LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 janvier 2021
Rejet
Mme DARBOIS, conseiller le plus
ancien faisant fonction de président
Arrêt n° 67 F-D
Pourvoi n° S 18-16.279
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 27 JANVIER 2021
1°/ M. B... U..., domicilié [...] ,
2°/ la société EMC2, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
ont formé le pourvoi n° S 18-16.279 contre l'arrêt rendu le 28 février 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Signaux Girod, société anonyme, dont le siège est [...] ,
2°/ à la société Franche Comté signaux, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
3°/ à la société Signalisation France, société anonyme, dont le siège est [...] ,
4°/ à la société Aximum, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
5°/ à la société Lacroix signalisation, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
6°/ à la Société de Diffusion Lorraine (Sodilor), société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
7°/ à la société Nadia signalisation, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] ,
8°/ à la société 3M France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] ,
défenderesses à la cassation.
Les sociétés Signaux Girod, Signalisation France, Lacroix signalisation, 3M France et Société de Diffusion Lorraine ont, chacune, formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Les sociétés Franche Comté signaux et Aximum ont, chacune, formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La société Franche Comté signaux, demanderesse à un pourvoi incident, invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champalaune, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. U... et de la société EMC2, de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société Signalisation France et de la Société de Diffusion Lorraine, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Signaux Girod, de la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de la société 3M France, de Me Isabelle Galy, avocat de la société Franche Comté signaux, de Me Le Prado, avocat de la société Aximum, de la SCP Ortscheidt, avocat de la société Nadia signalisation, de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Lacroix signalisation, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er décembre 2020 où étaient présents Mme Darbois, conseiller le plus ancien faisant fonction de président, Mme Champalaune, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 février 2018), la société Equipements et Matériels pour Chantiers et Collectivités (la société EMC2), a été créée en 1993 par M. U..., lequel a occupé jusqu'en 1995 des fonctions de direction dans des sociétés du groupe Lacroix opérant dans le secteur de la signalisation routière. En 1997, elle a acquis une unité de production de produits de signalisation routière verticale, devenant fabriquant-revendeur de ces matériels, qu'elle a revendue en 2001. En 1999, elle a repris une activité de production de balises plastiques.
2. L'Autorité de la concurrence (l'Autorité) a, par décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 ne pouvant plus faire l'objet d'une voie de recours, sanctionné les huit principaux fabricants de panneaux de signalisation routière verticale, parmi lesquels les sociétés Lacroix signalisation, Signaux Girod, Franche Comté signaux, Nadia signalisation, Signalisation France et Aximum, pour avoir mis en place, entre 1997 et le 14 mars 2006, un cartel s'étant concrétisé par des répartitions de marchés publics selon des prix et des quotas fixés en commun, des pratiques d'exclusion de sociétés concurrentes jugées indésirables, figurant sur une « liste noire », et des remises décidées en commun vis à vis des acheteurs.
3. Par la même décision, l'Autorité a également sanctionné la Société de Diffusion Lorraine-Sodilor (la société Sodilor) pour un abus de position dominante commis de 2001 à 2007 sur le marché de fournitures d'équipements de sécurité et de balisage en matière plastique, pour avoir refusé d'approvisionner une société tierce en balises, ainsi que la société 3M France, active sur le marché des films plastiques rétro-réfléchissants utilisés dans la fabrication de panneaux, pour un abus de position dominante commis entre 2003 et 2005, consistant dans la mise en place d'un système d'accréditations et de remises discriminatoires visant à avantager les membres du cartel.
4. Les 13, 14, 15, 16 mars, 16 avril 2012 et 15 janvier 2013, la société EMC2 et M. U..., agissant à titre personnel, ont assigné, notamment, les sociétés Lacroix signalisation, Signaux Girod, Franche Comté signaux, Nadia signalisation, Signalisation France, Aximum, Sodilor et 3M France, en indemnisation du préjudice causé par les pratiques anticoncurrentielles sanctionnées par l'Autorité.
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième et troisième branches
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi incident de la société Franche Comté signaux, qui est préalable
Enoncé du moyen
6. La société France Comté signaux fait grief à l'arrêt de dire que l'action en responsabilité intentée par la société EMC2 et M. U... n'est pas prescrite, alors :
« 1°/ qu'aux termes de l'article 2270-1 ancien du code civil applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, le délai de prescription d'une action en responsabilité civile extracontractuelle, d'une durée de dix ans, commençait à courir à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il était révélé à la victime si celle-ci établissait qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont constaté que M. U... connaissait l'existence d'ententes dans le secteur de la signalisation verticale depuis 1987 et que l'administrateur judiciaire de la société EMC2 avait indiqué que cette société avait dès 1999 adapté sa politique commerciale pour contrevenir à l'entente litigieuse ; qu'en retenant que seule la décision de l'Autorité de la concurrence du 22 décembre 2010 décrivant le fonctionnement des pratiques anticoncurrentielles, leur durée et la participation respective de chacun des membres était de nature à permettre à la société EMC2 et à M. U... d'agir utilement en réparation, quand il s'évinçait de ses propres constatations que la première manifestation du dommage, point de départ de la prescription décennale à l'époque des faits, avait eu lieu en 1999 et que la société EMC2 et M. U... étaient dès cette date en mesure d'agir, peu important qu'ils n'aient pas eu une connaissance détaillée du fonctionnement du cartel, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2°/ qu'en toute hypothèse, aux termes de l'article 2224 du code civil issu de la loi du 17 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont constaté que M. U... connaissait l'existence d'ententes dans le secteur de la signalisation verticale depuis 1987 et que l'administrateur judiciaire de la société EMC2 avait indiqué que cette société avait dès 1999 adapté sa politique commerciale pour contrevenir à l'entente litigieuse ; qu'en retenant que seule la décision de l'Autorité de la concurrence du 22 décembre 2010 décrivant le fonctionnement des pratiques anticoncurrentielles, leur durée et la participation respective de chacun des membres était de nature à permettre à la société EMC2 et à M. U... d'agir utilement en réparation, quand il s'évinçait de ses propres constatations que le dommage s'était déjà manifesté en 1999 à la société EMC2 et M. U..., de sorte que la prescription avait commencé à courir à cette date, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
3°/ que subsidiairement, la société EMC2 et M. U... soutenaient dans leurs conclusions d'appel qu'ayant racheté en septembre 1997 une unité de production de produits de signalisation verticale, cette société était devenue "un concurrent à éliminer", et qu'elle avait été contrainte par les agissements du cartel de revendre à perte cette unité de production en juin 2001, reconnaissant ainsi qu'elle connaissait, au plus tard à cette date, l'existence du cartel litigieux et ses effets dommageables ; que la cour d'appel a constaté elle-même que le préjudice de la société EMC2 avait cessé en juin 2001 ; qu'il en résulte que le préjudice était entièrement réalisé à cette date et que M. U... et la société EMC2 avaient connaissance des faits leur permettant de l'exercer, de sorte que l'action en réparation intentée en mars 2012 était prescrite ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 2270-1 ancien et 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
7. L'arrêt retient d'abord, par motifs propres, qu'il ne peut s'inférer des fonctions assumées, antérieurement à 1995, par M. U... au sein de deux sociétés « pivots de l'entente », qu'il avait une connaissance de l'existence et du périmètre du cartel, organisé entre 1997 et le 14 mars 2006, entre les leaders du secteur et condamné par décision de l'Autorité du 22 décembre 2010 au titre duquel la réparation du préjudice est poursuivie, dès lors qu'aucune continuité ne peut être établie entre ce cartel et les pratiques antérieures ayant affecté le secteur entre 1994 et 1996 et condamnées par décision du Conseil de la concurrence du 4 février 2003. Il retient également, par motifs adoptés, que si M. U... ne pouvait pas ignorer l'existence d'un cartel pendant toute sa période d'activité, il a occupé pendant seulement trois mois les fonctions de directeur commercial régional d'une filiale de la société Signaux Girod, de sorte qu'il ne connaissait pas avec exactitude, le fonctionnement et tous les membres composant le cartel.
8. L'arrêt retient ensuite que la circonstance, relevée dans le rapport de l'administrateur judiciaire de la société EMC2, selon laquelle cette société avait, dès 1999, adapté sa politique commerciale pour résister à l'entente, n'établit pas qu'elle avait, à cette époque, une connaissance exacte des modalités du cartel et de ses membres, dépassant la simple rumeur.
9. L'arrêt retient enfin que seule la décision de l'Autorité du 22 décembre 2010 décrit le fonctionnement précis du cartel et des abus de position dominante en cause, leur durée et la participation de chacun de ses membres.
10. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la connaissance d'ententes préexistantes et distinctes ou celle, imprécise, du cartel en cause, ne permettait pas à M. U... et à la société EMC2 de déterminer si un préjudice leur avait bien été causé, et par quels opérateurs, et que seule la décision de l'Autorité avait révélé le dommage aux victimes et leur avait permis d'agir en réparation contre les auteurs identifiés de pratiques mises au jour, la cour d'appel a pu fixer le point de départ de la prescription à la date de la décision de l'Autorité, peu important que le dommage ait cessé avant cette date.
11. Le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus.
Sur le second moyen de ce pourvoi
Enoncé du moyen
12. La société Franche Comté signaux fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec les sociétés Signaux Girod, Lacroix signalisation, Aximum et Signalisation France, à payer à la société EMC2 la somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice de 1997 à juin 2001, alors « que l'action en responsabilité suppose un lien de causalité entre la faute et le préjudice ; qu'en l'espèce, la société Franche Comté signaux faisait valoir qu'elle n'avait participé au cartel qu'à compter de 2002, soit postérieurement à la sortie du marché de la société EMC2 en juin 2001 ; qu'en retenant néanmoins, pour retenir sa responsabilité, qu'elle avait, avant 2002, bénéficié de "compensations" pour certains marchés et avait bénéficié de certains marchés à commande, comme le marché du Doubs (1999-2001), sans rechercher en quoi ces faits avaient contribué au préjudice à la société EMC2, et si cette dernière avait elle-même soumissionné à l'attribution du marché du Doubs, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé le lien de causalité entre la faute imputée à la société Franche Comté signaux et le préjudice subi par la société EMC2, a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
13. L'arrêt relève que les entreprises membres du cartel ont pratiqué, en réponse aux appels d'offres des collectivités, des prix d'éviction lorsque des entreprises non membres de l'entente soumissionnaient en concurrence avec elles.
