LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 mai 2017), que, par actes du 26 mars 2014, M. E... U... a donné à bail le domaine agricole qu'il exploitait à son fils Q...-T... et cédé les éléments nécessaires à l'activité viticole à l'exploitation agricole à responsabilité limitée Château Saint Jean (l'EARL), représentée par celui-ci ; que les biens loués ont été mis à la disposition de l'EARL ; que, par déclaration du 13 février 2015, M. E... U... a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en résiliation, pour cession prohibée d'une parcelle à un tiers ; que M. Q...-T... U... a formé une demande reconventionnelle en exécution de travaux ;
Sur le premier moyen :
Vu les articles L. 411-31, II, et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que la cession prohibée du bail rural, même si elle ne porte que sur une partie des biens loués, justifie la résiliation de ce bail sans que le juge, saisi d'une telle demande, ait à se prononcer sur la gravité du manquement, ni à rechercher s'il est de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds ;
Attendu que, pour rejeter la demande en résiliation, l'arrêt constate qu'une parcelle incluse dans le bail est exploitée par un tiers et retient que ce manquement, imputable au preneur, n'est pas d'une gravité telle qu'il justifie la résiliation, dès lors que ce tiers utilise sans contrepartie un terrain représentant dix pour cent de la superficie, ne revendique aucun droit sur celui-ci et avait précédemment reçu de M. E... U... lui-même l'autorisation d'en user ;
Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à justifier l'infraction au statut du fermage qu'elle avait constatée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le second moyen :
Vu l'article 624 du code de procédure civile ;
Attendu que la cassation sur le premier moyen entraîne l'annulation, par voie de conséquence, des dispositions qui sont critiquées par ce moyen ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mai 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne M. Q...-T... U... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juin deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour M. E... U...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir, par confirmation du jugement entrepris, rejeté la demande formée par M. E... U... en résiliation du bail consenti par ce dernier à M. Q...-T... U..., suivant acte authentique du 26 mars 2014,
AUX MOTIFS QUE
« - la résiliation du bail
E... U... fait valoir, en premier lieu, que la parcelle [...] , incluse dans le bail, d'une superficie de 5 ha 14 a 50 ca, est, en réalité, exploitée par un tiers, P... C..., ainsi qu'il ressort des énonciations d'une sommation interprétative délivrée à celui-ci par acte d'huissier de justice du 7 octobre 2016 ; il soutient qu'une telle exploitation doit être assimilée à une cession prohibée au sens de l'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime, de nature à justifier la résiliation du bail en vertu de l'article L. 411-31 II du même code ; le manquement ainsi invoqué, lié à l'existence d'une cession prohibée, constitue un moyen nouveau, qui peut effectivement être évoqué à l'appui de la demande de résiliation du bail déjà formulée en première instance.
A cet égard, il est de principe que la mise à disposition d'un tiers, même à titre gratuit, d'une terre louée caractérise une cession prohibée ; il y a lieu cependant, en l'espèce, de considérer qu'un tel manquement reproché au preneur n'est pas d'une gravité telle qu'il justifie la résiliation du bail ; en effet, E... U... ne s'en est pas prévalu en première instance, ce qui tend à établir que lui-même n'y attachait aucune importance, et il n'est pas discuté que M. C..., qui utilise sans contrepartie financière la parcelle [...] , laquelle ne représente que 10 % de la superficie totale louée, pour y semer du blé et du colza et qui ne revendique aucun droit sur celle-ci, avait été initialement autorisé à l'exploiter par E... U... lui-même » ; (arrêt p.7)
