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26/02/2020 | FRANCE | N°18-24326

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 26 février 2020, 18-24326


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

JT

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 26 février 2020

Cassation partielle

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 236 F-D

Pourvoi n° P 18-24.326

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 FÉVRIER 2020

La société Bluelink, société anon

yme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° P 18-24.326 contre l'arrêt rendu le 12 septembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, cham...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

JT

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 26 février 2020

Cassation partielle

M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 236 F-D

Pourvoi n° P 18-24.326

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 FÉVRIER 2020

La société Bluelink, société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° P 18-24.326 contre l'arrêt rendu le 12 septembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant à M. B... P..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.

M. P... a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation également annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de la société Bluelink, de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. P..., après débats en l'audience publique du 22 janvier 2020 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 septembre 2018), M. P..., salarié de la société Bluelink depuis 2008, titulaire de mandats représentatifs depuis 2009, a bénéficié de plusieurs avis du médecin du travail et de l'inspection du travail liés à son état de santé. Il a été reconnu travailleur handicapé le 18 avril 2013. Il a fait l'objet de deux sanctions disciplinaires, une mise à pied le 9 septembre 2013, et un avertissement le 4 août 2014.

2. Le salarié a, le 10 octobre 2013, saisi le conseil de prud'hommes en contestation de mesures disciplinaires et en invoquant une discrimination à son encontre.

Examen des moyens

Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens du pourvoi de l'employeur, et le second moyen du pourvoi du salarié

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi de l'employeur

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt d'annuler la mise à pied prononcée le 9 septembre 2013 alors « que la cassation et l'annulation par un arrêt du 19 juin 2018 de la chambre criminelle de la Cour de cassation de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 octobre 2016 en ce qu'il a déclaré l'employeur coupable de discrimination à raison d'activités syndicales à l'encontre de M. P... entraîne de plein droit, pour perte de fondement juridique, l'anéantissement de la décision de la cour d'appel, qui, pour décider que la mise à pied prononcée à l'encontre de ce salarié est injustifiée, s'est fondée sur les seuls motifs de l'arrêt annulé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 625 du code de procédure civile :

5. Pour annuler la mise à pied prononcée le 9 septembre 2013, la cour d'appel relève que le salarié rappelle à juste titre l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 25 octobre 2016 qui a déclaré la société et trois autres salariés coupables de discrimination à raison d'activités syndicales, en faisant état en particulier de la sanction prononcée à l'encontre de M. P... à l'occasion de la réunion du 18 juin 2013, et que cette sanction est donc injustifiée.

6. En statuant ainsi, alors que la cassation sur ce point de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 octobre 2016 par la chambre criminelle de la Cour de cassation (Crim., 19 juin 2018, pourvoi n° 16-86.643), entraîne de plein droit l'annulation pour perte de fondement juridique de la décision fondée sur les motifs de la décision annulée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le premier moyen du pourvoi du salarié

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande formée au titre de la prime de langue alors :

« 1°/ que M. P... sollicitait devant le conseil de prud'hommes la condamnation de la société Bluelink à lui verser les sommes de 445,97 € de rappel de prime de langue et 44,60 € de congés payés afférents ; qu'en jugeant que la demande est nouvelle en cause d'appel, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 564 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la proratisation réalisée par la société Bluelink, pour les années 2010 à 2015, n'était pas discriminatoire en ce qu'elle ne concernait que les seules absences de M. P... pour maladie, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 1132-1 du code du travail ;

3°/ que l'attribution de la prime de langue est subordonnée au seul traitement de cinq dossiers en langue étrangère, sans que soit pris en compte leur achèvement ; qu'en relevant que M. P... n'avait pas achevé le cinquième dossier qui lui avait été confiée au cours du mois d'octobre 2016, quand le seul fait de l'avoir traité, fut-ce de manière incomplète, lui ouvrait droit au versement de la prime de langue, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;

4°/ que lorsqu'une partie invoque un accord collectif précis, il incombe au juge de se le procurer par tous moyens, au besoin en invitant les parties à lui en fournir un exemplaire ; qu'en se fondant, pour déterminer le contenu de l'accord collectif en cause, sur les seules affirmations de la société Bluelink, quand il lui appartenait, au contraire, de s'en procurer un exemplaire afin de statuer sur les droits et obligations respectifs des parties, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 564 du code de procédure civile :

8. Pour écarter la demande formée par le salarié au titre de la prime de langue, la cour d'appel énonce que la demande est nouvelle.