14. L'arrêt constate ensuite que les opérateurs non membres de l'entente n'ont pu déposer d'offres compétitives, dans les cas où ils choisissaient de répondre à des appels d'offres ou à des consultations hors appels d'offres, puisque les membres de l'entente proposaient alors des prix très bas, et que le prix étant un facteur prédominant de sélection, ils ont perdu un certain nombre de marchés.
15. L'arrêt retient que la société EMC2, active sur le marché concerné par le cartel de 1997 à 2001 et placée en tête d'une liste noire, a nécessairement subi les effets du cartel.
16. L'arrêt relève enfin que si l'Autorité ne date pas précisément l'entrée de la société France Comté signaux dans la collusion, il résulte de sa décision que cette société était bénéficiaire de l'entente, avant 2002 et au moins dès 1999, par le biais de « compensations » sur certains marchés, même si sa participation a été plus intermittente que celle des meneurs de l'entente.
17. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir la participation, dès 1999, de la société France Comté signaux, à l'entente dont elle a établi la portée dommageable, la cour d'appel, qui en a déduit que cette société était également responsable du préjudice subi, de 1999 à juin 2001, par la société EMC2 , avant sa sortie du marché, a, sans avoir à faire la recherche inopérante invoquée, légalement justifié sa décision.
18. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
19. M. U... et la société EMC2 font grief à l'arrêt de dire que la société EMC2 a seulement été active sur le marché de septembre 1997 à juin 2001, de limiter à la somme de 100 000 euros l'indemnisation de son préjudice sur cette seule période, de les débouter de leurs demandes à l'encontre des sociétés Sodilor, 3M France et Nadia signalisation et de débouter la société EMC2 de sa demande de publication de l'arrêt, alors :
« 1°/ que le bien-fondé de l'action en indemnisation de pratiques anticoncurrentielles exige seulement l'existence de faits fautifs générateurs d'un préjudice et n'est pas subordonné à la présence active sur le marché concerné de l'opérateur économique qui en est victime ; que les ententes et abus de position dominante qui ont pour objet ou pour effet d'évincer des opérateurs économiques d'un marché affectent son fonctionnement et causent nécessairement un préjudice aux opérateurs qui en sont la cible ; qu'en excluant par principe que la société EMC2 ait pu être victime entre 2001 et 2006 des pratiques anticoncurrentielles constatées par l'Autorité au motif inopérant que la société EMC2 ne démontrait pas avoir eu une présence "active" dans le secteur du négoce de produits de signalisation routière verticale après la cession de son unité de production en juin 2001, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
2°/ qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que le cartel avait développé une entente anticoncurrentielle visant à exclure du marché de la signalisation routière verticale les sociétés inscrites sur une "liste noire", que la société EMC2 avait continué à figurer en tête de cette liste, régulièrement réactualisée par les membres de l'entente, après la cession de son unité de production, qu'elle justifiait avoir soumissionné, sans succès, au marché public de signalisation routière du Val-d'Oise en février 2006 et qu'elle produisait une attestation d'une ancienne salariée faisant référence à des appels d'offres auxquels elle avait répondu dans le "domaine de la signalisation routière" après 2001 ; qu'en ne recherchant pas si, pris dans leur ensemble, ces éléments n'établissaient pas qu'après 2001, la société EMC2 avait continué à subir les pratiques anticoncurrentielles affectant le marché de la signalisation routière verticale, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
3°/ que dans l'attestation produite par la société EMC2 sous la pièce n° 25, Mme E..., employée par la société EMC2 de 1993 à 2005 en qualité d'assistante commerciale, a témoigné avoir eu durant cette période "comme mission principale la réponse aux appels d'offre et la préparation des mémoires techniques dans le domaine de la signalisation routière notamment des panneaux" ; qu'en affirmant que cette attestation ne précisait pas si les appels d'offre auxquels la société EMC2 avait répondu "dans le domaine de la signalisation routière" concernait la signalisation routière verticale quand son auteur a expressément spécifié qu'il s'agissait de "panneaux", la cour d'appel a dénaturé cette attestation et a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause. »
Réponse de la Cour
20. L'arrêt relève d'abord que les pratiques anticoncurrentielles d'entente sanctionnées par l'Autorité ont présenté deux formes distinctes, l'une, consistant, pour les entreprises membres du cartel, à pratiquer, en réponse aux appels d'offres des collectivités portant sur des panneaux, des prix d'éviction lorsque des entreprises non membres de l'entente soumissionnaient en concurrence avec elles, l'autre, consistant à vendre aux entreprises, non productrices de panneaux de signalisation routière verticale, des produits à des prix non compétitifs, interdisant à celles-ci, tributaires des fournitures des membres de l'entente, de pouvoir soumissionner avec quelque chance de succès en concurrence avec elles.
21. L'arrêt constate ensuite que la société EMC2 était présente sur le marché des produits de signalisation routière verticale en tant que producteur de panneaux et possible soumissionnaire aux marchés lancés par les collectivités, dès l'acquisition de son unité de production, soit en septembre 1997, et jusqu'à la vente de celle-ci en juin 2001, et qu'elle a exercé ultérieurement une activité de négociant-revendeur des produits concernés jusqu'en mars 2006.
22. L'arrêt relève également que l'offre relative au marché public de signalisation routière du Val-d'Oise présentée en février 2006 par la société EMC2 a été éliminée à cause du défaut de certification Afnor au titre de la signalisation routière verticale et en déduit que ce fait ne corrobore pas la présence de la société EMC2 comme revendeur, sur le marché de la signalisation verticale.
23. L'arrêt retient que la figuration de la société EMC2 en tête de « liste noire » du 10 mai 2005 des entreprises à éliminer par l'entente ainsi que dans d'autres listes noires antérieures ne suffit pas à démontrer qu'elle était encore en activité sur le marché pertinent après 2001, la mention de la société pouvant résulter de l'incertitude des membres de l'entente sur le comportement à venir de la société EMC2 ou d'une mauvaise actualisation des données.
24. S'agissant enfin de l'attestation visée par la troisième branche, dont l'interprétation était rendue nécessaire par son ambiguïté, que ne levait pas l'emploi du terme panneau dès lors qu'était recherchée la preuve de la présence de la société EMC2 sur le seul marché de la signalisation routière verticale, l'arrêt retient, sans la dénaturer, que cette attestation, invoquée au soutien de l'existence de réponses, par la société EMC2, à des appels d'offres dans le domaine de la signalisation routière ne précise pas s'il s'agissait de la signalisation routière verticale ou de la signalisation lumineuse.
25. En l'état de ces constatations et appréciations, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis, relatifs à la nature exacte de l'activité exercée, après 2001, par la société EMC2, vainement critiqué, sous couvert de manque de base légale, par la deuxième branche, que la cour d'appel a, sans subordonner par principe la réparation d'un préjudice à la preuve de l'exercice d'une activité effective sur le marché affecté par les pratiques, retenu qu'à compter de la vente de son unité de production en juin 2001, la société EMC2 n'avait pu être affectée par les pratiques incriminées dans l'activité qu'elle avait exercée à partir de cette date, cependant qu'elle l'avait été pour la période antérieure dans son activité de producteur soumissionnaire aux appels d'offres, et a exclu, en conséquence, tout lien de causalité, durant une partie de la période du cartel, entre les pratiques anticoncurrentielles établies et le dommage invoqué par la société EMC2.
26. Par conséquent, le moyen n'est fondé en aucune de ses branches.
Sur le deuxième moyen de ce pourvoi
Enoncé du moyen
27. La société EMC2 et M. U... font grief à l'arrêt de dire que la société EMC2 a seulement été active sur le marché de septembre 1997 à juin 2001, de limiter à la somme de 100 000 euros l'indemnisation de son préjudice sur cette seule période, de les débouter de leurs demandes à l'encontre de la société Sodilor et de débouter la société EMC2 de sa demande de publication de l'arrêt, alors :
« 1°/ que l'Autorité a relevé, concernant les pratiques mises en oeuvre par la société Sodilor sur le marché de la signalisation plastique, que celle-ci "a, d'une part, refusé de vendre à un fabricant de produits de signalisation routière verticale et d'équipements de sécurité et de balisage (Signal Concept) les délinéateurs de type J6 qu'elle était seule à fabriquer avec la société SAAM et de lui délivrer les "autorisations de négoce" exigées par les acheteurs publics. Elle a, d'autre part, exercé des pressions sur certains maîtres d'ouvrage publics pour les convaincre d'introduire dans leurs cahiers des charges des caractéristiques techniques correspondant précisément à celles des délinéateurs de type J6, alors que cet équipement ne représentait qu'une part infime des achats des collectivités concernées. L'ensemble de ces pratiques, qui sont le fait d'une entreprise en position dominante, ont eu notamment pour effet de limiter la concurrence dans le cadre de l'organisation de plusieurs appels d'offres en empêchant une société concurrente de soumissionner aux marchés publics de signalisation plastique lorsque la fourniture d'équipements correspondant aux délinéateurs de type J6 était requise. Elles constituent donc un abus de position dominante au sens de l'article L. 420-2 du code de commerce et de l'article 82 CE" ; que concernant la gravité de ces pratiques, l'Autorité a constaté qu'elles "ont eu un effet perturbateur sur le marché dans son ensemble et non pas seulement sur la fraction de marché correspondant aux produits qu'elle fabriquait. En excluant certains opérateurs de sa clientèle, Sodilor a en effet pu décourager de potentiels clients qui n'ont pas établi de commandes par anticipation d'un refus de sa part. De manière plus générale, la coordination des principaux producteurs de panneaux de signalisation verticale en France cumulée avec les pratiques de refus de vente de Sodilor concernant des produits indispensables à certains appels d'offres ont indéniablement contribué à l'atonicité du marché par l'exclusion et le découragement de la concurrence mais aussi des entrants potentiels" ; qu'en affirmant, pour débouter la société EMC2 de son action à l'encontre de la société Sodilor, que cette dernière avait exclusivement été sanctionnée pour avoir entravé l'approvisionnement de la société Signal Concept en un modèle de balise en plastique de type J6 entre 2001 et 2007, la cour d'appel a dénaturé la décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 de l'Autorité et a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
2°/ qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle était invitée à le faire, si, en restreignant la concurrence sur le marché des équipements de signalisation plastique homologués inclus dans de nombreux marchés publics, par l'exclusion de certains opérateurs de sa clientèle et par les pressions exercées par les maîtres d'ouvrages publics pour introduire, dans leurs cahiers des charges, les caractéristiques techniques des délinéateurs qu'elle commercialisait, la société Sodilor n'avait pas commis des faits de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la société EMC2 et de M. U..., la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
28. L'arrêt constate que l'abus de position dominante imputé à la société Sodilor a été commis sur le marché des équipements de sécurité et de balisage en matière plastique de 2001 à 2007 et qu'à partir de 2001, la société EMC2 a cédé son activité de producteur de panneaux de signalisation verticale, n'agissant plus que comme négociant-revendeur de tels produits.
