LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° T 20-82.068 F-P+B+I
N° 00136
ECF
17 FÉVRIER 2021
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 17 FÉVRIER 2021
REJET du pourvoi formé par la société Dynamique hôtels, partie civile, contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 12 mars 2020, qui, dans l'information suivie, sur sa plainte, contre personne non dénommée des chefs de présentation de comptes annuels infidèles et complicité, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Planchon, conseiller, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de la société Dynamique hôtels, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 janvier 2021 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 16 novembre 2015, la société Dynamique hôtels a déposé plainte avec constitution de partie civile des chefs de présentation de comptes inexacts, complicité de ce délit, et de non dénonciation de faits délictueux.
3. Dans sa plainte, elle expose que le groupe CBRE, n° 1 mondial du conseil immobilier aux entreprises, a constitué la société Dynamique hôtels en 2006, présidée par la société CBRE Investors (CBRE I), et ayant pour objet la réalisation d'investissements dans le domaine de l'hôtellerie par le biais d'acquisition de murs et/ou de fonds de commerce d'hôtellerie et la prise de participations dans des sociétés françaises ou étrangères exerçant dans le domaine de l'hôtellerie.
4. Entre fin 2006 et début 2008, la société Dynamique hôtels a acquis une centaine d'hôtels, mais en 2009, après qu'elle eût clôturé un deuxième exercice consécutif déficitaire, plusieurs sociétés du sous-groupe ont fait l'objet d'une procédure collective avec ou sans poursuite d'activité et la société CBRE I a été remplacée à la tête de la société Dynamique hôtels par la société Parfires en 2010.
5. La société Dynamique hôtels, estimant avoir subi un préjudice financier en raison des agissements de la société CBRE I, a sollicité une expertise comptable auprès du cabinet [...] qui a conclu que la seconde aurait procédé à une survalorisation des actifs de la première dans les comptes consolidés de 2009 afin de dissimuler les fautes de gestion commises au cours de son mandat et a estimé la valeur de ces actifs au 31 décembre 2009 à la somme de 106 234 000 euros alors que la somme de 222 854 000 euros figurait dans les comptes présentés pour l'année 2009.
6. Les comptes annuels de l'exercice arrêté au 31 décembre 2009 ont été approuvés, avec le soutien du commissaire aux comptes, lors de l'assemblée générale du 23 juin 2010 et ce n'est que par la suite qu'il s'est avéré que les associés avaient été trompés.
7. Le 27 avril 2016, une information judiciaire a été ouverte du chef de présentation de comptes annuels inexacts pour dissimuler la situation d'une société par actions, faits susceptibles d'avoir été commis à Paris le 23 juin 2010, à l'issue de laquelle le magistrat instructeur a dit n'y avoir lieu à suivre contre quiconque par ordonnance du 23 novembre 2018 qui a fait l'objet d'un appel de la part de la partie civile.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de non-lieu du 23 novembre 2018, alors :
« 1°/ que toute personne morale ayant la qualité de commerçant doit établir des comptes annuels ; que ces comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de la situation financière et du résultat de l'entreprise ; que la circonstance qu'une société soit soumise, avec les autres entités du même groupe, à l'obligation de présenter des comptes consolidés n'est pas de nature à l'exonérer de l'obligation de présenter des comptes sociaux fidèles et sincères ; que dès lors, a violé les articles L. 123-12 à L. 123-14, L. 242- 6, L. 244-1 du code de commerce, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction qui, pour écarter la qualification de présentation de comptes infidèles, retient que les comptes présentés aux actionnaires de la société Dynamique hôtels étaient les comptes consolidés et que « la présentation de comptes annuels consolidés infidèles n'est pas spécifiquement réprimée par les dispositions de l'article L. 242-6 du code de commerce pas plus que par une autre disposition du code de commerce », quand il lui appartenait de vérifier si chacune des sociétés du groupe Dynamique hôtels, ayant servi à l'établissement des comptes consolidés avait présenté des comptes fidèles et sincères ;
2°/ que n'a pas justifié sa décision au regard des articles L. 123-12 à L. 123-14, L. 242-6, L. 244-1 du code de commerce, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction qui, pour écarter la qualification de présentation de comptes infidèles, retient que les comptes présentés aux actionnaires de la société Dynamique hôtels étaient les comptes consolidés, lorsqu'elle relevait elle-même que les comptes sociaux de Dynamique hôtels avaient été approuvés lors de l'assemblée générale du 23 juin 2010, et sans vérifier, comme elle y était invitée, si ces comptes sociaux n'étaient pas eux-mêmes infidèles, notamment au regard de la valeur des titres de participation détenus par Dynamique hôtels ;
3°/ que pour caractériser la condition préalable de l'infraction prévue au 2° de l'article L. 242-6 du code de commerce, les juges doivent rechercher si les comptes annuels donnent, pour chaque exercice, une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice, de la situation financière et du patrimoine, à l'expiration de cette période ; que l'annexe complète et commente l'information donnée par le bilan et le compte de résultat (C. com., art. L. 123-13) et lorsque l'application d'une prescription comptable ne suffit pas pour donner une image fidèle du patrimoine, des informations complémentaires doivent être fournies dans l'annexe ; qu'en écartant la qualification de présentation de comptes infidèles pour retenir celle de faux et usage et dire que ne pouvait être constatée « une altération frauduleuse de la vérité dans l'établissement des comptes annuels consolidés au 31/12/2009 », sans rechercher si les comptes annuels, pris dans leur globalité, et notamment au regard de l'annexe, donnaient une image fidèle du patrimoine des sociétés du groupe, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles L. 123-12 à L. 123-14, L. 242-6, L. 244-1 du code de commerce, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'enfin et en tout état de cause, en retenant que la valorisation des actifs du groupe sur la base de la « méthode des flux futurs » était justifiée « par la perspective de poursuite de l'activité » sans constater, comme elle y était pourtant invitée, la situation particulièrement obérée de la société, et lorsqu'elle relevait elle-même les « difficultés rencontrées par le groupe pour refinancer les acquisitions et les travaux dans le contexte de la crise financière ce qui avait conduit à demander la procédure de conciliation », la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 123-12 à L. 123-14, L. 242-6, L. 244-1 du code de commerce, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu, l'arrêt attaqué, après avoir constaté qu'il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale des associés de la société Dynamique hôtels en date du 23 juin 2010, que ce sont les comptes consolidés de l'exercice clos au 31 décembre 2010 qui ont été présentés à l'approbation, énonce que la présentation de comptes annuels consolidés infidèles n'est pas spécifiquement réprimée par les dispositions de l'article L. 242-6 du code de commerce ou par une autre disposition de ce code.
