LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 25 novembre 2020
Cassation partielle
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 691 F-D
Pourvoi n° W 18-26.219
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 NOVEMBRE 2020
La société Margot, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° W 18-26.219 contre l'arrêt rendu le 6 novembre 2018 par la cour d'appel de Poitiers (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Corbion, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , exerçant sous l'enseigne Alarcon métal, défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Margot, de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de la société Corbion, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 octobre 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué, statuant en matière de référé (Poitiers, 6 novembre 2018), le 8 avril 2016, la société Corbion, entreprise de serrurerie et de métallerie, et la société Margot, maître de l'ouvrage, ont conclu un marché de travaux privés, pour le lot n° 6B - serrurerie métallerie - dans le cadre de la rénovation d'un ensemble immobilier et sa transformation en un hôtel quatre étoiles.
2. Invoquant le non-respect des délais contractuels, la société Margot a déduit une somme de 6 000 euros de la situation n° 2 de travaux du 28 juillet 2016 qu'elle payait.
3. La société Corbion a assigné la société Margot en référé en paiement, notamment, d'une provision au titre du remboursement des pénalités de retard indûment retenues. La société Margot a présenté une demande reconventionnelle de livraison et installation de quatre jardinières manquantes.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La société Margot fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Corbion la somme de 6 000 euros au titre des pénalités indûment retenues, alors « que dans le cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge statuant en référé peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution d'une obligation ; qu'en ordonnant la restitution de la retenue pour pénalité de retard quand la société Margot faisait valoir qu'une expertise avait été ordonnée à sa demande le 5 avril 2018 par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de La Rochelle destinée à déterminer notamment les responsabilités dans le retard de chantier, la cour d'appel a tranché une contestation sérieuse en violation de l'article 873 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 873 du code de procédure civile :
6. Selon le second alinéa de ce texte, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
7. Pour condamner la société Margot au paiement d'une provision de 6 000 euros, l'arrêt constate le peu de cohérence de certains documents versés aux débats puis retient qu'à la lecture des pièces contractuelles, il n'est pas établi que l'obligation de livraison ait pu exister avant la date du 8 juillet 2016 et qu'en outre, si les modalités pour retard d'exécution sont effectivement prévues à la page 11 du contrat, les modalités de calcul des pénalités ne sont pas expliquées par la société Margot.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a tranché une contestation sérieuse, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant l'ordonnance, il condamne la société Margot à payer à titre de provision à la société Corbion la somme de 6 000 euros au titre des pénalités indûment retenues, l'arrêt rendu le 6 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Limoges ;
Condamne la société Corbion aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Margot.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué, rendu en référé, d'avoir condamné la société Margot à payer à la société Corbion la somme de 6000 euros au titre des pénalités indument retenues ;
AUX MOTIFS QUE sur l'objet du litige l'article 808 du Code de procédure civile dispose que : « Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. » L'urgence justifie la saisine du juge des référés sur le fondement de l'article 808, sous la réserve cumulative d'absence de contestation sérieuse ou d'existence d'un différend. A contrario, l'absence d'urgence justifie le rejet de la demande, sans que le Juge ait à inviter les parties à s'en expliquer plus avant. L'article 809 du Code de procédure civile dispose que : « Le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans tous les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ». Les articles 872 et 873 du code de procédure civile prévoient les mêmes dispositions d'agissant du Président du tribunal de commerce statuant en référé. Le juge des référés peut ainsi intervenir même en présence d'une contestation sérieuse pour ordonner les mesures qui s'imposent lorsqu'il constate l'existence d'un trouble manifestement illicite ou d'un dommage sur le point de survenir. Le trouble manifestement illicite peut se définir comme toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Il procède de la méconnaissance d'un droit, d'un titre ou, corrélativement, d'une interdiction les protégeant. Qu'il ressort du certificat de paiement n° 3 du 17/10/2016 que c'est la S.C.P. ABP Architectes, maître d'oeuvre, qui a procédé à la retenue de pénalités de retard à concurrence de 6 000 € TTC, précisant sur le certificat pour paiement n° 2 de la société Alarcon du 28 juillet 2016 : « pénalités provisoires 5000 HT € retard sur la pose du portail du portillon devant être posé avant le 8 juillet 2016 est posé le 28 juillet 2016 ». En son article 8-1, le marché signé par les parties stipule que le délai de réalisation des travaux est de quinze semaines à compter de la date fixée par l'ordre de service, avec un démarrage des travaux à la signature du présent contrat, étant précisé que l'ouverture de l'établissement à la clientèle était prévue le 8 juillet 2016. Il convient toutefois de relever comme le premier juge le peu de cohérence de certains documents versés aux débats. Ainsi, l'ordre de service n°1 prévoyant le démarrage des travaux pose la date du 01/04/2016 comme date de démarrage, alors que cet ordre n'a été signé que postérieurement, soit le 08/04/2016. De même, s'il est soutenu que le motif des pénalités de retard serait la pose du portail et du portillon intervenue le 28/07/2016 au lieu du 08/07/2016, il n'est pas établi à lecture des pièces contractuelles que l'obligation de livraison, après début de chantier au plus tôt le 08/04/2016 alors que l'ordre de service n° 1 n'a été reçu par la société Alarcon Métal que le 17/05/2016, puisse exister avant 15 semaines, l'établissement ouvrant en définitive le 29/07/2016. La date du 08/07/2016 ne peut alors être retenue. En outre, si les pénalités pour retard d'exécution sont effectivement prévues à la page 11 du contrat, les modalités de calcul des pénalités appliquées à la société Corbion ne reçoivent pas explication. En l'absence de justification de la retenue pratiquée, il convient de relever que la SARL Margot ne peut soutenir, sans contestation sérieuse, le maintien de la retenue pratiquée. L'ordonnance critiquée sera confirmée en ce qu'elle l'a condamnée au paiement de la somme de 6000 € au titre des pénalités indument retenues.
ET AUX MOTIFS éventuellement adoptés de l'ordonnance déférée que la société Margot ne prouve pas le préjudice qu'elle a subi du fait de l'absence de pose des portails et portillons alors que la commission de sécurité n'a autorisé l'ouverture de l'établissement au public qu'à l'issue de sa visite du 29 juillet 2016 soit postérieurement à la pose des ouvrages de serrurerie ;
1°- ALORS QUE dans le cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge statuant en référé peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution d'une obligation ; qu'en ordonnant la restitution de la retenue pour pénalité de retard quand la société Margot faisait valoir (conclusions p. 11) qu'une expertise avait été ordonnée à sa demande le 5 avril 2018 par le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de la Rochelle destinée à déterminer notamment les responsabilités dans le retard de chantier, la Cour d'appel a tranché une contestation sérieuse en violation de l'article 873 du code de procédure civile ;
2°- ALORS lors en toute hypothèse qu'en ne répondant pas aux conclusions de la société Margot qui invoquait une contestation sérieuse résultant de l'expertise en cours notamment sur les retards de chantier, la Cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°- ALORS QU'à supposer que l'existence d'une expertise en cours destinée à déterminer les responsabilités dans le retard de chantier ne soit pas exclusive de la compétence du juge des référés, en ordonnant la restitution à la société Alarcon Métal de la retenue pour pénalité de retard, en raison de l'absence prétendue de justification de la retenue pratiquée, sans qu'il résulte de ses constatations que le portail et le portillon avaient été livrés à la date convenue, la Cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'une obligation non sérieusement contestable de restituer cette pénalité à la société Alarcon Métal et partant a violé l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile ;
4°- ALORS QU'il résulte de l'article 8-2-1 du marché de travaux qui fait la loi des parties que tout retard dans l'exécution constaté par le maître d'oeuvre par rapport au calendrier d'exécution contractuel fera l'objet de l'application d'une pénalité d'un montant de 1/1000ème du montant du marché TTC avec un minimum de 1500 euros TTC par jour calendaire de retard à chaque entreprise et par tâche de réalisation concernée ; qu'ainsi les pénalités de retard n'étaient pas subordonnées à la preuve d'un préjudice résultant du retard sur le calendrier d'exécution contractuel ; qu'en se fondant pour ordonner la restitution des pénalités, sur l'absence de preuve d'un préjudice, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué, rendu en référé, d'avoir débouté la société Margot de sa demande reconventionnelle tendant à voir condamner la société Corbion à lui livrer les 4 jardinières manquantes et à les installer à l'[...] sous astreinte ;
AUX MOTIFS QUE la SARL Margot sollicite reconventionnellement la condamnation de la société Corbion exerçant sous l'enseigne Alarcon Métal à lui livrer les 4 jardinières manquantes et à les installer à l'[...] sous astreinte de 300 € par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir. Toutefois, il ne peut être soutenu que n'existe pas sur ce point une contestation sérieuse, alors qu'il appartient à la SARL Margot de démontrer l'existence de l'obligation contractuelle de la SARL Corbion, incertaine au vu des éléments contractuels versés aux débats. Dans ces circonstances, les dispositions des articles 872 et 873 du code de procédure civile ne peuvent recevoir application, la SARL Margot devant être déboutée de sa demande ;
ALORS QU'en énonçant que l'obligation contractuelle de la société Corbion serait incertaine au vu des éléments contractuels versés aux débats et par conséquent sérieusement contestable, sans rechercher comme elle y était invitée si les dernières conclusions de la société Corbion devant le Tribunal (ses conclusions d'appel ayant été déclarées irrecevables), par lesquelles elle admettait que les jardinières prévues au devis ont été fabriquées et posées à l'exception de trois ou quatre jardinières à roulettes dont elle faisait valoir qu'elles étaient enfin à la disposition de la société Margot, n'étaient pas exclusives d'une contestation sérieuse, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 et 873 du code de procédure civile.