29. L'arrêt retient que la société EMC2 et M. U... n'apportent aucun commencement de preuve d'un refus de vente qui leur aurait été opposé par la société Sodilor et qui aurait empêché la société EMC2 de concourir à un appel d'offres.
30. En l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la pratique, invoquée par la première branche et relevée par l'Autorité à la charge de la société Sodilor, ayant consisté, entre 2001 et 2007, à opérer des pressions sur les maîtres d'ouvrage pour que les appels d'offres contiennent des spécifications techniques auxquelles seuls les produits fabriqués par la société Sodilor répondaient, se distinguant du refus de vente également retenu à la charge de la société Sodilor, ne pouvait avoir causé un dommage à la société EMC2 à la suite de son changement d'activité après 2001, la cour d'appel, qui n'avait pas à faire la recherche invoquée par la deuxième branche, que ses constatations relatives au refus de vente mis à la charge de la société Sodilor par l'Autorité mais non établi au préjudice de la société EMC2 rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision.
31. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen de ce pourvoi
Enoncé du moyen
32. La société EMC2 et M. U... font grief à l'arrêt de dire que la société EMC2 a seulement été active sur le marché de septembre 1997 à juin 2001, de limiter la condamnation des sociétés Signaux Girod, Lacroix signalisation et Aximum à 100 000 euros et de débouter la société EMC2 de sa demande de publication de l'arrêt, alors :
« 1°/ que le juge ne peut pas refuser d'évaluer le montant des préjudices résultant de pratiques anticoncurrentielles dont il constate l'existence en leur principe au prétexte que les éléments fournis sont insuffisants pour procéder à cette évaluation ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que l'Autorité avait souligné que "de l'aveu même de certains participants à l'entente, celle-ci avait tendu à rendre plus difficile, sinon impossible, l'activité des petits opérateurs qui n'y participaient pas", que les opérateurs non membres de l'entente avaient perdu un certain nombre de marchés puisqu'ils n'avaient pas pu déposer d'offres compétitives compte tenu des prix très bas proposés par les membres du cartel, que la société EMC2, active sur le marché de 1997 à 2001 et placée en tête de la liste noire des entreprises concurrentes à évincer établie par les membres de l'entente, avait nécessairement subi les effets du cartel et que sur la période où elle avait été "active" sur le marché de la signalisation routière, la société EMC2 avait subi une baisse constante de son chiffre d'affaires ; qu'en refusant d'évaluer le préjudice commercial de la société EMC2, dont elle a pourtant constaté l'existence en son principe, au motif que la société ne fournissait aucun élément matériel sur les appels d'offre perdus, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil ;
2°/ qu'en retenant qu'il ne pouvait être tenu pour acquis que l'intégralité de la baisse du chiffre d'affaires de la société EMC2 à compter de 2000 était la résultante de l'entente illicite pour refuser de l'indemniser à ce titre, sans rechercher si les pratiques et manoeuvres anti-concurrentielles du cartel, lesquelles avaient pour objet et pour effet d'évincer les opérateurs non membres au profit des membres qui se partageaient 90 % du marché de la signalisation routière verticale, n'avaient pas contribué à la baisse du chiffre d'affaires de la société EMC2 qui était donc fondée à être indemnisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
3°/ que l'Autorité a établi l'existence d'une entente anticoncurrentielle ayant eu pour objet et pour effet, de 1997 à 2006, d'exclure du marché de la signalisation routière verticale les entreprises concurrentes qui figuraient sur une liste noire établie par ses membres ; qu'il résulte des constatations de l'Autorité, visées par l'arrêt attaqué, que le cartel avait affecté la totalité du territoire national puisqu'il concernait "la quasi-totalité des marchés passés par l'État, les collectivités territoriales et les services chargés de la gestion des autoroutes dans le secteur de la signalisation routière verticale", étant "visés tant les marchés à bons de commande, c'est-à-dire les marchés triennaux ou quadriennaux, par départements ou par villes de plus de 10 000 habitants, que les consultations formalisées et les consultations hors appels d'offres émanant de différents demandeurs (collectivités territoriales et clients privés de toute nature)" et que la part des membres du cartel dans le marché de la signalisation routière verticale, estimé à l'époque à environ 300 millions d'euros par an, oscillait autour de 90 % ; que l'arrêt constate également que l'Autorité avait souligné l'entrave à l'accès au marché de petites et moyennes entreprises non membres du cartel et que, "de l'aveu même de certains des participants à l'entente, celle-ci a tendu à rendre plus difficile, sinon impossible, l'activité des petits opérateurs qui n'y participaient pas" ; que l'arrêt relève encore que la société EMC2, active sur le marché de 1997 à 2001, et placée en tête de la liste noire établie par les membres de l'entente, avait nécessairement subi les effets du cartel ; qu'en retenant néanmoins, pour limiter l'indemnisation de la société EMC2, qu'aucun élément ne venait corroborer l'existence d'un lien de causalité entre les pratiques anticoncurrentielles du cartel et la sortie de la société EMC2 du marché par la vente de son unité de production de produits de signalisation routière en juin 2001, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
4°/ que la réparation d'une perte de chance ne peut être forfaitaire mais doit être mesurée à la chance perdue ; qu'en fixant à la somme forfaitaire de 100 000 euros l'indemnisation du préjudice résultant de la perte de chance pour la société EMC2 de se développer du fait des pratiques anticoncurrentielles du cartel, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice. »
Réponse de la Cour
33. Se fondant sur la décision de l'Autorité, l'arrêt retient que l'entente a tendu à rendre plus difficile, sinon impossible, l'activité des petits opérateurs qui n'y participaient pas et que ces derniers n'ont pu déposer d'offres compétitives dans les cas où ils choisissaient de répondre à des appels d'offres ou à des consultations hors appels d'offres, puisque les membres de l'entente proposaient alors des prix très bas.
34. L'arrêt retient que la société EMC2 ne fournit aucun élément matériel portant sur les appels d'offres qu'elle aurait perdus durant la période litigieuse et qu'elle ne peut soutenir que l'intégralité de la baisse de son chiffre d'affaires, à partir de 2000 par rapport à 1999, résulte de l'entente, sans en rapporter la preuve, ajoutant que la société EMC2 ne peut, en réalité, qu'alléguer une perte de chance de remporter des marchés puisque, même à supposer les marchés non faussés par le cartel, elle n'était pas sûre de les remporter, le prix, bien qu'étant un critère d'attribution important, n'étant pas le seul élément d'évaluation et le succès de soumission à un marché étant par définition affecté d'un aléa.
35. L'arrêt relève enfin que la société EMC2 est volontairement sortie du marché des panneaux de signalisation routière verticale en 2001 et qu'aucun élément ne vient corroborer ses allégations selon lesquelles les pratiques du cartel l'auraient conduite à vendre cette unité de fabrication.
36. En l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a exactement déduit que le préjudice causé à la société EMC2 était constitué seulement par une perte de chance, dont elle a souverainement évalué le montant, la cour d'appel, qui n'a pas refusé d'évaluer un chef de préjudice dont elle aurait admis le principe, n'a pas méconnu les textes visés au moyen et a légalement justifié sa décision.
Sur le quatrième moyen de ce pourvoi, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
37. M. U... fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il dit qu'il est irrecevable en ses demandes à l'exception du préjudice moral et en ce qu'il le déboute de sa demande de dommages-intérêts au titre de son préjudice moral, alors « que dans les motifs de son arrêt, la cour d'appel a déclaré M. U... recevable à agir en réparation de ses préjudices personnels et distincts de la société EMC2 sans préjudice de l'examen du bien-fondé de ses demandes ; qu'en confirmant néanmoins le jugement en ce qu'il a déclaré M. U... irrecevable en ses demandes à l'exception de son préjudice moral, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif et a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
38. La contradiction existant entre les motifs et le dispositif du jugement confirmé par la cour d'appel procède d'une erreur purement matérielle qui peut, selon l'article 462 du code de procédure civile, être réparée par la Cour de cassation.
39. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Sur le désistement conditionnel formée par la société Aximum
40. Le rejet du pourvoi principal conduit à donner acte à la société Aximum de son désistement du pourvoi incident.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les pourvois incidents des sociétés Signalisation France, Société de Diffusion Lorraine-Sodilor, Signaux Girod, 3M France et Lacroix signalisation, qui ne sont qu'éventuels, la Cour :
Réparant l'erreur matérielle affectant l'arrêt attaqué, dit que dans son dispositif, au lieu de lire :
« Confirme le jugement entrepris, sauf sur la période d'indemnisation de la société EMC2, sur la mise hors de cause de la société Aximum, sur le quantum des dommages-intérêts alloués la société EMC2, sur le partage des responsabilités et sur la condamnation à publication du jugement, » ,
il faut lire :
« Confirme le jugement entrepris, sauf sur la période d'indemnisation de la société EMC2, sur la mise hors de cause de la société Aximum, sur le quantum des dommages-intérêts alloués à la société EMC2, sur le partage des responsabilités et sur la condamnation à publication du jugement et en ce qu'il dit que M. B... U... est irrecevable en ses demandes à l'exception de son préjudice moral, » ;
REJETTE le pourvoi principal ;
REJETTE le pourvoi incident formé par la société France Comté signaux ;
Donne acte à la société Aximum de son désistement du pourvoi incident ;
Condamne la société ECM2 et M. U... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société EMC2 et M. U... à payer à la société Nadia signalisation la somme de 3 000 euros et rejette toutes les autres demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept janvier deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. U... et la société EMC2.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR dit que la société EMC2 avait seulement été active sur le marché de septembre 1997 à juin 2001, D'AVOIR limité à la somme de 100 000 € l'indemnisation de son préjudice sur cette seule période, D'AVOIR débouté la société EMC2 et M. U... de leurs demandes à l'encontre des société Sodilor,3M France et Nadia Signalisation et D'AVOIR débouté la société EMC2 de sa demande de publication de l'arrêt ;
AUX MOTIFS QUE les sociétés auteurs des pratiques anticoncurrentielles soutiennent que le lien de causalité entre l'entente sanctionnée et le dommage subi par la société EMC2 a été rompu par la cession volontaire, le 20 juin 2001, par la société EMC2, de son unité de production de panneaux de signalisation routière verticale et par le fait que cette société s'est, à compter de juin 2001, limitée à une activité de production de panneaux lumineux, abandonnant son activité sur le marché distinct des panneaux de signalisation routière verticale ; qu'elles soulignent que la société EMC2 n'était plus visée dans la « liste noire » à compter de 2001 et qu'en réalité, celle-ci visait le repreneur de l'unité de fabrication, la société EMC2 Signalisation, société distincte ; qu'elles ajoutent que la clientèle naturelle de la société EMC2 était différente de celle de l'entente et que les difficultés de la société EMC2 trouvent en réalité leur cause dans la mauvaise gestion de M. U... ; que la société EMC2 soutient qu'elle n'est nullement sortie du marché de la signalisation routière verticale, en juin 2001, lors de la cession de son unité de production, mais qu'elle est simplement revenue à son coeur de métier originel, soit celui de négociant-revendeur de produits de signalisation verticale ; qu'elle explique qu'en 2001, « elle a été contrainte de restructurer son activité, qu'elle a cédé sa branche d'activités panneaux verticaux à la société Prosign et réorienté son activité vers la fabrication et l'installation de panneaux lumineux », mais qu'elle a poursuivi une activité de négoce d'éléments de signalisation après la date de cession, sans capacité de production autonome, étant devenue simple distributeur des produits de son ancienne unité de production ; que la société EMC2 rappelle que sa présence sur le marché de la signalisation routière verticale est attestée par sa participation aux procédures d'appel d'offre pour des marchés publics jusqu'en 2006, sa présence sur la « liste noire », ainsi que par des attestations et diverses autres pièces ; que les pratiques sanctionnées par l'Autorité ont eu, notamment, pour objet et effet d'entraver l'accès au marché de la signalisation routière verticale de petites et moyennes entreprises dont certaines étaient mentionnées sur une « liste noire », non membres du cartel, de 1997 à mars 2006 ; mais que l'Autorité a surtout mis en évidence, dans sa décision, l'effet du cartel sur les prix à destination des collectivités acheteuses, qui ont subi des surcoûts à cause de la collusion ; qu'elle a repris à son compte, comme reflétant le mieux la situation du marché, mais comme un minorant de celle-ci, l'étude réalisée par le cabinet M..., selon laquelle «l'entente a entraîné un surprix estimé entre 6 et 7 %, mesuré sur l'ensemble du marché des panneaux de signalisation verticale. L'établissement de ce surprix s'appuie sur (i) une comparaison de la structure du résultat de l'entreprise Signature avec celle des concurrents non-membres de l'entente, qui n'avaient donc pu bénéficier de la répartition des marchés organisée par l'entente, (ii) une comparaison des offres réalisées par Signature et par les concurrents non-membres de l'entente dans douze appels d'offres remportés par ces dernières, (iii) une analyse de l'évolution des prix et des coûts de fabrication. Ces exercices de comparaison fournissent une quantification pertinente » ; que toutefois, les effets du cartel sur les entreprises extérieures sont également décrits dans la décision de l'Autorité, quoique de façon moins précise ; ils ont revêtu deux formes distinctes ; en premier lieu, les entreprises membres du cartel ont vendu aux entreprises non productrices de panneaux de signalisation routière verticale des produits à des prix non compétitifs, interdisant à celles-ci, tributaires des fournitures des membres de l'entente, puisque ceux-ci représentaient 87 à 92 % du marché (point 360 de la décision), de pouvoir soumissionner avec quelque chance de succès en concurrence avec elles ; qu'en second lieu, elles ont pratiqué, en réponse aux appels d'offres des collectivités, des prix de soumission d'éviction (en consentant aux collectivités des rabais très importants), lorsque des entreprises non membres de l'entente soumissionnaient en concurrence avec elles ; que la cour d'appel a ainsi résumé, dans l'arrêt précité, les deux effets d'exclusion du cartel, portant sur le marché amont de l'achat des panneaux et sur le marché aval des appels d'offres : «le cartel avait (...) établi une « liste noire » des entreprises concurrentes jugées indésirables et mis en oeuvre à l'égard de ces entreprises des pratiques d'exclusion consistant notamment, ainsi qu'il résulte des déclarations concordantes de sociétés membres et non membres du cartel, à accorder aux revendeurs des remises ne leur permettant pas d'être compétitif sur le marché et à moduler leurs offres lorsqu'une société non membres de l'entente retirait un dossier d'appel d'offres » ; que si la société EMC2 était présente sur le marché des produits de signalisation routière verticale en tant que producteur de panneaux et possible soumissionnaire aux marchés lancés par les collectivités dès l'acquisition de son unité de production, soit en septembre 1997 et jusqu'à la vente de cette unité en juin 2001, il lui appartient de démontrer qu'elle a pu être affectée par les pratiques incriminées, non plus en tant que producteur, mais en tant que simple négociant-revendeur des produits concernés, après la cession de son usine de production, le 20 juin 2001, et jusqu'en mars 2006, ce qui implique qu'elle établisse qu'elle a acheté des produits de signalisation routière verticale pour les revendre, après cette date ; qu'or, s'il résulte du protocole d'accord et de cession de fonds de commerce signé entre les sociétés EMC2, Prosign, Natanni et M. U..., le 20 juin 2001, que la société Natanni (qui prendra la dénomination de EMC2 Signalisation, puis en 2003, de Signeurop) a fait l'acquisition des équipements de fabrication de produits de signalisation routière de la société EMC2 ainsi que des homologations délivrées à celle-ci par l'Asquer, et si ce protocole prévoyait que les parties s'accorderaient sur la distribution, par EMC2 et Prosign, des équipements de signalisation produits par la société Natanni, la société EMC2 ne verse aux débats aucun contrat de distribution signé entre elles à la suite du protocole ; que surtout, aucune facture, aucune soumission ou pièce concernant la période 2001-2006 ne viennent par ailleurs attester d'une quelconque manière du fait que la société EMC2 aurait continué de facto, après la cession de son unité de production, en juin 2001, une activité de revendeur de produits de signalisation routière verticale, pas plus d'ailleurs qu'elle ne démontre avoir exercé cette activité avant l'acquisition en 1997, de cette unité ; qu'il résulte au contraire d'une note présentée en 2008 par la société EMC2 au tribunal de commerce de Pontoise, en vue de l'ouverture d'une procédure de redressement (pièce 10 de la société 3 M France, page 2), qu'aux termes de la cession de sa branche d'activité «panneaux verticaux » à la société Prosign en 2001, « EMC2 a restructuré son activité résiduelle et est redevenue, comme à ses débuts, une société procédant à la fabrication et à l'installation de panneaux lumineux, généralement de taille importante et notamment les réseaux routiers rapides » ; que par ailleurs, l'administrateur judiciaire de la société EMC2 ne fait aucune mention, dans son rapport du 9 septembre 2008, de la présence d'EMC2, après juin 2001, sur le secteur de la signalisation routière verticale (pièce 13 de EMC2), hormis dans ses prévisions, à compter de fin septembre 2008 ; que de même, dans un courrier adressé à l'Asquer, le 5 avril 2001 (pièce 30 de la société Signalisation France, en annexe), la société EMC2 signale : « Suite à notre conversation de ce jour, nous vous confirmons, par la présente, que nous envisageons d'isoler la division panneaux de signalisation dans une structure indépendante nouvelle donc un changement de dénomination de société. EMC2 restant comme fabricant de signalisation lumineuse et distributeur de divers équipements de sécurité » ; qu'il n'y est pas, là encore, mentionné l'activité de négoce de panneaux de signalisation routière verticale ; que les deux attestations versées aux débats par EMC2 ne rapportent pas davantage cette preuve ; que la première (pièce 24 d'EMC2) émane d'une ancienne salariée de la société EMC2 Signalisation (devenue Signeurop), qui vient témoigner des réponses à appels d'offres de cette société Signeurop, à compter du 5 novembre 2011, mais ne concerne pas la société EMC2 ; que la seconde (pièce 25 d'EMC2), non datée, fait référence à des appels d'offres auxquels la société EMC2 aurait répondu dans le «domaine de la signalisation routière », sans qu'il soit précisé s'il s'agit de la signalisation routière verticale ou de la signalisation lumineuse, appartenant à un marché distinct, de sorte qu'elle est dépourvue de portée ; que la société EMC2 prétend que ses pièces 33 et 34, qui démontrent qu'elle a soumissionné au marché public de signalisation routière du Val d'Oise en février 2006, attestent qu'elle était encore présente en 2006, comme revendeur, sur le marché de la signalisation verticale ; mais que cette offre, qui intervient à la toute fin de la période incriminée, a été éliminée à cause de son défaut de certification Afnor au titre de la signalisation routière verticale, ce qui ne corrobore pas le fait qu'elle exerçait cette activité de manière habituelle et constante depuis 2001 (pièce 29 de la société Signalisation