LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 29 janvier 2020
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 81 F-D
Pourvoi n° M 18-20.299
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 29 JANVIER 2020
1°/ la société HDI Global SE, dont le siège est [...], agissant en qualité d'assureur de la société TÜV Rheinland LGA Products GmbH,
2°/ la société TÜV Rheinland LGA Products GmbH, dont le siège est [...]. [...],
ont formé le pourvoi n° M 18-20.299 contre l'arrêt rendu le 26 mars 2018 par la cour d'appel de Riom (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. U... Y..., domicilié [...], pris en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Scheuten Solar Holding BV et de ses filiales,
2°/ à M. N... S... , domicilié [...], pris en qualité de liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Alrack BV,
3°/ à la société Alrack BV, dont le siège est [...],
4°/ à la société Kostal Industrie Elektrik GmbH, dont le siège est [...],
5°/ à la société Systèmes solaires, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
6°/ à la société SMABTP, dont le siège est [...] ,
7°/ à la société MAAF assurances, dont le siège est [...] ,
8°/ à la société Allianz Nederland Corporate NV, dont le siège est [...],
9°/ à la société AIG Europe SA, société de droit luxembourgeois, dont le siège est [...], venant aux droits de la société AIG Europe Limited France, dont le siège est [...] ,
10°/ à la société AIG Europe SA, société de droit luxembourgeois, dont le siège est [...], venant aux droits de la société AIG Europe Limited, venant aux droits de la société AIG Europe Limited, dont le siège est [...],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat des sociétés HDI Global SE et TÜV Rheinland LGA Products GmbH, de Me Le Prado, avocat des sociétés SMABTP et MAAF assurances, de la SARL Meier-Bourdeau Lécuyer et associés, avocat de la société AIG Europe, après débats en l'audience publique du 17 décembre 2019 où étaient présents Mme Batut, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 26 mars 2018), que la société allemande TÜV Rheinland LGA Products, assurée par la société HDI Global, a certifié des boîtiers de connexion fabriqués par la société allemande Kostal Industrie Elektrik ou par la société néerlandaise Alrack, respectivement assurées par les sociétés HDI Global et Allianz, et destinés à être installés sur des panneaux photovoltaïques fabriqués par la société néerlandaise Scheuten Solar et ses filiales, assurées auprès de la société AIG Europe et aujourd'hui représentées par leur liquidateur, M. Y... ; que la société Systèmes solaires et ses assureurs successifs, la MAAF et la SMABTP, ont, par acte du 31 mars 2014, assigné ces sociétés en réparation des désordres constatés chez les clients sur les panneaux qu'elle avait commandés ;
Attendu que les sociétés HDI Global et TÜV Rheinland LGA Products font grief à l'arrêt de rejeter leur exception d'incompétence territoriale, alors, selon le moyen :
1°/ que le lieu du fait dommageable, au sens de l'article 5-3 du règlement de Bruxelles I, s'entend du lieu du dommage initial et non du dommage induit, lequel lieu est localisé, s'agissant d'un manquement reproché à un certificateur, au lieu d'exécution prétendument défectueuse de la prestation de service de certification ; qu'en ayant jugé que le lieu de la matérialisation du dommage subi par la société Systèmes solaires, soit les risques d'échauffement des boîtiers et les coûts de reprise des installations en découlant, était localisé dans le ressort du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, quand, concernant la société TÜV Rheinland exposante, intervenue uniquement pour certifier les échantillons de boîtiers défectueux (soit pour procéder à des essais type sur échantillons remis par le fabricant), le dommage initial, subi par les seules sociétés Kostal et Alrack, fabricantes, consistait dans l'exécution prétendument défectueuse de la mission confiée au certificateur, ce dont il résultait que les tribunaux compétents étaient ceux d'Allemagne et non les juridictions françaises, lieu du dommage induit subi par la société Systèmes solaires qui avait installé des panneaux photovoltaïques équipés des boîtiers défectueux, la cour d'appel a violé l'article 5-3 du règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000 ;
2°/ que le dommage initial subi par les victimes directes, et non par les victimes médiates d'un dommage induit du dommage initial, fonde seul la compétence internationale des tribunaux français en matière délictuelle ; qu'en ayant jugé que la société Systèmes solaires était la victime directe du manquement reproché à la société TÜV Rheinland, quand elle n'en était que la victime induite, les victimes immédiates et directes de cette faute étant les seules sociétés Kostal et Alrack, la cour d'appel a violé l'article 5-3 du règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000 ;
