LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° W 19-83.953 F-D
N° 890
SM12
23 JUIN 2020
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 23 JUIN 2020
M. C... R... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 21 mars 2019, qui, sur renvoi après cassation (Crim. 27 juin 2017, pourvoi n°16-83.128) dans la procédure suivie contre M.P... D... du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Schneider, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. C... R..., les observations de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la société Allianz Iard et M. P... D..., et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 mai 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Schneider, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et M. Bétron, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A la suite d'un accident de chasse, M. P... D..., assuré auprès de la société Allianz , a été poursuivi devant le tribunal correctionnel et déclaré coupable de blessures involontaires sur la personne de M. C... R....
Celui-ci s'est constitué partie civile et le tribunal a déclaré M.D... tenu à réparation intégrale du préjudice.
3.Le tribunal, statuant sur intérêts civils, a condamné M. D... à payer diverses sommes à M. R... ainsi qu'à la caisse de sécurité sociale de la Lozère (CCSS) , a déclaré le jugement opposable à la société Allianz et commun à la mutuelle Médéric, devenue Mutex.
4. Toutes les parties ont interjeté appel. Par un premier arrêt du 17 mars 2016, la cour d'appel a émendé le jugement et statué à nouveau sur les préjudices réclamés. M. R... a formé un pourvoi.
5. Par arrêt du 27 juin 2017, la chambre criminelle a cassé et annulé l'arrêt en ses seules dispositions relatives aux préjudices patrimoniaux et aux sommes allouées à M.R... à titre de solde indemnitaire de son préjudice corporel, ainsi qu'à la CCSS de la Lozère et à la société Mutex en remboursement des prestations à M. R....
Examen des moyens
Sur les deux premiers moyens
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a fixé l'indemnisation des postes de préjudices patrimoniaux a la somme totale de 329 082,93 euros, détaillée comme suit : - dépenses de santé actuelles : 33 109,77 euros, - perte de gains professionnels actuels : 46 595,32 - dépenses de santé futures : 63,37 euros, - pertes de gains professionnels futurs : 208 512,08 euros, - incidence professionnelle : 40 000 euros ; d'avoir, déduction faite de la créance de la CCSS de la Lozère d"un montant de 166 521,20 euros et de la créance de la société Mutex d'un montant de 93 563,55 euros, dit que M. R... percevra un solde de 68 998,18 euros au titre de l'indemnisation de ses préjudices patrimoniaux, dont il sera déduit les provisions et exécutions effectuées et d'avoir condamné M. D..., in solidum avec la société Allianz Iard, au paiement des sommes dues, en deniers ou quittances, alors :
« 1°/ que les dommages et intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que M. R... ne justifiait pas d'une perte sur ses droits à la retraite justifiant une indemnisation viagère au titre de la perte de gains professionnels futurs, aprés avoir relevé qu'il s'était « vu attribuer une pension d'invalidité des le 3 août 2009, servie par la CCSS de la Lozère et par la Mutex, en ce qu'il est reconnu comme travailleur handicapé et peut ainsi faire valoir ses droits à une retraite anticipée dès l'âge de 55 ans, qui sera calculée à taux plein, étant réputé avoir un taux d'incapacité permanente de 80 % » (arrêt, p. 17, § 10) ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée (concl., p. 10), si les pensions d'invalidité perçues par M. R... n'entraient pas dans la détermination du montant de sa retraite future, calculé sur les 25 meilleures années de salaire, de sorte qu'en ne travaillant plus qu'à mi-temps après l'accident, ce dont il avait résulté une baisse de sa rémunération d'activité, de sorte que M. R... avait nécessairement subi une perte au titre de ses droits à la retraite par rapport à ceux qu'il aurait perçu s'il avait continué à travailler à plein temps, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 ancien, devenu l'article 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale ;
2°/ que les dommages et intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que M. R... ne justifiait pas d'une perte sur ses droits à la retraite justifiant une indemnisation viagère au titre de la perte de gains professionnels futurs, après avoir relevé qu'il s'était « vu attribuer une pension d'invalidíté dès le 3 août 2009, servie par la CCSS de la Lozère et par la Mutex, en ce qu'il est reconnu comme travailleur handicapé et peut ainsi faire valoir ses droits à une retraite anticipée dès l'âge de 55 ans, qui sera calculée à taux plein, étant réputé avoir un taux d'incapacité permanente de 80 % » (arrêt, p. 17, § 10) ; qu'en se prononçant ainsi, sans vérifier, comme elle y était pourtant invitée (concl., p. 10 in fine et p. 11), si M. R..., né en 1968, pouvait effectivement prétendre a une retraite anticipée a 55 ans en raison de son handicap, alors qu 'une telle possibilité supposait de justifier, depuis la date du handicap, d'une durée de cotisation égale a minima à 127 trimestres (pour les personnes nées entre 1958 et 1960), ce qui n'était pas le cas de M. R... qui ne justifiait à l'âge de 51 ans que de 40 trimestres en situation d'invalidité, la cour d"appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 ancien, devenu l'article 1240 du code civil, ensemble l'article D. 351-1-5 du code de la sécurité sociale et le principe de la réparation intégrale. »
Réponse de la Cour
8.Pour rejeter la capitalisation viagère de la perte de gains professionnels futurs en ce que M.R... allègue la perte de droits à la retraite, l'arrêt attaqué énonce que ce dernier est bénéficiaire de droits à la retraite déjà validés qui vont nécessairement générer un revenu lorsque celui-ci prendra sa retraite, et d'autre part qu'il ne rapporte pas la preuve d'une perte sur ses droits à la retraite justifiant l'indemnisation viagère qu'il sollicite.
9. Les juges ajoutent qu'il bénéficie depuis le 3 août 2009 d'une pension d'invalidité, servie par la CCSS de la Lozère et par la Mutex en ce qu'il est reconnu comme travailleur handicapé et peut ainsi faire valoir ses droits à la retraite anticipée dès l'âge de 55 ans, qui sera calculée au taux plein étant réputé avoir un taux d'incapacité permanente de 80 %.
10.Les juges en déduisent qu'il convient d'appliquer seulement une capitalisation temporaire jusqu'à ce que M.R... atteigne l'âge de 55 ans, âge du départ à la retraite anticipée.
11. En statuant ainsi par des énonciations relevant de son appréciation souveraine et dès lors que la preuve de la perte des droits à la retraite n'est pas rapportée, la cour d'appel a justifié sa décision.
12.Le moyen ne peut qu'être écarté.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
13.Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a fixé l'indemnisation des postes de préjudices patrimoniaux a la somme totale de 329 082,93 euros, détaillée comme suit : - dépenses de santé actuelles : 33 109,77 euros, - perte de gains professionnels actuels : 46 595,32 euros, - dépenses de santé futures: 63,37 euros, - pertes de gains professionnels futurs : 208 512,08 euros, - incidence professionnelle : 40 000 euros ; d'avoir, déduction faite de la créance de la CCSS de la Lozère d'un montant de 166 521,20 euros et de la créance de la société Mutex d"un montant de 93 563,55 euros, dit que M. R... percevra un solde de 68 998,18 euros au titre de l'indemnisation de ses préjudices patrimoniaux, dont il sera déduit les provisions et exécutions effectuées et d'avoir condamné M. D..., in solidum avec la société Allianz lard, au paiement des sommes dues, en deniers ou quittances, alors « que les prestations versées par les tiers-payeurs s'imputent exclusivement sur le ou les postes de préjudice qu'ils indemnisent ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté (p. 14 et s.) que sur les dépenses de santé actuelles, la Caisse Commune de Sécurité Sociale (CCSS) de la lozère justifiait d'une créance définitive d'un montant de 33 109,77 euros, laissant un reliquat à devoir à M. R... de 274,40 euros ; que, s'agissant de la perte de gains professionnels actuels, elle a retenu une perte de 46 595,32 euros, sur laquelle elle a imputé les sommes de 35 457,34 euros (versée par la CCSS) et 13 338,79 euros (versée par la société Mutex), soit un total de 48 796,13 euros absorbant la totalité de la dette de réparation pour ce poste de préjudice ; qu'elle a retenu, s'agissant de la perte de gains professionnels futurs évaluée a 208 512,08 euros, une créance totale des deux tiers payeurs à hauteur de 177 558,39 euros (97 363,63 euros + 80.224,76 euros), laissant un reliquat de 30 923,69 euros ; qu'elle a par ailleurs indemnisé les dépenses de santé futures à hauteur de 63,37 euros et l'incidence professionnelle à hauteur de 40 000 euros ; qu'il résulte de ces constatations que l'ensemble des préjudices de M. R... s'élevait à la somme de 328 280,54 euros et que le recours des tiers payeurs ne pouvait s'exercer que dans la limite totale de 256 988,78 euros après imputation poste par poste ; qu'il revenait à M. R..., après déduction du recours des tiers payeurs pour un montant ne pouvant excéder 257 018,78 euros la somme totale de 71 261,76 euros (274,70 + 63,37 + 30 923,69 + 40 000) ; qu'en allouant à M. R... la seule somme de 68 195,83 euros, la cour d'appel a violé l'article 1382 ancien, devenu l'article 1240 du code civil, l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985, ensemble le principe de la réparation intégrale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 31 de la loi du 5 juillet 1985 et 593 du code de procédure pénale :
14.Selon le premier de ces textes, les recours subrogatoires des tiers payeurs s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent les préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel.
15.Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
16.La cour d'appel a fixé l'indemnisation des postes de préjudices patrimoniaux propres à réparer le préjudice subi par la partie civile à la somme globale de 329 082,93 euros ( respectivement à : dépenses de santé actuelle à 33 109,77 euros, dépenses de santé futurs à 63,37 euros, perte de gains professionnels actuels à 46 595,32 euros , perte de gains professionnels futurs à 208 512,08 euros et incidence professionnelle à 40 000 euros ) , a alloué à la partie civile la somme de 68 998,18 euros et a imputé sur la somme de 46 595,32 euros relative aux pertes de gains professionnels actuels la somme de 48 796,13 euros versée par les tiers payeurs.
17.En statuant ainsi, alors d'une part que l'addition des sommes ainsi retenues était de 328 280,54 euros et non de 329 082,93 euros , de deuxième part que la somme 68 998,18 euros allouée à la partie civile après imputation des sommes versées par les tiers payeurs subrogés était erronée et s'élève à 71 261,76 euros , de troisième part que l'imputation des sommes versées par les tiers payeurs soit la somme de 48 796,13 euros ne peut excéder l'indemnité allouée à la victime au titre du poste de préjudice qu'ils ont pris en charge soit 46595,32 euros et qui constitue l'assiette du recours subrogatoire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
Tableau explicatif
Poste de préjudice
Evaluation de la cour d'appel
Recours des tiers payeurs
Reliquat dû à M.R...
Dépenses de santé actuelles
33 109,77
32 835,07
274,70
PGPA
46 595,32
35 457,34 CCSS
13 338,79 Mutex
soit 48 796,13
0
Dépenses santé futures
63,37
63,37
PGPF
208 512,08
97 363,63 CCSS
80 224,76 Mutex
30 923,69
Incidence professionnelle
40 000
40 000
Total cour d'appel
329 082,93
259 219,59
68 998,18
Total exact
328 280,54
257 018, 78
71 261,76
18.Il s'ensuit que la cassation est encourue. Elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nîmes , en date du 21 mars 2019, mais en ses seules dispositions relatives aux erreurs de calcul sur l'évaluation du préjudice global de la victime et sur l'imputation des recours des tiers payeurs , toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT que l'indemnisation des postes de préjudices patrimoniaux s'élève à la somme de 328 280,54 euros ;
DIT que déduction faite de la créance de la CCSS de la Lozère d'un montant de 163 455,23 euros et de la créance de la société Mutex d'un montant de 93 563,55 euros, M. C... R... percevra un solde de 71 261,76 euros au titre de l'indemnisation des préjudices patrimoniaux, dont il sera déduit les provisions et exécutions effectuées ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nîmes, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-trois juin deux mille vingt.