France) ; qu'elle justifie également avoir répondu à un appel d'offres en 2010, mais il s'agit d'une période non concernée par l'entente litigieuse ; qu'en outre, la circonstance qu'elle continuerait à remporter des marchés importants en 2016 et 2017, alors qu'elle est toujours dépourvue d'unité de production (pièce n° 38 de EMC2) et proposerait à ses clients, en qualité de négociant revendeur, toute la gamme de signalisation urbaine, en ce compris les balises plastiques dont les délinéateurs J6 (pièce n° 39 de EMC2), est indifférente pour la solution du présent litige et ne démontre pas sa présence sur le marché pertinent de 2001 à 2006 ; qu'enfin si elle figure en tête de la « liste noire » du 10 mai 2005 des entreprises à éliminer par l'entente (page 31 de la décision de l'Autorité), ainsi que dans d'autres listes noires antérieures (pièce 10 de la société EMC2) sans qu'aucune confusion ne puisse être pratiquée avec la société EMC2 Signalisation, figurant sous le nom de Signeurop dans cette liste, cet élément ne suffit pas en soi à démontrer qu'elle était encore active sur le marché de la signalisation routière verticale après 2001, la mention de la société pouvant résulter de l'incertitude des membres de l'entente sur le comportement à venir de la société EMC2 ou sur une simple mauvaise actualisation des données ; que la société EMC2 échoue donc à démontrer qu'elle était encore active dans le secteur du négoce de produits de signalisation routière verticale, à compter de la cession de son fonds de fabrication, en juin 2001 ; qu'elle ne démontre sa présence sur le marché que de septembre 1997 à juin 2001, période au cours de laquelle devra être évalué son préjudice ; qu'en conséquence, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé que la société EMC2 avait été victime de l'entente de 1997 à 2006 ; sur la responsabilité de la société Nadia Signalisation dans un éventuel préjudice de la société EMC2, que bien que co-responsable du cartel, quoiqu'à un niveau d'intensité moindre que les autres sociétés, la société Nadia Signalisation qui n'a rejoint le cartel qu'en décembre 2005, ne saurait être tenue pour responsable des éventuels préjudices subis par la société EMC2 et M. U... de 1997 à 2001, aucun lien de causalité ne pouvant être établi entre les faits litigieux et les prétendus dommages ; sur la responsabilité des sociétés 3M France et Sodilor, qu'il ressort des paragraphes 265 à 269 de la décision de l'Autorité de la concurrence du 22 décembre 2010, dont se prévalent la société EMC2 et M. U..., que la société Sodilor a été exclusivement sanctionnée pour avoir entravé l'approvisionnement de la société Signal Concept en un modèle de balise en plastique de type J6, également appelé délinéateur et, ce, entre 2001 et 2007 (pages 83 et 84 de la décision) ; que si la société EMC2 et M. U... prétendent avoir été victimes des mêmes pratiques de la part de la société Sodilor, ils n'en apportent aucun commencement de preuve, aucun refus de vente de la part de cette société n'étant établi, qui aurait empêché la société EMC2 de concourir à un appel d'offres ; qu'il y a donc lieu de rejeter les demandes à l'encontre de cette société et de confirmer le jugement entrepris sur ce point ; que la société EMC2 et M. U... soutiennent également être victimes d'un abus de position dominante de la société 3M sur le marché du film rétro réfléchissant. Mais les pratiques sanctionnées par l'Autorité sont postérieures à la sortie du marché de la société EMC2 et elle ne démontre pas, par des preuves distinctes de la décision de l'Autorité, avoir été victime de telles pratiques de 1997 à 2001, lorsqu'elle fabriquait des panneaux de signalisation routière verticale ; que le jugement entrepris sera donc également confirmé en ce qu'il a débouté la société EMC2 et M. U... de leurs demandes à l'encontre de la société 3M ; que la seule circonstance, relevée par l'Autorité, selon laquelle l'abus de position dominante de la société 3M France a aggravé la situation des concurrents non membres de l'entente, et donc l'effet du cartel, ne saurait rétroagir et fonder de façon indifférenciée la responsabilité de cette société à l'égard de tout concurrent de l'entente ; qu'en effet, si cette pratique a renchéri le coût des films plastiques destinés à la signalisation routière verticale, dont le prix représente entre 50 et 60 % du coût des panneaux (« Le système d'accréditation opaque et le barème discriminatoire mis en place par 3M France a, compte tenu de la part du film de classe 2 dans le prix de revient et du caractère captif de certains produits, nécessairement eu pour effet de renforcer en amont les difficultés déjà rencontrées en aval par les PME non-membres de l'entente pour accéder au marché de la signalisation routière en France du fait des pratiques dirigées par ledit cartel à leur encontre» (point 397)), la société EMC2 n'établit à aucun moment avoir souffert, de 1997 à 2001, de cette pratique ;
1°) ALORS QUE le bienfondé de l'action en indemnisation de pratiques anticoncurrentielles exige seulement l'existence de faits fautifs générateurs d'un préjudice et n'est pas subordonné à la présence active sur le marché concerné de l'opérateur économique qui en est victime ; que les ententes et abus de position dominante qui ont pour objet ou pour effet d'évincer des opérateurs économiques d'un marché affectent son fonctionnement et causent nécessairement un préjudice aux opérateurs qui en sont la cible ; qu'en excluant par principe que la société EMC2 ait pu être victime entre 2001 et 2006 des pratiques anticoncurrentielles constatées par l'Autorité de la concurrence au motif inopérant que la société EMC2 ne démontrait pas avoir eu une présence « active » dans le secteur du négoce de produits de signalisation routière verticale après la cession de son unité de production en juin 2001, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
2°) ALORS QU'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que le cartel avait développé une entente anticoncurrentielle visant à exclure du marché de la signalisation routière verticale les sociétés inscrites sur une « liste noire », que la société EMC2 avait continué à figurer en tête de cette liste, régulièrement réactualisée par les membres de l'entente, après la cession de son unité de production, qu'elle justifiait avoir soumissionné , sans succès, au marché public de signalisation routière du Val-d'Oise en février 2006 et qu'elle produisait une attestation d'une ancienne salariée faisant référence à des appels d'offres auxquels elle avait répondu dans le « domaine de la signalisation routière » après 2001 ; qu'en ne recherchant pas si, pris dans leur ensemble, ces éléments n'établissaient pas qu'après 2001, la société EMC2 avait continué à subir les pratiques anticoncurrentielles affectant le marché de la signalisation routière verticale, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
3°) ALORS QUE dans l'attestation produite par la société EMC2 sous la pièce n° 25, Mme E..., employée par la société EMC2 de 1993 à 2005 en qualité d'assistante commerciale, a témoigné avoir eu durant cette période « comme mission principale la réponse aux appels d'offre et la préparation des mémoires techniques dans le domaine de la signalisation routière notamment des panneaux » ; qu'en affirmant que cette attestation ne précisait pas si les appels d'offre auxquels la société EMC2 avait répondu « dans le domaine de la signalisation routière » concernait la signalisation routière verticale quand son auteur a expressément spécifié qu'il s'agissait de « panneaux », la cour d'appel a dénaturé cette attestation et a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR dit que la société EMC2 avait seulement été active sur le marché de septembre 1997 à juin 2001, D'AVOIR limité à la somme de 100 000 € l'indemnisation de son préjudice sur cette seule période, D'AVOIR débouté la société EMC2 et M. U... de leurs demandes à l'encontre de la société Sodilor et D'AVOIR débouté la société EMC2 de sa demande de publication de l'arrêt ;
AUX MOTIFS QU'il ressort des paragraphes 265 à 269 de la décision de l'Autorité de la concurrence du 22 décembre 2010, dont se prévalent la société EMC2 et M. U..., que la société Sodilor a été exclusivement sanctionnée pour avoir entravé l'approvisionnement de la société Signal Concept en un modèle de balise en plastique de type J6, également appelé délinéateur et, ce, entre 2001 et 2007 (pages 83 et 84 de la décision) ; que si la société EMC2 et M. U... prétendent avoir été victimes des mêmes pratiques de la part de la société Sodilor, ils n'en apportent aucun commencement de preuve, aucun refus de vente de la part de cette société n'étant établi, qui aurait empêché la société EMC2 de concourir à un appel d'offres ;
1°) ALORS QUE l'Autorité de la concurrence a relevé, concernant les pratiques mises en oeuvre par la société Sodilor sur le marché de la signalisation plastique, que celle-ci (déc. n° 10-D-39 du 22 décembre 2010, p. 102, § 266, 267, 268), « a, d'une part, refusé de vendre à un fabricant de produits de signalisation routière verticale et d'équipements de sécurité et de balisage (Signal Concept) les délinéateurs de type J6 qu'elle était seule à fabriquer avec la société SAAM et de lui délivrer les « autorisations de négoce » exigées par les acheteurs publics. Elle a, d'autre part, exercé des pressions sur certains maîtres d'ouvrage publics pour les convaincre d'introduire dans leurs cahiers des charges des caractéristiques techniques correspondant précisément à celles des délinéateurs de type J6, alors que cet équipement ne représentait qu'une part infime des achats des collectivités concernées. L'ensemble de ces pratiques, qui sont le fait d'une entreprise en position dominante, ont eu notamment pour effet de limiter la concurrence dans le cadre de l'organisation de plusieurs appels d'offres en empêchant une société concurrente de soumissionner aux marchés publics de signalisation plastique lorsque la fourniture d'équipements correspondant aux délinéateurs de type J6 était requise. Elles constituent donc un abus de position dominante au sens de l'article L. 420-2 du code de commerce et de l'article 82 CE » ; que concernant la gravité de ces pratiques (déc. n° 10-D-39 du 22 décembre 2010, p. 102, § 353), l'autorité de la concurrence a constaté qu'elles « ont eu un effet perturbateur sur le marché dans son ensemble et non pas seulement sur la fraction de marché correspondant aux produits qu'elle fabriquait. En excluant certains opérateurs de sa clientèle, Sodilor a en effet pu décourager de potentiels clients qui n'ont pas établi de commandes par anticipation d'un refus de sa part. De manière plus générale, la coordination des principaux producteurs de panneaux de signalisation verticale en France cumulée avec les pratiques de refus de vente de Sodilor concernant des produits indispensables à certains appels d'offres ont indéniablement contribué à l'atonicité du marché par l'exclusion et le découragement de la concurrence mais aussi des entrants potentiels » ; qu'en affirmant, pour débouter la société EMC2 de son action à l'encontre de la société Sodilor, que cette dernière avait exclusivement été sanctionnée pour avoir entravé l'approvisionnement de la société Signal Concept en un modèle de balise en plastique de type J6 entre 2001 et 2007, la cour d'appel a dénaturé la décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 de l'Autorité de la concurrence et a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
