LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. I... a été engagé à compter du 1er juin 2009 en qualité de formateur par la société Emile Bec (la société) ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir le paiement d'un rappel d'heures supplémentaires, la requalification de sa démission en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et le paiement d'indemnités de rupture ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'heures supplémentaires alors, selon le moyen, que lorsque le salarié n'a pas de lieu de travail fixe ou habituel, le temps de trajet qu'il consacre aux déplacements entre son domicile et les lieux de travail définis par l'employeur constitue du temps de travail effectif ; qu'en l'espèce, à l'appui de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, M. I... faisait valoir qu'il n'était affecté à aucun magasin de la société Emile Bec et qu'il était amené à sillonner la France pour se rendre dans le magasin dans lequel il devait accomplir sa mission ; qu'en déboutant M. I... de sa demande, au motif que « le temps de déplacement professionnel ne peut pas entrer dans le décompte du temps de travail effectif et constituer des heures supplémentaires », tout en constatant que « le contrat de travail de M. I... précise qu'il est appelé à exercer ses fonctions au sein de l'établissement de [...] et "sur toutes les régions où se situent les boutiques Emile Bec" », ce dont il résultait que M. I... n'avait pas de lieu de travail fixe ou habituel, puisqu'il était appelé à travailler dans toutes les boutiques de la société Emile Bec, et que les temps de trajet entre ces boutiques constituaient ainsi nécessairement un temps de travail effectif, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 3121-4 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant énoncé, à bon droit, que selon l'article L. 3121-4 du code du travail, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif, la cour d'appel en a exactement déduit que le temps de déplacement professionnel ne pouvait pas entrer dans le décompte du temps de travail effectif et constituer des heures supplémentaires ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais, sur le second moyen :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour rejeter la demande du salarié tendant à faire requalifier sa démission en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et ses demandes d'indemnisation subséquentes, l'arrêt retient que l'existence d'un comportement négligent ou dilatoire de l'employeur n'est pas établie et ce grief ne peut être considéré comme constitué, que le salarié n'apporte aucun élément permettant de constater le défaut de paiement d'heures de travail effectif, les temps de déplacement n'étant pas des temps de travail effectif, qu'il est par contre établi que contrairement aux dispositions de l'article L. 3121-4 du code du travail, ces temps de déplacement n'ont jamais donné lieu à contrepartie alors même qu'ils ont régulièrement dépassé le temps normal du trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, que la liste établie par le salarié des infractions aux dispositions relatives au droit au repos comporte des contradictions avec les relevés de la durée du travail du salarié qui ne permettent pas de caractériser les violations alléguées, que la sanction disciplinaire est motivée par un défaut d'entretien et de suivi de l'état du véhicule et par le non-respect des directives données par l'employeur, que les éléments débattus ne permettent donc pas à la cour de retenir à l'encontre de la société des manquements suffisamment graves pour faire obstacle à la poursuite de la relation de travail ;
Qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans se prononcer sur l'ampleur de la carence de l'employeur dans le paiement d'une contrepartie aux temps de déplacement dont elle avait constaté l'existence, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la déduction opérée, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. I... de sa demande tendant à la requalification de sa démission en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes indemnitaires en découlant, l'arrêt rendu le 26 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne la société Emile Bec aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Emile Bec et la condamne à payer à M. I... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mai deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. I...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'avoir débouté M. I... de sa demande en paiement d'heures supplémentaires ;
AUX MOTIFS QUE M. I... soutient que les temps de trajet qu'il a effectués en 2011 et 2012 constituent du temps de travail effectif qui s'est ajouté au temps de travail décompté par l'employeur, sans lui être rémunéré au taux majoré des heures supplémentaires ; que la société Bec fait valoir que le temps de déplacement pour se rendre sur le lieu de l'exécution du contrat de travail n'est pas du temps de travail effectif et ne peut entrer dans le décompte de la durée du travail ni constituer des heures supplémentaires ; que le contrat de travail de M. I... précise qu'il est appelé à exercer ses fonctions au sein de l'établissement de [...] et « sur toutes les régions où se situent les boutiques Emile Bec » et qu'il est astreint à un horaire hebdomadaire de 39 heures ; que selon l'article L.3121-4 du code du travail, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif ; que toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière ; que la part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire ; qu'il résulte de ces dispositions que le temps de déplacement professionnel ne peut pas entrer dans le décompte du temps de travail effectif et constituer des heures supplémentaires ; que c'est donc à tort que le conseil de prud'hommes a pris en compte ces temps de déplacement professionnel pour déterminer un volume d'heures supplémentaires et condamner l'employeur à verser un rappel de salaire ;
ALORS QUE lorsque le salarié n'a pas de lieu de travail fixe ou habituel, le temps de trajet qu'il consacre aux déplacements entre son domicile et les lieux de travail définis par l'employeur constitue du temps de travail effectif ; qu'en l'espèce, à l'appui de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, M. I... faisait valoir qu'il n'était affecté à aucun magasin de la société Emile Bec et qu'il était amené à sillonner la France pour se rendre dans le magasin dans lequel il devait accomplir sa mission (conclusions de M. I..., p. 3, alinéa 5) ; qu'en déboutant M. I... de sa demande, au motif que « le temps de déplacement professionnel ne peut pas entrer dans le décompte du temps de travail effectif et constituer des heures supplémentaires » (arrêt attaqué, p. 3, alinéa 6), tout en constatant que « le contrat de travail de M. I... précise qu'il est appelé à exercer ses fonctions au sein de l'établissement de [...] et "sur toutes les régions où se situent les boutiques Emile Bec" » (arrêt attaqué, p. 3, alinéa 4), ce dont il résultait que M. I... n'avait pas de lieu de travail fixe ou habituel, puisqu'il était appelé à travailler dans toutes les boutiques de la société Emile Bec, et que les temps de trajet entre ces boutiques constituaient ainsi nécessairement un temps de travail effectif, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L.3121-4 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. I... de sa demande tendant à la requalification de sa démission en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes d'indemnisation à ce titre ;
AUX MOTIFS QU' il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail ; que cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission ; qu'il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur ; que par courrier du 23 avril 2013, M. I... a mis un terme à la relation de travail en faisant état des griefs suivants à l'encontre de son employeur : le remboursement aléatoire de ses frais de déplacement ; l'absence d'avance de frais ; le défaut de paiement des temps de déplacement professionnel et de l'intégralité de ses heures de travail ; le non-respect des repos obligatoires ; l'absence inexpliquée de l'employeur, lors de sa dernière convocation ; que l'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige et que le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans son écrit ; que M. I... reproche également à son employeur de lui avoir infligé une sanction disciplinaire injustifiée sous la forme d'un avertissement notifié le 11 février 2013 ; que sur les frais de déplacement, il est établi par les productions que si M. I... faisait, depuis l'origine du contrat, l'avance des frais de déplacement, ces frais lui ont été remboursés sur présentation d'une note récapitulative conformément à des notes de services visées par lui et que lorsqu'il justifie en avoir fait la demande, il a obtenu une avance pour y faire face ; que si M. I... justifie s'être plaint à compter du mois d'octobre 2012 de ce régime de remboursement des frais mis en oeuvre par l'employeur, notamment du décalage entre l'engagement de ces frais et leur remboursement effectif, et si ses relevés bancaires comme la liste d'opération produite par la société Emile Bec font apparaître un délai pouvant dépasser le mois, les échanges de courriels rappellent au salarié la nécessité de déposer ses notes de frais rapidement et M. I... ne justifie pas des dates auxquelles il accomplissait cette formalité ; que l'existence d'un comportement négligent ou dilatoire de l'employeur n'est pas établie et ce grief ne peut être considéré comme constitué ; qu'au demeurant, il relève d'un fonctionnement de l'entreprise existant depuis l'origine du contrat de travail et qui n'a pas empêché sa poursuite durant plus de quatre ans ; que sur le défaut de paiement des heures de travail et des temps de déplacement, M. I... n'apporte aucun élément permettant de constater le défaut de paiement d'heures de travail effectif, les temps de déplacement n'étant pas des temps de travail effectif ; qu'il est par contre établi que contrairement aux dispositions de l'article L.3121-4 du code du travail, ces temps de déplacement n'ont jamais donné lieu à contrepartie alors même qu'ils ont régulièrement dépassé le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail ; que sur le non-respect des repos obligatoires, la liste établie par M. I... des infractions aux dispositions relatives au droit au repos comporte des contradictions avec les relevés de la durée du travail du salarié établis mensuellement (infractions relevées alors que la salarié est en arrêt maladie) et ces derniers ne permettent de caractériser les violations alléguées, fondées en partie sur la prise en compte de temps de trajet comme temps de travail ; que sur l'avertissement injustifié, la sanction disciplinaire est motivée en premier lieu par un défaut d'entretien et de suivi de l'état du véhicule de fonction mis à la disposition de M. I... et en second lieu par le non-respect des directives données par l'employeur ; que les échanges de courriels produits par le salarié démontrent que ce dernier n'a pas respecté les consignes données par son employeur le 11 février 2013 et s'est abstenu de vérifier l'état des pneumatiques de son véhicule de fonction ; que les éléments débattus ne permettent donc pas à la cour de retenir à l'encontre de la société Emile Bec des manquements suffisamment graves pour faire obstacle à la poursuite de la relation de travail ; que par ailleurs, bien qu'il conteste l'existence d'une négociation au sujet d'une rupture conventionnelle, les échanges de courriels produits tant par l'employeur que par lui-même démontrent que M. I... était partie prenante à ces discussions en raison d'un projet personnel à l'étranger ;
ALORS, D'UNE PART, QUE la cassation qui interviendra dans le cadre du premier moyen de cassation, dirigé contre le chef de dispositif de l'arrêt attaqué déboutant M. I... de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, entraînera par voie de conséquence l'annulation du chef de dispositif de l'arrêt attaqué déboutant le salarié de sa demande de requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse, au motif que l'employeur n'aurait commis aucun manquement justifiant une telle requalification, et ce par application de l'article 624 du code de procédure civile ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE saisi d'une demande de requalification de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge doit se prononcer sur l'ensemble des griefs énoncés par le salarié à l'appui de sa prise d'acte, déterminer s'ils sont ou non établis, et s'agissant des griefs jugés établis, décider s'ils sont suffisamment graves et de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail ; qu'en affirmant que les griefs invoqués par M. I... à l'encontre de son employeur n'étaient pas établis, de sorte que « les éléments débattus ne permettent donc pas à la cour de retenir à l'encontre de la société Emile Bec des manquements suffisamment graves pour faire obstacle à la poursuite de la relation de travail » (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 5), tout en constatant qu'il était « établi que contrairement aux dispositions de l'article L.3121-4 du code du travail, (les) temps de déplacement n'ont jamais donné lieu à contrepartie alors même qu'ils ont régulièrement dépassé le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail » (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 3), ce dont résultait nécessairement l'existence d'un manquement majeur de l'employeur à ses obligations, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L.1231-1 du code du travail et l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.