LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° U 19-84.526 F-D
N° 1299
EB2
8 SEPTEMBRE 2020
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 SEPTEMBRE 2020
M. V... H... et Mme O... H..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants de leur fille mineure D... H..., et l'association Épilepsie France, parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 17 mai 2019, qui, après relaxe de Mme G... A..., M. N... T... et de l'association Fédération Présence 30, du chef de discrimination, et de M. Y... W..., du chef de complicité de discrimination, les a déboutés de leurs demandes.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. V... H..., Mme O... H..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants de leur fille mineure D... H..., et l'association Épilepsie-France, parties civiles, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'association Fédération Présence 30, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. Y... W... et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A compter de septembre 2014, D... H..., née le [...] et souffrant d'épilepsie, a été accueillie trois jours par semaine dans une micro-crèche gérée par l'association Fédération Présence 30, en délégation de service public d'une communauté de communes présidée par M. Y... W.... Un projet d'accueil individualisé (PAI) a été mis en place à son arrivée et a été renouvelé à deux reprises.
3. Courant janvier 2016, ses parents, M. V... H... et Mme O... H..., ont souhaité inscrire leur fille à plein temps dans cet établissement, au moment où Mme A..., éducatrice jeune enfant, y succédait, en tant que référent technique, à Mme J..., infirmière diplômée d'Etat.
4. Le 29 février 2016, ils ont été informés de ce que cet accueil n'était plus possible, en raison de l'absence, dans la micro-crèche, de tout personnel médical apte à délivrer à l'enfant le médicament correspondant au traitement d'urgence nécessaire en cas de crise convulsive.
5. Ils ont fait citer devant le tribunal correctionnel, d'une part, Mme A..., l'association Fédération Présence 30 et son directeur général, M. N... T..., du chef de discrimination, d'autre part, M. Y... W... du chef de complicité de ce délit.
6. Le tribunal correctionnel a relaxé les quatre prévenus et débouté les parties civiles de leurs demandes.
7. M. et Mme H..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants de leur fille mineure, et l'association Épilepsie-France ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, et sur le quatrième moyen
8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses autres branches, et sur les deuxième et troisième moyens
Enoncé des moyens
9. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. V... H..., Mme O... Q... épouse H..., agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de D... H..., et l'association Epilepsie-France de leurs demandes, alors :
« 1°/ que lorsqu'un enfant de moins de six ans est dans l'incapacité de prendre seul le traitement que lui a prescrit un médecin, qui n'a pas jugé nécessaire l'intervention d'un auxiliaire médical, l'aide à la prise de ce traitement constitue une modalité d'accompagnement de l'enfant dans les actes de la vie courante ; qu'elle peut, à ce titre, être assurée par toute personne chargée d'accompagner les enfants dans les actes de la vie courante, conformément aux protocoles de soins élaborés avec l'équipe soignante, dès lors que, compte tenu de la nature du médicament, le mode de prise ne présente ni difficulté d'administration ni d'apprentissage particulier ; qu'en jugeant au contraire, pour considérer que l'exclusion de D... de la micro-crèche, en raison de son état de santé, en l'absence de personnel médical susceptible de l'aider à la prise de médicament en cas de crise, n'était pas fautive, que de manière générale, l'aide accordée à un enfant de moins de 6 ans pour la prise d'un médicament ne pouvait pas être un acte de la vie courante de sorte que les intimés avaient agi dans le strict cadre des textes, la cour d'appel a violé les articles L. 4161-1, R. 4311-5, R. 4311-7 du code de la santé publique, 1240 du code civil, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que lorsqu'un enfant de moins de six ans est dans l'incapacité de prendre seul le traitement que lui a prescrit un médecin, qui n'a pas jugé nécessaire l'intervention d'un auxiliaire médical, l'aide à la prise de ce traitement constitue une modalité d'accompagnement de l'enfant dans les actes de la vie courante ; qu'elle peut, à ce titre, être assurée par toute personne chargée d'accompagner les enfants dans les actes de la vie courante, conformément aux protocoles de soins élaborés avec l'équipe soignante, dès lors que, compte tenu de la nature du médicament, le mode de prise ne présente ni difficulté d'administration ni d'apprentissage particulier ; qu'il importe peu, à cet égard, que l'enfant ne soit pas capable habituellement d'accomplir seul le geste de prendre des médicaments ; qu'en jugeant au contraire, pour considérer que l'exclusion de D... de la micro-crèche, en raison de son état de santé, en l'absence de personnel médical susceptible de l'aider à la prise de médicament en cas de crise, n'était pas fautive, que l'aide accordée à un enfant de moins de 6 ans pour la prise d'un médicament ne pouvait pas être un acte de la vie courante, dès lors que l'enfant de moins de six ans ne peut être assimilé à une personne malade, capable habituellement d'accomplir seule le geste de prendre des médicaments, la cour d'appel a violé les articles L. 4161-1, R. 4311-5, R. 4311-7 du code de la santé publique, 1240 du code civil, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que lorsqu'un enfant de moins de six ans est dans l'incapacité de prendre seul le traitement que lui a prescrit un médecin, qui n'a pas jugé nécessaire l'intervention d'un auxiliaire médical, l'aide à la prise de ce traitement constitue une modalité d'accompagnement de