2°) ALORS QU'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle était invitée à le faire, si en restreignant la concurrence sur le marché des équipements de signalisation plastique homologués inclus dans de nombreux marchés publics par l'exclusion de certains opérateurs de sa clientèle et par les pressions exercées par les maître d'ouvrage publics pour introduire dans leurs cahiers des charges les caractéristiques techniques des délinéateurs qu'elle commercialisait, la société Sodilor n'avait pas commis des faits de nature à engager sa responsabilité à l'égard de la société EMC2 et de M. U..., la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR dit que la société EMC2 avait seulement été active sur le marché de septembre 1997 à juin 2001, D'AVOIR limité la condamnation des sociétés Signaux Girod, Lacroix Signalisation, Aximum, Franche Comté Signaux et Signalisation France à payer à la somme de 100 000 € et D'AVOIR débouté la société EMC2 de sa demande de publication de l'arrêt ;
AUX MOTIFS QUE toute victime d'un dommage qui entend rechercher la responsabilité de son auteur doit rapporter la preuve d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité entre la faute et le dommage ; que le lien de causalité constitue une articulation en soi de la responsabilité, distincte et de la faute et du préjudice ; qu'il ne suffit donc pas que soient constatés la faute et le dommage, il faut encore que le lien de cause à effet qui les unit soit établi de façon directe ; qu'à défaut, les conditions de la responsabilité civile ne sont pas réunies ; que ces principes s'appliquent pour l'indemnisation d'un préjudice découlant de pratiques anticoncurrentielles : celle-ci n'est due que si ces pratiques sont directement à l'origine du préjudice subi ; qu'aussi, si le préjudice dont il est demandé réparation est susceptible de trouver son origine dans d'autres faits que les pratiques anticoncurrentielles, il n'existe pas de lien de causalité suffisamment direct et certain permettant l'application de l'article 1382 du code civil (devenu l'article 1240 du code civil) ; qu'il appartient donc en l'espèce à la société EMC2 de démontrer que les pratiques dont elle demande réparation, d'une part, constituent bien des pratiques anticoncurrentielles génératrices de fautes civiles, et d'autre part, sont directement à l'origine des préjudices qu'elle allègue ; qu'il n'est pas contesté par les parties que le cartel auquel ont participé les sociétés Signaux Girod, Lacroix Signalisation, Signalisation France, Aximum et Franche Comté Signaux constitue une faute civile ; que la société EMC2 expose que les pratiques des membres de l'entente ayant consisté à pratiquer des prix bas quand une entreprise extérieure à l'entente répondait à un appel d'offres, de façon à l'évincer, lui ont personnellement causé un préjudice commercial, qu'elle évalue, selon le calcul de l'expert, comme la différence entre le résultat théorique qu'elle aurait dû réaliser si le niveau d'activité constaté en 1999 avait perduré jusqu'en 2007 et le résultat effectivement réalisé ; qu'elle souligne qu' « en matière de signalisation routière, la clientèle est exclusivement composée de collectivités territoriales et de services de l'Etat », que «l'entente a couvert la quasi-totalité des marchés du secteur de la signalisation routière verticale, que ceux-ci soient ou non soumis à la procédure formalisée, ainsi que les marchés ponctuels » et, enfin, que «la clientèle du secteur de la signalisation verticale est donc restée captive, empêchant la société EMC2 d'obtenir des parts de marché » (point 78 des conclusions de la société EMC2) ; qu'elle explique qu'elle a, comme les autres entreprises ne faisant pas partie de l'entente, été privée de tout débouché et que placée en tête de la liste noire de l'entente, elle était privée de toute possibilité de développement (point 89) ; que le chiffre d'affaires de la société France Comte Signaux, de taille comparable, et membre du cartel, a, pendant ce temps, doublé, de 1999 à 2005 ; qu'il résulte des constatations de l'Autorité de la concurrence, non sérieusement remises en cause, que le cartel a affecté la totalité du territoire national (§ 189), puisqu'il concernait «la quasi-totalité des marchés passés par l'État, les collectivités territoriales et les services chargés de la gestion des autoroutes dans le secteur de la signalisation routière verticale », étant «visés tant les marchés à bons de commande, c'est-à-dire les marchés triennaux ou quadriennaux, par départements ou par villes de plus de 10 000 habitants, que les consultations formalisées et les consultations hors appels d'offres émanant de différents demandeurs (collectivités territoriales et clients privés de toute nature) » (§ 206) ; que selon l'Autorité, le marché de la signalisation routière verticale pouvait être, à l'époque, estimé à environ 300 millions d' € par an (§ 358), la part des membres du cartel oscillant autour de 90 % (§ 360) ; que l'entrave à l'accès au marché de petites et moyennes entreprises non membres du cartel a été soulignée par l'Autorité, dans l'appréciation du dommage à l'économie ; que les déclarations du président de Lacroix Signalisation et de Signaux Girod attestent la stratégie d'éviction des membres du cartel à l'égard des PME ; que le président de Signaux Girod a, ainsi, indiqué : « il y a toujours des sociétés ne faisant pas partie de l'entente qui répondent, donc là il s'agit de déterminer une offre intelligente pour la société ayant le leadership en essayant d'évaluer le niveau de prix auquel va répondre la société ou les sociétés ne faisant pas partie de l'entente » (§ 363) ; que le président de Sud-Ouest Signalisation (SOS), victime comme EMC2 des pratiques, a déclaré quant à lui : « je pensais que j'étais en liste noire avant d'avoir communication des pièces du dossier pénal en tant que partie civile, car nous avions constaté que les remises de la part des membres de l'entente n'étaient pas les mêmes lorsque nous retirions un dossier» (§ 362) ; que de la même façon, M. O... C..., employé de la société Nord Signalisation, entendu dans l'enquête pénale a témoigné avoir été victime de pratiques de dénigrement groupées de la part des membres du cartel et également, à propos de la soumission à un marché, d' «une action commerciale anticoncurrentielle groupée» : «pour cela, ils ont pratiqué un niveau de prix jamais atteint dans la profession (remise de 75 %), c'est-à-dire qu'ils ont convenu de partager les pertes sur cette affaire, compte tenu que chacun d'entre eux avait la capacité commerciale et industrielle de le faire lui-même » (pièce 32 de EMC2, page 3) ; que l'Autorité a ainsi souligné que, «de l'aveu même de certains des participants à l'entente, celle-ci a tendu à rendre plus difficile, sinon impossible, l'activité des petits opérateurs qui n'y participaient pas » (§ 363) ; que les opérateurs non membres de l'entente n'ont pu déposer d'offres compétitives, dans les cas où ils choisissaient de répondre à des appels d'offres ou à des consultations hors appels d'offres, puisque les membres de l'entente proposaient alors des prix très bas ; qu'ils ont donc perdu un certain nombre de marchés, le prix étant un facteur prédominant de sélection ; que la société EMC2, active sur le marché de 1997 à 2001, et placée en tête de la liste noire, a donc nécessairement subi les effets du cartel, les sociétés membres de l'entente ne contestant pas cette présence sur le marché pour la période antérieure à la cession de l'unité de production de panneaux ; que l'administrateur judiciaire de la société EMC2, M. I... F... (pièce 13 d'EMC2) expose d'ailleurs la stratégie suivie par EMC2, relatant que « dès 1999, pour contrevenir à l'entente, la SAS EMC2 s'était dotée des moyens commerciaux lui permettant de concourir à la totalité des appels d'offres en ne répondant qu'à un dossier sur vingt, empêchant ainsi l'entente de faire des marges sur les dossiers non réclamés par la société EMC2 » ; mais que pour permettre d'évaluer son préjudice, la société EMC2 ne fournit à la cour aucun élément matériel portant sur les appels d'offres qu'elle aurait perdus durant la période litigieuse (marchés, offres déposées, motifs de rejet notifiés par les collectivités) ; qu'elle ne produit que le rapport de l'expert privé NSK Fiduciaire, qui n'est étayé d'aucun document comptable, n'étant accompagné que de deux tableaux établis par l'expert lui-même (annexes 11 et 12 du rapport : pièces 18 et 19 de EMC2) ; qu'or cette évaluation conduit aux observations suivantes ; qu'en premier lieu, le rapport présume que les pertes subies par la société EMC2 jusqu'en 2006 sont exclusivement causées par le cartel ; qu'or, la seule concomitance de la baisse de son chiffre d'affaires à partir de 2000 et de la période d'existence du cartel ne saurait en soi justifier une indemnisation égale à cette perte ; que la société EMC2 ne peut, à la suite de l'expert, prendre pour acquis que l'intégralité de la baisse de son chiffre d'affaires à compter de 2000 par rapport à celui de 1999 est la résultante de l'entente, sans en rapporter la preuve ; qu'en deuxième lieu, la société EMC2, comme elle le soutient dans son second poste de demande, ne peut alléguer qu'une perte de chance de remporter des marchés, puisqu'à supposer même les marchés non faussés par le cartel, elle n'était pas sûre de remporter lesdits marchés, le prix, bien qu'étant un critère d'attribution important, n'étant pas le seul élément d'évaluation, et le succès d'une soumission à un marché étant par définition affecté d'un aléa ; que d'ailleurs, le seul élément de preuve matérielle qu'elle verse aux débats démontre que son offre de février 2006 visée plus haut a été rejetée pour défaut d'homologation Afnor, ce qui atteste que d'autres motifs de refus pouvaient exister ; qu'en troisième lieu, elle ne ventile pas le chiffre d'affaires qu'elle réalisait dans le secteur de la signalisation routière verticale, à côté de son autre activité, le négoce de panneaux lumineux ; qu'or, ainsi que les premiers juges l'ont mentionné, il est demandé, par la société EMC2, réparation d'une marge perdue sur toute son activité de signalisation lumineuse ; qu'en quatrième lieu, la société EMC2 est volontairement sortie du marché des panneaux de signalisation routière verticale et ne saurait être dédommagée au titre des agissements des membres de l'entente sur la période 2001 à 2006 et la baisse de son chiffre d'affaires s'explique à partir de 2001 par la cession volontaire de son unité de production ; qu'elle ne saurait donc être indemnisée pour la période de 2001 à 2006 ; que l'administrateur judiciaire de la société EMC2 mentionne dans son rapport du 9 septembre 2008 (pièce 13 de EMC2, page 16) que « l'entente mise en place par les principaux acteurs du secteur de la fabrication de signalisation verticale n'a pas permis le développement de la SAS EMC2. Par ailleurs, les investissements effectués dans le rachat de l'unité de production de la société GEPEMS ont été perdus et ont conduit à la condamnation in solidum de la société » ; qu'il semble donc, comme l'expert, imputer la cession de juin 2011 de l'unité de production de produits de signalisation routière verticale aux pratiques du cartel ; mais que là encore, aucun élément ne vient corroborer que les pratiques de cartel auraient conduit la société EMC2 à vendre cette unité ; que celle-ci était en effet encore bénéficiaire en 2000, après plusieurs années de progression, et était, au jour de la vente, titulaire de marchés de signalisation dans les départements de Haute-Garonne, du Pas de Calais, du Puy de Dôme, de la Loire, de l'Essonne ainsi que celui de Nice, selon les termes du protocole d'accord signé avec la société Signaux Girod ; qu'enfin, la société EMC2 a réalisé une importante plus-value en vendant cette unité ; que le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a jugé que «c'est l'action du groupement qui a poussé la vente de l'unité de production, faute de marché suffisant, alors que sans l'action du groupement, EMC2 aurait pu poursuivre son activité de fabrication et de vente de panneaux de signalisation », cette assertion n'étant nullement établie ; qu'en cinquième lieu, la référence à l'année 1999, année où la société EMC2 a pu concourir grâce à l'habilitation