LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 février 2020
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 233 F-D
Pourvois n°
Z 18-17.804
Z 19-10.172 JONCTION
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme R....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 8 octobre 2018.
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme R....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 11 avril 2019.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 FÉVRIER 2020
I. L'Association Addentis, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Z 18-17.804 contre un arrêt rendu le 5 avril 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 7), dans le litige l'opposant à Mme A... R..., divorcée H..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.
II. Mme A... R..., divorcée H..., a formé le pourvoi n° Z 19-10.172 contre le même arrêt rendu entre les mêmes parties,
La demanderesse au pourvoi n° Z 18-17.804 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi n° Z 19-10.172 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de l'association Addentis, de la SCP Boulloche, avocat de Mme R..., après débats en l'audience publique du 22 janvier 2020 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Vu leur connexité joint les pourvois n° Z 18-17.804 et Z 19-10.172 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 avril 2018), que Mme R... a été engagée le 12 décembre 2011 par l'association Addentis (l'association), à effet au 2 janvier 2012, en qualité de chirurgien-dentiste, statut cadre, au centre dentaire d'Aubervilliers ; qu'elle a été, le 23 mai 2014, licenciée pour faute grave ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° Z 18-17.804 :
Attendu que l'association fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à la salariée des sommes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents alors, selon le moyen, que la convention collective nationale des cabinets dentaires ne règle que les rapports entre les « praticiens qui exercent l'art dentaire [
]et leurs salariés » ; qu'en faisant application de cette convention collective aux relations unissant l'association et la salariée, pour condamner la première à payer à la seconde une indemnité compensatrice de préavis, et les congés payés afférents, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée par l'association, si, cette dernière étant une « association loi 1901 », et non pas un « praticien exerçant l'art dentaire », ladite convention collective était inapplicable dans ses relations avec la salariée de cette association, la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1.1 de la convention collective nationale des cabinets dentaires ;
Mais attendu qu'aux termes de l'article 1.1 de la convention collective nationale des cabinets dentaires du 17 janvier 1992, modifié par accord étendu du 5 décembre 2003, « la convention collective s'applique sur le territoire national et départements d'outre-mer et règle les rapports entre les praticiens qui exercent l'art dentaire conformément au code de la santé publique, seuls ou en association en cabinets dentaires dont l'activité est notamment identifiée par le numéro 851 E de la nomenclature d'activité française (NAF) et leurs salariés ; les chirurgiens-dentistes salariés d'un praticien libéral, du fait de leur relation contractuelle particulière découlant du code de déontologie et dont les contrats de travail sont négociés de gré à gré, sont exclus de la présente convention collective » ; que la cour d'appel en a déduit à bon droit que l'employeur, exerçant l'art dentaire en association en cabinet dentaire, relevait, pour les relations de travail avec ses salariés, de cette disposition, faisant ressortir par ailleurs que la salariée n'entrait pas dans le champ d'application de l'exception prévue à la seconde phrase de cette disposition pour les chirurgiens-dentistes salariés d'un praticien libéral dont les contrats sont négociés de gré à gré ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° Z 19-10.172 :
Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement d'une indemnité pour harcèlement moral alors, selon le moyen, que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement, le juge doit examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L 1152-1 du code du travail ; que dans l'affirmative, le juge doit apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, pour la débouter de ses demandes au titre d'un harcèlement moral, la cour d'appel a retenu que l'absence d'assistante était ponctuelle, que leur défaut de qualification procédait de ses seules affirmations, que la capture d'écran mentionnant chaque jour un objectif à atteindre de plus de 2 500 euros était insuffisante pour établir une pression, que le changement de jour de repos relevait du pouvoir de direction de l'employeur et que la mutation à Bondy n'a pas été imposée ; qu'en statuant ainsi sans prendre en compte les documents médicaux produits par la salariée établissant que depuis janvier 2014, elle souffrait de lombalgies, de troubles du sommeil liés au stress nécessitant un traitement médicamenteux et de troubles psychologiques entraînant des soins en continu et à long terme, afin d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail dans sa version applicable ;
Mais attendu que le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de preuve et de faits dont elle a, sans méconnaître les règles spécifiques de preuve et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, déduit que la salariée n'établissait pas de faits qui permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six février deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi n° Z 18-17.804 par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour l'association Addentis.
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné l'association ADDENTIS à verser à Madame R... les sommes de 16.808,97 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 1.680,89 € au titre des congés payés incidents ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « selon l'article L. 1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, ou si l'inexécution résulte du commun accord des parties, à une indemnité compensatrice ; Mme R... sollicite une indemnité compensatrice de préavis correspondant à trois mois de salaire, comme prévu par l'article 3.11 du titre III de la convention collective des cabinets dentaires ; l'association Addentis réplique que son code APE est le 8632Z [lire 8623Z] et qu'elle relève des accords de branche sanitaire, sociale et médicale et non de la convention collective des cabinets dentaires qui s'applique aux activités de praticiens dentaires identifiées par le code APE 851E ; cela étant, l'article 1.1 de la convention collective des cabinets dentaires dispose que : « La présente convention collective s'applique sur le territoire national et départements d'outre-mer et règle les rapports entre les praticiens qui exercent l'art dentaire conformément au code de la santé publique, seuls ou en association en cabinets dentaires dont l'activité est notamment identifiée par le numéro 851E de la nomenclature d'activité française (NAF) et leurs salariés ; les chirurgiens-dentistes salariés d 'un praticien libéral, du fait de leur relation contractuelle particulière découlant du code de déontologie et dont les contrats de travail sont négociés de gré à gré, sont exclus de la présente convention collective » ; or, comme relevé par Mme R..., le code APE 851E est devenu 8623Z en 2008 de sorte que ces deux nomenclatures désignent la même activité ; par ailleurs, l'activité principale de l'association Addentis consiste dans les soins dentaires ; en conséquence, Mme R... est fondée à réclamer une indemnité compensatrice en application de l'article 3.11 de la convention collective des cabinets dentaires ; ce texte prévoit qu'en ce qui concerne les salariés ayant une position cadre depuis au moins un an, la durée de préavis réciproque est de trois mois ; le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a alloué à Mme R... la somme de 16.808,97 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 1.680,89 € au titre des congés payés afférents » (arrêt pp. 7 et 8) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « il sera fait droit aux demandes de salaire sur les périodes de mise à pied, de préavis et de congés payés y afférents et d'indemnité légale de licenciement » (jugement, p. 4) ;
ALORS QUE la convention collective nationale des cabinets dentaires ne règle que les rapports entre les « praticiens qui exercent l'art dentaire [
]et leurs salariés » ; qu'en faisant application de cette convention collective aux relations unissant l'association ADDENTIS et Madame R..., pour condamner la première à payer à la seconde une indemnité compensatrice de préavis, et les congés payés afférents, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée par l'association ADDENTIS (conclusions, pp. 4, 34 et 35), si, cette dernière étant une « association loi 1901 », et non pas un « praticien exerçant l'art dentaire », ladite convention collective était inapplicable dans ses relations avec la salariée de cette association, Madame R..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1.1 de la convention collective nationale des cabinets dentaires.
Moyen produit au pourvoi n° Z 19-10.172 par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour Mme R....
Le moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme R... de sa demande en paiement d'une indemnité pour harcèlement moral ;
Aux motifs qu'« aux termes de l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l'article L 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L'article L 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, Mme R... invoque les faits suivants : l'absence d'assistante dentaire qualifiée alors que cet engagement était prévu par son contrat de travail, la pression subie pour faire du chiffre, le changement de son jour de repos et sa mutation à Bondy.
Pour étayer ses affirmations, Mme R... produit notamment des comptes rendus qu'elle aurait adressés et des SMS qu'elle a envoyés au conseil de l'ordre, et une capture d'écran concernant les objectifs à atteindre.
Cela étant, il ressort des explications mêmes de Mme R... que l'absence d'une assistante était ponctuelle car n'a duré qu'un mois (janvier-février 2014). Par ailleurs, le manque de qualification de certaines assistantes qu'elle dénonce dans sa lettre du 1er avril 2014 ne procède que de ses seules affirmations.
La capture d'écran mentionnant chaque jour un objectif à atteindre de 2 500 € ne suffit pas à attester une pression exercée sur Mme R... à ce sujet et ce d'autant moins que l'association Addentis produit des attestations de dentistes et assistantes déniant toute pression exercée sur eux, qui ne peuvent être écartées au seul motif qu'elles émanent de salariés toujours en poste.
Le changement du jour de repos s'inscrit dans le pouvoir de direction de l'employeur dont Mme R... n'établit pas un usage abusif.
La mutation de Mme R... à Bondy n'a été que proposée, non imposée, à celle-ci et était destinée à permettre à la salariée de conserver son jour de repos le mercredi en adaptation avec l'organisation de ce centre.
En l'état des explications et des pièces fournies, ne sont pas caractérisés d'éléments de fait précis et concordants qui, pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral. Les demandes relatives au harcèlement doivent par conséquent être rejetées » (arrêt p 3, § 3 et suiv.) ;
Et aux motifs, éventuellement adoptés du jugement, que « Mme A... R... divorcée H... ne justifie pas de sa souffrance au travail, durant sa relation contractuelle et n'apporte aucun élément à l'appui de ses prétentions ; il ne sera pas fait droit à sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral » (jugement p 4 § 2) ;
Alors que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement, le juge doit examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L 1152-1 du code du travail ; que dans l'affirmative, le juge doit apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme R... de ses demandes au titre d'un harcèlement moral, la cour d'appel a retenu que l'absence d'assistante était ponctuelle, que leur défaut de qualification procédait des seules affirmations de Mme R..., que la capture d'écran mentionnant chaque jour un objectif à atteindre de plus de 2 500 € était insuffisante pour établir une pression, que le changement de jour de repos relevait du pouvoir de direction de l'employeur et que la mutation à Bondy n'a pas été imposée ; qu'en statuant ainsi sans prendre en compte les documents médicaux produits par Mme R... établissant que depuis janvier 2014, elle souffrait de lombalgies, de troubles du sommeil liés au stress nécessitant un traitement médicamenteux et de troubles psychologiques entraînant des soins en continu et à long terme, afin d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel a violé les articles L 1152-1 et L 1154-1 du code du travail dans sa version applicable.