11. Les juges ajoutent que dans l'hypothèse d'une survalorisation frauduleuse des actifs, la présentation de comptes consolidés peut recevoir la qualification de faux et usage, qu'il résulte des investigations que les comptes annuels consolidés au 31 décembre 2009 de la société Dynamique hôtels ont été établis en valorisant les actifs immobiliers, à savoir les hôtels, selon la méthode dynamique, déjà utilisée lors des deux exercices précédents, qui prend en compte les flux futurs espérés de l'exploitation après rénovation des hôtels acquis.
12. Ils relèvent que le recours à cette méthode apparaît pertinent en raison de la signature, à l'issue de la procédure de conciliation ouverte à la demande de la société Dynamique hôtels qui rencontrait des difficultés, d'un accord signé le 15 juin 2009 avec les principaux créanciers de la société et homologué par le président du tribunal de commerce de Paris, en vertu duquel la société Parfires, désignée comme président du groupe, a élaboré un plan prévoyant la cession d'une dizaine d'hôtels ainsi que la poursuite de l'activité des autres établissements assortie des travaux nécessaires.
13. La cour d'appel relève que c'est à la suite d'une erreur que le cabinet [...] a évalué le montant des travaux restant à effectuer et pris en compte pour l'évaluation desdits actifs, à un montant de 50 millions d'euros, alors qu'un montant de 23 millions d'euros figure dans l'annexe des comptes consolidés.
14. Elle souligne que, par l'effet de la cession d'une partie des actifs, le périmètre du portefeuille hôtelier s'est trouvé réduit à cinquante deux hôtels, ce qui a conduit le cabinet Deloitte, qui a procédé à l'évaluation des actifs, à chiffrer à 22,7 millions d'euros le montant des travaux à entreprendre et à préciser que cette diminution de 54 % s'expliquait par une meilleure négociation des devis, une rationalisation des travaux et la suppression des travaux pour treize hôtels supplémentaires en voie de cession.
15. Ils énoncent que la partie civile ne peut soutenir qu'elle se trouvait en état de cessation des paiements à la date d'établissement des comptes annuels consolidés au 31 décembre 2009 puisque la Société Générale, dans le cadre de l'accord de conciliation, a accepté de proroger la maturité de ses prêts au 30 septembre 2010 et a consenti des prêts relais à plusieurs sociétés du groupe Dynamique hôtels pour financer l'insuffisance de trésorerie du groupe pour la période courant jusqu'au 31 mars 2011.
16. Ils relèvent également que l'un des commissaires aux comptes de la société Dynamique hôtels a expliqué que la situation de celle-ci était la conséquence des difficultés rencontrées par le groupe pour refinancer les acquisitions et les travaux dans le contexte de la crise financière.
17. La cour d'appel conclut qu'à supposer même que les dirigeants du groupe aient commis une erreur en engageant l'ensemble des fonds disponibles pour finaliser les acquisitions d'hôtels en Allemagne, il ne saurait en être déduit une présentation inexacte des comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2009 par survalorisation des actifs puisqu'il a été vu que la méthode des flux futurs était justifiée par la perspective de poursuite de l'activité à la suite de l'homologation de l'accord de conciliation et la réduction significative du portefeuille hôtelier à la suite des cessions envisagées.
18. En prononçant ainsi, par des motifs non contradictoires et relevant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a justifié sa décision.
19. En effet, c'est à bon droit qu'elle a considéré que la présentation des comptes annuels consolidés, seule à avoir été effectuée, selon ses constatations, lors de l'assemblée générale du 23 juin 2010, est exclue du champ d'application du délit de présentation ou publication de comptes infidèles prévu par l'article L. 242-6, 2°, du code de commerce.
20. D'où il suit que le moyen, inopérant en ses deuxième et troisième branches, ne peut qu'être écarté.
21. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept février deux mille vingt et un.