LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 octobre 2020
Cassation partielle
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 608 FS-P+B
Pourvoi n° H 19-14.388
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 7 OCTOBRE 2020
Mme E... O..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° H 19-14.388 contre l'arrêt n° RG : 18/06787 rendu le 15 novembre 2018 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (2e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société JSA, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , prise en la personne de M. T... X... en qualité de liquidateur judiciaire de la société [...],
2°/ à Mme R... B..., épouse L..., domiciliée chez M. H... W..., [...] ,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de Mme O..., de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société JSA, ès qualités, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 septembre 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Graff-Daudret, Vaissette, Bélaval, Fontaine, Fevre, M. Riffaud,conseillers, M. Guerlot, Mmes Brahic-Lambrey, Kass-Danno, Tostain, Bessaud, M. Boutié, Mme Bellino, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 15 novembre 2018, RG : n° 18/06787) et les productions, la société [...] est propriétaire de droits et biens immobiliers dépendant d'un ensemble sis à [...]. En 2008, dans le cadre de son activité de gestion, d'administration et d'exploitation de cet immeuble, elle a acquis de son associé unique, M. O... un appartement qu'elle a loué, sous le régime des locations de logement meublé, à l'épouse de cet associé, Mme O..., à compter 1er décembre 2014, pour une durée d'un an, moyennant un loyer mensuel de 1 100 euros, charges incluses. Ce bail a été reconduit tacitement depuis lors.
2. Un jugement du tribunal de commerce de Grasse, rendu le 22 février 2017, a étendu à la société [...] la liquidation judiciaire ouverte le 9 novembre 2015 contre de la société Nouvelle vignette haute, la société JSA étant désignée en qualité de liquidateur.
3. Estimant qu'il était nécessaire de procéder à la réalisation d'actifs de la société [...] non grevés de baux manifestement anormaux selon lui, le liquidateur a saisi le juge-commissaire d'une requête tendant à obtenir la résiliation du bail conclu avec Mme O..., sur le fondement de l'article L. 641-11-1, IV, du code de commerce. Le juge-commissaire ayant accueilli cette demande, Mme O... a formé un recours contre son ordonnance et demandé le rejet de la demande de résiliation du liquidateur.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Mme O... fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation du bail d'habitation la liant à la société [...], alors que « les dispositions de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs prévoient un certain nombre de garanties relatives à la résiliation du bail d'habitation, permettant de garantir les droits du locataire, notamment un délai de préavis de trois mois à compter de la notification du congé, lequel doit être motivé ; qu'en écartant cette loi au motif que les dispositions de l'article L. 641-11-1 du code de commerce, relatives à la procédure de liquidation judiciaire, sont dérogatoires du droit commun, pour confirmer l'ordonnance du juge-commissaire ayant prononcé la résiliation du bail d'habitation conclu entre la société [...] et Mme O..., la cour d'appel a violé l'article 25-8 de la loi du 6 juillet 1989, ensemble l'article 25-3 de cette loi, par refus d'application. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 25-8 de la loi du 6 juillet 1989 et l'article L. 641-11-1, IV, du code de commerce :
6. Il résulte du premier de ces textes que lorsque le bailleur entend résilier un bail portant sur un logement meublé relevant des dispositions d'ordre public de la loi du 6 juillet 1989 pour vendre le logement donné à bail, il doit, en respectant un délai de préavis de trois mois, délivrer un congé qui, à peine de nullité, doit être motivé par sa décision de vendre le logement. Le second de ces textes n'excluant pas l'application du premier en cas de liquidation judiciaire, il s'ensuit que, lorsque le bailleur est mis en liquidation judiciaire, le liquidateur qui entend céder de gré à gré et libre d'occupation le logement donné à bail est tenu de délivrer au locataire un congé pour vendre, en se conformant aux dispositions du premier texte.
7. Pour prononcer la résiliation du bail consenti à Mme O... par la société débitrice, l'arrêt retient que, les dispositions de l'article L. 641-11-1, IV du code du commerce étant dérogatoires au droit commun, celles-ci ne peuvent, à défaut de dispositions d'exception expressément mentionnées, céder devant les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 relatives au congé pour vendre.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que la juridiction compétente était le tribunal de commerce de Grasse, l'arrêt n° RG : 18/06787 rendu le 15 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société JSA, en qualité de liquidateur de la société [...], aux dépens ;
En application l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept octobre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour Mme O....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la juridiction compétente était le tribunal de commerce de Grasse et d'avoir infirmé le jugement du tribunal de commerce de Grasse du 28 mars 2018 ;
Aux motifs que « les ordonnances du juge commissaire rendues sur le fondement l'article L641-11 du code de commerce, pouvant, selon les dispositions de l'article R621-21 du même code, faire l'objet d'un recours devant le tribunal, c'est à dire en l'espèce, le tribunal de commerce de Grasse, c'est donc à tort que ce dernier s'est déclaré incompétent pour connaître du recours de l'ordonnance du juge commissaire du tribunal de commerce de Grasse en date du 13 septembre 2017 rendue sur le fondement des premières dispositions précitées.
Selon l'article L641-11-1 du code de commerce
..IV : A la demande du liquidateur, lorsque la prestation du débiteur ne porte pas sur le paiement des sommes d'argent, la résiliation est prononcée par le juge commissaire si elle est nécessaire aux opérations de liquidation et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du co-contractant.
S'agissant d'un contrat en cours au sens de l'article L641-11-1 précité, la requête en résiliation du contrat de location présentée par le liquidateur judiciaire, ressortait à la compétence du juge commissaire.
Il convient en conséquence, d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Grasse du 28 mars 2018 » ;
Alors que le tribunal d'instance a une compétence exclusive pour connaître des actions relatives à la résiliation d'un bail portant sur un immeuble à usage d'habitation ; qu'en jugeant, au contraire, que le juge-commissaire était compétent pour statuer sur la requête du liquidateur judiciaire de la société bailleresse, visant à résilier le contrat de bail d'habitation qu'elle avait conclu avec Mme O..., la cour d'appel a violé l'article R. 221-38 du code de l'organisation judiciaire.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement du tribunal de commerce de Grasse du 28 mars 2018 et d'avoir rejeté l'ensemble des demandes de Mme O..., confirmé l'ordonnance du 13 septembre 2017 en toutes ses dispositions, et prononcé la résiliation du bail d'habitation liant la société [...] à Mme O... ;
Aux motifs que « le liquidateur ayant notamment pour mission de réaliser les actifs de la SAS [...] dans les meilleurs délais et aux meilleures conditions, c'est à bon droit que le juge commissaire a fait droit à ses demandes de résiliation d'un bail conclu de façon évidente au détriment des intérêts de la société bailleresse eu égard à la sous-évaluation du montant de loyer consenti par des membres de l'entourage proche du locataire, et donc des créanciers alors qu'il est fait depuis interdiction à la SAS [...] de louer les lots dont elle est propriétaire.
Le prononcé par le juge commissaire de la résiliation du bail dans de telles circonstances ne revêt pas pour la locataire, qui ne le démontre pas, de conséquences manifestement excessives.
Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 641-11-1 du code de commerce étant dérogatoires au droit commun, celles-ci ne peuvent, à défaut de dispositions d'exceptions expressément mentionnées, recevoir exception au profit de la loi du 6 juillet 1989 relatives au congé pour vendre, hors champ d'application dudit article.
Il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance du juge commissaire en date du 13 septembre 2017 en toutes ses dispositions » ;
Et aux motifs éventuellement adoptés que « le locataire demeure à ce jour débiteur d'une créance de loyers impayés, en dépit de relances adressées par le Liquidateur les 24 mars et 14 avril 2017, en conséquence de quoi une procédure d'expulsion a été entreprise par ce même Liquidateur,
ATTENDU que la cession de cet actif immobilier, propriété de la société SAS [...], commande la résiliation du bail d'habitation conclu le 17 octobre 2014 entre cette dernière et Madame E... O..., afin que ce bien soit cédé vide de toute occupation,
ATTENDU que la résiliation du bail d'habitation en date du 17 octobre 2014 ne porte pas une atteinte excessive au co-contractant, ce dernier étant déjà l'objet d'une procédure d'expulsion suite à des loyers impayés » ;
Alors, d'une part, que les dispositions de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs prévoient un certain nombre de garanties relatives à la résiliation du bail d'habitation, permettant de garantir les droits du locataire, notamment un délai de préavis de trois mois à compter de la notification du congé, lequel doit être motivé ; qu'en écartant cette loi au motif que les dispositions de l'article L. 641-11-1 du code de commerce, relatives à la procédure de liquidation judiciaire, sont dérogatoires du droit commun, pour confirmer l'ordonnance du juge-commissaire ayant prononcé la résiliation du bail d'habitation conclu entre la société [...] et Mme O..., la cour d'appel a violé l'article 25-8 de la loi du 6 juillet 1989, ensemble l'article 25-3 de cette loi, par refus d'application ;
Alors, d'autre part, à titre subsidiaire, qu' à supposer même que la loi du 6 juillet 1989 s'efface devant les dispositions de l'article L. 641-11-1 du code de commerce, celui-ci prévoit que lorsque la prestation du débiteur ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent, la résiliation est prononcée par le juge-commissaire si elle est nécessaire aux opérations de liquidation et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant ; que la résiliation d'un bail d'habitation porte nécessairement une atteinte excessive aux intérêts du locataire personne physique dès lors que les garanties de la loi du 6 juillet 1989 se trouvent écartées ; qu'en retenant néanmoins que le prononcé de la résiliation du bail conclu entre la société [...] et Mme O..., par le juge-commissaire, n'emportait pas pour celle-ci de circonstances manifestement excessives, la cour d'appel a violé l'article L. 641-11-1 du code de commerce ;
Alors, de troisième part, à titre plus subsidiaire, que s'ils ne sont pas tenus d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, les juges du fond doivent néanmoins répondre à chacun de leur moyen ; qu'en l'espèce, pour faire valoir que la résiliation de son bail ne répondait pas aux besoins de la liquidation judiciaire, Mme O... soutenait que son loyer de 1.100 euros par mois correspondait à la valeur locative du bien loué compte tenu de son état de décrépitude, et des fortes disparités de rendement locatif suivant la période de la location pour une ville telle que [...] (conclusions, p. 12, § 7 et § 9) ; qu'en retenant que le bail avait été conclu au détriment de la société [...], sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.