Asquer, est une année où l'entente était déjà active ; qu'elle ne peut donc donner une indication du chiffre d'affaires que la société EMC2 aurait perçu en l'absence de l'entente ; qu'il convient de prendre en compte qu'au titre l'année 1999 choisie comme référence, le cartel produisait déjà ses effets ; que dans un autre sens, l'hypothèse de reconduction à l'identique de ce chiffre d'affaires en 2000 et 2001 ne prend pas en compte les perspectives raisonnables et prévisibles de développement de la société EMC2 ; que la référence au taux de croissance des membres du cartel est à cet égard une donnée pertinente ; que cet élément fait l'objet du second poste de demande ; qu'en sixième lieu, le taux de marge brute retenu par l'expert n'est étayé d'aucune pièce comptable ou détails de calcul ; qu'au surplus, seule la marge sur coûts variables est pertinente en l'espèce ; qu'il y a lieu de prendre comme référence le taux de marge moyen des membres du cartel tel que calculé dans le rapport T... (7,8 % de 1999 à 2001) ; Sur la perte de chance qu'en septième lieu, la société EMC2 distingue du poste de demande précédent, une demande d'indemnisation, résultant de la perte de chance de se développer due à la captation de clientèle et de l'éviction systématique des marchés ; qu' « En premier lieu, ce préjudice doit être apprécié au regard de la perte de chance de réaliser un chiffre d'affaires plus important durant les années 1998 et 1999, premières années d'exploitation du site de production acheté par EMC2. (...). En second lieu, la société EMC2 a été privée de la chance de poursuivre son développement et de dégager des profits correspondant à ce développement durant les années suivantes. L'ensemble de ce préjudice lié à la perte d'une chance sera indemnisé à hauteur de la somme de 3.329.000 €, conformément à l'appréciation qui en a été faite par le cabinet NSK (pièce n° 19 : annexe n° 12 au rapport NSK) » ; que l'expert s'est basé sur les progressions de chiffres d'affaires des membres du cartel pour calculer cette perte de chance. Il a donc repris les chiffres précédents et les a affectés d'un taux de progression, puis les a comparés au bénéfice réalisé effectivement ; mais qu'après 2001, la société EMC2 est sortie du marché et ne saurait être dédommagée pour la perte de chance de réaliser un bénéfice sur une activité qu'elle a choisi d'abandonner ; qu'avant 2001, la perte de chance de se développer doit être prise en compte dans l'évaluation globale de la perte de chance vue plus haut (voir cinquièmement) ; que compte tenu de ces éléments, des nombreuses corrections à apporter aux évaluations de l'expert, et compte tenu, notamment de la période concernée, de l'aléa afférent à l'obtention de chaque marché public, du taux de marge moyen des membres du cartel tel que calculé dans le rapport T... (7,8 % de 1999 à 2001), la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer à la somme de 100 000 € la perte de chance subie par la société EMC2 de 1997 à 2001, du fait du cartel ;
1°) ALORS QUE le juge ne peut pas refuser d'évaluer le montant des préjudices résultant de pratiques anticoncurrentielles dont il constate l'existence en leur principe au prétexte que les éléments fournis sont insuffisants pour procéder à cette évaluation ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que l'autorité de la concurrence avait souligné que « de l'aveu même de certains participants à l'entente, celle-ci avait tendu à rendre plus difficile, sinon impossible, l'activité des petits opérateurs qui n'y participaient pas », que les opérateurs non membres de l'entente avaient perdu un certain nombre de marchés puisqu'ils n'avaient pas pu déposer d'offres compétitives compte tenu des prix très bas proposés par les membres du cartel, que la société EMC2, active sur le marché de 1997 à 2001 et placée en tête de la liste noire des entreprises concurrentes à évincer établie par les membres de l'entente, avait nécessairement subi les effets du cartel et que sur la période où elle avait été « active » sur le marché de la signalisation routière, la société EMC2 avait subi une baisse constante de son chiffre d'affaires ; qu'en refusant d'évaluer le préjudice commercial de la société EMC2, dont elle a pourtant constaté l'existence en son principe, au motif que la société ne fournissait aucun élément matériel sur les appels d'offre perdus, la cour d'appel a violé l'article 4 du code civil ;
2°) ALORS QU'en retenant qu'il ne pouvait être tenu pour acquis que l'intégralité de la baisse du chiffre d'affaires de la société EMC2 à compter de 2000 était la résultante de l'entente illicite pour refuser de l'indemniser à ce titre sans rechercher si les pratiques et manoeuvres anti concurrentielles du cartel, lesquelles avaient pour objet et pour effet d'évincer les opérateurs non membres au profit des membres qui se partageaient 90 % du marché de la signalisation routière verticale, n'avaient pas contribué à la baisse du chiffre d'affaires de la société EMC2 qui était donc fondée à être indemnisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
3°) ALORS QUE l'Autorité de la concurrence a établi l'existence d'une entente anticoncurrentielle ayant eu pour objet et pour effet, de 1997 à 2006, d'exclure du marché de la signalisation routière verticale les entreprises concurrentes qui figuraient sur une liste noire établie par ses membres ; qu'il résulte des constatations de l'Autorité de la concurrence, visées par l'arrêt attaqué, que le cartel avait affecté la totalité du territoire national puisqu'il concernait «la quasi-totalité des marchés passés par l'État, les collectivités territoriales et les services chargés de la gestion des autoroutes dans le secteur de la signalisation routière verticale », étant «visés tant les marchés à bons de commande, c'est-à-dire les marchés triennaux ou quadriennaux, par départements ou par villes de plus de 10 000 habitants, que les consultations formalisées et les consultations hors appels d'offres émanant de différents demandeurs (collectivités territoriales et clients privés de toute nature) » et que la part des membres du cartel dans le marché de la signalisation routière verticale, estimé à l'époque à environ 300 millions d' € par an, oscillait autour de 90 % ; que l'arrêt constate également que l'Autorité de la concurrence avait souligné l'entrave à l'accès au marché de petites et moyennes entreprises non membres du cartel et que, «de l'aveu même de certains des participants à l'entente, celle-ci a tendu à rendre plus difficile, sinon impossible, l'activité des petits opérateurs qui n'y participaient pas » ; que l'arrêt relève encore que la société EMC2, active sur le marché de 1997 à 2001, et placée en tête de la liste noire établie par les membres de l'entente, avait nécessairement subi les effets du cartel ; qu'en retenant néanmoins, pour limiter l'indemnisation de la société EMC2, qu'aucun élément ne venait corroborer l'existence d'un lien de causalité entre les pratiques anticoncurrentielles du cartel et la sortie de la société EMC2 du marché par la vente de son unité de production de produits de signalisation routière en juin 2001, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
4°) ALORS QUE la réparation d'une perte de chance ne peut être forfaitaire mais doit être mesurée à la chance perdue ; qu'en fixant à la somme forfaitaire de 100 000 € l'indemnisation du préjudice résultant de la perte de chance pour la société EMC2 de se développer du fait des pratiques anticoncurrentielles du cartel, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement du tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a dit que M. U... était irrecevable en ses demandes à l'exception du préjudice moral et en ce qu'il a débouté M. U... de sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE M. U..., qui soutient avoir été victime de préjudices personnels, distincts de ceux de sa société EMC2, est recevable à agir, sans préjudice de l'examen du bien-fondé de ses demandes (arrêt p.21) ; que sur le préjudice économique allégué par M. U..., il s'estime bien fondé à solliciter la réparation des préjudices subis en raison de la perte de rémunération qu'il évalue à la somme de 392 000 €, pour la perte de valeur de la société pour un montant de 3 178 000 € et enfin, l'indemnisation de son préjudice tenant à l'abandon de ses comptes courants pour un montant de 445 000 € ; mais que les sociétés membres de l'entente exposent à juste raison que les demandes de M. U... doivent être rejetées en ce que les préjudices dont il prétend être la victime personnelle ne sont pas distincts des préjudices prétendument subis par la société, au demeurant non démontrés, les difficultés ayant conduit la société EMC2 à la liquidation ne pouvant être imputées au cartel ; que le jugement déféré sera confirmé sur ce point ; que sur le préjudice moral de M. U..., il sollicite enfin l'allocation d'une somme de 500 000 € au titre de son préjudice moral ; que M. U..., qui fait état des soucis engendrés par les agissements des membres de l'entente et de ses efforts toujours infructueux pour répondre aux appels d'offres, tous liés à sa qualité de dirigeant d'une société victime du cartel, ne distingue pas son préjudice de celui subi par la personne morale du fait de cette infraction ; qu'il ne démontre pas l'existence d'un préjudice moral personnel.
1°) ALORS QUE dans les motifs de son arrêt, la cour d'appel a déclaré M. U... recevable à agir en réparation de ses préjudices personnels et distincts de la société EMC2 sans préjudice de l'examen du bienfondé de ses demandes ; qu'en confirmant néanmoins le jugement en ce qu'il a déclaré M. U... irrecevables en ses demandes à l'exception de son préjudice moral, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE les préjudices économiques invoqués par M. U... qui consistent en une perte de rémunération, une perte de valeur des parts de la société EMC2 et l'abandon de son compte courant d'associé sont des préjudices personnels et distincts de ceux subis par la société EMC2 elle-même ; qu'en décidant le contraire pour refuser d'indemniser M. U..., la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
3°) ALORS QUE le préjudice moral invoqué par M. U... était un préjudice personnel qui ne pouvait être confondu avec un préjudice propre à la société EMC2 qui n'a réclamé aucune indemnisation de ce chef ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil. Moyens produits à un pourvoi incident par Me Isabelle Galy, avocat aux Conseils, pour la société Franche Comté signaux.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que l'action en responsabilité intentée par la société EMC2 et M. U... n'est pas prescrite,
AUX MOTIFS PROPRES QUE « l'article 2224 du code civil, modifié par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, dispose que : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».
La notion de « faits permettant d'exercer un droit » s'entend de faits permettant d'agir ou de défendre ce droit. En matière d'action en responsabilité, comme dans la présente espèce, la prescription ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.
Ainsi que l'a relevé la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 29 mars 2012, l'entente sanctionnée consistait dans un comportement collusif continu destiné à fausser la concurrence, les entreprises se réunissant régulièrement « afin de se répartir les marchés publics de la presque totalité du territoire national, avec des prix et des parts de marché fixés en commun, et ce, selon des règles pré-établies figurant dans un document intitulé ‘ Règles'». Selon ce même arrêt, l'activité délictueuse a pris fin au plus tôt le 14 mars 2006 lors de la perquisition effectuée sur commission rogatoire dans un restaurant parisien où s'étaient réunis les membres de l'entente. La prescription administrative des faits litigieux devant l'Autorité a donc commencé à courir le 14 mars 2006.
