LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 septembre 2017), que Mme P..., engagée en qualité de secrétaire par la société I... N..., a été licenciée pour faute grave le 1er août 2006 ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement abusif et de le condamner à payer à la salariée diverses sommes, alors, selon le moyen :
1°/ que les courriers ou messages adressés par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé, sauf si le salarié les identifie comme personnels ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les propos et agissements reprochés à Mme P... résultaient d'une correspondance échangée avec l'une de ses collègues de travail sur leurs ordinateurs de travail respectifs, par la voie de la messagerie instantanée installée sur lesdits ordinateurs ; qu'il en résultait que ces messages instantanés étaient présumés avoir un caractère professionnel et que, faute de les avoir été identifiés comme étant personnels, Mme P... ne pouvait reprocher à l'employeur d'en avoir pris connaissance, même sans son autorisation ou celle de la destinataire de ces messages ; qu'en écartant au contraire ces messages instantanés comme constituant des modes de preuve illicites, au motif qu' « à l'évidence un tel compte de messagerie est personnel et distinct de la messagerie professionnelle sans qu'il soit besoin d'une mention « personnel » ou encore « conversation personnelle » », la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil, 9 du code de procédure civile et L. 1121-1 du code du travail ;
2°/ que la circonstance que la messagerie instantanée installée sur l'outil informatique du salarié comporte certains messages de contenu personnel n'est pas de nature à écarter la présomption de caractère professionnel des messages échangés par le salarié par ce biais ; qu'en retenant au contraire que « l'affirmation dans la lettre de licenciement que le président de la SAS a trouvé dans cette messagerie "des éléments personnels de votre vie privée, qui sont totalement étrangers au fonctionnement de l'entreprise" » emportait renversement de la présomption de caractère professionnel des messages échangés à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour accomplir ses fonctions, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil, 9 du code de procédure civile et L. 1121-1 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant constaté que les messages électroniques litigieux, échangés au moyen d'une messagerie instantanée, provenaient d'une boîte à lettre électronique personnelle distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité, la cour d'appel en a exactement déduit qu'ils étaient couverts par le secret des correspondances ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société I... N... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société I... N...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué infirmatif sur ce point d'AVOIR dit le licenciement de Madame P... abusif, d'AVOIR condamné la Société I... N... à lui payer les sommes de 35.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, 1.919,96 € au titre du salaire sur mis à pied, 192 € de congés payés afférents, 5.632 € au titre de l'indemnité de préavis, 563,20 € de congés payés afférents, 12.202,60 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, 1.000 € de dommages et intérêts pour atteinte à la correspondance privée et 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE « la lettre de licenciement du 1er août 2016, à laquelle il est expressément fait référence, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce, est ainsi motivée : « ....Par la présente, et faisant suite à l'entretien préalable que vous avez eu dans nos locaux le 18 juillet 2006, au cours duquel vous étiez assistée par Madame H..., je suis au regret de devoir vous notifier votre licenciement pour faute grave, à raison des faits suivants : En effet, ainsi que je vous l'indiquais oralement, vous vous êtes rendue coupable de vol de documents à des fins personnelles de divulgation faite à des salariés. En effet, le 14 juin 2006, j'ai reçu de votre part un arrêt de travail pour maladie jusqu'au 20 juin 2006. Du reste, j'ai déploré que vous ne m'ayez pas informé par la remise en mains propres de cet arrêt, car j'avais prévu ce même jour de vous demander de faire un travail précis avec notre expert-comptable. Devant votre absence, et ayant absolument besoin d'accéder aux informations nécessaires à l'accomplissement de cette tâche, nous avons tenté d'accéder à l'ordinateur que vous utilisez. C'est dans ces conditions que je me suis rendu compte que vous aviez codé l'ordinateur. Je