l'enfant dans les actes de la vie courante ; qu'elle peut, à ce titre, être assurée par toute personne chargée d'accompagner les enfants dans les actes de la vie courante, conformément aux protocoles de soins élaborés avec l'équipe soignante, dès lors que, compte tenu de la nature du médicament, le mode de prise ne présente ni difficulté d'administration ni d'apprentissage particulier ; qu'en retenant, pour considérer que l'exclusion de D... de la micro-crèche, en raison de son état de santé, n'était pas fautive, que l'aide accordée à un enfant de moins de 6 ans pour la prise d'un médicament ne pouvait pas être effectuée par un personnel non médical, sans rechercher si, compte tenu de la nature du médicament, le mode de prise présentait une difficulté d'administration ou un apprentissage particulier, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles L. 4161-1, R. 4311-5, R. 4311-7 du code de la santé publique, 1240 du code civil, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
10. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. V... H..., Mme O... Q... épouse H..., agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de D... H..., et l'association Epilepsie-France de leurs demandes, alors :
« 1°/ qu'une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision ; que l'article L. 4161-1 du code de la santé publique, en ce qu'il interdit aux personnels non médicaux d'aider les enfants de moins de 6 ans à prendre le traitement que leur a prescrit un médecin, quand bien même, compte tenu de la nature du médicament, le mode de prise ne présente ni difficulté d'administration ni d'apprentissage particulier, et en ce qu'il prive, subséquemment, ces enfants de l'accès aux micro-crèches ne comptant pas, au sein de leur effectif, de personnels médicaux, est inconstitutionnel ; que l'inconstitutionnalité qui sera prononcée à la suite de la question prioritaire de constitutionnalité présentée par mémoire distinct et motivé, privera l'arrêt attaqué de fondement juridique ;
2°/ que la jouissance du droit au respect de la vie privée et familiale doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur l'état de santé ; que l'article L. 4161-1 du code de la santé publique, combiné avec les articles R. 4311-5, R. 4311-7 du code de la santé publique, en ce qu'il interdit aux personnels non médicaux d'aider les enfants de moins de 6 ans à prendre le traitement que leur a prescrit un médecin, quand bien même, compte tenu de la nature du médicament, le mode de prise ne présente ni difficulté d'administration ni d'apprentissage particulier, crée, dans l'accès aux micro-crèches qui ne comptent pas obligatoirement, au sein de leur effectif, un personnel médical, une différence de traitement discriminatoire entre les enfants de moins de 6 ans, fondée sur leur état de santé ; qu'en fondant sa décision sur ces dispositions, qui méconnaissent les articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel a méconnu les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
11. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. V... H..., Mme O... Q... épouse H..., agissant en leur nom personnel et en qualité de représentants légaux de D... H..., et l'association Epilepsie-France de leurs demandes, alors ;
« 1°/que la jouissance du droit au respect de la vie privée et familiale doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur l'état de santé ; que la cour d'appel a relevé que l'enfant D..., atteinte d'épilepsie, n'avait fait l'objet que d'une seule crise, durant la période d'un an et demi, durant laquelle elle a été accueillie au sein de la micro-crèche et que ses autres crises, intervenues hors de l'établissement, avaient été brèves et avaient cédé devant la prise du [...] ; qu'il résulte par ailleurs des pièces du dossier que le [...] se verse dans la bouche de l'enfant, au moyen d'une dosette déjà préparée, de sorte que son administration ne pose aucune difficulté particulière ni ne nécessitait aucun apprentissage particulier ; que dès lors, l'exclusion de D... de la micro-crèche en raison de l'absence de personnel médical au sein de l'établissement, constitue une différence de traitement, fondée sur son état de santé, qui porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et, en particulier, à son droit au développement personnel et à son droit d'entretenir des rapports avec d'autres enfants et le monde extérieur ; que dès lors, en excluant toute faute, la cour d'appel a méconnu les articles 8 et 14 de la Convention des droits de l'homme ;
2°/ que dans toutes les décisions qui le concernent, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; que la cour d'appel a relevé que D..., atteinte d'épilepsie, n'avait fait l'objet que d'une seule crise, durant la période d'un an et demi, durant laquelle elle a été accueillie au sein de la micro-crèche et que ses autres crises, intervenues hors de l'établissement, avaient été brèves et avaient cédé devant la prise du [...] ; qu'il résulte par ailleurs des pièces du dossier que le [...] se verse dans la bouche de l'enfant, au moyen d'une dosette déjà préparée, de sorte que son administration ne pose aucune difficulté particulière ni ne nécessitait aucun apprentissage particulier ; que l'exclusion, dans ces conditions, de la micro-crèche, de l'enfant D..., en raison de l'absence de personnel médical au sein de l'établissement, porte atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant, qui commandait, dans ces circonstances, qu'elle puisse être accueillie au sein de cette micro-crèche ; qu'en écartant toute faute à cet égard, la cour d'appel a méconnu l'article 3 de la Convention internationale sur les droits de l'enfant. »
Réponse de la Cour
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
12. La Cour de cassation ayant, par arrêt en date du 28 janvier 2020, dit n'y avoir lieu à renvoi au Conseil constitutionnel, de la question prioritaire de constitutionnalité, le grief est devenu sans objet.
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches
13. Pour exclure toute faute civile à l'encontre des intimés, l'arrêt attaqué énonce que le recrutement d'une éducatrice jeunes enfants, en remplacement de la précédente référente technique qui était infirmière médicale, a satisfait aux prescriptions du code de la santé publique qui ne comportent pas d'obligation d'embaucher un personnel médical comme référent technique dans une microcrèche. Ils en déduisent que l'argument des parties civiles selon lequel ce recrutement aurait eu pour but de nuire à l'accueil de D... H... au sein de cet établissement ne repose sur aucun élément tangible.
14. Les juges ajoutent que les parents ont exprimé le souhait de placer leur enfant à plein temps dans l'établissement au moment où l'absence de personnel médical posait le problème de la mise en application du dernier projet d'accueil individualisé qui prévoyait, en cas de crises, l'administration d'un médicament. Ils précisent que la décision de refus a fait l'objet de débats préalables et qu'en particulier une réunion organisée avec l'ensemble des autorités compétentes n'a pas permis de trouver de solution de nature à préserver la santé et la sécurité de l'enfant, le dernier avis du médecin référent indiquant que, faute de disposer sur place d'une personne habilitée à délivrer un traitement d'urgence, sans accord préalable du SAMU alors que la réaction doit être immédiate, il n'est plus légalement possible de poursuivre l'accueil.
15. La cour d'appel retient enfin que la décision a été prise en fonction de la législation actuelle rappelée dans une note de la direction des interventions sociales du conseil général du Gard indiquant que les personnels des établissements d'accueil du jeune enfant sont tenus d'exercer dans le respect de la réglementation qui réserve aux seuls médecins et infirmiers l'administration de médicaments aux enfants de moins de 6 ans. Elle précise que les principes énoncés par le Conseil d'Etat dans un avis du 9 mars 1999 et une circulaire du ministre de la santé du 4 juin 1999, selon lesquels l'aide à la prise de médicament doit être considérée comme un acte de la vie courante et peut être confiée à une personne chargée de l'aide aux actes de la vie courante, ne peuvent s'appliquer aux établissements d'accueil du jeune enfant et aux professionnels de la petite enfance dans la mesure où la jurisprudence sur le discernement de l'enfant ne permet pas d'assimiler un enfant de moins de 6 ans à une personne malade capable habituellement d'accomplir seule le geste de prendre des médicaments et exclut donc la qualification d'acte de la vie courante.
16. La cour d'appel en conclut qu'aucune faute civile n'est caractérisée à l'encontre des intimés qui ont agi dans le cadre strict de la législation actuelle.
17. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a fait une exacte application des dispositions du code de la santé publique qui déterminent les conditions dans lesquelles doit s'opérer la prise de médicaments au regard des dispositions pénales réprimant l'exercice illégal de la médecine, a justifié sa décision.
18. D'où il suit que le moyen doit être écarté.
Sur le deuxième moyen pris en sa première branche et sur le troisième moyen
19. Les parties civiles n'ont pas soutenu devant la cour d'appel que le refus, par la micro-crèche, de poursuivre l'accueil de D... H... aurait constitué, au regard des caractéristiques tant de son âge et de son état de santé que du médicament qui doit lui être administré en cas de crise, une différence de traitement fondée sur l'âge et l'état de santé et aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et à l'intérêt supérieur de l'enfant.
20. Les griefs, nouveaux et mélangés de fait, sont comme tels irrecevables.
21. Les moyens doivent donc être écartés.
22. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. et Mme H... et l'association Epilepsie-France devront payer à M. Y... W... en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. et Mme H... et l'association Epilepsie-France devront payer à l'association Fédération Présence 30 en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit septembre deux mille vingt.