ALORS QUE, sous réserve des dispositions particulières aux baux cessibles hors du cadre familial, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au 170563/BP/OFD profit d'un descendant du preneur, de son conjoint ou du partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ; qu'ayant constaté que la parcelle [...] d'une superficie de 5 ha 14 a 50 ca, incluse dans le bail consenti par M. E... U... à M. Q...-T... U..., était exploitée par un tiers, M. P... C..., qui y avait semé du blé et du colza, la cour d'appel, qui a néanmoins refusé de prononcer la résiliation du bail pour cession prohibée, au motif inopérant que le manquement reproché au preneur n'était pas d'une gravité telle qu'il justifie la résiliation, a violé les articles L 411-31 et L 411-35 du code rural et de la pêche maritime.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné M. E... U... à faire procéder, sur les bâtiments d'exploitation du domaine Saint-Jean situé à Manosque, à l'exécution des travaux tendant à la reprise complète de la couverture et de la charpente de la cave et du hangar, et ce dans le délai d'un an suivant la signification de l'arrêt sous peine d'une astreinte de 500 euros par jour de retard pendant le délai de six mois passé lequel il sera à nouveau statué,
AUX MOTIFS QUE
« - la demande de condamnation sous astreinte du bailleur à réaliser les travaux portant sur la toiture, les cuves en béton et foudres en bois et l'installation d'une fosse sceptique
Il est communiqué trois procès-verbaux de constat établis par Me L..., huissier de justice, les 13 janvier, 1er avril 2015 et 26 octobre 2016, ainsi qu'un compte rendu de visite de Mme H..., ingénieur-conseil, en date du 22 mars 2016, dont il résulte que :
- la couverture de la cave, en pare-feuilles et tuiles anciennes, est endommagée, de même que la charpente, dont les liteaux sont par endroits cassés ou ont été partiellement brulés lors d'un incendie ancien et dont les pannes, du fait de leur pourrissement, sont fragilisées à leur appui dans le mur, deux étais ayant dût être placés qui reposent, actuellement, sur le patelage fragile du plancher de combles,
-les débords en rive de la couverture de la cave sont par endroits effondrés et certains bois pourris, créant ainsi un risque de chute de matériaux,
- la couverture du hangar est à reprendre, qui est à l'origine d'infiltrations d'eau en raison de nombreuses tuiles cassées,
- trois cuves en béton sont couvertes intérieurement d'un revêtement de type époxy, qui se désagrège.
(
) Le contrat de bail liant les parties disposent que le preneur prendra les biens loués dans l'état où ils se trouveront à la date de son entrée en jouissance (article 4), qu'il s'oblige, pendant toute la durée du bail, entretenir tous les édifices en bon état de réparations locatives, si elles ne sont occasionnées ni par la vétusté, ni par le vice de construction ou de 170563/BP/OFD matière, ni par force majeure et que les grosses réparations seront à la charge exclusive des propriétaires (article 5).
Il est évident, en l'état des divers procès-verbaux d'huissier de justice et des constatations techniques de Mme H..., ingénieur-conseil, non sérieusement discutées, que les désordres affectant la couverture et la charpente de la cave et du hangar dus à la vétusté et à un défaut manifeste d'entretien, préexistaient à la date de prise d'effet du bail, le 1er mars 2014 ; dans une note complémentaire, rédigée le 24 avril 2016, Mme H... indique qu'il existe un risque de dégradation rapide de la toiture si aucune intervention à court terme n'est entreprise, indépendamment de la dangerosité du site.
La clause insérée à l'article 4 "état des lieux" selon laquelle le preneur prendra le lieux dans l'état où ils se trouveront à la date de son entrée en jouissance signifie que le preneur accepte de prendre les lieux dans l'état où ils lui sont délivrés par le bailleur à la date de la prise d'effet du bail, mais ne vaut pas renonciation, de sa part, à se prévaloir, en cours de bail, de 'l'obligation pesant sur le bailleur de prendre en charge les grosses réparations, distinctes des simples réparations locatives non liées à la vétustés, au vice de la construction ou de la matière ou à la force majeure ; au cas d'espèce, la reprise complète de la couverture et de la charpente de la cave et du hangar relève de l'obligation de réparation pesant sur E... U..., qu'il y a lieu de condamner à l'exécution des travaux de réparation nécessaires selon des modalités qui seront précisées dans le dispositif du présent arrêt ; (
) » (arrêt p.10 et 11)
ALORS QUE la cassation du chef de dispositif de l'arrêt ayant rejeté la demande de résiliation du bail consenti par M. E... U... à M. Q...-T... U... pour cession prohibée, entraînera, par voie de conséquence nécessaire, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt ayant condamné M. E... U..., sous astreinte, à effectuer des travaux sur les bâtiments d'exploitation compris dans le bail, en application de l'article 624 du code de procédure civile.