vous ai immédiatement téléphoné pour vous réclamer le mot de passe ; j'ai été extrêmement surpris par votre refus catégorique de me le transmettre, et vous ai d'ailleurs immédiatement adressé un courrier recommandé avec accusé de réception en ce sens. Tout d'abord, votre réticence m'a interpellé, puis ma suspicion s'est trouvée confirmée lorsque les 28 et 29 juin 2006, ayant utilisé l'ordinateur, j'ai pu me rendre compte qu'il contenait des extraits de conversation à tout rompre, que vous aviez eu avec votre collègue, Madame Y... J..., alors absente de son lieu de travail. Indépendamment des considérations personnelles dont vous pouviez faire état, ou des éléments personnels de votre vie privée, qui sont totalement étrangers au fonctionnement de l'entreprise et qui m'indiffèrent complètement, j'ai été en revanche stupéfait que vous aviez pu transférer des documents appartenant à la société, alors qu'il s'agissait de documents auxquels vous ne pouviez normalement avoir accès compte tenu de votre fonction, s'agissant en fait de mails privés adressés par notre cabinet d'expertise comptable à titre strictement confidentiel. Pourtant, j'ai pu voir que vous confirmez avoir transféré : - en page 2 : les attestations ASSEDIC, les certificats de travail concernant Mlle L... E... et M. X... S...; le journal des paies du mois de juin, - en page 3 : les paies du mois de juin, les soldes de tout compte de Mlle L... E... et de M. X... S..., le curriculum vitae de Mme Q... E.... À cet égard, j'insiste sur le fait que vous étiez parfaitement consciente d'être en totale infraction avec les règles qui régissent notre entreprise, puisque vous manifestez le plus grand souci d'observer scrupuleusement les conseils deux autres collègues aux fins d'effacer toutes les traces d'accès aux dossiers. Sur un autre mail, en date du 30 juin 2006 à 16 h 20, vous écriviez également à Mme J... qu'il serait cool de suivre tous -les mois l'évolution du salaire, des primes et les heures supplémentaires concernant Q... E... et autres fantaisies du même genre, allant jusqu'à vouloir imprimer les fiches de paie de l'ensemble des salariés en vous substituant à l'employeur ; ce qui déclenchait d'ailleurs votre hilarité. Bien évidemment, j'en suis en possession pour avoir imprimé différents mails...". Dans ces conditions, vous imaginez sans peine que le fait d'avoir divulgué à un autre salarié des renseignements qui ne concernaient pas l'exécution de vos tâches, qui doivent rester secrets au sein de l'entreprise, et dont je me demande comment vous avez pu les avoir à votre disposition, sont des agissements constitutifs de faute grave. C'est d'ailleurs pour ces raisons que vous avez été mise à pied conservatoirement depuis le 6 juillet 2006. Votre comportement est d'autant plus inexcusable que vous travaillez au sein de la Société depuis 17 ans, et que vous savez pertinemment que j'ai toujours été accessible à vos demandes...". Pour l'infirmation du jugement, Mme P... soutient en substance que la correspondance échangée avec sa collègue Mme J... (également licenciée pour faute grave) par voie électronique, à partir de la messagerie MSN installée sur son ordinateur professionnel, a un caractère privé, que donc l'employeur ne pouvait valablement en prendre connaissance et encore moins l'exploiter aux fins d'exercer son pouvoir disciplinaire à son encontre, qu'un tel moyen de preuve de la faute reprochée n'est pas recevable et qu'en conséquence son licenciement est sans cause réelle et sérieuse. Pour la confirmation du jugement, la société I... N... fait valoir qu'elle avait le droit de demander à sa salariée son mot de passe pour accéder à son ordinateur, qu'il n'y a pas eu d'atteinte à la vie privée puisque c'est Mme P... qui a donné le mot de passe à son employeur pour lui permettre d'avoir accès à son ordinateur, de rechercher des informations professionnelles et de pouvoir répondre à la demande de son expert-comptable. Selon elle, s'il résulte tant de la doctrine que de la jurisprudence que l'employeur ne peut violer le droit à la correspondance privée de ses salariés, il a pour autant un droit de regard sur les courriels échangés par les salariés durant leurs heures de travail. La Société ajoute que le principe est que le salarié a droit au respect et à la protection de son intimité mais que cette protection et ce respect ont des limites, en l'occurrence, si le salarié n'a pas expressément indiqué qu'il s'agissait de sa messagerie personnelle et que nonobstant cette information, l'employeur a sciemment violé le secret des correspondances. Elle précise que rien ne permet de démontrer, hormis les affirmations péremptoires de Mme P... qu'il y avait bien une information faite à l'employeur que les courriels et les indications qui étaient mentionnés sur la messagerie avaient une nature purement privée, comme le relève justement les premiers juges. Elle estime donc que c'est de manière tout à fait licite et sans aucune violation du secret de la correspondance que Monsieur S..., président de la SAS I... N... a été amené à être au courant du contenu desdits mails constituant un dénigrement de l'entreprise et un vol de données confidentielles. Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié ; Il résulte des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement ; la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis ; l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve par tout moyen légal conformément à l'article 9 du code de procédure civile. L'article 9, alinéa 1,-du Code civil dispose que « Chacun a droit au respect de sa vie privée ». Il s'en suit, d'une part, que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect - de l'intimité de sa vie privée ; celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur. D'autre part, la production en justice par l'employeur de messages électroniques provenant de la messagerie personnelle du salarié, distincte de la messagerie professionnelle dont il dispose pour les besoins de son activité, doit être écartée en ce qu'elle porte atteinte au secret des correspondances. En l'espèce, il résulte des pièces produites et des déclarations des parties à l'audience, que pour accéder aux messages et fichiers envoyés par Mme P... à sa collègue Mme J..., M. S... a ouvert l'ordinateur professionnel mis à disposition à l'aide du code transmis par Mme P... alors absente, ce qui ne pose pas de difficulté, puis est entré dans MSN Messenger où il a ouvert le compte "[...] quand bien même il avait été informé préalablement du fait que l'ordinateur professionnel de l'intéressée contenait des données personnelles". A l'évidence un tel compte de messagerie est personnel et distinct de la messagerie professionnelle, sans qu'il soit besoin d'une mention "personnel" ou encore "conversation personnelle", ce que confirme l'affirmation dans la lettre de licenciement que le président de la SAS a trouvé dans cette messagerie "des éléments personnels de votre vie privée, qui sont totalement étrangers au fonctionnement de l'entreprise". Ce faisant l'employeur a violé le secret des correspondances et ne peut en faire état en justice à l'appui d'un licenciement lequel, en conséquence et en l'absence de griefs externes à cette messagerie, est abusif » ;
1. ALORS QUE les courriers ou messages adressés par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé, sauf si le salarié les identifie comme personnels ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les propos et agissements reprochés à Madame P... résultaient d'une correspondance échangée avec l'une de ses collègues de travail sur leurs ordinateurs de travail respectifs, par la voie de la messagerie instantanée installée sur lesdits ordinateurs ; qu'il en résultait que ces messages instantanés étaient présumés avoir un caractère professionnel et que, faute de les avoir été identifiés comme étant personnels, Madame P... ne pouvait reprocher à l'employeur d'en avoir pris connaissance, même sans son autorisation ou celle de la destinataire de ces messages ; qu'en écartant au contraire ces messages instantanés comme constituant des modes de preuve illicites, au motif qu' « à l'évidence un tel compte de messagerie est personnel et distinct de la messagerie professionnelle sans qu'il soit besoin d'une mention « personnel » ou encore « conversation personnelle » », la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil, 9 du code de procédure civile et L. 1121-1 du code du travail ;
2. ALORS QUE la circonstance que la messagerie instantanée installée sur l'outil informatique du salarié comporte certains messages de contenu personnel n'est pas de nature à écarter la présomption de caractère professionnel des messages échangés par le salarié par ce biais ; qu'en retenant au contraire que « l'affirmation dans la lettre de licenciement que le président de la SAS a trouvé dans cette messagerie "des éléments personnels de votre vie privée, qui sont totalement étrangers au fonctionnement de l'entreprise" » emportait renversement de la présomption de caractère professionnel des messages échangés à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour accomplir ses fonctions, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil, 9 du code de procédure civile et L. 1121-1 du code du travail.