LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique du pourvoi incident qui est préalable :
Vu l'article R. 1452-6 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. C... a été engagé par la société Porcher tissages à compter du 7 octobre 1994 en qualité de tisseur ; que, le 4 février 2009, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes à titre de rappel de salaire et de dommages-intérêts ; que par jugement rendu le 3 novembre 2009 il a été débouté de ses prétentions ; que, le 16 octobre 2015, le salarié a saisi à nouveau la juridiction prud'homale d'une demande de rappel de salaire au titre d'une majoration non perçue pour la période de janvier 2007 à septembre 2017 ;
Attendu que pour déclarer recevables les demandes du salarié, l'arrêt retient que l'employeur verse aux débats un jugement du 3 novembre 2009 rendu par le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jaillieu qui concerne les mêmes parties et le même contrat de travail, que cependant, s'il appartenait au salarié, qui, à la date de clôture des débats, n'ignorait pas la différence de majoration existante, de solliciter la condamnation de son employeur à lui verser des rappels de salaires échus dans le cadre de l'instance ayant donné lieu au jugement précité, le principe de l'unicité de l'instance ne peut être opposé s'agissant des salaires échus postérieurement à la clôture des débats, qu'en conséquence, les demandes de rappel de salaire pour la période postérieure au 3 novembre 2009, date de l'audience devant le conseil de prud'hommes, sont recevables au regard de l'unicité de l'instance prud'homale ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la différence de majoration existante, qui fondait la demande de rappel de salaire dont elle était saisie, était connue du salarié à la date de clôture des débats de l'instance initiale, ce dont elle aurait dû déduire que cette demande était irrecevable en application de la règle de l'unicité de l'instance, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application des dispositions de l'article 1015 du même code ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le moyen unique du pourvoi principal du salarié :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare irrecevables les demandes de M. C... ;
Condamne M. C... aux dépens devant la Cour de cassation et les juges du fond ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois juillet deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
.Moyen produit AU POURVOI PRINCIPAL par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. C....
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté les demandes de rappel de salaire formées par M. C... ;
AUX MOTIFS QUE la règle d'égalité des rémunérations « à travail égal salaire égal » impose à l'employeur d'octroyer les mêmes avantages à tous les salariés placés dans une situation identique ; qu'il résulte de l'analyse des bulletins de paye versés aux débats que l'inégalité de rémunération entre les salariés embauchés avant 1991 et ceux embauchés postérieurement, au sein de la société Porcher Tissages, est établie ; que cependant, l'Eurl Porcher Tissages justifie, par des raisons objectives, la différence de traitement opérée et démontre que les salariés embauchés avant 1991 ne sont pas placés dans une situation identique à ceux embauchés postérieurement, dès lors que la règle du maintien des avantages acquis en matière de rémunération contraignait l'employeur à conserver la structure et le niveau de rémunération des salariés présents et que, compte tenu de l'évolution de la situation concurrentielle de l'entreprise, l'instauration d'un nouveau système de majoration était rendue nécessaire pour la sauvegarde de sa compétitivité ; qu'il ressort en effet du compte-rendu de la réunion des délégués du personnel du 11 avril 1991, que l'employeur a bien fait application du principe de maintien des avantages acquis « si l'on ne peut diminuer les acquis des personnels actuels de nuit, la Direction a pris la décision de modifier les avantages des futurs embauchés dans les équipes de nuit [
] » ; que dès lors, la différence de traitement entre salariés embauchés dans un contexte concurrentiel différent et non placés dans une situation identique, est suffisamment justifiée ; qu'en conséquence, M. C... sera débouté de l'ensemble de ses demandes de rappel de salaire ;
ALORS, D'UNE PART, QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué (p. 3, alinéa 2) a expressément renvoyé pour l'exposé des moyens et prétentions des parties aux conclusions auxquelles celles-ci avaient expressément déclaré se rapporter lors de l'audience de plaidoiries ; que dans ses écritures d'appel, la société Porcher Tissages se bornait à alléguer que M. C... avait « bénéficié de la même égalité de traitement que ses collègues de travail embauchés après 1991 » et que « la volonté de la société consiste (
) à uniformiser et rationnaliser le versement des majorations de nuit » (conclusions de l'employeur, p. 11, alinéa 6 et p. 14, alinéa 2) ; qu'en soulevant donc d'office le moyen tiré de ce que, « compte tenu de l'évolution de la situation concurrentielle de l'entreprise, l'instauration d'un nouveau système de majoration était rendue nécessaire pour la sauvegarde de sa compétitivité » et que « dès lors, la différence de traitement entre salariés embauchés dans un contexte concurrentiel différent et non placés dans une situation identique, est suffisamment justifiée » (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 1er), sans inviter les parties à s'expliquer sur ce point, la justification de la différence de traitement par un souci de compétitivité de l'entreprise n'ayant jamais été évoquée par l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU' en tout état de cause, au regard du principe « à travail égal, salaire égal », la circonstance que les salariés ont été engagés avant ou après que l'employeur ait décidé de dénoncer un usage ne peut suffire à justifier des différences de traitement entre eux ; qu'il appartient à l'employeur de démontrer qu'il existe d'autres raisons objectives de priver d'un élément de rémunération une catégorie de salariés effectuant un même travail ou un travail d'égale valeur, dont il revient au juge de contrôler la réalité et la pertinence ; qu'en considérant que, « compte tenu de l'évolution de la situation concurrentielle de l'entreprise, l'instauration d'un nouveau système de majoration était rendue nécessaire pour la sauvegarde de sa compétitivité » et que « dès lors, la différence de traitement entre salariés embauchés dans un contexte concurrentiel différent et non placés dans une situation identique, est suffisamment justifiée » (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 1er), cependant qu'au regard de l'exigence de compétitivité de l'entreprise, les salariés effectuant le même travail sont placés dans la même situation, de sorte que la date d'embauche ne peut suffire à justifier une différence de traitement entre eux, la cour d'appel, qui s'est ainsi déterminée par des motifs impropres à caractériser les raisons objectives et matériellement vérifiables justifiant la différence de rémunération des salariés en cause, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du principe « à travail égal, salaire égal ». Moyen produit AU POURVOI INCIDENT EVENTUEL par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Porcher tissages.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR réformé le jugement entrepris et d'AVOIR déclaré recevables les demandes du salarié portant sur les salaires exigibles après le 16 octobre 2010.
AUX MOTIFS QUE : « 1°) Sur la prescription. Monsieur R. sollicite un rappel de salaire pour la période allant de janvier 2004 à septembre 2017. L'article L. 3245-1 du code du travail, dans sa version antérieure au 17 juin 2013, dispose que : « l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par cinq ans conformément à l'article 2224 du code civil. » Le même article dispose, dans sa version applicable à compter du 17 juin 2013 que « L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. » L'article 21 du chapitre 4 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi dispose que : « Les dispositions du code du travail prévues aux III et IV du présent article s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. » Monsieur R. sollicite la fixation du point de départ de la prescription en 2015, prétendant avoir été informé tardivement de la différence de majoration perçue par les salariés embauchés avant l'année 1991 et ceux embauchés postérieurement. Cependant, l'EURL P. Tissages démontre en produisant les comptes-rendus des réunions avec les délégués du personnel, affichés dans les locaux de l'entreprise, que le salarié ne pouvait ignorer la différence de majoration. Il ressort en particulier de la lecture du compte-rendu de la réunion du 30 avril 1998, laquelle s'est tenue postérieurement à l'embauche de Monsieur R., que la question des différences de majoration des heures effectuées par les équipes de nuit avait bien été abordée et mentionnée. Les termes de ce compte-rendu révèlent en sus que la revendication d'une majoration à 50% était un sujet de discussion au sein de l'entreprise : 'M. M., tisseur équipe C, réclame les 50% de majoration (idem pour d'autres salariés). En conséquence, le délai de prescription de l'action en paiement des salaires perçu par Monsieur R., a commencé à courir à compter de la date à laquelle ceux-ci sont devenus exigibles. Monsieur R. a saisi le conseil de prud'hommes le 16 octobre 2015. Les demandes portant sur les salaires exigibles avant le 16 octobre 2010, soit cinq années avant la saisine, sont donc prescrites. S'agissant en revanche des demandes portant sur la période postérieure au 16 octobre 2010, initialement soumises à la prescription quinquennale, puis, à compter du 17 juin 2013, à la prescription triennale et pour lesquelles la durée totale de la prescription n'excède pas la durée prévue par la loi antérieure, elles seront déclarées non-prescrites, par voie d'infirmation. 2°) Sur le principe de l'unicité de l'instance. L'article R. 1452-6 du code du travail dans sa rédaction applicable aux faits de la cause dispose que : 'Toutes les demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, l'objet d'une seule instance. Cette règle n'est pas applicable lorsque le fondement des prétentions est né ou révélé postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes. L'EURL P. Tissages verse aux débats un jugement du 03 novembre 2009 rendu par le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jaillieu. Ce jugement concerne les mêmes parties et le même contrat de travail, objet de la présente instance. Cependant, s'il appartenait à Monsieur R., qui, à la date de clôture des débats, n'ignorait pas la différence de majoration existante, de solliciter la condamnation de son employeur à lui verser des rappels de salaire échus dans le cadre de l'instance ayant donné lieu au jugement précité, le principe de l'unicité de l'instance ne peut être opposé s'agissant des salaires échus postérieurement à la clôture des débats. En conséquence, les demandes de rappel de salaire pour la période postérieure au 03 novembre 2009, date de l'audience devant le conseil de prud'hommes, sont recevables au regard de l'unicité de l'instance prud'homale. Au vu de ce qui précède, compte tenu des règles applicables en matière de prescription et d'unicité de l'instance, les demandes de Monsieur R. seront déclarées recevables pour la période postérieure au 16 octobre 2010, par voie d'infirmation.»
1) ALORS QUE les demandes découlant du même contrat de travail entre les mêmes parties doivent faire l'objet d'une seule instance, à moins que le fondement des prétentions nouvelles ne soit né ou n'ait été révélé postérieurement à la clôture des débats intervenue en première instance ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé (arrêt attaqué, p. 4, § 6 à 8) que le jugement du 3 novembre 2009 du conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jaillieu, produit par l'exposante (production), concernait les mêmes parties et le même contrat de travail, objet de la présente instance, que le salarié n'ignorait pas, à la date de la clôture des débats, le fondement de la demande de rappel de salaire, consistant en l'occurrence dans la différence de majoration existante ; qu'en jugeant cependant recevable la demande de rappel pour les salaires échus après le 3 novembre 2009, la cour d'appel a violé l'article R. 1452-6 du code du travail.
2) ALORS QUE la prescription ne court pas contre celui qui s'est trouvé dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure, que les juges doivent caractériser ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, a constaté que le salarié avait connu la différence de majoration au fondement de sa demande de rappel de salaire au plus tard en 1998 (arrêt attaqué, p. 4, § 1) ; qu'en décidant toutefois que la prescription correspondant à la demande de rappel de salaire postérieure au 16 octobre 2010 n'était pas acquise, au motif inopérant que la prescription de l'action en paiement des salaires commence à courir à la date à laquelle ils sont devenus exigibles, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles 2224 du code civil et L. 3245-1 du code du travail.