LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° M 19-82.794 F-D
N° 2086
EB2
10 NOVEMBRE 2020
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 10 NOVEMBRE 2020
La société Comptoir Electrique Français a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 14 mars 2019, qui, pour tentative d'escroquerie, faux et usage de faux, l'a condamnée à 10 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Pauthe, conseiller, les observations de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Comptoir Electrique Français, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. K... Y..., et les conclusions de Mme Zientara-Logeay, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 septembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Pauthe, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 19 mars 2013, M. K... Y... a porté plainte auprès du procureur de la République de Mende (48) pour faux, usage de faux et escroquerie en exposant que devant le conseil de prud'hommes saisi d'une contestation de son licenciement intervenu en avril 2011, son employeur, la société Comptoir Electrique Français (CEF), avait produit au soutien de ses écritures deux notes de service en date des 16 novembre 2010 et 3 mars 2011, arguées de faux en ce que chacune d'elles supportait en marge des mentions manuscrites et sa signature attestant faussement de la connaissance qu'il avait eue de ces écrits.
3. Au vu de la plainte, le conseil de prud'hommes a sursis à statuer.
4. Dans le cadre de l'information ouverte, la société CEF a été mise en examen puis renvoyée devant le tribunal correctionnel des chefs précités par ordonnance du 27 mars 2017.
5. Par jugement du 1er février 2018, la société CEF a été déclarée coupable de ces faits, condamnée à 10 000 euros d'amende et sur les intérêts civils, condamnée à payer à M. N..., partie civile, une somme de 500 euros au titre du préjudice moral et une somme de 600 euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
6. La société Comptoir Electrique Français et M. N... ont interjeté appel de ce jugement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement déféré en ce qu'il avait déclaré la société Comptoir Electrique Français coupable de tentative d'escroquerie, de faux et d'usage de faux et ordonné la confiscation des scellés et d'avoir condamné la société Comptoir Electrique Français à une amende de 10 000 euros, alors :
« 1°/ que les personnes morales ne sont pénalement responsables que des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ; que la responsabilité pénale de la personne morale ne peut dès lors être retenue si l'auteur des faits poursuivis n'est pas identifié ; qu'en déclarant la société Comptoir Electrique Français coupable des faits de tentative d'escroquerie, de faux et d'usage de faux, pour lesquels elle était poursuivie, après avoir pourtant constaté que l'information judiciaire n'avait pas permis l'identification de l'auteur des faux, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquence légales de ses constatations, s'est contredite et a violé l'article 121-2 du code pénal ;
2°/ qu'à supposer que la responsabilité pénale de la personne morale puisse, par exception, être retenue sans que l'auteur des faits n'ait été précisément identifié, c'est à la condition qu'il soit établi, avec certitude, que les faits n'ont pu être commis, pour son compte, que par ses organes ou représentants ; qu'en l'espèce, pour retenir que la falsification des notes de service avait nécessairement été réalisée, pour son compte, par un organe ou un représentant de la société Comptoir Electrique Français, la cour d'appel s'est bornée à relever que la société avait, davantage que le salarié, intérêt à établir des faux, de sorte qu'il importait peu que l'auteur des faits n'ait pu être identifié ; qu'en statuant de la sorte, par des considérations, tirées de l'intérêt de la société à la commission des infractions, impropres à établir avec certitude que les falsifications litigieuses n'avaient pu être commises que par l'un de ses organes ou représentants, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 121-2 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 121-2 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
8. Selon le premier de ces textes, les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121 -7 du même code, des infractions commises pour leur compte, par leurs organes ou représentants.
9. Selon le second texte, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
10. Pour déclarer la société CEF coupable de faux, usage de faux et tentative d'escroquerie, l'arrêt attaqué, après avoir énoncé qu'il n'est pas exigé d'identifier avec précision l'auteur des faits constitutifs du délit dés lors que l'infraction n'a pu être commise, pour le compte de la personne morale, que par les organes ou représentants de celle-ci, énonce que la matérialité des faits n'est pas contestée par la prévenue, ainsi que les conclusions de l'expertise en écriture et signature, qu'il est acquis que les deux notes de service litigieuses signées par M. H... P..., directeur régional de la société CEF, comportent des mentions manuscrites attribuées à M. Y... qui sont un montage par reproduction, et qu'elles ont été produites par la société au cours de l'instance au fond l'opposant à M. Y... devant le conseil de prud'hommes de Mende.
11. Les juges relèvent qu'eu égard aux contradictions successives ressortant des auditions des membres du personnel de la société CEF, il ne saurait être utilement soutenu que ce salarié a effectivement eu connaissance de l'existence et partant du contenu des dites notes.
12. Ils ajoutent qu'une telle connaissance ne saurait davantage être déduite du fait que M. Y... n'a pas réagi immédiatement à la réception de la lettre de licenciement.
13. Ils relèvent qu'aucun élément tiré du dossier ou produit en cause d'appel ne permet de démontrer que les faux ont été réalisés par M. Y..., et qu'au contraire la société CEF avait tout intérêt à utiliser les notes arguées de faux pour asseoir, dans le cadre de l'instance prud'homale, les griefs articulés à son encontre.
14. Ils en déduisent que les faits poursuivis ont été commis pour le compte de la société CEF et nécessairement par ses organes ou représentants au sens de l'article 121-2 du code pénal.
15. En se déterminant ainsi, par des motifs qui n'identifient pas l'organe ni la ou les personnes physiques représentant la personne morale qui auraient établi les faux ou auraient fait usage des documents litigieux en connaissance de leur caractère falsifié pour le compte de cette personne morale, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les deux autres moyens, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nîmes, en date du 14 mars 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nîmes autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nîmes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix novembre deux mille vingt.