9.En statuant ainsi, alors que la demande avait été formée devant le conseil de prud'hommes, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il annule la mise à pied disciplinaire prononcée le 9 septembre 2013 à l'encontre du salarié, et déboute ce dernier de ses demandes au titre de la prime de langue, l'arrêt rendu le 12 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six février deux mille vingt
.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour la société Bluelink, demanderesse au pourvoi principal

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir annulé la mise à pied prononcée le 9 septembre 2013 et d'avoir en conséquence condamné la société BLUELINK à verser à M. P... un rappel de salaire avec incidence de congés payés ;

Aux motifs que « M. B... P... demande l'annulation de la mise à pied disciplinaire prononcée à son encontre le 9.09.2013 en ces termes : « Le 18.06.2013 alors que vous n'étiez pas invité à la réunion des délégués syndicaux ...vous êtes entré dans la salle... vous avez agressé verbalement Me U..., huissier de justice en constatant sa présence à cette réunion et lui avez demandé de sortir...vous avez indiqué que Me U... n'avait pas été autorisé à être présent ...vous avez reconnu 'avoir juste peut-être parlé fort... les faits qui vous sont reprochés sont consignés dans le procès-verbal de constat rédigé par l'huissier...par ailleurs vous avez sollicité la commission de conciliation de l'entreprise qui s'est réunie le 4.09.2013 et dont on nous a communiqué son compte-rendu le 5.09.2013. »

M. B... P... affirme que l'agression verbale qui lui est reprochée n'a pas eu lieu, qu'il ne pouvait pas être sanctionné pour des faits en lien avec son mandat syndical alors qu'il était présent à cette réunion en sa qualité de délégué de liste comme prévu dans le jugement rendu par le Tribunal d'instance d'Ivry le 24.05.2013, alors qu'il bénéficiait de mandats désignatif et électif, tout en estimant qu'une mise à pied de 12 jours étaient disproportionnée.

La société BLUELINK confirme l'attitude agressive du salarié et précise que M. B... P... n'avait pas été présent tout au long de la réunion litigieuse fixée en prévision du scrutin professionnel ; elle indique n'avoir pas été tenue par l'avis rendu par la commission de conciliation de l'entreprise.

Cependant, M. B... P... rappelle à juste titre l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 25.10.2016 qui a notamment infirmé le jugement rendu par le TGI de Créteil le 03.06.2015 en déclarant la société BLUELINK mais également MM. C..., M... et V... coupables de discrimination à raison d'activités syndicales, en faisant état en particulier de la sanction prononcée à l'encontre de M. B... P... à l'occasion de la réunion de scellement du 18.06.2013 à la suite des propos tenus par le salarié à l'encontre de l'huissier de justice.

Cette sanction qui est injustifiée sera annulée, la société condamnée au rappel de salaire correspondant, et le jugement infirmé » ;

Alors que la cassation et l'annulation par un arrêt du 19 juin 2018 de la Chambre criminelle de la Cour de cassation de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 25 octobre 2016 en ce qu'il a déclaré l'employeur coupable de discrimination à raison d'activités syndicales à l'encontre de M. P... entraîne de plein droit, pour perte de fondement juridique, l'anéantissement de la décision de la Cour d'appel, qui, pour décider que la mise à pied prononcée à l'encontre de ce salarié est injustifiée, s'est fondée sur les seuls motifs de l'arrêt annulé.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir annulé l'avertissement notifié le 4 août 2014 à M. P... ;

Aux motifs que « Le 4 août 2014, Monsieur P... a reçu notification d'un avertissement pour les motifs suivants : « En fin d'après-midi de la journée du 29 juillet dernier vous avez distribué des publications syndicales (tract) appelant à un arrêt de travail pour la journée du 2 août 2014.
L'encadrement présent vous a rappelé que les règles de distribution ne permettent pas de réaliser cela sur les postes de travail.
Malgré cela vous avez continué la distribution.
L'ensemble des organisations syndicales, dont le syndicat SUD, ont reçu un rappel de ces règles de distribution quelques jours auparavant de la part de la direction.
En effet, la distribution de tracts sur les lieux du travail perturbe le bon fonctionnement des activités et produit des zones d'inconfort au salarié à son poste de travail. »

M. B... P... se fonde sur les dispositions de l'article L 2142-4 du code du travail en rappelant que l'interdiction posée par l'employeur de distribuer des tracts sur le lieu de travail était illicite, ce qu'a rappelé l'inspection du travail dans son courrier du 05.09.2014 adressé à la société BLUELINK, après que celle-ci ait le 17.07.2014 demandé au salarié de ne plus réaliser de distribution de tracts sur les lieux et postes de travail ; il précise que l'accord du 30.09.2014 est postérieur aux faits.