3°/ que les victimes directes d'une certification défectueuse sont les sociétés qui ont commandé la certification qui s'est avérée erronée ; qu'en ayant jugé que les sociétés Kostal et Alrack n'étaient pas les victimes directes de la certification prétendument défectueuse reprochée à la société TÜV Rheinland, au motif inopérant que les deux fabricantes n'évoquaient actuellement aucun préjudice et n'avaient entrepris aucune action à l'encontre de l'exposante, quand la société Systèmes solaires et la SMABTP recherchaient leur condamnation in solidum, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 5-3 du règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000 ;
4°/ que le lieu du fait dommageable ne s'entend pas du lieu du préjudice financier qui en est résulté ; qu'en ayant jugé que la société Systèmes solaires était la victime directe de la société TÜV Rheinland, ensuite de la certification erronée qui était reprochée à cette dernière, au motif que la SMABTP avait assumé en France le coût de reprise des installations défectueuses, la cour d'appel a violé l'article 5-3 du règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000 ;
5°/ que le lien de causalité requis pour fonder la compétence du juge du lieu du fait dommageable s'entend de chaque fait générateur et de chaque dommage pris séparément ; qu'en ayant jugé qu'il y avait des éléments de nature à retenir qu'il existait un lien de causalité entre le fait dommageable (risque d'échauffement des boîtiers du fait d'absence de révélation du vice dont ils étaient affectés) et le préjudice en découlant (coût de réparation des installations dans lesquelles ces boîtiers avaient été mis en oeuvre), la cour d'appel a violé l'article 5-3 du règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000 ;
Mais attendu qu'aux termes de l'article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un autre État membre, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ; qu'ayant relevé que la responsabilité délictuelle de la société TÜV Rheinland LGA Products était recherchée pour avoir certifié des boîtiers de connexion équipant les panneaux photovoltaïques vendus à la société Systèmes solaires sans déceler leur risque d'échauffement et que le préjudice invoqué par cette dernière tenait aux coûts de réparation des installations effectuées chez ses clients découlant de ce risque, la cour d'appel en a exactement déduit que le lieu de survenance du dommage initial, subi par la société Systèmes solaires et ses assureurs en tant que victimes directes du fait de l'utilisation normale des panneaux, était localisé en France ; que le moyen, qui critique en sa troisième branche des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et attendu qu'en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de la disposition susvisée, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés TÜV Rheinland LGA Products et HDI Global aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés TÜV Rheinland LGA Products et HDI Global et les condamne à payer aux sociétés MAAF et SMABTP la somme globale de 3 000 euros et à la société AIG Europe une somme de même montant ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf janvier deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP L. Poulet-Odent, avocat aux Conseils, pour la société HDI Global SE, la société TÜV Rheinland LGA Products GmbH
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, en ce qu'elle avait rejeté l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société Tüv Rheinland LGA Products Gmbh ;
AUX MOTIFS QUE s'il est de principe que le tribunal compétent dans le cadre d'un litige en matière commerciale opposant des sociétés ayant leurs sièges respectifs dans deux État membres est celui du domicile du défendeur, il convient néanmoins de relever que les dispositions communautaires visées par les parties instaurent une règle dérogatoire en matière délictuelle permettant d'attraire l'ensemble des défendeurs devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ; qu'en vertu d'une jurisprudence constante de la cour de justice de l'Union européenne, le lieu où le fait dommageable s'est produit s'entend du lieu de survenance du dommage ou du lieu de l'événement causal, ce qui permet au demandeur d'attraire les défendeurs devant le tribunal de l'un ou l'autre de ces lieux ; attendu qu'en l'espèce nul ne conteste que l'action introduite par la SARL SYSTÈMES SOLAIRES et ses assureurs successifs est de nature délictuelle en l'absence de liens contractuels entre cette entreprise et la société TÜV RHEINLAND LGA PRODUCTS GmbH ; que dans le cadre de l'instance introduite devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand ces parties cherchent en effet à voir retenue la responsabilité des sociétés KOSTAL et ALRACK au titre d'un défaut de fabrication des boîtiers fournis, mais également celle de la société TÜV RHEINLAND LGA PRODUCTS GmbH (liée contractuellement aux sociétés KOSTAL et ALRACK) pour avoir certifié ces boîtiers alors qu'ils étaient atteints de vices ; que le lieu de matérialisation du dommage subi par la SARL SYSTÈMES SOLAIRES, c'est-à-dire les risques d'échauffement des boîtiers et les coûts de reprise des installations en découlant, est bien survenu sur le ressort du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand ; que cette société, mais également ses assureurs qui ont assumé le coût