LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu la connexité, joint les pourvois n° V 18-19.640 et W 18-19.641 ;
Vu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués, que MM. K... et L..., qui ont été employés par l'établissement public la Monnaie de Paris, ont saisi la juridiction prud'homale en paiement de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice d'anxiété résultant de leur exposition aux poussières d'amiante ;
Attendu que pour débouter les salariés de cette demande, les arrêts retiennent que la Monnaie de Paris ne fait pas partie des établissements répertoriés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 qui a institué, en faveur des travailleurs qui ont été particulièrement exposés à l'amiante, sans être atteints d'une maladie professionnelle liée à cette exposition, un mécanisme de départ anticipé à la retraite avec mise en place du dispositif de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Acaata), que le préjudice spécifique d'anxiété naît à la date à laquelle les salariés ont connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de l'établissement sur la liste des établissements permettant la mise en œuvre de l'Acaata, dans la mesure où la connaissance de l'arrêté identifie et concrétise la connaissance du risque par les salariés qui ont été particulièrement exposés, qu'en l'absence d'inscription à ce jour de l'Epic La Monnaie de Paris, sur la liste établie par arrêté ministériel, le préjudice d'anxiété allégué n'est pas né et n'est donc pas indemnisable en justice, à défaut de l'un de ses éléments constitutifs ;
Attendu, cependant, que le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, en application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, pour manquement de ce dernier à cette obligation, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 16 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, les causes et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;
Condamne l'établissement public la Monnaie de Paris aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'établissement public la Monnaie de Paris à payer à MM. K... et L... la somme globale de 1 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit aux pourvois par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour MM. K... et L....
Le moyen fait grief à la cour d'appel d'AVOIR débouté les exposants de leurs demandes de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice d'anxiété.
AUX MOTIFS propres QUE il résulte des pièces produites, en particulier les fiches descriptives des affectations des agents, produites par la Monnaie de Paris, que ceux-ci ont effectivement été salariés de cet établissement, le plus souvent pendant plusieurs dizaines d'années ; que l'utilisation d'amiante sur le site et la présence de poussières d'amiante en différents points du site résultent également des pièces produites, y compris par l'employeur, et cela n'est d'ailleurs pas contesté ; qu'il résulte explicitement des conclusions des agents que ceux-ci, faisant valoir l'exposition à un risque qualifié d'avéré résultant d'un travail effectué en présence d'amiante, et l'inquiétude permanente en raison des manquements reprochés à l'employeur en ce qui concerne l'obligation de sécurité du risque amiante, demandent à la cour de leur accorder la réparation de leur préjudice d'anxiété à hauteur de 100.000 euros chacun, outre la réparation d'un préjudice supplémentaire et distinct subi du fait de l'absence de mise en place d'un suivi médical, par les salariés concernés, à savoir les salariés considérés comme en exposition environnementale dite faible, ou hors liste ou classés tardivement sur la liste des salariés bénéficiant d'examens médicaux réguliers mis en place par la Monnaie de Paris ; que l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 a effectivement institué, en faveur des travailleurs qui ont été particulièrement exposés à l'amiante, sans être atteints d'une maladie professionnelle liée à cette exposition, un mécanisme de départ anticipé à la retraite avec mise en place du dispositif de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Acaata) ; que les dispositions de ce texte, ni celles d'aucun autre texte, ne comportent la mention d'un quelconque préjudice d'anxiété dont l'existence a été consacrée par un arrêt de la cour de cassation, rendu le 11 mai 2010 par la formation plénière de la chambre sociale de la Cour de cassation, et confirmée par la suite, relativement à la situation des salariés qui, travaillant dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, se trouvaient par le fait de l'employeur dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration d'une maladie liée à l'amiante ; que la Monnaie de Paris ne fait pas partie des établissements répertoriés à l'article 41, même à l'issue des modifications successives dont il a fait l'objet, et ne figure pas sur la liste établie par arrêté ministériel ; que le préjudice spécifique d'anxiété, lequel ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, naît à la date à laquelle les salariés ont connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de l'établissement sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l'Acaata, dans la mesure où la connaissance de l'arrêté identifie et concrétise la connaissance du risque par les salariés qui ont été particulièrement exposés ; que les travailleurs indiquent que des démarches ont été effectuées auprès de la Dirrecte et du ministère des finances en vue de l'inscription de La Monnaie de Paris, mais elles n'ont pas abouti à une inscription ; qu'en l'absence d'inscription à ce jour de l'Epic La Monnaie de Paris, sur la liste établie par arrêté ministériel, le préjudice d'anxiété allégué n'est pas né et n'est donc pas indemnisable en justice, à défaut de l'un de ses éléments constitutifs, et cela nonobstant les attestations produites relatant selon les cas l'inquiétude de n'avoir pas assez de temps devant soi, la crainte de tomber malade, un état psychologique plus fragile ; qu'il est sans incidence, au regard de la motivation ci-dessus quant aux éléments constitutifs du préjudice d'anxiété dont la réparation est sollicitée, que les salariés fassent état d'une exposition à d'autres produits susceptibles d'être dangereux, classés pour certains CMR ; qu'il est sans incidence sur le débat que la faute inexcusable de La Monnaie de Paris ait pu être retenue à l'occasion de litiges introduits devant le Tass, reposant sur des règles juridiques différentes et réparant des préjudices en toute hypothèse différents ; que le moyen relatif à l'inégalité de traitement ne peut davantage être retenu puisque la différence de traitement entre les salariés bénéficiaires ou non des dispositions de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 résulte d'une situation différente, selon qu'ils ont ou non travaillé dans une entreprise inscrite sur la liste établie par arrêté ministériel, et pour la période définie, lorsque c'est le cas ; qu'il en est de même du moyen relatif aux dispositions légales et européennes, relatives à l'obligation générale de sécurité, pour le même motif, à savoir l'absence de caractérisation d'un préjudice indemnisable, y compris sur le fondement d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ; que s'agissant des fiches d'exposition, elles ont pour finalité de déterminer les modalités du suivi médical mis en place par l'employeur, puisque ni l'utilisation d'amiante ni la présence de poussières d'amiante durant tout ou partie de l'activité professionnelle des salariés en cause n'est contestée, mais ne sont pas susceptibles de créer par elles-mêmes un préjudice d'anxiété indemnisable.
AUX MOTIFS éventuellement adoptés QUE le préjudice moral résultant pour un salarié du risque de développer une maladie induite par son exposition à l'amiante est constitué par le seul préjudice d'anxiété dont l'indemnisation répare l'ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance d'un tel risque ; que l'agent ne peut donc se prévaloir d'un préjudice distinct de ce préjudice d'anxiété, et force est de constater qu'il demande bien dans le corps de ses écritures la réparation d'un préjudice d'anxiété du fait du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat ; que la réparation du préjudice d'anxiété n'est admise, pour les salariés exposés à l'amiante, qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues à article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel prévu par cette disposition, l'inscription de l'établissement sur la liste de ceux permettant la mise en oeuvre de l'ACAATA démontrant l'existence d'un niveau élevé d'exposition et d'un risque réel à l'origine de l'anxiété ; qu'il est constant que l'établissement de [...] dans lequel l'agent a travaillé n'a pas été inscrit sur la liste des établissements concernés par le dispositif mis en place par la loi du 23 décembre 1998, relatif à la cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.
1° ALORS QUE dès lors qu'un travailleur a été exposé aux poussières d'amiante sur son lieu de travail, il doit être regardé comme justifiant l'existence d'un préjudice tenant à la situation d'inquiétude permanente dans lequel il se trouve face au risque de développer une maladie liée à l'amiante ; qu'en retenant que les agents n'avaient pas droit à être indemnisés de leur préjudice d'anxiété aux motifs que l'établissement n'avait pas été classé sur la liste ministérielle visée à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et qu'aucun préjudice d'anxiété n'avait donc pu naître à la suite d'un classement de ce type, quand elle a constaté que ceux-ci avaient été effectivement exposés à l'inhalation de poussières d'amiante sur leur lieu de travail, la cour d'appel a violé l'ancien article 1147 devenu 1231-1 du code civil.
2° ALORS QUE en l'absence d'effet de seuil à l'origine des pathologies, les travailleurs exposés fortement à l'amiante sur leur lieu de travail mais dans un établissement n'ayant pas été classé sur la liste ministérielle visée à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 se trouvent, du fait de leur exposition à ce matériau, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de développer une maladie liée à l'amiante identique à celle des travailleurs employés dans un établissement figurant sur cette liste ministérielle justifiant l'indemnisation de leur préjudice d'anxiété ; qu'en refusant d'indemniser le préjudice d'anxiété des agents de l'établissement de [...] de l'EPIC La Monnaie qui ont pourtant été exposés à l'amiante au sein de cet établissement non classé sur la liste susvisée, la cour d'appel a violé le principe d'égalité de traitement.
3° ALORS QUE le préjudice d'anxiété du travailleur naît de ce qu'il a été exposé aux poussières d'amiante de manière significative sur son lieu de travail ; qu'en retenant que le préjudice d'anxiété des travailleurs de l'amiante ne résultait pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante et ne naissait qu'à la date où ils avaient eu connaissance de l'arrêté de classement sur la liste des établissements ouvrant droit à l'ACAATA, la cour d'appel a violé l'ancien article 1147 devenu 1231-1 du code civil.