La société BLUELINK déclare que la distribution de tracts dans l'entreprise est autorisée sous réserve de ne pas perturber le travail des salariés.

En effet l'inspection du travail a rappelé les conditions dans lesquelles des tracts syndicaux pouvaient être distribués dans une entreprise ; or la société BLUELINK ne justifie aucunement du trouble apporté par le salarié le 29.07.2014 à l'exécution normale du travail ou à la marche de l'entreprise par les seuls documents produits.

La sanction contestée doit être annulée en raison de son caractère illégitime et le jugement infirmé » ;

Alors que le défaut de réponse à conclusions constitue le défaut de motifs ; qu'en l'espèce, en se bornant à affirmer, pour annuler l'avertissement notifié au salarié, que l'employeur ne démontre pas le trouble causé par le salarié à l'exécution normale du travail ou à la bonne marche de l'entreprise du fait de la distribution de tracts syndicaux aux postes de travail des autres salariés, sans répondre aux conclusions de l'employeur (p. 14) qui soutenait que la perturbation du fonctionnement de l'entreprise résultait nécessairement de la nature même de l'activité exercée, dans le cadre d'une plate-forme téléphonique, la Cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société BLUELINK à payer à M. P... une somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale ;

Aux motifs que « Le salarié fait état de nombreux éléments tendant à démontrer l'existence d'une discrimination syndicale à son égard, et notamment, le caractère illégitime des deux sanctions qui lui ont été notifiées les 09.09.2013 et 04.08.2014 au vu de la décision prise par la cour d'appel de Paris le 25.10.2016, le non-paiement d'heures de délégation et la retenue illicite pratiquée en octobre 2016. Il fait état plus particulièrement de l'irrégularité des bilans mensuels professionnels le concernant ayant donné lieu à des évaluations datées et signées, démontrée par l'attestation délivrée par Mme G. R..., de l'absence de promotion à l'instar de ses collègues jusqu'en avril 2018.

Enfin certains entretiens d'évaluation annuels ont mentionné explicitement son activité réduite pour le compte de l'entreprise, du fait de l'exercice de ses mandats syndicaux (janvier 2010, septembre 2017), ce qui, en soit, constitue une discrimination syndicale.

La société BLUELINK se borne à affirmer le caractère légitime de ses décisions ; le tableau concernant les salariés ayant une ancienneté et une classification identique (p.48) est insuffisamment précis pour constituer un panel représentatif, au surplus alors que le critère de professionnalisme invoqué pour justifier de l'évolution de la carrière de l'appelant n'est pas probant compte tenu des indications portées sur les comptes rendus d'évaluation.

La société ne prouve pas que les décisions critiquées qui ont été prises étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La discrimination syndicale est démontrée ; la société BLUELINK sera condamnée à payer la somme de 15.000 € en réparation du préjudice subi et le jugement sera infirmé » ;

Alors, d'une part, que la cassation qui sera prononcée sur le premier moyen, en ce que la Cour d'appel a annulé la mise à pied prononcée le 9 septembre 2013 comme étant injustifiée, entraînera l'annulation par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, de l'arrêt qui a retenu que cette sanction laisse présumer l'existence d'une discrimination syndicale subie par le salarié ;

Alors, d'autre part, que la cassation qui sera prononcée sur le deuxième moyen, en ce que la Cour d'appel a annulé l'avertissement notifié le 4 août 2014, entraînera l'annulation par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, de l'arrêt qui a retenu que cette sanction laisse présumer l'existence d'une discrimination syndicale subie par le salarié ;