des reprises, sont par ailleurs les victimes directes des défaillances imputées aux sociétés défenderesses, et notamment la société TÜV RHEINLAND LGA PRODUCTS GmbH ; que si l'événement causal des dommages invoqués tient effectivement aux opérations de certification réalisées en Allemagne, il ne peut être soutenu que seules les sociétés KOSTAL et ALRACK seraient les victimes directes des manquements contractuels imputés à la société TÜV RHEINLAND LGA PRODUCTS GmbH alors qu'en l'état de la procédure elles n'invoquent aucun préjudice et n'ont entrepris à son encontre aucune action ; qu'il existe par ailleurs à ce stade de la procédure des éléments de nature à retenir qu'il existe un lien de causalité entre le fait dommageable (risque d'échauffement des boîtiers du fait d'absence de révélation du vice dont ils étaient affectés) et le préjudice indemnisable (coût de réparation matérielle des installations découlant de ce risque d'échauffement non décelé par la société de certification) ; qu'en outre, et même si les assureurs étaient qualifiés de victime par ricochet, ils seraient en tout état de cause fondés à saisir les mêmes juridictions que leur assurée, et en particulier la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ; que la décision déférée ne pourra en conséquence qu'être confirmée par substitution de motifs en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence territoriale ;
1° ALORS QUE le lieu du fait dommageable, au sens de l'article 5-3 du Règlement de Bruxelles I, s'entend du lieu du dommage initial et non du dommage induit, lequel lieu est localisé, s'agissant d'un manquement reproché à un certificateur, au lieu d'exécution prétendument défectueuse de la prestation de service de certification ; qu'en ayant jugé que le lieu de la matérialisation du dommage subi par la société Systèmes Solaires, soit les risques d'échauffement des boîtiers et les coûts de reprise des installations en découlant, était localisé dans le ressort du tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, quand, concernant la société Tüv Rheinland exposante, intervenue uniquement pour certifier les échantillons de boîtiers défectueux (soit pour procéder à des essais type sur échantillons remis par le fabricant), le dommage initial, subi par les seules sociétés Kostal et Alrack fabricantes, consistait dans l'exécution prétendument défectueuse de la mission confiée au certificateur, ce dont il résultait que les tribunaux compétents étaient ceux d'Allemagne et non les juridictions françaises, lieu du dommage induit subi par la société Systèmes Solaires qui avait installé des panneaux photovoltaïques équipés des boîtiers défectueux, la cour d'appel a violé l'article 5-3 du Règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000 ;
2° ALORS QUE le dommage initial subi par les victimes directes, et non par les victimes médiates d'un dommage induit du dommage initial, fonde seul la compétence internationale des tribunaux français en matière délictuelle ; qu'en ayant jugé que la société Systèmes Solaires était la victime directe du manquement reproché à la société Tüv Rheinland, quand elle n'en était que la victime induite, les victimes immédiates et directes de cette faute étant les seules sociétés Kostal et Alrack, la cour d'appel a violé l'article 5-3 du Règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000 ;
3° ALORS QUE les victimes directes d'une certification défectueuse sont les sociétés qui ont commandé la certification qui s'est avérée erronée ; qu'en ayant jugé que les sociétés Kostal et Alrack n'étaient pas les victimes directes de la certification prétendument défectueuse reprochée à la société Tüv Rheinland, au motif inopérant que les deux fabricantes n'évoquaient actuellement aucun préjudice et n'avaient entrepris aucune action à l'encontre de l'exposante, quand la société Systèmes Solaires et la SMABTP recherchaient leur condamnation in solidum, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 5-3 du Règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000 ;
4° ALORS QUE le lieu du fait dommageable ne s'entend pas du lieu du préjudice financier qui en est résulté ; qu'en ayant jugé que la société Systèmes Solaires était la victime directe de la société Tüv Rheinland, ensuite de la certification erronée qui était reprochée à cette dernière, au motif que la SMABTP avait assumé en France le coût de reprise des installations défectueuses, la cour d'appel a violé l'article 5-3 du Règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000 ;
5° ALORS QUE le lien de causalité requis pour fonder la compétence du juge du lieu du fait dommageable s'entend de chaque fait générateur et de chaque dommage pris séparément ; qu'en ayant jugé qu'il y avait des éléments de nature à retenir qu'il existait un lien de causalité entre le fait dommageable (risque d'échauffement des boîtiers du fait d'absence de révélation du vice dont ils étaient affectés) et le préjudice en découlant (coût de réparation des installations dans lesquelles ces boîtiers avaient été mis en oeuvre), la cour d'appel a violé l'article 5-3 du Règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000.