LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 janvier 2018), que la société Imprimerie Deux Ponts, devenue Deux Ponts, a passé commande à la société Bonte France, devenue la société Kolbus France (la société Kolbus), d'une chaîne de brochage-reliure équipée d'un système d'encollage conventionnel ; que, deux mois plus tard, la société Deux Ponts a modifié sa commande, en optant pour un autre système d'encollage ; que la société Kolbus l'a alors informée des difficultés de mise au point de ce nouveau matériel et a décliné sa responsabilité si son installation provoquait des perturbations de production ; que reprochant à la société Kolbus de lui avoir livré une machine ne lui permettant pas de réaliser, comme elle le prévoyait, le reliage des ouvrages d'une épaisseur de 70 mm, la société Deux Ponts l'a assignée en paiement de dommages-intérêts pour défaut de conformité du produit livré ; que la société Deux Ponts ayant été mise en redressement judiciaire et son plan de redressement adopté, la société AJ partenaires, prise en la personne de M. M..., commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société Deux Ponts, est intervenue à l'instance ;
Attendu que la société Deux Ponts et la société AJ partenaires, ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes alors, selon le moyen :
1°/ qu'il est interdit au juge de dénaturer les écrits qui lui sont soumis ; qu'aux termes de son courrier du 28 septembre 2005, la société Bonte France avait écrit à la société Deux Ponts : "Je vous rappelle qu'il s'agira de la 1ère installation d'un système de buse à lèvres sur cette génération de matériel et qu'il existe donc un fort risque d'avoir à faire la mise au point de celle-ci et que nous ne pouvons prendre la responsabilité des éventuelles perturbations de production qui pourraient en découler" ; qu'en déduisant de ce courrier, dont la société Deux Ponts avait accepté les termes en maintenant sa commande, que "les caractéristiques d'encollage de 70 mm stipulées initialement" avaient été "modifiées corrélativement avec la choix d'un autre système d'encollage", là où il en résultait tout au plus que la société Bonte France avait tout à la fois rempli son devoir de conseil et stipulé une clause exclusive de responsabilité, qui ne pouvait s'expliquer que parce qu'elle était tenue de livrer un appareil muni d'un système d'encollage certes différent du système commandé initialement mais devant offrir les mêmes performances une fois effectuées les éventuelles mises au point nécessaires, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ qu'en retenant qu'eu égard à la clause exonératoire stipulée par le vendeur dans son courrier du 28 septembre 2005, la responsabilité de la société Kolbus, aux droits de la société Bonte France, ne pouvait être recherchée "en raison des difficultés de production rencontrées à la suite de l'installation du système d'encollage pur par buses à lèvres", cependant que cette clause exonératoire était limitée aux "éventuelles perturbations de production" consécutives à la "mise au point" qui pourrait être nécessaire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que le premier bon de commande portait sur un système d'encollage "pur" conventionnel par cylindre, permettant de relier des ouvrages d'une épaisseur pouvant atteindre 70 mm, mais qu'elle avait, par la suite, modifié sa commande en adoptant un système d'encollage par buse à lèvres, pourtant déconseillé par la société Kolbus, qui, par lettre du 28 septembre 2005, l'avait informée des risques inhérents à cette solution, en lui rappelant que l'appareil présentait un fort risque de devoir être mis au point et qu'elle ne pouvait prendre la responsabilité des éventuelles perturbations de production qui pourraient en découler, l'arrêt relève que la brochure relative au système d'encollage par buse à lèvres indique que ledit système ne permet d'encoller que des ouvrages d'une épaisseur inférieure ou égale à 60 mm ; qu'en cet état, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'interprétation de la convention des parties que la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par le moyen, en a déduit que les caractéristiques d'encollage de 70 mm, stipulées initialement, avaient été modifiées corrélativement avec le choix d'un autre système d'encollage et que la responsabilité de la société Kolbus ne pouvait être recherchée en raison des difficultés de production rencontrées par la société Deux Ponts à la suite du remplacement du système d'encollage "pur" par un système de "buse à lèvres" ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Deux Ponts aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la société Kolbus France la somme de 3 000 euros et rejette sa demande et celle de la société AJ partenaires, ès qualités ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Deux Ponts et la société AJ partenaires, prise en la personne de M. X... M..., en qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société Deux Ponts
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Deux Ponts de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la société Kolbus France ;
Aux motifs propres que « la société Deux Ponts et Me M... ès qualités, critiquent la décision du tribunal de commerce d'Evry en ce qu'il a retenu l'application de la clause exonératoire de responsabilité invoquée par la société Kolbus, au motif que la commande initiale avait été modifiée par l'imprimerie des Deux Ponts. Devant la cour d'appel l'appelante développe à nouveau les moyens soulevés devant le tribunal de commerce d'Evry. Elle reproche les performances de l'appareil qui ne permet pas de réaliser des reliures d'une épaisseur pouvant aller jusqu'à 70 mm alors que les caractéristiques d'encollage de 70 mm étaient stipulées à la commande. Elle se fonde sur l'article 1604 du code civil pour soutenir que le matériel devait présenter des performances conformes à celle annoncées par le vendeur et considère que la société Bonte l'a simplement avisée d'un risque d'avoir à faire une mise au point lors de l'installation du matériel, qu'il ne s'agit pas d'une clause exonératoire ou limitative de responsabilité. Ainsi que l'a relevé le tribunal, le bon de commande en date du 20 septembre 2005 prévoyait un système d'encollage « pur » conventionnel par cylindre. Ce système indiquait qu'il permettait de relier des ouvrages d'une épaisseur pouvant atteindre 70 mm. Or, la société Deux Ponts a modifié la commande en adoptant un système d'encollage par buse à lèvres, pourtant déconseillé par la société Bonte, qui, par courrier du 28 septembre 2005, l'a informée des risques inhérents à cette solution, en lui rappelant que : "l'appareil présente un fort risque d'avoir à faire la mise au point lors de celle-ci et que nous ne pourrons prendre la responsabilité des éventuelles perturbations de production qui pourraient en découler". La brochure, relative au système d'encollage par buse à lèvres, indique que ledit système ne permet d'encoller que des ouvrages d'une épaisseur inférieure ou égale à 60 mm. Il s'en déduit que si, initialement, le matériel vendu devait permettre de relier sans couture des cahiers ou blocs d'une épaisseur pouvant aller jusqu'à 70 mm, contrairement à ce qui est allégué, la société Bonte France a formellement informé sa cliente que le système de buse à lèvres ne permettait pas d'atteindre ce résultat. En conséquence, les caractéristiques d'encollage de 70 mm stipulées initialement, ont été modifiées corrélativement avec le choix d'un autre système d'encollage. Le tribunal a justement répondu sur ce point. De plus, dans le courrier adressé le 28 septembre 2005, la société Bonte France a clairement attiré l'attention de l'imprimerie des Deux Ponts sur les risques encourus et dégagé sa responsabilité. La société Deux ponts n'a pas contesté cette clause exonératoire et a maintenu la modification de sa commande. Dans ces conditions, la cour adopte les motifs du tribunal qui ajustement répondu sur les points critiqués et confirme que la responsabilité de la société Bonte France, aux droits de laquelle vient la société Kolbus France, ne saurait être recherchée en raison des difficultés de production rencontrées par la société Deux Ponts, à la suite de l'installation du système d'encollage "Pur" par buse à lèvres. La société Deux Ponts sera déboutée de l'ensemble de ses demandes » ;
Et aux motifs éventuellement adoptés que « l'expert judiciaire nommé par le Tribunal de commerce de Grenoble n'a pu réaliser des essais d'encollage de 70 mm et donc n'a pas pu valider la faisabilité ou non d'une telle opération, que cette caractéristique d'encollage de 70 mm est la principale réclamation du demandeur, le Tribunal ne s'appuiera pas sur ses dires pour rendre justice ; que la caractéristique d'encollage de 70 mm n'est pas stipulée à la commande, que le produit demandé par l'Imprimerie des Deux Ponts, modifiant la commande initiale, limite la possibilité d'encollage à 60 mm, que la société Bonte France a prévenu par courrier en date du 28 septembre 2005 la SA Imprimerie des Deux Ponts des risques que présentait une telle installation, le Tribunal retiendra la clause exonératoire de responsabilité stipulée par la société Bonte France et déboutera la société Deux Ponts de l'ensemble de ses demandes » ;
Alors, d'une part, qu'il est interdit au juge de dénaturer les écrits qui lui sont soumis ; qu'aux termes de son courrier du 28 septembre 2005, la société Bonte France avait écrit à la société Deux Ponts : « Je vous rappelle qu'il s'agira de la 1ère installation d'un système de buse à lèvres sur cette génération de matériel et qu'il existe donc un fort risque d'avoir à faire la mise au point de celle-ci, et que nous ne pouvons prendre la responsabilité des éventuelles perturbations de production qui pourraient en découler » ; qu'en déduisant de ce courrier dont la société Deux Ponts avait accepté les termes en maintenant sa commande que « les caractéristiques d'encollage de 70 mm stipulées initialement » avaient été « modifiées corrélativement avec la choix d'un autre système d'encollage », là où il en résultait tout au plus que la société Bonte France avait tout à la fois rempli son devoir de conseil et stipulé une clause exclusive de responsabilité, qui ne pouvait s'expliquer que parce qu'elle était tenue de livrer un appareil muni d'un système d'encollage certes différent du système commandé initialement mais devant offrir les mêmes performances une fois effectuées les éventuelles mises au point nécessaires, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Alors, d'autre part, qu'en retenant qu'eu égard à la clause exonératoire stipulée par le vendeur dans son courrier du 28 septembre 2005, la responsabilité de la société Kolbus, aux droits de la société Bonte France, ne pouvait être recherchée « en raison des difficultés de production rencontrées à la suite de l'installation du système d'encollage pur par buses à lèvres », cependant que cette clause exonératoire était limitée aux « éventuelles perturbations de production » consécutives à la « mise au point » qui pourrait être nécessaire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.