Alors, en outre, qu'il résulte des articles L.1132-1 et L.1134-1 du code du travail que le salarié qui se prétend victime d'une discrimination doit préalablement soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser cette discrimination, l'employeur n'étant tenu d'établir que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination que si le juge estime que les éléments produits par le salarié sont suffisants pour laisser supposer l'existence d'une discrimination ; qu'en l'espèce, en retenant que l'employeur ne prouve pas que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, après avoir simplement relevé que le salarié fait état, outre les deux sanctions annulées, du « non-paiement d'heures de délégation et [de] la retenue illicite pratiquée en octobre 2016 » ainsi que « de l'irrégularité des bilans mensuels professionnels le concernant ayant donné lieu à des évaluations datées et signées (
), de l'absence de promotion à l'instar de ses collègues jusqu'en avril 2018 », sans caractériser en quoi ces éléments permettaient, pris dans leur ensemble, de laisser supposer l'existence d'une discrimination syndicale, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1132-1 et L.1134-1 du code du travail ;

Alors, enfin, que la mention de l'exercice des activités syndicales du salarié dans son évaluation professionnelle ne peut constituer une discrimination que si elle a eu une incidence défavorable sur l'évolution de sa carrière ou sur sa rémunération ; qu'en l'espèce, en se bornant à affirmer que la mention de l'activité syndicale du salarié sur ses entretiens d'évaluation constitue une discrimination, sans caractériser en quoi elle aurait eu un impact négatif, notamment, sur l'évolution de sa carrière ou sa rémunération, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 1132-1 du code du travail, ensemble l'article L.2141-5 du même code.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société BLUELINK à payer à M. P... une somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination liée à l'état de santé et au handicap du salarié ;

Aux motifs que « M. B... P... produit à l'appui de ses allégation le courriel de Mme C. Q... du 30.07.2015 lui reprochant dans le cadre du suivi de son activité des temps de pause imprécis rendant improbable l'évaluation de son temps de production et sa productivité alors que le médecin du travail a préconisé qu'il puisse se rendre aux toilettes dès que nécessaire le 25.04.2012 et le 17.05.2013. Il relève que son employeur n'a pas pris en compte la préconisation suivante du médecin du travail du 29.10.2013, relative à la prise de deux jours de repos consécutifs par semaine et il verse aux débats les plannings de novembre 2013 à janvier 2015 ; une lettre officielle de son conseil est venue en soutien de cette demande le 19.12.2013.

Un temps partiel thérapeutique a été mis en place à la suite de l'avis médical du 30.07.2014 cependant les horaires préconisés ont été modifiés en janvier 2015.
La société BLUELINK a contesté à 4 reprises les différents avis délivrés par le médecin du travail, qui ont été confirmés par l'administration au vu de l'avis d'aptitude avec réserves émis par le médecin inspecteur.

M. B... P... constate que la procédure "handicap" mise en place dans l'entreprise n'a pas été suivie d'effet.
L'avis du 09.09.2016 prévoyait la suspension des appels pendant 2 mois et le salarié a été contraint de contacter sa hiérarchie pour que cela soit pris en compte

L'attribution d'un fauteuil ergonomique a été prescrite par le médecin du travail qui a dû renouveler sa décision le 06.10.2016, le salarié étant là encore contraint de relancer son employeur ; un accident du travail a été déclaré le 21.11.2016 ; le salarié a fait usage de son droit de retrait le 04.01.2017 et un poste aménagé lui sera dévolu le 11.01.2017.

Le salarié se fonde sur l'article L 5213-6 du code du travail pour faire valoir que la société n'a de ce fait pas respecté les dispositions applicables aux salariés handicapés.

Enfin, M. B... P... constate que les primes de langue prévues dans son contrat de travail ont été proratisées de manière illicite en fonction de ses absences pour maladie et que par ailleurs il n'a pas été réglé en novembre 2016 pour ses prestations alors que le médecin du travail avait suspendu temporairement son activité d'appels le 09.09.2016.

Ces éléments laissent supposer l'existence d'une discrimination fondée sur l'état de santé et le handicap.

Selon la société BLUELINK qui met en avant une politique interne favorable aux salariés handicapés, le salarié abusait des préconisations médicales qui lui ont été prescrites; elle produit le courriel de sa supérieure hiérarchique, Mme F..., selon laquelle en juillet 2015 M. B... P... prenait 2 heures de pause par jour ; celle-ci a en effet demandé au médecin du travail des précisions pour la mise en place des préconisations médicales relatives aux deux journées de repos consécutives eu égard au rythme de travail en place dans l'entreprise ; l'employeur a usé de son droit de contestation à l'égard des avis médicaux émis dont il est ressorti que le salarié devait bénéficier de deux jours de repos consécutifs sans que cela soit forcément les samedis et dimanches ; les plannings produits montrent que les préconisations médicales émises "dans le mesure du possible" n'ont pas pu être suivies seulement durant quelques semaines. En ce qui concerne la prime de langue, la société BLUELINK rappelle que selon les accords NAO de 2008 à 2012, les primes sont proratisées au temps de travail effectif ; par ailleurs sa supérieure hiérarchique a opposé au salarié à bon droit qu'il n'avait pas achevé le 5è dossier qui lui aurait permis d'obtenir une prime de langue en octobre 2016. La société n'a pas été en mesure de fournir un fauteuil ergonomique adapté rapidement en dépit de ses recherches; l'ergonome missionné n'a rendu son rapport que le 20.12.2016.

Le compte rendu d'évaluation de septembre 2017 mentionne que "l'absentéisme cause maladie cumulé pendant l'année (48.3 % sur le temps planifié) ... plus le temps de pause courte (18.2 % sur le temps de présence)" ne permettait pas au salarié de "prendre des initiatives et de proposer des pistes d'amélioration dans l'atteinte d'objectifs de performance et de qualité attendu par notre client TB".

Cette simple référence à sa maladie et à son handicap dans un entretien d'évaluation justifie l'existence d'une discrimination, indépendamment des autres éléments invoqués et en partie démontrés, alors même qu'il n'était pas prévu par l'entreprise de proratiser des objectifs en fonction du temps de présence des salariés absents pour maladie.

La discrimination liée à l'état de santé et au handicap est ainsi démontrée ; la société BLUELINK sera condamnée à payer la somme de 15.000 € et le jugement sera infirmé.
La demande relative au paiement d'une prime de langue sera rejetée ;
il s'agit d'une demande nouvelle » ;

Alors, d'une part, que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, quand le salarié, pour tenter d'établir des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination à raison de son état de santé et de son handicap, invoquait uniquement la négation par l'employeur de son handicap et le non-respect des préconisations du médecin du travail et la proratisation de sa prime de langue en fonction de ses absences pour maladie, la Cour d'appel, qui a retenu que la seule référence à sa maladie et à son handicap dans un entretien d'évaluation justifie l'existence d'une discrimination alléguée, élément qui n'avait pourtant pas été introduit dans le débat par le salarié, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

Alors, d'autre part, et en tout état de cause, que le juge, qui doit observer le principe de la contradiction, ne peut fonder sa décision sur un moyen relevé d'office, sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, en se fondant, pour retenir l'existence d'une discrimination, sur la seule référence à la maladie du salarié et à son handicap dans un entretien d'évaluation, élément qu'elle a relevé d'office, sans solliciter les observations des parties sur ce point, la Cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction et violé l'article 16 du code de procédure civile.

Moyens produits par la SCP Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour M. P..., demandeur au pourvoi incident

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

M. P... fait grief à l'arrêt attaqué

DE L'AVOIR débouté de sa demande au titre de la prime de langue ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « la société Bluelink rappelle que selon les accords NAO de 2008 à 2012, les primes sont proratisées au temps de travail effectif ; que par ailleurs, sa supérieure hiérarchique a opposé au salarié à bon droit qu'il n'avait pas achevé le 5ème dossier qui lui aurait permis d'obtenir une prime de langue en octobre 2016 ; qu'il s'agit d'une demande nouvelle » ;

Et AUX MOTIFS éventuellement ADOPTES QUE « le contrat de travail du demandeur indique qu'il bénéficie d'une prime de langues attribué en fonction des règles en vigueur dans l'entreprise ; que le demandeur ne peut raisonnablement ignorer que les conditions d'attribution et les montants des primes de langue ont été édictées lors des négociations annuelles obligatoires depuis 2008, sont revues régulièrement lors des NAO, ce que rappelle notamment la pièce n° 44 du défendeur intitulée "Réponses aux questions des délégués du personnel" à la réunion du 10 juillet 2015 et que ces primes sont toujours "proratisées au temps de travail effectif" ; que le demandeur ne peut ignorer encore, de par ses activités syndicales, sans faire preuve d'une certaine mauvaise foi que lesdites primes de langues se déclenchent à partir de cinq appels en langue étrangère ; qu'elle n'ont pas un caractère forfaitaire et sont proratisées en fonction du temps de travail ; que le système d'attribution de ces primes est identique pour tous les salariés conseillers de clientèle comme le demandeur, qu'il n'a pas rapporté la moindre preuve ni même commencement de preuve d'une quelconque discrimination à son égard » ;

1°) ALORS QUE M. P... sollicitait devant le conseil de prud'hommes la condamnation de la société Bluelink à lui verser les sommes de 445,97 € de rappel de prime de langue et 44,60 € de congés payés afférents ; qu'en jugeant que la demande est nouvelle en cause d'appel, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 564 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QU'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la proratisation réalisée par la société Bluelink, pour les années 2010 à 2015, n'était pas discriminatoire en ce qu'elle ne concernait que les seules absences de M. P... pour maladie, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 1132-1 du code du travail ;

3°) ALORS QUE l'attribution de la prime de langue est subordonnée au seul traitement de cinq dossiers en langue étrangère ; qu'en relevant que M. P... n'avait pas achevé le cinquième dossier qui lui avait été confiée au cours du mois d'octobre 2016, quand le seul fait de l'avoir traité, fut-ce de manière incomplète, lui ouvrait droit au versement de la prime de langue, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

M. P... fait grief à l'arrêt attaqué

DE L'AVOIR débouté de sa demande au titre du harcèlement moral ;

AUX MOTIFS QU'« au vu des dispositions des articles L. 3132-3, L. 3132-12, L. 3132-20 et R. 3132-5 du code du travail ainsi que des dispositions conventionnelles applicables, le tribunal correctionnel de Créteil a décidé qu'en l'absence de dérogation de droit au repos dominical et d'autorisation du préfet, le travail des salariés de la société Bluelink était illicite ; il était ordonné à l'entreprise de cesser le travail illicite des salariés le dimanche sous astreinte ; qu'un avenant à l'accord AORTT du 10.07.2000 avait été signé le 05.12.2007 prévoyant l'appel au volontariat ; que cependant M. B... P... avait explicitement demandé à ne pas travailler le dimanche en s'appuyant sur l'avis médical du 01.09.2015, ce qui a été rappelé par l'inspection du travail dans sa décision du 29.01.2016 ; que par ailleurs, M. B... P... se prévaut d'un acharnement récurent de son employeur qui a violé systématiquement les prescriptions médicales et les a contestées ; que cependant, il apparaît à l'examen du dossier que les préconisations médicales n'ont pas été suivies ponctuellement ou bien parfois avec un certain retard, la société conservant le droit de contester les avis médicaux ; qu'un retrait de salaire pour un montant de 97,48 « a été effectué sur le bulletin de salaire de novembre 2016 avec la mention "absence non rémunérée" sans que l'employeur ne donne une explication ; cette somme doit être versée au salarié ; que M. B... P... fait état des deux demandes de rappel de salaire auxquelles il a été fait droit, à l'exception de la prime de langue ; que da demande du 03.10.2016 relative à la mise en place du télétravail en application de l'accord d'entreprise du 05.10.2015, a été refusée après passage en commission mixte le 01.02.2017 en application de l'article 4.1 de l'accord ; qu'en dernier, son courrier du 29.03.2018 a été transmis à 6 salariés ; cette indélicatesse résultant de la divulgation à certains salariés de son adresse personnelle a eu un impact limité ; qu'il est constant que l'état de santé du salarié s'est dégradé ; que néanmoins ces éléments pris dans leur ensemble sont insuffisants à caractériser l'existence d'un harcèlement moral et les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral ; qu'il s'agit d'une demande nouvelle » ;

1°) ALORS QU'en relevant d'office le moyen pris du caractère nouveau en cause d'appel de la demande formée au titre du harcèlement moral, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

2°) ALORS, à tout le moins, QUE commet un excès de pouvoir la cour d'appel qui, après avoir jugé une demande irrecevable comme nouvelle en appel, statue sur son bien-fondé ; qu'après avoir jugé que la demande formée par M. P... au titre du harcèlement moral est nouvelle en cause d'appel, la cour d'appel ne pouvait la rejeter au fond sans violer l'article 122 du code de procédure civile ;

3°) ALORS, en toute hypothèse, QU'en examinant les justifications apportées par la société N..., sans avoir au préalable recherché si les faits invoqués par la salariée étaient, appréhendés globalement, de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18-24326
Date de la décision : 26/02/2020
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 12 septembre 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 26 fév. 2020, pourvoi n°18-24326


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau, SCP Zribi et Texier

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2020:18.24326
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