ceux-ci par une manette de débrayage ; que ces témoignages ne sont cependant corroborés par-aucun élément matériel puisqu'il n'est produit aucun document écrit portant sur la procédure à respecter en cas de blocage des pots, qui aurait pu être porté à la connaissance de N... L... ; que de plus, H... J..., membre du CHSCT, a indiqué qu'aucune consigne n'était apposée sur la machine ; que par ailleurs, les auditions des collègues de N... L... par la gendarmerie font au contraire ressortir l'absence de mode opératoire et de consigne et le fait que chacun procédait à sa façon ; qu'aucun des quatre collègues surveillants de N... L... n'évoque la méthode exposée par l'appelante pour le déblocage des pots, à savoir l'utilisation du téton métallique pour enclencher la marche arrière du mécanisme ; qu'ainsi, BF... B... a indiqué que pour remettre en service la machine bloquée un pot « il faut monter dessus et redescendre » et qu'il n'y a pas spécialement de consignes de sécurité quant à la machine d'étirage ; que NF... FY... a expliqué pour sa part que lorsque le bras se bloque avec un pot, il intervient à l'aide d'un tournevis pour débrailler le bras ; qu'EO... HS... a indiqué qu'à sa connaissance il n'y avait pas de consignes particulières de sécurité sur ce type de machine en précisant : « nous avons tous notre façon de travailler » ; que WL... RJ... a seulement évoqué l'arrêt d'urgence au titre des consignes de sécurité ; que les membres du CHSCT n'étaient pas plus informés sur l'existence d'une procédure à suivre ; que O... R... n'a pas su dire s'il existait des consignes particulières pour débloquer un pot ; que W... X... a évoqué l'existence d'un « mode manuel » pour débloquer un pot, expliquant que « si le bras est bien coincé, il faut le décoincer. On peut aussi démonter le bras, mais ça prend du temps » ; qu'il apparaît ainsi que l'employeur n'avait pas donné de consignes aux salariés sur la procédure à respecter en cas de blocage des pots ; que cette abstention a participé à la survenue de l'accident ; que l'employeur a donc bien commis une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ;
1 – ALORS QUE, d'une part, le manquement par l'employeur à son obligation de sécurité de résultat ne revêt le caractère d'une faute inexcusable que s'il est démontré que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en l'espèce, en considérant que la société Viesly Industries Textiles avait ou devait avoir conscience du risque auquel M. L... était exposé du fait des blocage des pots, au motif inopérant que ce phénomène était plus fréquent qu'à l'habitude dans les jours ayant précédé l'accident (arrêt, page 5, § 5), sans constater que l'employeur avait effectivement été informé de ces incidents, quand celui-ci soutenait que si défectuosité il y avait, celle-ci était récente et lui était inconnue (conclusions, page 6, dern. §), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ;
2 – ALORS QUE, d'autre part, et subsidiairement, la simple exposition au risque ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable de l'employeur dès lors que celui-ci a dispensé des consignes de sécurité qui permettaient d'éviter le sinistre ; qu'au cas présent, la société Viesly Industries Textiles expliquait que la machine impliquée était équipée d'une manette permettant le déblocage des pots en toute sécurité et que l'accident ne pouvait résulter que d'un non-respect de la procédure applicable par M. L... ; qu'en statuant par les motifs visés au moyen, sans caractériser l'insuffisance des mesures prises par l'employeur pour protéger son salarié, et notamment que l'accident serait tout de même apparu si celui-ci avait respecté les modalités d'intervention prévues pour ce type de manoeuvre, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale.