LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 janvier 2021
Rejet
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 53 F-D
Pourvoi n° M 18-21.702
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 20 JANVIER 2021
1°/ M. O... X...,
2°/ Mme S... L..., épouse X...,
domiciliés tous deux [...], [...],
ont formé le pourvoi n° M 18-21.702 contre l'arrêt rendu le 29 septembre 2016 par la cour d'appel de Caen (2e chambre civile et commerciale), dans le litige les opposant :
1°/ à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) de Normandie, dont le siège est [...], [...],
2°/ à la Société fiduciaire Nord Picardie (SFNP), société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , exerçant sous l'enseigne société Groupe SFNP, venant aux droits de la société Auxiliaire de recouvrement de créances (AURECO),
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fevre, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. et Mme X..., de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de la Société fiduciaire Nord Picardie, de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie, après débats en l'audience publique du 24 novembre 2020 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Fevre, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 29 septembre 2016), la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie (la banque) a consenti, le 5 janvier 2008, à M. et Mme X... un prêt de trésorerie de 285 000 euros, d'une durée de douze mois, remboursable en une seule échéance qui n'a pas été payée.
2. La banque ayant cédé sa créance à la société Aureco qui a signifié cette cession aux débiteurs, le 27 mai 2011, cette dernière a assigné en paiement M. et Mme X... qui ont, le 24 janvier 2013, assigné la banque en intervention forcée pour rechercher sa responsabilité.
Recevabilité du pourvoi contestée par la défense
Vu l'article 612 du code de procédure civile :
3. Selon ce texte, le délai du pourvoi en cassation est de deux mois.
4. Il résulte des pièces de la procédure que l'arrêt attaqué a été signifié le 3 novembre 2016 par la banque à M. et Mme X....
5. En conséquence, le pourvoi, formé le 21 août 2018, n'est pas recevable contre la banque.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. M. et Mme X... font grief à l'arrêt de déclarer prescrite leur action à l'encontre de la banque et de les condamner en conséquence à paiement envers la société Aureco, alors « que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que les époux X... recherchaient la responsabilité de la banque en invoquant une faute de gestion, constitué par un soutien abusif, et un manquement à son devoir de conseil ; qu'en décidant que l'action en responsabilité des époux X... était prescrite aux motifs que "le manquement à l'obligation de conseil ou de mise en garde se manifeste dès l'octroi du crédit", sans rechercher la date de manifestation du dommage résultant de la faute de gestion constituée par le soutien abusif, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce dans rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008. »
Réponse de la Cour
7. Ce moyen, qui critique vainement, en raison de l'irrecevabilité du pourvoi formé par M. et Mme X... contre la banque, les motifs par lesquels l'arrêt a confirmé le jugement ayant déclaré prescrite leur action en responsabilité contre celle-ci, est inopérant à l'égard de la société Aureco.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. M. et Mme X... font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à payer à la société Aureco la somme de 332 695,72 euros avec intérêts au taux contractuel de 6,15 % à compter du 1er avril 2011 jusqu'à parfait règlement et de dire que les intérêts échus du capital produiront également des intérêts dès lors qu'ils seront dûs au moins pour une année entière, alors « que, dans le transport d'une créance, la délivrance s'opère entre le cédant et le cessionnaire par la remise matérielle du titre ; qu'en l'espèce, les époux X... faisaient valoir que la banque ne pouvait justifier d'aucun titre et par voie de conséquence d'aucun original ; qu'en décidant que "les dispositions de l'article 1689 du code civil ont été respectées dès lors que le titre à savoir l'acte de prêt a été remis à la SAS Aureco qui le verse aux débats", sans constater si l'exigence de la remise de l'original de l'acte de prêt avait été respectée, la cour d'appel a violé l'article 1689 du code civil dans rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
9. Le débiteur cédé serait-il fondé à contester, non seulement l'opposabilité de la cession de la créance à son égard, mais aussi l'existence même de la délivrance de la créance par le cédant au cessionnaire, les énonciations de l'arrêt, aux termes duquel les dispositions de l'article 1689 du code civil prévoyant que la délivrance s'opère entre eux par la remise du titre avaient été respectées, et ses constatations, selon lesquelles l'acte de prêt avait été remis à la société Aureco qui le verse aux débats, suffisent à établir que le transport de la créance a eu lieu.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DÉCLARE irrecevable le pourvoi de M. et Mme X... en ce qu'il est dirigé contre la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie ;
REJETTE le pourvoi de M. et Mme X... en ce qu'il est dirigé contre la Société fiduciaire Nord Picardie exerçant sous l'enseigne SAS Groupe SFNP venant aux droits de la société Aureco ;
Condamne M. et Mme X... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme X... et les condamne à payer à la Société fiduciaire Nord Picardie exerçant sous l'enseigne Groupe SFNP, venant aux droits de la société Aureco, la somme de 3 000 euros et à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel de Normandie la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt janvier deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir déclaré prescrite l'action des époux X... à l'encontre de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE, de les avoir solidairement condamnés à payer à la société AURECO la somme de 332 695,72 euros avec intérêts au taux contractuel de 6,15% à compter du 1er avril 2011 jusqu'à parfait règlement et d'avoir dit que les intérêts échus du capital produiront également des intérêts dès lors qu'ils seront dus au moins pour une année entière ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE les époux O... X... soutiennent que la CRCAM de Normandie, en leur accordant, sans étude préalable, un prêt d'un montant manifestement disproportionné à leurs possibilités financières, a commis une faute de gestion et manqué à son devoir de conseil, engageant ainsi sa responsabilité quasi-délictuelle ; qu'ils contestent les dispositions ayant déclaré prescrite leur action en faisant valoir que le point de départ de la prescription est la date de la manifestation du dommage qui est celle de l'exigibilité du prêt ; que les premiers juges qui ont fait une exacte application des dispositions des articles L. 110-4 du code du commerce et 2224 du code civil, ont justement retenu que le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de conseil ou de mise en garde se manifeste dès l'octroi du crédit ; que l'action en responsabilité qui est contractuelle, ayant été engagée le 24 janvier 2013 donc plus de cinq années après l'acceptation du prêt, a été à juste titre déclarée prescrite ; que la demande des époux O... X... tendant à être réservés à solliciter la réparation de leur préjudice est par suite dénuée d'intérêt et irrecevable ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE les époux X... soutiennent que leur engagement était manifestement disproportionné eu égard à leurs possibilités financières et ils reprochent à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE d'avoir manqué à son obligation de conseil sur ce point lors de la conclusion du contrat de prêt du 5 janvier 2008 ; que la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE soutient que l'action des époux X... à son encontre est irrecevable en raison de la prescription ; qu'il résulte des dispositions de l'article L. 110-4 du code de commerce que les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ; que le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de conseil consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste dans l'octroi des crédits de sorte que le délai de prescription court à partir de cette date ; qu'en l'espèce, le prêt a été accepté par les époux X... le 5 janvier 2008 de sorte que le délai de prescription applicable à leur action a débuté à cette date ; qu'ils ont fait assigner la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE le 24 janvier 2013 alors que le délai de prescription quinquennal était expiré ; que l'action des époux X... à l'encontre de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE est donc prescrite ;
ALORS QUE la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que les époux X... recherchaient la responsabilité de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE en invoquant une faute de gestion, constitué par un soutien abusif, et un manquement à son devoir de conseil ; qu'en décidant que l'action en responsabilité des époux X... était prescrite au motifs que « le manquement à l'obligation de conseil ou de mise en garde se manifeste dès l'octroi du crédit », sans rechercher la date de manifestation du dommage résultant de la faute de gestion constituée par le soutien abusif, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce dans rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Le moyen fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir condamné solidairement les époux X... à payer à la société AURECO la somme de 332 695,72 euros avec intérêts au taux contractuel de 6,15% à compter du 1er avril 2011 jusqu'à parfait règlement et d'avoir dit que les intérêts échus du capital produiront également des intérêts dès lors qu'ils seront dus au moins pour une année entière ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE les appelants contestent les dispositions ayant prononcé leur condamnation au profit de la société AURECO ; qu'ils soutiennent que la cession de créance dont se prévaut cette dernière est dénuée de fondement et ne respecte pas le formalisme prévu par les articles 1689 et 1690 du code civil ; qu'il est établi par le bordereau annexé à l'acte de cession de créance du 31 décembre 2010 conclu entre la CRCAM de Normandie et la société AURECO que ladite cession a notamment porté sur la créance résultant du prêt consenti le 5 janvier 2008 aux époux O... X... ; que les dispositions de l'article 1689 du code civil ont été respectées dès lors que le titre à savoir l'acte de prêt a été remis à la société AURECO qui le verse aux débats ; que la cession de créance a été notifiée par cette dernière aux époux O... X... par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 9 février 2011 puis signifiée par acte d'huissier de justice en date du 27 juin 2011 ; que les premiers juges ont à juste titre retenu que cette signification qui n'avait pas à porter sur l'intégralité de l'acte de cession de créance, assurait une information suffisante au regard des exigences de l'article 1690 du code civil de sorte que la cession est opposable aux époux O... X... ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE les documents produits à la procédure prouvent que par acte sous seing privé du 31 décembre 2010, la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE a cédé les créances qu'elle avait à l'égard des époux X... à la société AURECO ; que les époux X... soutiennent que le contrat de cession aurait dû leur être signifié dans son intégralité ; qu'il a appert que la cession de créance a été portée à la connaissance des époux X... tant par lettre recommandée avec avis de réception réceptionnée le 9 février 2011 que par la signification par huissier de justice réalisée le 27 juin 2011 ; qu'il était alors clairement indiqué aux époux X... la nature de la créance, son montant et son origine ainsi que l'identité exacte du nouveau créancier ; que l'huissier a ainsi signifié un certificat de cession détaillé ; qu'il n'était pas nécessaire de faire signifier au débiteur le contenu complet du contrat de cession qui ne concernait que la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE et la société AURECO ; que dans leurs conclusions, les époux X... indiquent que « l'acte sous seing privé du 31 décembre 2010, sur le fondement hasardeux duquel la cession frauduleuse de créance est intervenue n'est pas communiqué » ; que l'appréciation de « cession frauduleuse » n'est nullement justifiée ; qu'en outre, la société AURECO a transmis en pièce n° 31 le contrat de cession et le bordereau annexé reprenant l'intégralité des créances transmises, dont celle à l'égard des époux X... ; que la mention de nombreuses autres créances à l'égard d'autres clients identifiés justifiait d'autant plus son choix de ne pas faire signifier le contrat de cession de créance et ses annexes ; que la cession de créance est par conséquent opposable aux époux X... ; que par l'effet de cette cession de créance valablement portée à la connaissance des débiteurs, la société AURECO est subrogée dans l'ensemble des droits de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE à leur égard, comprenant le droit de remboursement du principal, des intérêts, des frais et accessoire ainsi que des garanties, sûretés et privilèges attachés à chacune des créances ;
ALORS QUE dans le transport d'une créance la délivrance s'opère entre le cédant et le cessionnaire par la remise matérielle du titre ; qu'en l'espèce, les époux X... faisaient valoir que la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE NORMANDIE ne pouvait justifier d'aucun titre et par voie de conséquence d'aucun original ; qu'en décidant que « les dispositions de l'article 1689 du code civil ont été respectées dès lors que le titre à savoir l'acte de prêt a été remis à la SAS AURECO qui le verse aux débats », sans constater si l'exigence de la remise de l'original de l'acte de prêt avait été respectée, la cour d'appel a violé l'article 1689 du code civil dans rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.