Mais cette date de la fin des pratiques continues d'entente de répartition, de mars 2006, relevée par l'Autorité de la concurrence, ne peut être retenue comme point de départ de la prescription de l'action civile. En effet, à cette date, la société EMC2 et M. U... avaient tout au plus de simples soupçons de l'entente et de l'abus de position dominante dont ils étaient victimes, mais aucune certitude de nature à leur permettre d'agir en réparation contre les auteurs de ces pratiques.
Il ne peut en effet s'inférer des fonctions assumées antérieurement par M. U... au sein de deux sociétés pivots de l'entente, qu'il avait une parfaite connaissance de l'existence et du périmètre du cartel. En effet, si la décision du Conseil de la concurrence du 4 février 2003, relative à des pratiques d'ententes préalables au dépôt des offres, de 1994 à 1999, démontre que le secteur de la signalisation routière verticale était déjà affecté de pratiques anticoncurrentielles, aucune solution de continuité ne peut être établie avec certitude entre ces pratiques et le cartel sanctionné a posteriori, de sorte que M. U... a pu, dans le cadre de ses anciennes fonctions, connaître certaines ententes ponctuelles commises entre 1994 et 1999, sans pour autant être informé du fonctionnement et de la dimension du cartel national de partage de marchés entre les leaders du secteur. Seule la décision de l'Autorité de la concurrence, du 22 décembre 2010, confirmée sur le fond par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, lui-même confirmé par la Cour de cassation le 28 mai 2013, dans laquelle l'Autorité a décrit le fonctionnement de l'entente et des abus de position dominante, leur durée et la participation respective de chacun des membres, était de nature à leur permettre d'agir utilement en réparation devant une juridiction commerciale.
De même, le rapport de l'administrateur judiciaire de la société EMC2, indiquant que cette société avait, dès 1999, adapté sa politique commerciale pour contrevenir à l'entente, ne peut établir qu'elle avait, à cette époque, une connaissance précise du cartel, dépassant la simple rumeur, sur son fonctionnement et sur ses membres, de nature à lui permettre d'intenter une action en dommages-intérêts.
Dès lors, les actions intentées les 13, 14, 15, 16 mars, 16 avril 2012 et 15 janvier 2013, par la société EMC2 et M. U..., contre les sociétés Lacroix Signalisation, Signature SASU, Signature SAS, Signaux Girod, Sécurité ct signalisation, Aximum, Laporte Service Route, Franche Comté Signaux, Nadia Signalisation, Sodilor, 3M France et Signalisation France, sont intervenues en période non prescrite.
Mais à supposer même que le point de départ soit fixé au 14 mars 2006, les dispositions transitoires de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, loi qui a réduit le délai de prescription de 10 à 5 ans, prévoient que « Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s 'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure », de sorte que la prescription était acquise au plus tard le 1 9 juin 2013 et les actions engagées avant l'expiration de ce délai sont donc recevables.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception de prescription des actions en responsabilité » (arrêt p. 16-17),
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l'exercer ; Attendu que les défenderesses soutiennent qu'EMC2 et Monsieur U... avaient une connaissance précise des faits dès 1995 et que la perquisition auprès du cartel qui s'est déroulée le 13 mars 2006 a fait courir le délai de prescription, bien que cette perquisition ait été couverte par le secret de l'instruction ;
Que les défenderesses appuient leur affirmation sur le fait que Monsieur U... aurait participé activement à cette entente dès fin 1995 en sa qualité de PDG de la société CSIE ou encore en 2001 lorsqu'il prend ses fonctions auprès de la filiale de la société Signaux Girod ;
Attendu que cette affirmation est en contradiction avec le fait que la société EMC2 figurait en tête de la liste noire des sociétés établie par le groupement ;
Attendu, de plus, que si Monsieur U... a développé, selon les dires de Lacroix industrie une compétence « particulière en matière d'ententes le tribunal note que Monsieur U... est resté à la tête de la CSIE de 1987 à fin 1995 alors que les actions répréhensibles des principaux fabricants de panneaux sanctionnées par l'Autorité de la concurrence, se sont déroulés de 1997 à 2006 et qu'il a occupé seulement trois mois la fonction de directeur commercial régional de la filiale de Signaux Girod ;
Le tribunal considère que si Monsieur U... ne pouvait pas ignorer l'existence d'un cartel durant toute sa période d'activité, il n'en connaissait vraisemblablement pas pour autant, avec exactitude, le fonctionnement ni tous les membres le composant - d'où l'erreur commise dans l'assignation mettant en cause les deux sociétés Signature SASU et Signature SAS - et que le jour où Monsieur U... a connu l'ensemble des faits lui permettant d'exercer son action en responsabilité délictuelle, correspond effectivement à la publication de la décision rendue le 22 décembre 2010 par l'Autorité de la concurrence ;
En conséquence, le tribunal dira que l'action n'est pas prescrite » (jugement p. 14-15),
1°) ALORS QU'avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, le délai de prescription d'une action en responsabilité civile extracontractuelle, d'une durée de dix ans, commençait à courir à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il était révélé à la victime si celle-ci établissait qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont constaté que M. U... connaissait l'existence d'ententes dans le secteur de la signalisation verticale depuis 1987 et que l'administrateur judiciaire de la société EMC2 avait indiqué que cette société avait dès 1999 adapté sa politique commerciale pour contrevenir à l'entente litigieuse ; qu'en retenant que seule la décision de l'Autorité de la concurrence du 22 décembre 2010 décrivant le fonctionnement des pratiques anticoncurrentielles, leur durée et la participation respective de chacun des membres était de nature à permettre à la société EMC2 et à M. U... d'agir utilement en réparation, quand il s'évinçait de ses propres constatations que la première manifestation du dommage, point de départ de la prescription décennale à l'époque des faits, avait eu lieu en 1999 et que la société EMC2 et M. U... étaient dès cette date en mesure d'agir, peu important qu'ils n'aient pas eu une connaissance détaillée du fonctionnement du cartel, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, aux termes de l'article 2224 du code civil issu de la loi du 17 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont constaté que M. U... connaissait l'existence d'ententes dans le secteur de la signalisation verticale depuis 1987 et que l'administrateur judiciaire de la société EMC2 avait indiqué que cette société avait dès 1999 adapté sa politique commerciale pour contrevenir à l'entente litigieuse ; qu'en retenant que seule la décision de l'Autorité de la concurrence du 22 décembre 2010 décrivant le fonctionnement des pratiques anticoncurrentielles, leur durée et la participation respective de chacun des membres était de nature à permettre à la société EMC2 et à M. U... d'agir utilement en réparation, quand il s'évinçait de ses propres constatations que le dommage s'était déjà manifesté en 1999 à la société EMC2 et M. U..., de sorte que la prescription avait commencé à courir à cette date, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
3°) ALORS QUE, subsidiairement, la société EMC2 et M. U... soutenaient dans leurs conclusions d'appel qu'ayant racheté en septembre 1997 une unité de production de produits de signalisation verticale, cette société était devenue « un concurrent à éliminer », et qu'elle avait été contrainte par les agissements du cartel de revendre à perte cette unité de production en juin 2001, reconnaissant ainsi qu'elle connaissait, au plus tard à cette date, l'existence du cartel litigieux et ses effets dommageables ; que la cour d'appel a constaté elle-même que le préjudice de la société EMC2 avait cessé en juin 2001 ; qu'il en résulte que le préjudice était entièrement réalisé à cette date et que M. U... et la société EMC2 avaient connaissance des faits leur permettant de l'exercer, de sorte que l'action en réparation intentée en mars 2012 était prescrite ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 2270-1 ancien et 2224 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Franche Comté signaux, in solidum avec les sociétés Signaux Girod, Lacroix signalisation, Aximum et Signalisation France à payer à la société EMC2 une somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice de 1997 à juin 2001,
AUX MOTIFS QUE « la société Franche Comté signaux expose qu'elle n'est entrée dans le cartel qu'en 2002, soit postérieurement à la sortie du marché de la société EMC2.
Mais, s'il est exact que l'Autorité ne date pas précisément la date d'entrée de Franche Comté signaux dans la collusion, la société EMC2 et M. U... soulignent à juste titre que cette société était bénéficiaire de l'entente avant 2002, au moins dès 1999, même si sa participation a été plus intermittente que celle des meneurs de l'entente.
Ainsi que le souligne la décision de l'Autorité de la concurrence (§89) : « Par exemple, dans le cadre des marchés du département de l'Aude (de 2000 à 2002), des « compensations » ont été prévues au profit des sociétés Signature, Nord Signalisation et FCS (cotes 1.016 et suiv.) ».
Par ailleurs, au point 238 de sa décision, l'Autorité rappelle que : « Ces déclarations sont corroborées par les tableaux « Patrimoines » versés au dossier FCS y apparaît en effet comme bénéficiaire de quelques marchés à commande, parfois avec une autre entreprise : ainsi, le marché des routes départementales et nationales du Doubs (1999-2001) affecté, dans le cadre de l'entente, au tandem FRANCHE COMTÉ SIGNAUX/Signaux Girod, était détenu par FCS. Le président de FCS a déclaré, à ce sujet, le 20 mai 2008 : « je confirme que FCS est titulaire du marché à commandes dans le marché du Doubs depuis environ 9 ans. Je n'ai pas d'explication à donner sur une compensation avec Girod ». Un autre marché à commandes (routes départementales de l'Aude, subdivision de Quillah, 2000-2002) avait été affecté à TES, mais c'est Signature qui a remporté le marché, ce qui devait entraîner une « compensation » au profit de TES ».
Elle en déduit au point 239 que : « (
) la participation de FCS à l'entente visée par le grief n° 1 a été plus durable que celle que les dirigeants de l'entreprise ont reconnue, mais sans être permanente ».
Dès lors, cette société est responsable des dommages subis par EMC2 avant sa sortie du marché de 1999 à juin 2001.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité de cette société dans les dommages subis par la société EMC2 » (arrêt p. 22),
ALORS QUE l'action en responsabilité suppose un lien de causalité entre la faute et le préjudice ; qu'en l'espèce, la société Franche Comté signaux faisait valoir qu'elle n'avait participé au cartel qu'à compter de 2002, soit postérieurement à la sortie du marché de la société EMC2 en juin 2001 ; qu'en retenant néanmoins, pour retenir sa responsabilité, qu'elle avait, avant 2002, bénéficié de « compensations » pour certains marchés et avait bénéficié de certains marchés à commande, comme le marché du Doubs (1999-2001), sans rechercher en quoi ces faits avaient contribué au préjudice à la société EMC2, et si cette dernière avait elle-même soumissionné à l'attribution du marché du Doubs, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé le lien de causalité entre la faute imputée à la société Franche Comté signaux et le préjudice subi par la société EMC2, a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil.